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25/08/2010

Dario Argento années 2000 - Partie 1

La roche Tarpéienne est proche du Capitole. Voici une formule qui s'applique bien au cinéaste d'origine romaine Dario Argento. Argento ! Combien ce nom fut dans les années 70 synonyme de la peur la plus pure. Combien nous ont hantés, avec un h comme Halimi, ses lames d'acier luisant, ses éclats de verre sanglants, ses mouvements de caméra sinueux, ses rouges profonds, ses bleus vifs, ses grands espaces mortels et les deux yeux qui surgissent des ténèbres devant la fenêtre de Suspiria (1976). Continuateur de Mario Bava, Argento repousse les limites du travail sur les couleurs, le mouvement, les échelles de plan, la musique, et mène le giallo dans des territoires cinématographiques inédits. Pays de toutes les peurs, de tous les déchaînements sauvages, de toute poésie macabre. Dario Argento, comme à la même époque Lucio Fulci, John Carpenter, Georges Romero ou Brian DePalma impose un cinéma très personnel, tourmenté, obsédé, au sein du cinéma de genre et ouvre de nouvelles voies qui seront empruntées avec plus ou moins de fidélité dans les décennies qui suivent.

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De cette époque, Argento a des fans acharnés qui mettent ses films au-dessus de tout, mais déjà de violents détracteurs. Je me souviens de la sortie de Tenebrae en 1983 et du long article dithyrambique paru dans la revue Starfix sous la plume de Christophe Gans, à mette en parallèle avec la réflexion lapidaire de Première : « Avec les 20 francs (et oui) de la place achetez vous plutôt l'affiche ». Phénoména, en 1984 est le film de la rupture. Le cinéma italien n'est plus que l'ombre de lui même. Argento file un mauvais coton et le film est un échec commercial doublé d'un échec critique. Et cette fois, la ligne de fracture ne se fait plus entre pro et anti mais au sein des admirateurs du maître. Argento ne s'en est jamais vraiment relevé. Ses projets suivants auront eu du mal à se monter et à se montrer. En France, certains films sont directement sortis en DVD comme La terza madre (2007). Je me souviens qu'un ami, admirateur fidèle de la première heure, m'avait entraîné jusqu'à Turin pour découvrir La sindrome di Stendhal (Le syndrome de Stendhal – 1996). C'est ce film que je trouve remarquable qui m'a amené à m'intéresser plus à fond au réalisateur. Quand j'étais plus jeune, il me faisait trop peur. Le contre-coup des errements des années 80/90 a été si rude que tout ce qu'il a fait depuis a été jugé avec une très grande sévérité. Le texte de Pascal Laugier dans le hors-série de Mad Movies consacré au cinéma de genre transalpin est typique de cette attitude d'amoureux déçu. Du coup, j'ai l'impression que l'on est passé à côté de belles choses. Il faut dire que Dario Argento n'a rien facilité, son cinéma restant terriblement obsessionnel, comme renfermé sur lui-même, ses formes et sa gloire d'antan. Les trois des films des années 2000 que j'ai pu découvrir, Non ho sonno (Le sang des innocents – 2001), La terza madre, et le petit dernier, Giallo, tourné en 2009 avec Adrian Brody et Emmanuelle Seigner, sont loin d'être indignes de sa filmographie même si le second est révélateur de la position difficilement tenable du maestro.

Autant commencer par le plus délicat. La terza madre, nul n'est censé l'ignorer, se veut le troisième volet de la trilogie des mères comprenant Suspiria et Inferno (1980). Chacun des films est centré sur un lieu maléfique, une demeure au sein d'une grande ville (Fribourg, New-York puis Rome) abritant une sorcière redoutable. Après Mater Suspiriarum et Mater Tenebrarum, c'est donc la mère des larmes, la terrible Mater Lachrimarum dont les méfaits sont mis en scène. Asia Argento prend la suite du personnage de Jessica Harper dans Suspiria et, bien malgré elle, perce le secret de la sorcière tandis que les cadavres s'empilent autour d'elle. A cause de ce lien très fort avec les films de la grande époque, La terza madre pouvait apparaître comme le film de la rédemption, le film du retour en force, le film qui pouvait encore réveiller l'attente des admirateurs, le film qui devait bénéficier de l'orgueil du maestro, forcément motivé par l'envie de clôturer en beauté sa trilogie. C'était sans doute mal connaître le bonhomme. Non, Argento n'est pas revenu aux délires baroques des années 70. Non, il n'a rien cédé à la nostalgie des façades bleues et rouges. Non, il n'a pas réussi son film. Mais, oui, c'est toujours complètement du Argento. C'est tellement du Argento que La terza madre synthétise les qualités et les défauts de tous les autres films passés et sans doute à venir. Cette fois comme amplifiés, malheureusement plus du côté des défauts.

