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24/07/2019

Argento vivo !

Alors que ses films n'ont plus de distribution significative depuis plus de trente ans en France et que ses admirateurs les plus farouches peinent à défendre ses films depuis le milieu des années quatre vingt, l'aura de Dario Argento reste vive. Il y a eu sa biographie Peur suivie des nouvelles réunies dans Horror, éditées par Rouge Profond. Il y a eu l'hommage rendu au Festival de La Rochelle cette année. Il y a eu la sortie toute récente du documentaire de Jean-Baptiste Thoret, Dario Argento, Soupirs dans un corridor lointain (2019). Étonnant, non ?

dario argento,abordages

Du coup, avec l'équipage d'Abordages, nous gonflons nos voiles de ces vents favorables et participons avec notre modeste brise, notre troisième numéro consacré au Tenebre (Ténèbres, 1982) du maestro. Giallo ultime, dernière œuvre majeure pour beaucoup, ce film en rouge et blanc a inspiré à l'équipe menée par le Capt'ain Jocelyn Manchec (qui signe une étonnante confession sur ses rapports avec le cinéma d'Argento) des textes enflammés écrits par Édouard Sivière, Vincent Roussel, Aurélien Lemant, Eric Aussudre (audacieuse approche féministe) et Ismaël Deslices, les calligrammes de Nicolas Tellop, les collages de Jocelyn sur un poème de Lucas Loubaresse, et un très beau dessin pointilliste de Lucienne Estere-Denuit. Pour sa part, votre serviteur s'est attaché à la figure du grand Giuliano Gemma, policier très professionnel de cette histoire, un article amicalement dédié à mon amie Marie-Thé. Tenebre a ainsi été abordé de multiples façons, explorant des pistes, des sens, des émotions, des souvenirs, des rapports (avec le cinéma de Brian De Palma pour Vincent R.). Bref une œuvre chorale mise en forme à l'ancienne, papier et ciseaux, pour un fanzine qui pourrait avoir été imaginé en 1982 et qui peut se commander via la page Facebook de notre fier galion.

dario argento,abordages

Dans le même esprit, mais sous une autre forme, La Septième obsession propose tout un numéro hors série à ce cher Dario. Même esprit car nous retrouvons Nicolas Tellop aux commandes de ce bel objet aux couleurs vives, rouge souvent, et les signatures d'Aurélien Lemant, Eric Aussudre, Ismaël Deslices, Lucas Loubaresse et du Capt'ain Manchec. Et nous nous sommes réjouis que plusieurs pages d'Abordages aient été reprises comme jadis Le Trombone Illustré dans Spirou. N'en concluez pas trop vite que ce serait la raison de ce petit texte. Non, tout amateur du maestro se doit de plonger dans ces 130 pages serrées, colorées, enthousiastes et critiques, séparés en trois chapitres sous le signe des mères ouvertes par un entretien romain avec le réalisateur en personne. Illustrant la position particulière d'Argento et de son œuvre, le numéro choisit de se limiter aux 25 premières années de sa carrière, soit du fondateur L'uccello dalle piume di cristallo (L'Oiseau au plumage de cristal, 1970) jusqu'à La sindrome di Stendhal (Le Syndrome de Stendhal, 1996). Même s'il y aurait à discuter de ce qui a suivi, c'est en effet là que réside l'apport essentiel d'Argento à l'histoire du cinéma, là qu'il réalise les œuvres uniques qui n'ont cessé d’inspirer d'autres cinéastes dont Yann Gonzales ou Bertrand Bonello ici questionnés sur le sujet. Cette revue explore elle aussi les voies tordues d'une cinématographie complexe, ses rapports (avec la peinture, avec le cinéma d'Antonioni, celui de De Palma à nouveau par Jérôme Dittmar) et ses apports à nos imaginaires. C'est indispensable et ça se trouve chez tous les bons marchands de journaux.

04/06/2015

1977 en 12 (autres) films

Bien sûr, 1977 sur Zoom arrière, c’est l'un des tout meilleurs films de Woody Allen, l'ultime Buñuel, Truffaut et les femmes, Resnais et Providence, le Casanova de Fellini et le sublime premier film de Victor Erice. Et puis un bien bel éditorial signé Céline du blog Critique Clandestine. Mais 1977, c'est aussi Marty Feldman en Gary Cooper, une belle et grande saga familiale française, l'ultime chef d’œuvre du western à l'italienne, Une chanson sublime et Clarence Clemmons entre Minelli et De Niro, la dure vie d'enfant de paysans italiens et pauvres, des jeunes filles en fleur dans le désert Australien, un poliziottesco de grand style sur une musique de Stelvio Cipriani, un mystère rouge profond, des héros vieillissants et émouvants du côté de Sherwood et de Carson City, Barbara Bouchet nue et puis, quand même, un film qui fait parler dans toutes les cours de récréation les petits garçons qui se rêvent en héros interstellaires. C'était dans notre galaxie, à notre époque, hier en 1977. 

