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30/05/2010
Cannes 2010 : d'autres films encore
J'ai manqué les premiers jours du festival et quand je suis arrivé, mes amis avaient leur air des mauvais jours. La sélection officielle a déçu largement. Je dois dire qu'à la lecture du programme, fin avril, je n'avais guère été enthousiaste. En y réfléchissant, c'est souvent ce qui se passe après une grande année et 2009 était une sacrée grande année. Pourtant le palmarès est remarquable, le jury ayant su « détecter le grand cinéma partout où il rodait » comme je l'ai lu très justement dans Libération.
Assez caractéristique est le cas de La nostra vita de Daniele Luchetti. Proche de Nanni Moretti qui a produit ses premiers films, Luchetti fait un cinéma sensible et son film, avec le thème du deuil, fait irrésistiblement penser à La stanza del figlio (La chambre du fils – 2001). Mais question mise en scène, Luchetti n'est pas un foudre de guerre. La nostra vita est tourné caméra à l'épaule, toujours proche de son acteur, Elio Germano qui porte le film par la sincérité et l'énergie de son jeu. Luchetti joue le jeu du mélodrame résolument, c'est plein de vie et de détails qui sonnent juste, mais si son film accroche, il ne passionne jamais. Il lui manque l'intensité, la fougue, la tension des plus belles réussites récentes de Marco Tullio Giordana, Matteo Garrone ou Michele Placido, sans parler du sens plastique d'un Michele Soavi ou du Vincere de Marco Bellocchio. Le plus étonnant peut être dans ce film c'est sa résolution, prenant le contre-pied des multiples options dramatiques qui s'offraient à lui (et qui l'auraient sans doute disqualifié). Donc le prix d'interprétation pour Germano se justifie pleinement mais il n'y a pas des pages à écrire sur le film.
Un cran au dessous, Fair game de Doug Liman fait partie de ces films dont on s'est demandé ce qu'ils fichaient là. Non qu'il soit désagréable mais c'est un produit de facture courante, bien fait et correctement joué mais sans surprise avec une mise en scène sans écart qui tire à la ligne et referme bien la porte en partant. Une seule belle idée dans cette trop classique histoire de manipulation (l'histoire vraie d'une agente de la CIA balancée par la Maison Blanche parce que son mari avait dénoncé les mensonges de l'équipe Bush junior à propos des armes de destruction massive en Irak), l'actrice Naomi Watts se rend à la convocation de la commission d'enquête et le film se conclut sur les images de la véritable Valerie Plame, dont elle joue le rôle, déposant devant la-dite commission. C'est dommage, c'est pendant le générique de fin.
La grande nouvelle du festival, c'est quand même la fin heureuse de l'imbroglio juridique qui nous privait des films de Pierre Etaix. Désormais, il a récupéré les droits de son oeuvre et les films ont été restaurés et ressortiront en juillet. Pour fêter cela, il est venu présenter Le grand amour qui date de 1969. C'est une merveille d'humour et d'invention, bien dans la lignée de ses compères Jacques Tati et Jerry Lewis. Il y a un amour du gag qui est enrobé d'une mise en scène élégante, tendue vers un simple geste parfois, juste une attitude, un mouvement suspendu. Et puis ce film tellement ancré dans le quotidien prend tout à coup des directions inattendues comme ce rêve incroyable dans lequel tout le monde se déplace en lit et ou la sublime Nicole Calfan, en nuisette juste ce qu'il faut de transparent, fait du stop au bord de la route. Non mais, vous mesurez bien la portée de cette vision ? J'en suis encore tout ému. Dans le registre purement burlesque, il y a une scène de dispute où le mot séparation est pris au sens littéral et qui est d'anthologie. Un peu de grand cinéma, cela fait toujours du bien. Vivement juillet.
Conclusion, Godard m'a bien aidé à me mettre dans le bain et je l'en remercie parce que j'étais à deux doigts de faire l'enfant boudeur. J'ai terminé le festival en me disant que, finalement, Cannes c'est un bien bel endroit pour voir des films, malgré tout ce que l'on dit, moi y compris. Sur ces fortes considérations, je me lance dès la semaine prochaine dans le petit jeu des palmes. Bonjour chez vous.