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Le premier, qu'il partage avec nombre de ses collègues du cinéma de genre, c'est le manque de direction d'acteur. Attaché à la mise en scène pure, Argento a toujours privilégié les mouvements d'appareils, les prouesses techniques (les très gros plans de Profondo rosso, l'utilisation de la Louma sur Tenebrae), l'ambiance soignée de façon maniaque, le montage à venir et le jeu avec le spectateur, l'idée cinématographique de la scène. L'acteur là-dedans n'est qu'un paramètre, souvent une silhouette qui doit prendre sa place entre scénographie complexe et effets spéciaux, tout comme les dialogues très souvent platement informatifs. Ce qui compte pour l'acteur c'est de savoir regarder (généralement un meurtre terrible) et éventuellement de bien crier. Dans ce système, la distribution des rôles est essentielle. Il faut des acteurs solides capables d'apporter par eux mêmes un supplément d'âme nécessaire pour que, quand même, il y ait un minimum d'empathie. Cela fonctionne avec Daria Nicolodi, Jessica Harper, Tony Franciosa, Karl Malden, Asia Argento, Giuliano Gemma, Max von Sydow ou David Hemmings. Du solide, pas des stars qui ne sauraient assez se fondre dans la mise en scène. Mais si l'acteur est mauvais, c'est la catastrophe parce que Dario Argento ne pourra pas l'aider. Dans La terza madre on trouve quelques prestations terribles. La jeune mannequin israélienne Moran Atias qui joue la fameuse mère censément diabolique a une poitrine sublime qui défie les lois de la gravité mais joue comme une endive. Elle n'est pas la seule. Le jeune premier est fadissime et les disciples de la mater semblent recrutés au sortir d'une boîte de nuit new wave si cela existe encore. Ainsi tout ce qui devrait glacer le sang dans les veines amuse ou désole, au choix. Cet aspect est renforcé dans ce film par la mise en scène même d'Argento. Particulièrement peu inspiré par certaines scènes qui semblent pourtant essentielles, il filme les catacombes où se déroulent les messes noires comme dans un mauvais peplum des années 60, photographie laide, décors et costumes fauchés sans une idée pour les sublimer. Cet aspect miteux étalé dans l'indifférence se retrouve dans les scènes censées illustrer les déchaînements de violence qui embrasent Rome. Trois figurants, deux flammèches, un peu de verre brisé, cette l'apocalypse est sûrement ce qu'Argento a filmé de plus mauvais dans toute sa carrière. A croire qu'il a refilé le boulot à un second assistant ou au fantôme de Bruno Mattei. L'impression de gâchis est douloureuse.

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Pourtant, tout n'est pas perdu. Au je-m'en-foutisme de ces éléments répond dans le même temps le talent buté, rageur même dans les explosions de violence, d'un cinéaste qui jette sur l'écran comme une poignée de perles, des éclairs du cinéma qui l'a toujours intéressé. La terza madre est un « best of » Argento avec sa façon de filmer de vastes espaces clos en somptueux cinémascope (la série de portes du musée romain d'antiquités), sa faculté à faire naître la peur d'abord par la caméra qui semble prendre vie, sa mise en scène des mises à mort avec sa fascination pour le tranchant et l'expression d'un visuel sadique mêlant érotisme et souffrance. L'assassinat de Valeria Cavalli et de sa compagne est un beau morceau de bravoure éprouvant qui rappelle le meurtre des deux lesbiennes de Tenebrae. On retrouve bien entendu l'obsession du meurtre que l'on est obligé de voir en étant impuissant et reste originale la vision qu'Argento a de sa fille Asia, ici d'une sobriété identique à celle de l'héroïne de La sindrome di Stendhal. Et puis, sa façon de se rattacher à toute une culture, européenne et italienne. Un certain goût de la beauté. Argento s'attache à filmer les palais anciens, les bibliothèques, les beaux livres, les statues, les peintures, tandis qu'Asia jette symboliquement son portable par la fenêtre d'une voiture d'un geste méprisant. Une attitude que l'on peut qualifier de passéiste mais qui se rattache à toute une tradition du cinéma italien, de Visconti à Fellini, de Bolognini à Leone en passant par les Bava, Fulci et Martino, le plaisir de filmer des œuvres et des objets avec une histoire, objets rares loin des produits de série. Manière de signifier à quel monde on appartient. C'est là, si l'on est prêt à l'indulgence sur le reste, que se trouve le plus touchant de ce film sacrément malade.