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05/12/2011

Fantômes de l'opéra

 Le fantôme de l'opéra, roman de Gaston Leroux est à mi-chemin entre le policier et le fantastique, comme souvent chez cet auteur. Paru en 1910, il possède une matière romanesque dense, évocatrice d'images belles et terrifiantes, une puissante poésie de l'étrange. Dans les sous-sols de l'Opéra Garnier vit Érik, musicien génial et défiguré. Il se prend de passion pour la jeune chanteuse Christine Daaé, lui enseigne le chant et la protège. Quand la jeune femme s'éprend de Raoul de Chagny, le fantôme devient fou de jalousie et se transforme en redoutable tueur. Cette trame à la fois forte et simple, forte parce que simple, a inspiré quelques cinéastes de haut calibre tandis que le superbe personnage du fantôme donnait lieu à quelques interprétations puissantes. On se souviendra selon ses goûts, du masque grimaçant et grotesque de Lon Chaney pour Rupert Julian (version 1925), de l'élégance de Claude Rains chez Arthur Lubin (version 1943), du pathétique William Finlay en Winslow Leach pour la version rock de Brian De Palma en 1974, version qui creuse le fond du roman en lui greffant le mythe de Faust. Il y en eu d'autres, plus ou moins réussies, et puis celles de deux grand maîtres de l'horreur : l'anglais Terence Fisher en 1962 et l'italien Dario Argento en 1998.

dario argento,terence fisher

Fisher met en scène sa vision à la suite de ses relectures du Docteur Jekyll et du loup-garou. Son film bénéficie des talents conjugués de l'équipe Hammer pour ce qui est à l'époque son plus gros budget. Riches décors de Bernard Robinson, photographie léchée de Arthur Grant, musique de Edwin Astley (avec chœurs) et maquillage de Roy Ashton, un masque à la fois simple et terrifiant qui fixe l'attention sur l'œil unique du fantôme. Ce concept du masque, un visage vide, effacé, est une brillante illustration de l'idée que le fantôme, dépouillé de son œuvre, s'est vu voler son essence même. Comme dans ses plus belles réussites, Fisher nous plonge immédiatement dans l'action par la description des multiples sabotages dont le fantôme se rend coupable pour empêcher la représentation de l'opéra Joan of Arc de Lord d'Arcy (joué par l'excellent Michael Gough). Une ouverture menée à un rythme soutenu qui culmine par l'éviction de la cantatrice et le meurtre impressionnant d'un technicien lors de la première. Contrairement à d'autres versions, Christine n'entre en scène qu'après le départ de la cantatrice vedette et le fantôme, subjugué, décide de l'aider à interpréter au mieux sa musique. La triste histoire du héros est racontée vers la fin du film, en flashback. Lors d'une scène émouvante et intelligente dans l'esprit du roman, il obtient le soutient implicite du directeur artistique comme de la jeune chanteuse pour laquelle il saura se sacrifier.

Le film, élégant, déploie les splendeurs du Technicolor d'époque, les teintes chaudes et le jeu sur le rouge qu'affectionne Fisher. Les mouvements sont amples et maîtrisés, avec de brusques accélérations lors des scènes d'action peu nombreuses mais efficaces. La distribution masculine est solide. Edward de Souza est un Harry (l'équivalent de Raoul de Chagny dans le roman) très anglais, crédible dans la romance comme dans l'action. Michael Gough est ignoble à souhait en compositeur arrogant et Herbert Lom joue habilement de sa voix de basse pour incarner un fantôme sobre, un peu limité par son masque. Comme dans toute bonne production Hammer, le film est riche de personnage secondaires savoureux comme ce trio de vieilles pochardes faisant les poubelles de l'opéra, le chasseur de rats, le cocher transit de froid ou ce personnage de bossu frankensteinien qui sert le fantôme. Ils sont joués par la troupe du studio : Thorley Walters, Milles Malleson, John Harvey... que l'amateur a toujours plaisir à retrouver.