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29/05/2010
Cannes 2010 : un peu de poésie dans un monde de brutes
Poésie. J'ai parfois le sentiment qu'utiliser ce mot aujourd'hui, c'est un peu comme proférer une grossièreté. Au mieux, quelque chose de désuet. Mais comme le chante joliment Stacey Kent, « Seul le désuet ne tombe jamais en désuétude ». Le mot est pourtant parfaitement adapté à Poetry de Lee Chang-dong et au palmé Lung Boonmee Raluek Chat (Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures) de Apichatpong Weerasethakul.
La poésie est au coeur du nouveau film du réalisateur coréen de Oasis (2002) et de Secret sunshine (2008). Mija, son héroïne est une femme très ordinaire d'apparence, sexagénaire qui élève seule son petit-fils (un adolescent renfermé et qui je ne vous raconte pas), a vu s'éloigner sa fille et doit travailler comme garde-malade-boniche d'un vieillard libidineux et handicapé. Apprenant qu'elle est atteinte de la maladie d’Alzheimer, elle qui commence à oublier les mots, s'inscrit à un cours de poésie pour tenter de trouver ceux qui sonneront justes. Une nouvelle fois, Lee Chang-dong adopte les ressorts du mélodrame pour les pousser dans des directions inattendues. C'est tout autant question de scénario avec ses multiples rebondissements, que de construction avec l'exploitation des temps morts, les brutales accélérations, les ellipses radicales, les jeux sur le temps. A ses personnages ordinaires, le réalisateur réserve des plongées dans les tréfonds du désespoir (maladie, deuil, déchéance) pour mieux les révéler à eux-même et, par une vision du monde d'un optimisme aussi ténu que têtu, les transfigurer. C'est sans doute ce qui me touche le plus chez ce cinéaste, cette idée qu'il développe film après film, que le bonheur, la vie, c'est ici et maintenant. Qu'il n'y a pas le choix. Que quelque soient les obstacles (que matérialisent les divers handicaps et malheurs de ses héros), la vie doit être vécue et il faut en rechercher le meilleur.
Poetry est le récit de la quête de Mija de l'inspiration qui lui permettra d'écrire ce poème devenu l'objectif de sa vie. Accomplir quelque chose, comprendre quelque chose, laisser, peut être, une trace. La caméra épouse le regard qu'elle pose sur ce qui l'entoure. Lee Chang-dong a filmé ainsi un plan dont l'idée m'a toujours fasciné, celui du feuillage d'un arbre dans lequel le regard se perd. Il nous donne à voir aussi d'étonnantes parties de badminton au pied d'un immeuble, moments suspendus de véritable grâce, un épisode champêtre sur lequel flotte un parfum de cinéma japonais de Miyazaki ou d'Ozu, et une scène d'amour physique aussi casse-gueule que l'on peut l'imaginer entre Mija et son malade. Rien d'impossible à celui qui a filmé les étreintes entre le simplet et l'handicapée d'Oasis. Cette scène est un modèle d'audace, d'élégance et de pudeur. Lee Chang-dong conserve un rythme posé, ne cherchant pas à tricher par le montage. Il fait refermer délicatement la porte de la salle de bain sur une image sobre mais sans ambiguïté : Mija se déshabille de dos et rejoint le vieil homme dans un jacuzzi. Mais au lieu de l'ellipse attendue, le réalisateur passe de l'autre côté de la porte et, avec des plans rapprochés d'une grande beauté, nous amène plus loin, à accepter la charge érotique et poétique de cette étreinte qui va à l'encontre de tant de canons actuels. Poésie vous dis-je. Avec ce film sur le fil, porté par la composition de Yun Junghee, Lee Chang-dong confirme qu'il est l'un des grands funambules de notre temps.