(à suivre)

Photographies La terza madre source Cineblog

Commentaires

Ah Le syndrome... Bon sang, moi aussi j'en ai fait un bout de chemin pour pouvoir le voir.
Bref.
Pour La terza madre, si quelques très grandes scènes sadiques sont à sauver, la vision de l'enfer est tellement risible que bon... je vais être charitable et éviter de m'étendre.
Quant à Première... pfffft ! quand on voit ce que ce mag est devenu... ferait mieux de faire amende honorable et avec le coût de l'abonnement, je conseillerai à leurs maigres lectorat d'aller au cinéma ;)

Écrit par : FredMJG/Frederique | 25/08/2010

LEUR MAIGRE !
Z'en ont plus beaucoup !
pourquoi diable ai-je mis des S ?

Écrit par : FredMJG/Frederique | 25/08/2010

"Phénoména, en 1984 est le film de la rupture. Le cinéma italien n'est plus que l'ombre de lui même. Argento file un mauvais coton et le film est un échec commercial doublé d'un échec critique."

échec critique peut-être,en France probablement mais le film avait été cependant un gros succès commercial en Italie,parmi les 10 plus grosses recettes de 1985.

Sinon j'aime bien "La Terza Madre",film certes imparfait et un peu foutraque mais généreux et audacieux,rappelant plus d'une fois l'âge d'or de l'horreur à l'italienne,en particulier le cinéma de Fulci...j'aime bien sa sauvagerie et son côté anarchique et décadent (les sorcières punk,l'aspect fin du monde...)

"La terza madre est un « best of » Argento avec sa façon de filmer de vastes espaces clos en somptueux cinémascope (la série de portes du musée romain d'antiquités)"

Outre l'ouverture dans le musée,je citerais également la belle scène où Asia découvre le repaire de la Mater en long plan séquence.

Écrit par : Carlo | 25/08/2010

Dans le Argento de la décennie passée,on peut aussi recommander ses très honnêtes épisodes pour les "Masters of Horror" et souvent méprisé mais néanmoins intéressant thriller "The Card Player"...

Écrit par : Guillaume | 25/08/2010

Frédérique, "quand on voit ce que ce mag est devenu", il était déjà pas mal à l'époque, mais je plaide coupable, c'est par ça que j'ai commençé.

Carlo, très heureux d'accueillir un spécialiste. Juste votre remarque sur "Phénomena", je parlais de la France, mais de tout ce que j'ai pu lire sur le maestro, il me semble que ce n'est pas le seul pays qui a fait entrer Argento au purgatoire à cette époque. Il me semble que c'est "Opéra " qui a été un échec en Italie, je ne suis même pas sûr qu'il soit sortit normalement en France. "Trauma" j'ai du le voir en vidéo et pour "...Stendhal", faire le voyage à Turin...
Sinon, oui pour la générosité de certaines scènes (et pour certaines réminiscences dont je n'ai pas parlé et que vous évoquez) mais je trouve justement que sorcières et fin du monde manquent par trop de sauvagerie et d'esprit punk.
Je partage aussi votre comparaison avec le cinéma de Fulci, qui a les mêmes problèmes de direction d'acteur, ce qui m'a gâché un peu ses grands films horrifiques.

Guillaume, vous me rassurez sur "Card player" qui me reste effectivement à découvrir. A suivre demain.