La principale faiblesse de cette version tient à son héroïne. Si Heather Sears est relativement crédible en vierge victorienne, elle manque totalement d'érotisme voire de la plus élémentaire sensualité, ce qui étonne de la part de Fisher comme chez la Hammer dont le goût pour les jeunes actrices piquantes est une véritable marque de fabrique. Autre choix contestable, la transposition en Angleterre amène Fisher et le scénariste John Elder (pseudonyme de Anthony Hinds) à substituer à un véritable opéra une version de Joan of Arc façon comédie musicale dont les qualités propres sont très loin, disons, du travail de Paul Williams pour De Palma. Du coup, miss Sears ne peut compenser son manque de charisme par son chant et cela compromet quelque peut la crédibilité de la passion du fantôme. On comprend mieux en revanche qu'il la rudoie pour lui apprendre à chanter.

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Chacun pensera ce qu'il veut du film, mais Asia Argento ne souffre pas sous la caméra de son père des limites de Heather Sears. Fougueuse, frémissante, sublimée dans de splendides robes chatoyantes, elle a certes une drôle de façon de mimer le chant, mais dieu qu'elle est belle. Cette version est tenue par beaucoup comme une catastrophe dans la carrière chaotique de Dario Argento. J'ai pu lire ici et là des critiques particulièrement dures. Ce n'est pas que je tienne absolument à faire le malin, mais cela me semble assez injuste, à la mesure des rumeurs d'auto-promotion qui annonçaient le chef d'œuvre du maestro avec ce film. De chef d'œuvre point, quelques défauts sans doute : les visions ridicules et incrustées du fantôme sur les toits de l'opéra (quoique Asia en tenue arachnéenne, cela se discute), la faiblesse de la direction d'acteurs, particulièrement des hommes, la machine à dératiser qui renvoie au mur du Caligula de Tinto Brass. D'accord. Mais pourquoi diable reprocher à l'Argento de 1998 ce qui était déjà présent dans les années 70 ? Le goût très italien du grotesque, les scénarios décousus, le manque d'intérêt pour le jeu, l'alliance de naïveté et de roublardise, ont toujours été présents chez lui.

Son fantôme a de sérieux atouts. La travail sur la photographie de Ronnie Taylor, inspiré à Argento par une exposition consacrée au peintre Georges de La Tour, donne au film des plans superbes comme celui du jeune couple dans la chambre sous les toits (avec référence à la Commune de Paris !), Asia éclairée à la bougie, les ambiances d'opéra, les dédales humides des sous sols avec la rivière souterraine autrement plus impressionnante que chez Fisher, le rendu des étoffes et des matières nobles. La composition inspirée d'Ennio Morricone, peut être l'une de ses plus belles de ces vingt dernières années, se marie parfaitement à l'emploi d'airs classiques et si Asia bouge bizarrement les lèvres, les qualités de chanteuse de Christine Daaé sont crédibles. L'adaptation de Gérard Brach et Argento multiplie les partit pris forts, comme de faire du fantôme non plus un musicien défiguré et trahi, mais un bel homme à visage découvert, sorte de Tarzan des égouts élevé par les rats. Et pourquoi non ? Ses pouvoirs hypnotiques qui lui permettent entre autres d'envoûter Christine, renforcent le côté fantastique et la dimension romantique de l'œuvre, ramenant l'horreur à l'arrière-plan. A l'instar de La Sindroma di Stendhal (Le syndrôme de Stendhal – 1996), le film poursuit la réflexion d'Argento sur l'art et ses liens directs, physiques avec la vie. Le maestro se laisse aller de nouveau à sa fascination trouble pour sa fille, explorant des choses que l'on devine très intimes, sans toutefois démêler comme d'habitude ce qui relève de la sincérité et ce qui relève d'un calcul. Sa position schizophrénique entre préoccupations artistiques, intellectuelles, et son désir de plaire, d'épater, expliquent peut être sa façon de faire baisser la tension par le recours à un humour grotesque, latin et pas toujours très fin (Le personnage de la cantatrice fellinienne, le dératisateur et son aide nain). Toujours est-il que le film me semble sous-évalué et tient son rang à la suite de ses glorieux prédécesseurs. Je note avec un sourire narquois qu'il aura fallu attendre cette version pour que l'on s'interroge sur quelques détails pratiques du genre : comment le fantôme s'y est-il pris pour aménager son repaire et installer un grand orgue dans les étroits sous sols ? Magie du cinéma.

