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11/08/2010

L'homme qui filmait les femmes

Après les rééditions de Pietro Germi, Carlotta nous permet de découvrir, éventuellement de retrouver, le cinéma de Mauro Bolognini. Né à Pistoia en 1922, disparu en 2001, Bolognini traverse les trois décennies glorieuses du cinéma italien et contribue à leur histoire. Comme nombre de réalisateurs de sa génération de Leone à Fellini, de Corbucci à Visconti, il fait ses armes en tant qu'assistant réalisateur. Pour Bolognini, l'initiateur sera Luigi Zampa, figure du néo-réalisme. Il passe ensuite à la réalisation en 1953 pour quelques comédies avant de faire une première rencontre décisive en la personne de Pier Paolo Pasolini. L'écrivain, critique et poète, déjà sulfureux, va collaborer aux scénarios de cinq films en cinq ans à partir de Marisa la civetta (Marisa, la coquette), en 1957. Cinq films qui font de Bolognini un réalisateur majeur. Pasolini passant à la mise en scène, Bolognini s'oriente vers des adaptations littéraires, Mario Pratesi, Italo Svevo, Théophile Gautier et Alberto Moravia entre autres. Il y gagne une renommée internationale et une réputation pour le film en costume, ce qui lui vaut parfois des critiques pour maniérisme. Ces années 60 sont surtout marquées pour lui par de nombreuses participations à des films à sketches, très à la mode, prisés du public, mais inégaux. Il ouvre une nouvelle phase brillante de son oeuvre en 1970 avec Metello qui allie ses goûts esthétiques, son sens du romanesque, sa sensibilité pour les portraits féminins et une approche politique virulente, matrice de huit films remarquables qui s'achève en 1980 avec l'adaptation de La dame aux camélias avec Isabelle Huppert. Bolognini vit ensuite comme tous ses contemporains la débâcle du cinéma italien, se tournant vers la télévision et ne cessant d'imaginer de nouveaux projets qui ne se feront pas.

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Le cinéma de Mauro Bolognini possède les lignes de forces qui font la richesse du grand cinéma italien : le raffinement et l'exigence des productions qui se matérialisent par le travail sur les décors, la recherche perfectionniste sur les accessoires digne d'un Sergio Leone ou la collaboration avec le costumier Piero Tosi, homme clef par ailleurs de l'oeuvre de Luchino Visconti. Savoir s'entourer d'hommes de talent, Bolognini aura comme scénaristes, outre Pasolini, le grand Luciano Vincenzoni, Pasquale Festa Campanile et Moravia soi-même. Nombre de musiques de ses films seront l'oeuvre d'Ennio Morricone tandis que Piero Piccioni donne à ses films du début des années 60 une légèreté moderne et jazzy. Collaboration exemplaire également avec le monteur Nino Baragli équivalente à celles entretenues avec Sergio Leone (tous ses films), Pasolini encore ou Sergio Corbucci. On trouve dans ces liens une sorte de dimension familiale du cinéma italien, petit monde où tout le monde se connaît, une fluidité entre cinéma d'auteur, cinéma de prestige et cinéma de genre qui lui donne une vitalité unique. On ne sera donc pas surpris d'apprendre que son frère n'est autre que Manolo Bolognini, le producteur tant du Django (1966) de Sergio Corbucci que du Teorema (1968) de Pier Paolo Pasolini, d'Andrei Tarkovski, de Liliana Cavani et d'Enzo G. Castellari. Autre dimension caractéristique, l'ouverture européenne. De nombreuses coproductions avec la France nourrissent le cinéma de Bolognini des présences de Jean-Claude Brialy, Laurent Terzieff, Jean-Paul Belmondo, Catherine Deneuve, Isabelle Huppert, Marthe Keller ou Françoise Fabian. L'Italie est accueillante et sait offrir des rôles différents, modifier les images, stimuler les imaginations.

Et puis les femmes... Il n'est certainement pas le seul, mais tous les témoignages s'accordent sur la passion que Bolognini a mis à filmer ses actrices. Si son goût des hommes l'a rapproché de Pasolini pour donner aux héros de La notte brava (Les garçons – 1959) une sensualité à fleur de peau, Bolognini restera comme l'un des grands peintres de la femme à l'écran, soignant jusqu'à l'exubérance les visages, les corps et les âmes de Claudia Cardinale (soupir), Ottavia Piccolo, Elsa Martinelli, Catherine Deneuve (re-soupir), Virna Lisi, Barbara Bouchet (Eh...), Marthe Keller, Gina Lollobridgida, Catherine Spaak, Sylva Koscina, Tina Aumont, Sylvana Mangano, Dominique Sanda, j'en oublie forcément, mais j'en ai les mains qui tremblent. Femmes sublimes au coeur de films comme des écrins de poésies dédiés à leur beauté. Femmes vivantes portant l'espoir, l'esprit de lutte, les forces vitales en butte à la bêtise et à la violence des hommes.