Écrit par : Vincent | 25/08/2010

Jenifer était plutôt screugneugneu... (traduire par très jouissif) :)

Écrit par : FredMJG/Frederique | 25/08/2010

Ah, Jennifer... mon ami, le fan du maestro en était fou, il s'est mis à voir tous les films qu'elle faisait à l'époque (des trucs comme "Labyrinth"...), un véritable fétichiste :) Bon, ce n'était pas le sujet, mais j'aime bien ce film moi aussi. Et Connelly était superbe à ses débuts chez Leone.

Écrit par : Vincent | 26/08/2010

Gloupsie ! je ne causais point de la gamine espèce de pervers mais de l'épisode Masters of horror... et croyez moi mon bon, Jenifer ne ressemble pas du tout à Jennifer... :)

Écrit par : FredMJG/Frederique | 26/08/2010

Avec tous ces "n" et ces "f", je m'embrouille. Je n'ai donc pas l'honneur (le bonheur ?) de connaitre la Jenifer, mais je vous crois sur parole.

Écrit par : Vincent | 26/08/2010

Nan ! je crois que vous ne serez pas heureux de la connaitre quand... ^^

Écrit par : FredMJG/Frederique | 26/08/2010

Vincent, très bel article, mon préféré de sa derniere période est LE SANG DES INNOCENTS, film très bien fait avec des plans séquences de bravoure.

Écrit par : philippe frey | 26/08/2010

Frédérique, j'ai vu une photographie, je comprends !! (faudra que je vois ça).

Philippe, je savais que ça te plairait :)

Écrit par : Vincent | 27/08/2010

Mariaque sur Dario:
http://eightdayzaweek.blogspot.com/search/label/Argento

Écrit par : mariaque | 27/08/2010

Mariaque, quel plaisir ! Je me suis permis de modifier votre lien, ça insistait pour m'inscrire à blogger :)
Je me souviens de certains articles, sauf celui sur "La terza madre". A vue de nez vous faites un peu partie des amoureux déçus non ? Sinon, "Inferno", c'était le bon temps où on essayait de trouver la photo, j'ai l'impression que ça fait des années.

Écrit par : Vincent | 27/08/2010

Déçu, oui et non. Résigné. Mais il est toujours difficile de savoir si c'est dans l'oeuvre ou dans l'oeil que quelque chose s'est cassé...

Écrit par : mariaque | 29/08/2010

Belle expression. Ce qui m'aide à avoir un oeil peut être différent, c'est que les films d'Argento me faisaient trop peur à la grande époque pour que j'aille les voir. Du coup, je m'y suis mis plus tard (fin des 80') et j'ai tout découvert dans le désordre.

Écrit par : Vincent | 30/08/2010

"Guillaume, vous me rassurez sur "Card player" qui me reste effectivement à découvrir. A suivre demain."

Avez-vous eu l'occasion de découvrir ce film?

Écrit par : Guillaume | 07/09/2010

Ah non, pas encore, je l'ai commandé, c'est dans les tuyaux :)
J'en parlerais certainement, en bien ou pas, quand ce sera fait.

Écrit par : Vincent | 07/09/2010

Bel article, sur un des réalisateurs que j'aime beaucoup, mais pas la période... J'avais été très déçu par Vous aimez Hitchcock, et son DV à l'aspect très film de vacances... C'est drôle comme le Syndrome de Stendhal reste un bon film, quasi uniquement au regard du reste de l'oeuvre récente très moyenne du bonhomme. Pour moi, il se résume à l'idée, certes géniale, de l'entrée dans le tableau, et de la séquence au musée des Offices, hallucinante. N'ayant vu ni Inferno ni Ténèbres, je me laisserais tenter par la livraison Wild Side début novembre.

Écrit par : Raphaël | 21/09/2010

Merci, Raphaël. Vous devriez, si ce n'est fait, voir "Non ho sonno" c'est vraiment pas mal du tout. Je viens de découvrir "Il cartaio" et par contre ce n'est pas terrible, le film m'a fait revoir "La terza madre " à la hausse, c'est dire.
Sur les plus anciens, j'ai une grande affection pour "Ténèbre", mais un souvenir plus mitigé pour "Inferno" (quand même la scène de la cave, vous verrez).
je vous lirais donc avec attention en novembre :)

Écrit par : Vincent | 22/09/2010

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