Photographies : © Hammer films et Tout le Ciné.

Version Fisher sur Devildead et sur Children of the night

27/09/2010

Argento années 2000 - Il cartaio

Je pourrais éventuellement regretter d’avoir découvert Il cartaio tourné en 2004 par Dario Argento après Giallo sorti 5 ans plus tard dans la mesure où les deux films se ressemblent. Deux histoires de tueurs fous assassinant de belles et jolies jeunes femmes tout en défiant la police. Cette fois, c’est directement via un jeu de poker en ligne. Si la police perd, la fille est égorgée, si la police gagne, la fille est libérée. Deux thrillers plus que de véritables gialli, se suivant sans déplaisir mais sans passion. La ressemblance est surtout flagrante sur la forme. Les deux films ont la même esthétique un peu terne (froideur des décors ordinaires, rareté des couleurs vives), le même défaut d’ambition formelle (pas de cadrages tordus, pas de mouvements virtuoses de la caméra, montage assez sage), l’absence de coups de folie. Un film derrière l’autre, c’est un de trop.

Il cartaio ressemble à un catalogue de belles idées inexploitées. Pourquoi ? Je me perds en conjectures. L’idée du jeu en ligne aurait pu être excitante, comme la description d’un monde dominé par les relations virtuelles. Hélas, l’interface du jeu est très pauvre, le déroulé des parties toujours identique et les spécialistes informatiques de la police traités par-dessus la jambe, sans une once de vraisemblance. Non seulement Argento n’apprécie pas ce monde (ce que l’on savait déjà), mais il est incapable de porter sur lui un regard, même ironique, même critique. C’est assez gênant pour un élément central de son film. Quand on pense à ce que les  réalisateurs de western pouvaient faire avec une partie de poker réelle !

Dans un autre registre, Stefania Rocca est plutôt bien dans un rôle de policière au centre de l’enquête assez proche de celui tenu par Asia Argento dans La sindrome di Stendhal (Le syndrome de Stendhal – 1996). Malheureusement, le personnage est mal écrit et elle a peu à défendre. Sa relation avec le policier irlandais joué par Liam Cunningham est basique, comme les soucis du policer avec l’alcool sont traités avec lourdeur. La relation entre la policière et Remo, le jeune prodige des cartes (dont on se demande bien en quoi son talent réside), n’est pas plus développée. Il y avait pourtant de quoi faire, mais Argento, tout du long, ne semble pas intéressé. On se prend à rêver à ce qu’aurait pu donner la scène ou Remo est séduit par une mystérieuse inconnue et entraîné dans le dédale des rues romaines jusqu’au rives du Tibre. Et quand je pense que la belle est tuée d’un simple coup de feu. Bon. Côté meurtres, ils sont souvent, trop souvent hors champ et le finale manque de conviction. Restent quelques lueurs éparses qui, paradoxalement, rendent Il cartaio moins homogène que Giallo : l’employé de la morgue qui fait des claquettes en chantant du bel canto, la découverte du repaire du tueur par le policier irlandais dans un jardin à la lumière dorée et, surtout, l’agression nocturne d’Anna chez elle, jolie scène jouant sur la profondeur de champ et les ombres chinoises. Maigre bilan pour un film qui fait revoir à la hausse les audaces de La terza madre (2007).

A noter l'étrange relation qu'Argento entretien avec les "filles de". Les siennes bien sûr puisque Fiore Argento joue ici l'une des victimes (elle s'en sort), mais aussi celle de Giuliano Gemma, Vera, qui meurt, elle.

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Sur Le Giallo

Sur Ecran large

08:50 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : dario argento |  Facebook |  Imprimer | |

27/08/2010

Le goût des belles choses

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Livres anciens, tissus, sculpture, meubles, objets rares, peinture, architecture, en quelque sorte le musée idéal de Dario Argento dans La terza madre (2007). Captures DVD Seven 7.

26/08/2010

Dario Argento années 2000 - Partie 2

Non ho sonno a été une sacrée surprise car il est lui largement réussi. Composé quasiment intégralement de scènes qui ont motivé le maestro, il bénéficie en outre de la très belle composition de Max Von Sydow en inspecteur Ulisse Moretti, rattrapé par une affaire qui n'avait pu résoudre vingt ans plus tôt. Idée géniale du scénario de Dario Argento, Franco Ferrini et Carlo Lucarelli , Moretti subit les premières atteintes de la maladie d'Alzheimer. La recherche des traces du passé devient ainsi une plongée dans la mémoire fuyante de l'inspecteur et l'enquête se double d'une méditation sur le souvenir. Quand Argento ouvre son cinéma à des thèmes bergmaniens, cela donne une intensité peu commune à la sempiternelle quête du tueur. Sur cette base solide, le réalisateur se livre à de brillantes variations sur ses plus belles obsessions.