Quatre films de Mauro Bolognini à suivre sur Kinok

Photographie Pino Settani (droits réservés)

08/07/2010

Spielberg puissance 10

The only thing better than seeing movies is reading about them.”

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S'il y a bien une liste à laquelle ne peux résister, c'est celle qui est actuellement proposée par le blog De son coeur le vampire : les dix films de Steven Spielberg préférés. Spielberg et moi, c'est une longue et belle histoire, les lecteurs de ce blog ont du s'en rendre compte. Si John Ford est pour moi le grand maître, Steven Spielberg en est à la fois le disciple et l'héritier. Si Ford jetait ses derniers feux l'année de ma naissance, j'ai véritablement grandit avec les films de Spielberg. A une exception près, j'ai vu tout ses films et presque dans l'ordre, mettant un point d'honneur, jusque dans les années 2000, à voir les films le jour de leur sortie, si possible à la première séance du mercredi. On est maniaque ou on ne l'est pas. J'ai donc vécu tous les mouvements d'une oeuvre conséquente comptant 25 longs métrages (plus une vingtaine d'oeuvres télévisuelles dont le fameux Duel en 1971), exceptionnellement cohérente dans le contexte du cinéma américain de ces trente dernières années.

Une oeuvre avec ses succès planétaires, ses échecs, ses inflexions, ses moments de doute, ses accès de noirceur, ses naïvetés parfois, ses obsessions profondes et par dessus tout un sens aigu du cinéma entre tradition hollywoodienne, admiration pour l'Europe et volonté réalisée d'indépendance. Bien qu'il ait fait partie des "movies brats" des années 70, Steven Spielberg a eu une relation avec la critique nettement plus chaotique que Martin Scorcese, Brian De Plama ou Francis Ford Coppola. Une critique qui ne l'a jamais ménagé peut être parce qu'elle n'a jamais bien su par quel bout le prendre. Même la relative embellie dont il bénéficie sur ce point avec les quatre films des années 2000 de AI à Munich ne change rien à l'absence (ou presque) d'approche globale de son oeuvre, une exploration des liens intimes qui lient Close encounters of the third kind à Schindler's list, Empire of the sun à AI ou 1941 à Munich . Il y a du travail. Et d'ici là, je vous propose donc cette liste de mes favoris :

 

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Close encounters of the third kind (Rencontres du troisième type - 1978). le film spielberguien par excellence, Dreyfuss en héros lunaire et décidé, les notes de John Williams, François Truffaut en savant, les jeux sur le langage, la communication entre les êtres, la famille atomisée et le plaisir des lumières. Photographie : Starmovie Asia.

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Always (1989). Mon chouchou, un film discret, mal aimé, difficile à accoucher, pourtant sa seule véritable histoire de couple et l'un de ses trop rares portraits de femme. Holly Hunter est lumineuse et drôle, Dreyfuss est Dreyfuss. Spielberg filme les avions comme personne. Photographie copyright UIP

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Raiders of the lost ark (Les aventuriers de l'arche perdue - 1981). Parce que ce fut le premier et que l'effet de ce film fut inoubliable. Parce que le plan de Harrison Ford comme celui de John Wayne chez Ford. Parce que cette marche entêtante écoutée mille fois. Parce que je n'aime pas les serpents non plus. Parce que Karen Allen était l'héroïne dont nous revions à 15 ans. Photo LucasFilms.

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The color purple (La couleur pourpre - 1985) Premier film délibérément fordien de Spielberg. La révélation de Woopie Goldberg. L'Art de mettre en avant de nouveaux visages est un des nombreux talents que l'on ne souligne pas assez chez le maître. La musique, la photographie de Allen Daviau qui retrouve les teintes iréelles de la grande époque de Hollywood. Comme trop souvent le contexte (ici la condition des noirs américains) a tendance à parasiter la richesse purement cinématographique de l'oeuvre. Photographie blog Zefacteur.

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Saving Private Ryan (Il faut sauver le soldat Ryan - 1998). On a tout dit sur la séquence virtuose du débarquement, enfin peut être pas tout. Dommage qu'ici aussi cela ai conduit à sous estimer un film majeur brassant les grands thèmes de son auteur tout en embrassant l'Histoire. Démarche tout à fait fordienne et prolongement de la vision de Samuel Fuller avec lequel Spielberg était lié. Photographie Filmréférence.

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Schindler's list (La liste de Schindler - 1994). Le film de la reconnaissance (Oscars, polémiques) mais surtout de l'affirmation. Peut-être son oeuvre la plus parfaite sur le plan plastique, sans doute à cause de l'investissement personnel et de l'enjeu. Il y a beaucoup à dire sur ce que le personnage de Schindler exprime de Spielberg lui-même et de son rapport au cinéma. Photographie IMDB.

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1941 (1979). Première incursion dans la seconde guerre mondiale sur le mode loufoque, le film est d'abord un hommage au cinéma des maîtres (Ford, Kurosawa, Peckinpah, Disney...)  via une distribution éclatante et un exercice de style peut-être un peu trop intense pour le commun des mortels. Film exhubérant, excessif, musical, plus grand que nature, avec 1941, Spielberg monte un gigantesque train électrique qu'il démoli avec jouissance. Necessite deux à trois visions pour être pleinement apprécié (si l'on survit à la première). Photographie : Excessif.