Il y a peu de différence avec l'approche du cinéaste Thaïlandais Apichatpong Weerasethakul si ce n'est une dimension spirituelle plus marquée chez ce dernier. Il y a quelque chose de plus universel chez le Coréen, disons à échelle humaine, alors que le Thaïlandais baigne son film dans une culture spirituelle propre à son pays (sans parler des allusions politiques) dont une bonne part m'échappe. Je dois avouer que je suis allé voir son film à reculons, ma dimension spirituelle étant assez réduite. L'ami qui m'a convaincu m'a dit : « c'est une expérience ». En effet. Je ne suis pas sûr d'avoir grand chose à dire sur le film parce que, c'est vrai, il se ressent d'abord. Sur la forme, beaucoup a été dit un peu partout, parfois de manière hyperbolique à mon sens, et je ne vois pas ce que je pourrais ajouter. Ce qui me semble important, c'est plutôt comment inciter d'autres personnes pouvant avoir les mêmes à-prioris que moi à faire la même expérience que moi. Je doute fort qu'un article aussi délirant que celui de Libération (au hasard) puisse convertir au delà des convaincus. Lung Boonmee Raluek Chat n'est pas un film dont on a l'habitude. Le voir c'est entrer dans un univers très personnel, au rythme lent, posé, aux images belles, magiques, qui laissent entrer tout doucement le fantastique (des fantômes, des hommes singes), l'humour et la légende avec le récit de la princesse s'accouplant avec l'esprit poisson-chat (quelle scène inoubliable !). Ce n'est pas un film qui brusque, mais c'est un film autre. Ce que j'ai envie de dire, c'est que c'est un film très vite confortable, c'est que l'univers de Weerasethakul je m'y suis très vite senti bien (c'était ma première expérience). On y parle, ou plutôt on y montre, la maladie, la mort prochaine, le temps passé, les deuils ; mais en même temps comme dans Poetry, il y a la beauté du monde qui console de tout. La campagne, le bruissement des abeilles, le soir qui tombe, la jungle, l'idée que le temps est à dimensions multiples et non linéaire. Malgré la dernière scène qui oppose cette sérénité immémoriale ouverte à notre monde moderne étriqué (c'est ce que j'ai retenu du film, c'est ce que j'ai fait de lui, avec lui), c'est ce sentiment de consolation qui domine et cet étrange bien être que l'on emporte longtemps après les dernières images du film. Poésie encore. Comme le préconisait Pascal en d'autres matières, il faut faire le pari de ce film.
19:26 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : cannes 2010, apichatpong weerasethakul, lee chang-dong | Facebook | Imprimer | |
28/05/2010
Les joies du bain : smoke on the water
Quels prodiges d'imagination dans la composition plus ou moins opaque des bains ! Combien admirable est celui ci, de ce qu'il révèle, de ce qu'il suggère, de ce qu'il cache de Jeanne Moreau dans la bien belle baignoire de Eva, réalisé en 1962 par Joseph Losey.
Phorographie : source Shutter Angle
15:30 Publié dans Les joies du bain | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : joseph losey, jeanne moreau | Facebook | Imprimer | |
27/05/2010
Cannes 2010 : L'homme à la caméra
Jack Cardiff, disparu en 2009, a été honoré par le festival à travers le documentaire Cameraman: The Life and Work of Jack Cardiff (2009) réalisé par Craig McCall qui est venu présenter le film à Cannes Classic en kilt d'apparat. J'avais déjà évoqué le parcours de Cardiff à propos de son film Dark of the sun (Le dernier train du Katanga – 1968), un de mes plaisirs (pas trop) coupables. Anglais et chef opérateur de génie, il est le premier européen à être formé au Technicolor dans les années trente. Pour donner la mesure du travail de Cardiff, il suffit de citer ses collaborations avec Michael Powell sur Black Narcissus (Le Narcisse noir - 1947) et The Red Shoes (Les Chaussons rouges – 1948), avec Albert Lewin sur Pandora and the Flying Dutchman (Pandora – 1951), avec Richard Fleisher sur The vikings (Les vikings -1958) et Joseph L. Mankiewicz sur The Barefoot Contessa (La Comtesse aux pieds nus – 1954). Quand même. Admirable portraitiste de femmes, il a eu devant son objectif Ava Gardner, Marilyn Monroe, Marlène Dietrich, Audrey Hepburn, Sophia Loren, Katharine Hepburn, les plus belles femmes du monde s'en remettaient à sa science de la lumière. Nous lui devons les visions inoubliables du monastère perché sur les montagnes et des drakkars émergeant de la brume, images d'un cinéma plus grand que le monde.