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Le film s'ouvre sur une longue séquence de près de vingt minutes qui vous laisse à genoux. Trois parties. Une prostituée découvre par hasard qu'elle est tombée sur un bien macabre client et échappe à son appartement avec un dossier bleu électrique bourré de preuves. LA scène du train, huis-clos affolant, digne des meurtres inauguraux de Profondo rosso et Suspiria (à condition d'accepter le fait que les chemins de fer italiens roulent ainsi à vide !). Suspense intense, surprises à tiroir, caméra lancée à toute vitesse dans les couloirs des wagons, gros plans saisissants, utilisation au maximum de l'espace sur la longueur du train puis sur l'épaisseur des soufflets de séparation des wagons, réinvention du principe de la vitre qui isole la victime : du grand art. Et puis histoire de ne pas souffler, un passage de relais de la victime à celle qui n'a pu la sauver qui rappelle des souvenirs, avec un ultime rebondissement que je ne vous raconte pas. Quand même. Ambiance nocturne sous une pluie battante, la photographie de Ronnie Taylor, britannique à la belle carrière, est sophistiquée comme il faut, donnant aux extérieurs une allure de studio (la gare sous la pluie est splendide) et la musique des Goblin, fidèles au poste, enveloppe la musicalité du montage remarquable de Anna Rosa Napoli . Rien à dire de plus, nous sommes dans le tout meilleur Argento.

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Le film ne retrouvera pas vraiment une telle intensité mais reste constamment inventif. Témoin une autre très belle scène, un plan séquence composé d'un lent travelling le long d'un tapis rouge dans un théâtre, strictement cadré sur des paires de chaussures qui vont et viennent dans un brouhaha de voix de coulisses. Jusqu'à cette paire de ballerines soulevées de terre sur un râle d'agonie. Magistral. Flashback traumatique remontant à l'enfance, témoin forcé et impuissant d'un meurtre, lourd secret familial, recherche de preuves codées dans de vieilles demeures, peur du noir et surgissement de la peur en pleine lumière, Non ho sonno était une bien belle façon pour Argento d'entrer dans le nouveau millénaire. Les pérégrinations de Moretti, (l'Odyssée d'Ulisse est un symbole transparent) qui tente de recoller les morceaux de cette vieille histoire servent au réalisateur à revisiter son cinéma. Variations sur quelques motifs éprouvés, Non ho sonno, peut aussi se voir comme métaphore d'un cinéma perdu. A commencer par celui du réalisateur lui-même. Le cinéma dont il cherche à retrouver la trace, comprendre comment il a disparu et avec lui le succès, le talent peut être, la faculté de faire vibrer les foules. Toutes choses qui se confondent ici avec l'art de l'enquêteur à l'ancienne et sa faculté à résoudre l'énigme. Pointe d'orgueil de la part du maestro, il brocarde à travers le regard de Moretti les méthodes actuelles et affiche son pessimisme sur la transmission possible de son art. Le film baigne ainsi dans une ambiance mortifère, nostalgique d'une époque révolue, tout en affirmant encore une fois l'alpha et l'oméga du cinéma de son auteur qui refuse de céder un pouce de terrain. Position tordue voire obtuse qui se révèle pour l'occasion fructueuse.

De Giallo, le petit dernier en attendant son film hommage à Dracula à venir (en 3D ai-je lu), il convient de dire qu'il repose sur un malentendu par ailleurs cyniquement entretenu. Le giallo, faut-il le rappeler, est à l'origine la littérature policière éditée en Italie sous des couvertures jaunes (giallo), devenu dans les années 60 un genre cinématographique des plus excitant. Qu'en 2008 Dario Argento tourne un film appelé Giallo, voilà qui annonce un programme précis. La série de couteaux sur l'affiche est tout aussi explicite. Pourtant, cette couleur jaune a un sens bien différent dans le film, sens que je vous laisse découvrir et Giallo n'a pas grand chose d'un giallo classique, et encore moins de ceux, classieux classiques de la première partie de carrière du maestro. Assez perfidement, je puis écrire que si je n'avais pas su que le film était d'Argento, je ne l'aurais pas forcément deviné. A ce stade, les admirateurs, s'il en reste, sont effondrés. Pourtant Giallo n'est pas un mauvais film. Simplement, c'est un solide thriller, sans éclat, carré, ressemblant à des dizaines de films de tueurs en série post Silence of the lambs (Le silence des agneaux - 1990) de Johnathan Demme. J'ignore les dessous détaillés de l'affaire, mais le film était conçu à l'origine par Argento pour sa fille Asia et Vincent Gallo. Les vicissitudes du cinéma étant ce qu'elles sont, L'un puis l'autre ont du renoncer. Auréolé de son oscar chez Polanski, Adrian Brody est entré dans le projet comme co-producteur et comme vedette, avec un double rôle pour faire bonne mesure.