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Minority report (2002). Le grand film des années 2000, un cauchemar sécuritaire et technologique  digne de George Orwell. De manière inattendue, Spielberg glisse dans un formidable film d'action avec star consentante un réquisitoire contre la société qui nous est promise et dans laquelle on se débat déjà. Glaçant. Photographie : Copyright © 20th Century Fox.

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E.T. (1982). Drôle de film dont je me demande à chaque fois ce qu'il va bien pouvoir en rester. La remarquable direction des enfants, le subtil équilibre entre humour, chronique familiale et fantastique, la scène assez sublime construite autour de The quiet man (L'homme tranquille - 1952) de John Ford, quelque chose d'un peu magique qui fait que je marche à tous les coups devant l'espèce de tortue spaciale. L'enfance de l'art. Photographie Copyright © Universal Pictures.

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Munich (2006). Variation sur l'ordre et le chaos inspirée par The man who shot Liberty Valance (L'homme qui tua Liberty Valance - 1962) de John Ford. La vision de Spielberg se fait encore plus sombre pour aborder l'histoire contemporaine et ses deux facettes de juif et d'américain. Photographie Copyright ©UIP

Photographie de Spielberg : Britannica

07/04/2010

Ford par Vecchiali

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"GRANDEUR. Grandeur du regard. Grandeur des sentiments. Grandeur de l’homme face à l’adversité. Grandeur de la femme face à la sauvagerie. Grandeur de la nature, symbole de liberté avec ses pièges sournois."

Paul Vecchiali repris sur La Furia Umana via O signo do Dragao

Photographie : source House of Mirth and Movies

20/03/2010

Corbucci au travail

Un document tout à fait exceptionnel : Sergio Corbucci et Tomas Milian en pleine séance de post-syncronisation sur La bande J&S, cronaca criminale del Far West (Far West story - 1972). Le commentaire est en allemand, mais ce n'est pas bien grave, on y voit l'humour et la passion.

15/02/2010

Godard juin 1968




11/01/2010

Le goût de la beauté

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Eric Rohmer 1920 - 2010

28/10/2009

Mort d'un cinéaste

C'est sûr, ça n'a pas fait les gros titres. Pourtant, pour nous, la nouvelle de ce week end, ce fut la disparition d'un grand cinéaste, un marseillais, monsieur Paul Carpita. J'écris « nous » parce que je pense à l'équipe des Rencontres qui se sont achevées dimanche soir. Dans l'après-midi, Marc Mercier, le directeur des Instants Vidéo, présentait une programmation et il nous a annoncé la nouvelle avant de dédier son programme à Paul. J'écris « nous » parce que nous avions reçu Paul Carpita à Nice. Deux fois. Je n'ai jamais trop voulu inviter des « pointures » aux Rencontres. Ma timidité proverbiale, la difficulté à gérer des ego souvent excessifs et puis la modestie de la manifestation. Nous rêvions de Guéduiguian, de Moretti et puis nous avons décidé de passer Les sables mouvants en 2004. Et d'appeler Paul qui a aussitôt accepté. J'étais dans mes petits souliers, comme ont dit. Il est donc venu avec sa femme, un charmant vieux couple comme cela devrait toujours être. Ils nous ont mis à l'aise, ils ont été parfaits, nous étions ravis. Le public du cinéma Mercury aussi. Nous avons découvert un homme combatif, marqué à vie par la censure injuste de son premier long métrage, une censure politique qui a quasiment brisé son élan artistique. Un acte de violence qu'il a porté toute sa vie comme une blessure. Mais il s'est battu, il a fait des courts métrages puis a réussi, enfin, à monter à nouveau deux longs. Sur la scène du Mercury, il nous a donné une leçon de ténacité, de courage nourri de l'amour du cinéma.

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Du coup, nous avons monté une rétrospective avec son légendaire Le rendez-vous des quais (1955), Marche et rêve, son dernier de 2005 et ses courts métrages. Superbes ses courts métrages, surtout Marseille sans soleil (1960) et Des lapins dans la tête (1964) dans lequel l'instituteur qu'il resta toute sa vie filmait ses élèves en un beau noir et blanc et l'esprit de Prévert et Vigo.

Voilà, dimanche matin, je parlais de Paul avec un ami venu de Marseille. Il me disait que Paul n'arrivait pas à monter son nouveau projet Le dessin, en collaboration avec Claude Martino. Les assurances ne voulaient pas prendre le risque. Pauvres crétins.