Le film de Craig McCall est construit autour de rencontres avec Cardiff, notamment à l'occasion du Festival de Cannes, d'entretiens avec ceux qui ont travaillé avec lui (émouvante intervention de Kirk Douglas très âgé mais très lucide) et de nombreux documents d'archives dont certains sont un immense bonheur pour le cinéphile fétichiste que je suis. Il y a notamment des extraits de films en 16 mm que Cardiff prenait lui-même sur les tournages. On y voit John Wayne faire le guignol en faisant tourner un revolver pour épater une Sophia Loren radieuse, on y voit Marilyn Monroe sur le tournage de The Prince and the Showgirl (Le Prince et la Danseuse – 1957). A un moment, Cardiff montre les photographies qu'il prenait de ses stars féminines, toujours pendant les tournages, expliquant qu'il faisait cela pour son plaisir, à la pause déjeuner. Le film répartit avec brio anecdotes et de nombreuses considérations techniques. J'ai appris que Dietrich, avec sa formation auprès de von Sternberg, était devenue une experte en photographie et contrôlait de près la façon dont elle était éclairée, vérifiant le plan grâce à un miroir judicieusement disposé de façon qu'elle puisse se voir lors de la prise. Cardiff montre la première caméra Technicolor, grande comme une armoire normande, explique comment il soufflait sur un verre placé devant la caméra pour obtenir des effets, les acrobaties réalisées pour obtenir certains angles pour John Huston (le passage sur le tournage de The African queen (1951) est savoureux), et se révèle un homme complètement dévoué à son art, d'une modestie à toute épreuve et ravi de partager, en grand cuisinier, ses recettes les plus fameuses.
Le film est plus discret sur sa carrière de réalisateur commencée en 1953 avec The Story of William Tell où il dirigea Errol Flynn. Certes sa quinzaine de films ne souffre pas de comparaison avec son impressionnante filmographie de directeur de la photographie, mais outre Dark of the sun, il a signé quelques oeuvres estimables, notamment une variation sur le film de Fleischer, The long Ships (Les drakkars – 1964) ou le culte The Girl on a Motorcycle (1968) avec Alain Delon et Marianne Faithfull. J'aurais aussi aimé en savoir un peu sur son expérience avec John Ford qui l'a conduit à remplacer le maître, malade, sur Young Cassidy en 1965 avec Rod Taylor qu'il dirigera deux autres fois. McCall s'en tient un peu trop au cinéma légendaire. Les interventions de Martin Scorcese, toujours aussi excité, renforcent ce côté nostalgique, l'évocation d'une façon de faire du cinéma qui semble ne plus exister. Mais Cardiff se montre très ouvert sur les nouvelles façon de travailler et les évolutions technologiques, sans passéisme. McCall ne creuse pas tellement cet aspect, négligeant de la même façon le travail plus récent de Cardiff qui n'est pas moins estimable sur, par exemple, The dogs of war (Les chiens de guerre – 1980) de John Irvin ou le second Rambo en 1985. Il aura gardé auprès des nouvelles générations une grande aura. Il faut se souvenir que pour Conan the destroyer (Conan le destructeur – 1984), le producteur voulait tout autant le réalisateur de The Vikings que son chef opérateur. Cardiff aura travaillé jusqu'à la fin de sa vie, heureux derrière une caméra comme devant ses toiles, son plaisir intime.
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26/05/2010
Cannes 2010 : Film Socialisme
Chère vieille Europe, ta tête connaît à peine tes jambes qui souvent ne comprennent pas tes bras comment ça marche un corps déjà. Comment ça marche un corps étranger à son corps on n’sait pas on s’en fout on s’embrasse quand même et puis on a raison.