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Tu la vois ? Hop ! Tu la vois plus... Ecco.

Pour revenir à ce que j'écrivais plus haut sur les acteurs, il semble que Brody a mis la main sur le film et qu'Argento s'est artistiquement désengagé du film, faisant refluer son talent de Giallo comme le sang d'un organisme. Il a fait œuvre de mercenaire, ne laissant qu'une carcasse, solide certes, mais sans rien de lui-même. C'est ce qui m'a frappé à la vision du film. J'ai pris un certain plaisir à cette chasse au tueur fou dans Turin menée par la sœur d'une victime enlevée et un inspecteur un peu borderline, mais elle aurait pu être menée par n'importe quel autre cinéaste, ou presque. Un exemple significatif : le tueur nous est montré assez vite. Dans le giallo canonique, sa découverte tient le fil narratif jusqu'à la fin. Le tueur est une abstraction, le plus souvent masqué, cadré façon puzzle, de manière fétichiste : les mains gantées de noir (toujours jouées par Argento soi-même), le dos en amorce, la bouche soufflant sous la cagoule, les chaussures s'avançant dans l'ombre. Le tueur est une incarnation du mal absolu, ne dévoilant son visage qu'au dernier moment, si possible après quelques coups de théâtre bien sentis. Pas ici. De même la violence et les tortures infligées par l'abominable sont plus proches des jeux sadiques de la série Saw que des excès grand-guignolesques à dimension opératique qui sont la marque de Dario Argento. Intensité calculée et aucun véritable débordement. Comme si, après les envolées gores de La terza madre, Argento avait voulu montrer qu'il pouvait tuer comme tout le monde mais que cela n'avait aucun intérêt. J'avoue aussi un certain plaisir pervers à la prestation d'Adrian Brody. Dans son vaste bureau en sous sol, il est filmé avec une distance ironique, comme une caricature du héros tourmenté qu'il incarne, prenant des poses sophistiquées. Il faut le voir jouer de son regard de cocker avec de petits coups d'œil en coin comme s'il guettait la venue du cinéma d'Argento, un coup d'éclat de son réalisateur. Mais c'est le désert des tartares et Brody, stoïque, assume jusqu'au bout. A ses côtés, Mathilde Seigner se débrouille correctement mais la plus intéressante est Elsa Pataky dans le rôle de Céline, la sœur séquestrée, très belle comme toute victime argentesque, elle crie, souffre et se débat, cavale dans de sinistres couloirs artistiquement maculée de sang, digne héritière de quarante années de meurtres sexys.

Me restent à découvrir Ti piace Hitchcock ? tourné pour la télévision et Il cartaio (2004) qui ne devraient pas modifier de beaucoup l'idée d'une décennie inégale mais passionnante d'un cinéaste qui force le respect par sa fidélité à des formes définies au début des années 70. Aristocrate hautain qui préfère lacérer ses toiles plutôt que de céder à l'eau tiède, tournant envers et contre tout, refusant le silence forcé d'un John Carpenter, Argento n'a certainement pas dit son dernier mot.