Paul Carpita, avec Le rendez-vous des quais, ce film sur les dockers du port de Marseille en grève contre l'envoi d'armes en Indochine, sa production indépendante, son enthousiasme militant, son attention aux petites gens, son sens d'un cinéma en liberté, c'est bien le maillon entre le néo-réalisme à l'italienne et la Nouvelle Vague. C'est plus aussi. C'est en un seul film le continuateur du cinéma du Front Populaire, Renoir et Duvivier, et le précurseur de Robert Guédiguian. C'est aussi, même si ça ne lui plaisait pas plus qu'à Guédiguian qu'on en parle, le continuateur de Pagnol. Certes pas politiquement, mais dans l'ancrage du cinéma dans un terroir, dans un territoire et une langue (ou plutôt une façon de parler, un accent, des tournures). Et puis aussi dans une sensibilité dans la description des sentiments, une pudeur. Et cette attention au gens, aux acteurs, aux enfants.

Je suis très heureux, très fier, de l'avoir rencontré et ce soir, je salue sa famille avec le grand cinéaste que nous avons perdu.

06/09/2009

Influences (2)

« A dix-neuf ans, dès que j'ai eu mon premier magnétoscope, je me suis dit : « Je vais dénicher tous les films de Howard Hawks ». Je vais guetter les programmes télé, je vais étudier ses films jusqu'à les connaître par coeur, les titres, les acteurs, les génériques... Le problème, c'est qu'il en a fait beaucoup. Je m'attendais à tout, même à ce que cela ne soit pas aussi bon que ça, mais film après film, Hawks m'a prouvé le contraire. Il est devenu mon maître. Un maître relax, un maître que je n'étais pas le premier à découvrir, mais que j'ai découvert par moi-même, que je me suis approprié. »

Quentin Tarantino interrogé par Bertrand Tavernier dans Amis américains – Editions Institut Lumière / Acte Sud

31/08/2009

Influences

Were you influenced by the likes of Robert Aldrich, Samuel Fuller, or Sergio Leone? What other directors have had a positive effect on you ?

Quentin Tarantino : Oh, yeah. You better believe they were big influences. Sergio Leone is my favorite director of all time. I don’t think this is it, but I remember when I first started the movie after Jackie Brown, it was one of the things that I wanted to be my The Good, The Bad, and The Ugly, and it was. I love those guys’ work. Oddly enough though, as much as I love Sergio Leone, if you are familiar with a lot of those directors, I think my work resembles more of Sergio Corbucci. Not that I am trying to do either of those guys, but he is the other master as far as I’m concerned. I think my films are closer to his than Leone’s.

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Avez vous été influencé par dens gens comme Robert Aldrich, Samuel Fuller, ou Sergio Leone ? Quels autres réalisateurs ont eu un effet positif sur vous ?

Quentin Tarantino : Oh, oui ! Vous pouvez dire qu'ils ont été des influences majeures. Sergio Léone est mon réalisateur favori de tous les temps. Je ne crois pas être arrivé à cela, mais je me souviens que quand j'ai commencé le film après Jackie Brown, je voulais que ce soit mon Le bon, la brute et le truand, et ça l'était. J'adore le travail de ces gars. Assez étrangement, autant j'aime Sergio Leone, si vous êtes familier de ces réalisateurs, je crois que mon travail ressemble plus à celui de Sergio Corbucci. Ce n'est pas que je cherche à être l'un ou l'autre de ces gars, mais il est l'autre maître en ce qui me concerne. Je pense que mes films sont plus proches des siens que de ceux de Leone.

Entretien avec Quentin Tarantino sur Screencrave (en anglais). Traduction laborieuse de mes petites mains. La photographie vient de Movie-moron, je n'ai pu résister aux mains de Mélanie dans le celluloïd.

08/08/2009

En hommage à John Hughes

22/06/2009

Voyages avec Chabrol

Claude Chabrol blog-a-thon

J'ai un peu hésité avant de partir sur un article d'ensemble tellement ma relation avec l'oeuvre de Claude Chabrol est chaotique et présente de lacunes. Mais à la réflexion je me suis rendu compte qu'elle avait été présente tout au long de mon parcours cinéphile (on va dire ça comme ça) et surtout que certains de ses films, des images, des moments venus de ses films, me ramènent, sinon à l'enfance, du moins à l'entrée en adolescence. Ainsi Romy Schneider, allongée nue dans un parc, recevant sur son corps un cerf-volant et forçant de manière provoquant le jeune homme venu le récupérer à le prendre, est une de mes premières images érotiques fortes au cinéma. Jusqu'à ce que je retrouve l'extrait grâce à Internet, j'aurais été incapable de vous dire que c'était un film de Chabrol, Les Innocents aux mains sales (1975), ni même qui était l'actrice. Mais que l'on évoque cette histoire de cerf-volant et la scène revivait sous mes yeux. Je me souviens aussi très bien de l'impression que m'avaient laissés Le boucher (1970) et l'un des films avec le couple Stéphane Audran – Michel Bouquet, peut être bien Juste avant la nuit (1971), découverts à la télévision. Pour moi, vers 1974/1980, ces films représentaient un cinéma « adulte », que je ne comprenais, ni forcément appréciais toujours, mais qui m'ouvrait d'autres horizons que celui que je pratiquais plus naturellement, celui du western en particulier. Je découvrais des préoccupations d'adultes, des histoires plus sombres, des résolutions moins tranchées, des personnages plus quotidiens, au physiques « ordinaires » comme ceux incarnés par Jean Yanne ou Michel Bouquet. Avec le recul, je me rends compte que ce sont des acteurs que j'ai toujours aimé par la suite. J'avais aussi raconté il y a quelque temps, comment était né le désir de voir Nada (1974) à partir de simples photographies sur un programme de télévision, Et comment ce désir est resté lové dans l'inassouvissement jusqu'en 2007. C'est étonnant comme un cinéphile peut être têtu. Et comment certains films peuvent vous séduire par trois fois rien.