Finalement, ce qui est le plus proche de Film Socialisme, le petit dernier de Jean-Luc Godard, c'est encore cette chanson de Brigitte Fontaine et de Noir Désir, vaste poème politique et épique publié sur l'album Des visages, des figures de 2001. Objet unique, défiant les classifications, démesuré, virulent et beau, la chanson clôt (provisoirement ?) l'histoire du groupe de rock et le cinéaste présente son film comme le dernier. On verra bien. Film-collage, film-télescopage, film Godard jusqu'au bout du cigare, Film Socialisme est un film stimulant, brassant les images et les sons à un rythme soutenu, embrassant avec générosité un continent et une culture, l'Europe, ses images, son histoire, ses rêves et ses manques ; dressant en de multiples touches le portrait d'un temps, le notre. Je crois que c'est ce qui m'a le plus impressionné, cette faculté de Godard a saisir notre époque, alors que la majorité des autres films proposés à Cannes (pour s'en tenir à ce périmètre) soit restent dans l'anecdotique censément signifiant (Par exemple le film de Daniele Luchetti comme métaphore de l'Italie de Berlusoni), soit se déplacent dans une dimension spirituelle (Xavier Beauvois, Apichatpong Weerasethakul), soit se cassent les dents sur des formes trop usées (Rachid Bouchareb, Nikita Mikhalkov, Doug Liman).
Évidemment, Godard a de la bouteille, mais son film arrive à synthétiser les expériences formelles de sa longue carrière (Le travail sur le son, les citations, les intertitres, les sous-titres, le montage d'images de source très diverses qui se répondent) avec cette fois une clarté d'expression qui n'est pas toujours évidente chez lui. Inutile néanmoins d'attendre de la narration au sens classique. Le film est divisé en trois parties. Une croisière autour de la Méditerranée sur un paquebot de luxe, la descente d'une équipe de télévision locale chez une famille tenant un garage à la campagne, la partie qui contient le plus de fiction, et un ensemble plus abstrait, proche de Histoire(s) du cinéma (1999), autour de lieux emblématiques de l'Europe et des obsessions godardiennes (ça se dit, cela ?). On croisera comme autant d'étoiles filantes sur un ciel d'août, la chanteuse Patti Smith, le philosophe Alain Badiou, l'or de la République Espagnole de 1937 dérobé par le Komintern, la puissance et l'omniprésence de l'argent, des plans superbes, très colorés comme le souvenir du Technicolor, composés avec le soin du CinémaScope du Mépris (1963), percutant des plans de vidéo minables, pixellisés, comme issus directement d'Internet, des lol-cats, l'histoire de l'Art, de la musique classique et l'horrible souffle du vent dans un micro, la mer toujours recommencée, un lama (car quand lama fâché, lui toujours faire ainsi), les escaliers d'Odessa, la Grèce berceau de la civilisation, la Palestine, un âne, une voiture rouge, le soutien gorge arc-en-ciel d'une camerawoman noire, les trapézistes de Varda, des mots qui jouent dans les sous-titres et, j'ai été sensible à l'attention, un extrait de Cheyenne autumn (Les Cheyennes - 1964) de John Ford.
D'accord, cela fait un peu inventaire à la Prévert mais, par une espèce de miracle, ça fait sens. Il y a aussi un côté album de souvenirs assez plaisant. Les images se percutent et se répondent, se contaminent, laissent admirer la lumière de l'été et l'ombre d'un ventilateur. Le côté ludique et le rythme donnent ce qu'il faut de légèreté. On ne se sent pas obligé de tout saisir. Film Socialisme est une oeuvre dans laquelle on peut se perdre, elle est assez riche pour toujours offrir une route pour se retrouver. Film Socialisme, c'est une maison grande ouverte où l'air, les images, les sons, la lumière circulent. On pourra me faire cent objections, j'y vois une certaine forme d'optimisme, la force de l'idée-Europe et d'un cinéma debout malgré tout, malgré les tentatives de disqualifier le film et son auteur, malgré le refus de Godard d'avoir accompagné son petit dernier, lassitude ou orgueilleux espoir qu'il se débrouillerait très bien tout seul. Si ce devait être son dernier (Dieu me tripote), ce serait un bel adieu.