Sélection DVD Argento

Photographies : Copyright Medusa Films (captures DVD) et Horreur.net

08:40 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : dario argento |  Facebook |  Imprimer | |

25/08/2010

Dario Argento années 2000 - Partie 1

La roche Tarpéienne est proche du Capitole. Voici une formule qui s'applique bien au cinéaste d'origine romaine Dario Argento. Argento ! Combien ce nom fut dans les années 70 synonyme de la peur la plus pure. Combien nous ont hantés, avec un h comme Halimi, ses lames d'acier luisant, ses éclats de verre sanglants, ses mouvements de caméra sinueux, ses rouges profonds, ses bleus vifs, ses grands espaces mortels et les deux yeux qui surgissent des ténèbres devant la fenêtre de Suspiria (1976). Continuateur de Mario Bava, Argento repousse les limites du travail sur les couleurs, le mouvement, les échelles de plan, la musique, et mène le giallo dans des territoires cinématographiques inédits. Pays de toutes les peurs, de tous les déchaînements sauvages, de toute poésie macabre. Dario Argento, comme à la même époque Lucio Fulci, John Carpenter, Georges Romero ou Brian DePalma impose un cinéma très personnel, tourmenté, obsédé, au sein du cinéma de genre et ouvre de nouvelles voies qui seront empruntées avec plus ou moins de fidélité dans les décennies qui suivent.

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De cette époque, Argento a des fans acharnés qui mettent ses films au-dessus de tout, mais déjà de violents détracteurs. Je me souviens de la sortie de Tenebrae en 1983 et du long article dithyrambique paru dans la revue Starfix sous la plume de Christophe Gans, à mette en parallèle avec la réflexion lapidaire de Première : « Avec les 20 francs (et oui) de la place achetez vous plutôt l'affiche ». Phénoména, en 1984 est le film de la rupture. Le cinéma italien n'est plus que l'ombre de lui même. Argento file un mauvais coton et le film est un échec commercial doublé d'un échec critique. Et cette fois, la ligne de fracture ne se fait plus entre pro et anti mais au sein des admirateurs du maître. Argento ne s'en est jamais vraiment relevé. Ses projets suivants auront eu du mal à se monter et à se montrer. En France, certains films sont directement sortis en DVD comme La terza madre (2007). Je me souviens qu'un ami, admirateur fidèle de la première heure, m'avait entraîné jusqu'à Turin pour découvrir La sindrome di Stendhal (Le syndrome de Stendhal – 1996). C'est ce film que je trouve remarquable qui m'a amené à m'intéresser plus à fond au réalisateur. Quand j'étais plus jeune, il me faisait trop peur. Le contre-coup des errements des années 80/90 a été si rude que tout ce qu'il a fait depuis a été jugé avec une très grande sévérité. Le texte de Pascal Laugier dans le hors-série de Mad Movies consacré au cinéma de genre transalpin est typique de cette attitude d'amoureux déçu. Du coup, j'ai l'impression que l'on est passé à côté de belles choses. Il faut dire que Dario Argento n'a rien facilité, son cinéma restant terriblement obsessionnel, comme renfermé sur lui-même, ses formes et sa gloire d'antan. Les trois des films des années 2000 que j'ai pu découvrir, Non ho sonno (Le sang des innocents – 2001), La terza madre, et le petit dernier, Giallo, tourné en 2009 avec Adrian Brody et Emmanuelle Seigner, sont loin d'être indignes de sa filmographie même si le second est révélateur de la position difficilement tenable du maestro.

Autant commencer par le plus délicat. La terza madre, nul n'est censé l'ignorer, se veut le troisième volet de la trilogie des mères comprenant Suspiria et Inferno (1980). Chacun des films est centré sur un lieu maléfique, une demeure au sein d'une grande ville (Fribourg, New-York puis Rome) abritant une sorcière redoutable. Après Mater Suspiriarum et Mater Tenebrarum, c'est donc la mère des larmes, la terrible Mater Lachrimarum dont les méfaits sont mis en scène. Asia Argento prend la suite du personnage de Jessica Harper dans Suspiria et, bien malgré elle, perce le secret de la sorcière tandis que les cadavres s'empilent autour d'elle. A cause de ce lien très fort avec les films de la grande époque, La terza madre pouvait apparaître comme le film de la rédemption, le film du retour en force, le film qui pouvait encore réveiller l'attente des admirateurs, le film qui devait bénéficier de l'orgueil du maestro, forcément motivé par l'envie de clôturer en beauté sa trilogie. C'était sans doute mal connaître le bonhomme. Non, Argento n'est pas revenu aux délires baroques des années 70. Non, il n'a rien cédé à la nostalgie des façades bleues et rouges. Non, il n'a pas réussi son film. Mais, oui, c'est toujours complètement du Argento. C'est tellement du Argento que La terza madre synthétise les qualités et les défauts de tous les autres films passés et sans doute à venir. Cette fois comme amplifiés, malheureusement plus du côté des défauts.