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Le cheval d'orgueil (collection personnele)

Mes parents, je crois, ont toujours apprécié le cinéma de Chabrol. J'ai très vite pris l'habitude d'aller au cinéma seul, j'ai donc un souvenir assez précis des quelques fois où j'y suis allé en famille ou avec l'un de mes mes parents. Pour Chabrol, je le rattache à une séance avec ma mère du Cheval d'orgueil, à sa sortie en 1980. nous avions été au Mélies, à Nice, un petit cinéma Art et Essai aux salles format poche typique de ce qui se faisait à l'époque. Il a disparu depuis, mais c'était le genre à garder un film comme Diva (1981) de Beineix pendant plus de deux ans. Le cheval d'orgueil est tiré du roman autobiographique de Pierre-Jakez Hélias sur son enfance bretonne et qui connu à l'époque un gros succès. L'histoire se déroule au début du XXe siècle. J'imagine que ma mère, qui avait aimé le livre et qui avait passé ses vacances enfant en Bretagne, était attirée par la reconstitution. De mon côté, j'avais aussi aimé le livre et je gardais un frais souvenir des nombreuses vacances passées là-bas. J'ajouterais perfidement que, exilé sur la Côte d'Azur, je regrettais les vastes plages de sable fin de la baie d'Audierne face aux douloureux galets de la promenade des anglais. Du film, je garde là aussi une impression d'ensemble, un rythme posé, presque lent donc inhabituel pour moi, peu de dialogues, le vert des paysages et le côté intimiste de scènes entre François Cluzet dans l'un de ses premiers rôles et Bernadette le Sachez qui jouait la mère, une actrice au physique très doux, à la rousseur pâle que j'ai regretté de ne pas avoir vue plus souvent. J'avais aussi été marqué par cette scène, très chabrolienne à la réflexion, où le marquis (Michel Robin), patron du grand père (joué par Jacques Dufilho) employé comme domestique, lui demande de lui cracher dessus pour se faire pardonner une insulte d'honneur. Cette façon de montrer les relations de classe est très proche de ce que Chabrol fera quinze ans plus tard dans La cérémonie.

Curieusement, je n'ai pas suivi Chabrol dans les années 80. J'avais pourtant aimé Violette Nozière (1978) et l'adaptation télévisée de Fantomas vers 80 dont Chabrol réalisé deux épisodes. J'y suis revenu avec L'enfer (1994) et surtout La cérémonie (1995). Ce dernier film, je crois, a été pour beaucoup une redécouverte de Chabrol. Peut être avait-il atteint une nouvelle maîtrise de son art. Peut être que j'avais atteint l'âge de l'apprécier pleinement mais dès lors, je suis devenu un fidèle, avec une véritable passion pour des films comme Au coeur du mensonge (1999) et La fille coupée en deux (2007). C'est qu'il n'est pas facile à suivre, Chabrol. Après un démarrage brillant au coeur de la Nouvelle Vague, entre Truffaut et Godard, il n'hésite pas à se tourner vers un cinéma très commercial, des films de genre comme les épisodes du Tigre avec Roger Hannin. Les biches en 1968 ouvre un premier âge d'or, une période riche de sa collaboration avec Stéphane Audran. Les années 70 seront plus chaotiques, avec des échecs, des incompréhensions, une rupture assez large avec la critique. Les années 80 poursuivent ce mouvement mais contrairement à ses camarades de la Nouvelle Vague (sauf Truffaut qui meurt), Chabrol négocie la transition avec le public, notamment à travers les films populaires mettant en scène l'inspecteur Lavardin. Le début des années 90 verront Chabrol retrouver l'appréciation de son travail de réalisateur avec un sommet, La cérémonie.

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Le boucher (source Filmreference)

Il a désormais un statut bien établi, une image respectable et respectée, même si ses films ne manquent pas de mordant. Je pense qu'il n'en est pas dupe. Son sens de l'humour et sa conception de la mise en scène, influencée par deux de ses maîtres Alfred Hitchcock et Fritz Lang, masquent la force de son propos jusqu'à ce qu'il éclate brutalement au visage du spectateur. La violence qui éclate souvent à la fin de ses films est le résultat d'un patient travail de sape opéré tout au long du film. Chabrol, comme Lang et Hitchcock est un grand maître de la frustration, de l'irrésolu, de l'inassouvi, du manque. Ses personnages n'en sont pas toujours bien conscients, mais cela les ronge, jusqu'à la folie, jusqu'au mensonge, jusqu'au meurtre, jusqu'à l'absurde quand le vide des vies révèle l'étendue de sa béance. La scène la plus emblématique de cette révélation serait pour moi celle tirée de La femme infidèle (1969) qui exprime un si terrible désespoir. Face à ce vide la bonne conscience de la bourgeoisie se désagrège et provoque la violence. L'intelligence de Chabrol est d'avoir aussi montré que le recours à cette violence, dans un rapport de classe, mène à une impasse, celle des anarchistes de Nada comme celle des jeunes femmes de La cérémonie ou la réaction de Violette Nozière. L'intelligence de Chabrol est de l'avoir montré dans toute sa complexité, de chercher à comprendre sans jamais chercher à juger, mais sans jamais renoncer à son regard caustique. Aujourd'hui, l'oeuvre de Chabrol m'apparaîtrait plus riche et plus cohérente, globalement, même si elle n'a pas l'homogénéité de cette de Truffaut. De même sa mise en scène, discrète mais précise, se dissimule sous une certaine bonhomie et n'a pas les fulgurances de celle de Godard. Elle nécessite un peu d'efforts pour révéler ses beautés, le charme de ses mouvements, le sens des raccords, la sensualité des plans. Plus proche de Rohmer, il reste avant tout un conteur, mais il a le cinéma chevillé au corps. Chabrol est un pessimiste gai et son cinéma est toujours aussi précieux.

Claude Chabrol sur Inisfree

10/06/2009

Claude Chabrol blog-a-thon

Claude Chabrol fêtera ses 79 ans le 24 juin prochain. Pour l'occasion, nos amis américains proposent à l'initiative de Flickhead un blog-a-thon du 21 au 30 juin autour du metteur en scène du Boucher (1970). Ray Young, l'animateur de Flickhead qui par ailleurs a créé le Claude Chabrol Project, nous annonce « Ten Days’ Wonder ». Je serais ravi de participer, j'ai même déjà reçu de quoi travailler avec Les biches (1968), Juste avant la nuit (1971) et Marie-Chantal contre Dr Kha (1965). Si certains de mes camarades blogueurs sont tentés, je vous rappele qu'il suffit, entre les dates proposées, d'écrire un ou plusieurs articles sur Chabrol et de le signaler à l'organisateur qui centralise l'ensemble des contributions. D'ici là pour patienter, vous pouvez passer lire le beau texte de Griffe sur le tout récent Bellamy.

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Photographie : source Film référence

03/01/2009

Early Howard Hawks Blogathon

En revoyant il y a peu le magnifique Red River (La rivière rouge - 1946) de Howard Hawks, je me faisais la réflexion que je n'avais pas encore écrit de véritable chronique sur un film de cet auteur en plus de quatre années de blog. "Cela doit cesser" me dis-je. "Cela tombe bien" me fis-je remarquer, puisque le blog Seul le cinéma (dont l'intitulé en français ne doit pas masquer son américanitude) propose un Early Howard Hawks Blogathon à partir du 12 janvier et jusqu'au 23 du même mois. Il s'agit d'explorer la première période de l'oeuvre du maître, de ses premiers films muets jusqu'au milieu des années 30 soit de Road to glory (1926) à Come and get it (Le vandale - 1936). Je peux déjà vous dire que je me suis commandé Barbary coast, film de 1935 que je ne connais pas avec la belle Miriam Hopkins et que je compte plancher dessus. Si vous voulez en savoir plus et éventuellement participer, il vous suffit de cliquer sur le joli logo ci-dessous.

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04/12/2008

Un monsieur qui a mangé du cinéma

« Le film « à acteurs » ne me tente absolument pas. J'estime que la nuit moderne, peuplée de lumières étranges et chantantes, la nuit moderne qui ne ressemble vraiment à aucune autre nuit de l'histoire, est photogénique autant, plus encore que le visage d'une belle femme. [...] Je ne travaillais pas selon un scénario préconçu. Je sortais le soir avec beaucoup de foi et mon petit appareil que tout le monde prenait pour un simple appareil photographique. Je me perdais dans la mer, dans la nuit, dans la foule. Je chassais les images comme on chasse des oiseaux. Des vagues sonores déferlaient. Le miracle venait à pas rapides, haletant. Je le saisissais confusément et l'enfermais dans ma boîte. »

Eugène Deslaw, Filmliga, 1928.

Ce soir à la Cinémathèque de Nice

21/10/2008

Sam à propos de Peckinpah

"Je dois avouer que, pour ma part, je ne suis pas très facile dans le travail, car je suis extrêmement exigeant, extrêmement dur sur un plateau. Je n’admets pas les gens qui prennent le cinéma pour un "business", je n’admets pas que l’on travaille d’un film à l’autre par routine. Je veux que l’on croie au film sur lequel on travaille, ou bien que l’on refuse d’y participer... A chacun de mes tournages, j’ai un service de cars pour relier en permanence le lieu de tournage à Hollywood, afin que toute personne de l’équipe ; jusqu’au moindre technicien, qui ne travaille pas avec le même enthousiasme que moi, pour le film, soit renvoyée immédiatement..."