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Le premier, qu'il partage avec nombre de ses collègues du cinéma de genre, c'est le manque de direction d'acteur. Attaché à la mise en scène pure, Argento a toujours privilégié les mouvements d'appareils, les prouesses techniques (les très gros plans de Profondo rosso, l'utilisation de la Louma sur Tenebrae), l'ambiance soignée de façon maniaque, le montage à venir et le jeu avec le spectateur, l'idée cinématographique de la scène. L'acteur là-dedans n'est qu'un paramètre, souvent une silhouette qui doit prendre sa place entre scénographie complexe et effets spéciaux, tout comme les dialogues très souvent platement informatifs. Ce qui compte pour l'acteur c'est de savoir regarder (généralement un meurtre terrible) et éventuellement de bien crier. Dans ce système, la distribution des rôles est essentielle. Il faut des acteurs solides capables d'apporter par eux mêmes un supplément d'âme nécessaire pour que, quand même, il y ait un minimum d'empathie. Cela fonctionne avec Daria Nicolodi, Jessica Harper, Tony Franciosa, Karl Malden, Asia Argento, Giuliano Gemma, Max von Sydow ou David Hemmings. Du solide, pas des stars qui ne sauraient assez se fondre dans la mise en scène. Mais si l'acteur est mauvais, c'est la catastrophe parce que Dario Argento ne pourra pas l'aider. Dans La terza madre on trouve quelques prestations terribles. La jeune mannequin israélienne Moran Atias qui joue la fameuse mère censément diabolique a une poitrine sublime qui défie les lois de la gravité mais joue comme une endive. Elle n'est pas la seule. Le jeune premier est fadissime et les disciples de la mater semblent recrutés au sortir d'une boîte de nuit new wave si cela existe encore. Ainsi tout ce qui devrait glacer le sang dans les veines amuse ou désole, au choix. Cet aspect est renforcé dans ce film par la mise en scène même d'Argento. Particulièrement peu inspiré par certaines scènes qui semblent pourtant essentielles, il filme les catacombes où se déroulent les messes noires comme dans un mauvais peplum des années 60, photographie laide, décors et costumes fauchés sans une idée pour les sublimer. Cet aspect miteux étalé dans l'indifférence se retrouve dans les scènes censées illustrer les déchaînements de violence qui embrasent Rome. Trois figurants, deux flammèches, un peu de verre brisé, cette l'apocalypse est sûrement ce qu'Argento a filmé de plus mauvais dans toute sa carrière. A croire qu'il a refilé le boulot à un second assistant ou au fantôme de Bruno Mattei. L'impression de gâchis est douloureuse.

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Pourtant, tout n'est pas perdu. Au je-m'en-foutisme de ces éléments répond dans le même temps le talent buté, rageur même dans les explosions de violence, d'un cinéaste qui jette sur l'écran comme une poignée de perles, des éclairs du cinéma qui l'a toujours intéressé. La terza madre est un « best of » Argento avec sa façon de filmer de vastes espaces clos en somptueux cinémascope (la série de portes du musée romain d'antiquités), sa faculté à faire naître la peur d'abord par la caméra qui semble prendre vie, sa mise en scène des mises à mort avec sa fascination pour le tranchant et l'expression d'un visuel sadique mêlant érotisme et souffrance. L'assassinat de Valeria Cavalli et de sa compagne est un beau morceau de bravoure éprouvant qui rappelle le meurtre des deux lesbiennes de Tenebrae. On retrouve bien entendu l'obsession du meurtre que l'on est obligé de voir en étant impuissant et reste originale la vision qu'Argento a de sa fille Asia, ici d'une sobriété identique à celle de l'héroïne de La sindrome di Stendhal. Et puis, sa façon de se rattacher à toute une culture, européenne et italienne. Un certain goût de la beauté. Argento s'attache à filmer les palais anciens, les bibliothèques, les beaux livres, les statues, les peintures, tandis qu'Asia jette symboliquement son portable par la fenêtre d'une voiture d'un geste méprisant. Une attitude que l'on peut qualifier de passéiste mais qui se rattache à toute une tradition du cinéma italien, de Visconti à Fellini, de Bolognini à Leone en passant par les Bava, Fulci et Martino, le plaisir de filmer des œuvres et des objets avec une histoire, objets rares loin des produits de série. Manière de signifier à quel monde on appartient. C'est là, si l'on est prêt à l'indulgence sur le reste, que se trouve le plus touchant de ce film sacrément malade.

(à suivre)

Photographies La terza madre source Cineblog