En ligne sur Allez-au-cinéma.com, un entretien réalisé par Guy Braucourt pour la revue Cinéma 69 (n° 141 décembre 1969). Le grand homme y parle de sa carrière depuis ses débuts à la télévision jusqu'à The Ballad of Cable Hogue, du western, de la violence, de ses confrères et des producteurs. Est-il vraiment necessaire que je vous dise que c'est passionnant ?

28/07/2008

Encore et toujours

Il y a une dizaine d'année, avec trois amis, nous avons créé et animé une émission sur le cinéma sur la radio de la communauté juive de Nice. J'ai endossé la tenue de l'animateur et pour la première émission, je me suis creusé la tête pour définir ce que serait le cinéma que nous allions y défendre. Pas facile, nous avions tous les quatre des goûts assez différents. Finalement, un consensus relatif s'est établi sur quelques noms : Guédiguian, Tavernier, Kitano, Loach et Youssef Chahine qui venait de sortir Al Massir (Le destin) après son passage à Cannes. Parler sur la radio de la communauté juive du cinéma de Chahine nous semblait une bonne idée, indispensable d'une certaine façon. J'avais adoré ce film. Ce geste final de suprême défi du philosophe Averroes jetant l'un de ses livres adorés dans le bûcher est un grand geste de cinéma. Et à relire mes notes, j'avais sans doute essayé d'être lyrique sur le sujet. Hélas, mes prestations des premiers mois étaient terriblement handicapées par mon trac terrible et ma voix qui tremblait dans le micro. Je ne sais pas, je ne crois pas avoir rendu justice à cette phrase : « Chahine fait partie de ces metteurs en scène humanistes comme Ford, Renoir ou Kurosawa. A plus de 70 ans, il a une belle carrière derrière lui ». A plus de 80 ans, Chahine vient de disparaître. Si je suis triste, c'est surtout que je ne lui vois pas d'héritiers, car l'homme a eu une belle vie, intense, créative, menant mille combats sans se départir de son sourire teigneux. Je connais finalement assez mal son cinéma, comme je connais mal le cinéma égyptien. Mais ce que j'en connais, ce que j'en ai vu, me conforte dans l'idée que mon enthousiasme d'il y a dix ans était justifié.

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07/06/2008

Permette ?

Dino Risi 1916 - 2008

Una vita difficile, Il sorpasso, La marchia su Roma, I mostri, Vedo nudo, Mordi e fuggi, Profumo di donna...

Rien à dire, encore beaucoup à voir. 

08/12/2007

Luc Moullet, sur la toile

Pour partir en exploration, une liste non exhaustive.

A tout seigneur... Luc Moullet par le Dr Orlof :

  • Anatomie d'un rapport (lire)
  • Brigitte et Brigitte (lire)
  • Les contrebandières (lire)
  • Genèse d'un repas (lire)
  • Le prestige de la mort (lire)
  • Une aventure de Billy le Kid (lire)

La rétrospective que lui a consacrée le festival Côté Court en 2001.

La fiche de Luc Moullet avec biographie et filmographie sur le site de la BiFi.

La fiche Wikipedia de Luc Moullet (l'anglaise est plus complète que la française !)

« Luc Moullet le franc-filmeur » un article de l'Humanité par Jean Roy.

Un entretien avec Luc Moullet sur Libération à l'occasion de la sortie de Le Prestige de la mort.

A propos des Naufragés de la D17 par Claude-Marie Trémois, un article publié par la revue Esprit (2002) sur Cinéchroniques.

« Luc Moullet, cinéaste unique à découvrir absolument », chronique du coffret par Jean-Jacques Birgé.

Sélection Luc Moullet, livres et films sur La Boutique

06/12/2007

Luc Moullet, commentateur

Chez Luc Moullet, le critique et le cinéphile dont indissociables de l'oeuvre du réalisateur. Je vous propose de découvrir, sur le site des éditions Montparnasse, un extrait du film de Howard Hawks, Bringing up baby(L'impossible monsieur bébé – 1938) commenté par Moullet soi-même, ce qui permettra pour ceux qui ne le connaissent pas, de découvrir sa voix caractéristique. Il s'agit du passage où le personnage de Cary Grant s'agite habillé d'une robe de chambre de Katharine Hepburn et lance l'immortelle réplique : « Because I went GAY all of a sudden!  ». (Lien)

Et je profite de l'occasion pour répercuter l'information donnée par Breccio, l'homme des heureuses coïncidences, en commentaire de la note précédente : Luc Moullet a également commenté le film de Cécil B.DeMille Male and female (L'admirable Crichton – 1919) paru chez Bach Films (Lien).

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Photographie Cinémathèque de Belgique

05/12/2007

Luc Moullet, théoricien

Autant l'avouer d'emblée, je connais très mal le cinéma de Luc Moullet. Je n'ai vu que son petit bijou de court-métrage, Essais d'ouverture, tourné en 1989 et dont l 'humour glacé et sophistiqué me ravi. Ce handicap même renforce ma détermination à participer à la croisade du bon Dr Orlof : oui, nous voulons voir les films de Luc Moullet en salle. Oui, nous voulons répandre son nom et son oeuvre sur la terre de France, vers l'infini et au-delà. Oui, nous voulons qu'il prenne place en première partie de soirée sur les chaînes de télévision publiques. Oui, nous voulons que le bruit médiatique de « Luc+Moullet » dépasse celui des Luc non Moullet voire des Moullet non Luc. Aussi, répondant à l'appel du Dr Orlof, je joins mes forces à cette noble entreprise « Et sans trêve ni repos, j'irais cherchant l'Eldorado ».

 

Il faut dire que l'homme force la sympathie et que je lui dois beaucoup. Parmi les cinq ou six livres sur le cinéma que j'ouvre, lis et relis fréquemment, il y a celui qu'il écrivit en 1993 : Politique des acteurs (éditions des Cahiers du Cinéma). A l'époque, quand je l'ai acheté, je ne savais pas qui était Luc Moullet. Il paraît que c'était alors son retour à la critique. Mais je m'en fichais bien, le livre proposait une analyse du travail de quatre de mes acteurs fétiches : Cary Grant, James Stewart, Gary Cooper et, surtout, John Wayne. Or pour une large majorité de cinéphiles de la fin des années 60 au milieu des années 90, l'acteur de cinéma dans toute sa splendeur c'est plutôt Robert De Niro, Dustin Hoffman ou Gérard Depardieu. L'acteur classique, hollywoodien de surcroît, n'est guère estimé. Au mieux, il a droit à un statut d'icône façon Bogart. Je caricature à peine. Sur la bande des quatre, Stewart est sans doute le mieux loti de part ses prestations torturées chez Mann et Hitchcock. Et puis il a fait du théâtre comme Henry Fonda et c'est bien vu. Mais les autres, ceux dont le jeu si cinématographique ne se voit pas, sont aimés sans être bien étudiés, ni compris.

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Moullet est plus perspicace. Armé d'un magnétoscope, d'un oeil neuf affûté et d'un esprit vif, il décortique l'essence du jeu de ses sujets d'expérimentation, quatre univers passant surtout par l'expression corporelle, et y rattache des thématiques déclinées d'un réalisateur à l'autre. Il dessine ainsi quatre oeuvres cohérentes et belles. Intuition géniale !

C'est Cary Grant et son travail sur les lignes de son corps, cassé, tendu, courbé, figé dans le mouvement, élans interrompus et toujours repris, comparables en cela à ceux d'un Buster Keaton. C'est le visage minéral (comme l'a écrit JLG) de Gary Cooper, bloc héroïque autour duquel tendent tous les autres éléments du film. Travail d'épure du geste et de l'expression. Art sublime du sentiment donné par un sourcil relevé. C'est James Stewart et ses jeux de mains magnifiques dont la richesse nous est révélée. Ses nombreuses trouvailles en matière de diction : cris, bredouillement, paroles cassées par la colère, l'enrouement, la nourriture (il serait le premier à avoir dit son texte en mangeant dans un film). C'est enfin, et surtout pour moi, une étude renversante sur le jeu de John Wayne. « Je ne savais pas que ce fils de pute pouvait jouer » avait dit John Ford en voyant Red River de Howard Hawks en 1946. Wayne avait quand même cinquante balais. Un jeu qui apparaît aujourd'hui comme étonnamment moderne par son économie et sa finesse. Et ce bassin de JW ! Cette façon de bouger comme un danseur ou comme un grand chat. Moullet décrit ici en des passages exaltants une oeuvre inédite autour de la décrépitude construite à trois : Ford, Hawks et Wayne. Les deux premiers à partir de Red River se renvoyant le troisième à travers autant de variations sur la vieillesse et le temps.

Qu'est-ce qu'un grand critique de cinéma sinon quelqu'un qui vous propose des clefs pour une oeuvre et, mieux, vous suggère une nouvelle façon de la voir ? C'est le travail de Truffaut sur Hitchcock, de Ciment sur Kubrick. A cette aune, Luc Moullet est un grand critique. Je ne vois plus un film avec James Stewart de la même façon depuis son livre. Je rive mon regard sur le bas de l'écran et suit le ballet de ses mains expressives et peste contre les sous titres qui me gênent parfois. Rasséréné désormais dans mon amour immodéré pour le « Duke », je suis devenu plus sensible à la dimension de comédie délicatement amère chez Ford et Hawks. Je me régale de la musicalité de scènes que j'avais déjà vues dix fois. Je trouve des motifs d'enthousiasme dans des films mineurs auxquels le jeu de Wayne donne des connivences secrètes avec les films des grands maîtres.

Luc Moullet, avec sa politique des acteurs, a rafraîchît mon regard et je l'espère, l'a élargit. Pour cela qui n'est pas rien, merci monsieur Moullet.

 

Le livre