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25/05/2010
Cannes 2010 : De la buée sur les lèvres
Il y a une chose qui m'a marquée, et quelque peu choquée dans Hors-la-loi, le film de Rachid Bouchareb : dans les scènes d'hiver, les personnages n'exhalent aucune buée de la bouche. On voit Jamel Debbouze casser la glace d'un récipient pour se laver dans le bidonville, on voit les jolis effets de givre sur les voitures lors de la scène de l'attaque du commissariat, mais de buée, pas de trace. Je repensais à Franck Capra qui faisait jouer ses acteurs dans une chambre froide pour Lost Horizons (1937), au fait que le film de Bouchareb a quand même coûté la peau des fesses et qu'il use (plutôt bien) des effets numériques pour recréer la période, et je me disais que c'était dommage de ne pas penser à la buée et à ce qu'elle pouvait apporter de vie au film. D'une certaine façon, cet oubli est symptomatique des faiblesses du film. Il y a un gros travail de reconstitution qui ne fonctionne pas. Les voitures sortent des garages des collectionneurs, les costumes façon Melville des housses des costumiers, les radios d'époque des magasins des accessoiristes, mais ça se voit ou plutôt, pire, ça se ressent. Évidemment, là-dessus se greffe un scénario schématique où les personnages sont plus définis par ce qu'ils représentent que par ce qu'ils sont. Trois frères d'une famille chassée de sa terre en Algérie vivent les évènements conduisant à l'indépendance algérienne, des massacres de Sétif en 1945 à 1962. Chacun des frères incarne une façon d'agir : le cadre FLN rigide (Sami Bouajila ), l'ex-soldat français devenu combattant algérien (Roschdy Zem) et le petit truand démerdard (Jamel Debbouze). Ces trois héros s'en sortent plus ou moins bien grâce aux acteurs, Debbouze et Zem plutôt plus, Bouajila plutôt moins, mais pour les autres c'est dur, mis à part Bernard Blancan qui a un peu d'espace pour faire vivre son ex-résistant devenu policier impitoyable. Mais par exemple, le jeune boxeur n'existe pas au delà de ce qu'il représente comme enjeu pour l'histoire, la porteuse de valise, blonde de film noir, reste au niveau du cliché, même le personnage de la mère manque de l'authenticité. Que n'aurait pas fait John Ford avec une Jane Darwell algérienne !
Bref, Bouchareb est trop tétanisé par ses moyens et n'arrive pas à les transcender comme les modèles dont il se réclame, de David Lean à Francis Ford Coppola en passant par Sergio Leone et Jean-Pierre Melville. Il est plus proche du Jacques Deray de Borsalino (1970) ou du Alexandre Arcady du Grand Carnaval (1983). C'est intéressant de rapporter le film de Bouchareb à celui de Robert Guédiguian, L'armée du crime (2008) qui, avec moins de moyens, réussissait à nous plonger dans les années 40 de manière convaincante, et surtout faisait vivre une belle galerie collective, pleine de vie et de nuances, y compris sur le personnage du policier joué par Jean-Pierre Darroussin auquel celui joué par Blancan fait parfois penser. Dommage. Dommage parce que la première scène dans la montagne algérienne est belle dans le genre western, parce que les scènes d'action sont plutôt bien montées (le commissariat, la manifestation) et parce que l'ambition est là. Manque juste un peu plus de foi dans le cinéma.
De la buée sortant de la bouche par grand froid, il y en a dans Utomlyonnye solntsem 2 : Predstoyanie (Soleil tompeur 2 : l'exode) de Nikita Mikhalkov . Ah, Nikita, pour parler de son film, il faut commencer par faire l'effort de mettre de côté les côtés désagréables du bonhomme, sa prétention sans borne, ses déclarations provocantes sur ses collègues russes, sur le cinéma russe, et sa proximité avec le pouvoir. Ceci fait, on peut s'interroger sur cette étrange idée d'avoir donné une suite à son film de 1994 d'autant que, j'ai vérifié, il nous avait bien dit à la fin que son général Kotov avait été fusillé, que sa femme était morte en camp et que sa fille avait été détenue en prison. Là, nous apprenons que finalement non, Kotov est bien vivant, sa femme aux côtés de son rival Mytia et sa fille chez les pionniers. Admettons. Mais ce qui m'a quand même le plus surpris, c'est la fin. Enfin, l'absence de fin. N'étant pas toujours très attentif, j'ignorais que Mikhalkov avait prévu deux parties (plus encore pour la version télévisée paraît-il). Du coup, passé un moment, je me demandais vraiment où le film allait et comment il allait se résoudre quand toutacouptac, « Fin de la seconde partie » et générique. J'en ai ressenti une terrible frustration. Drôle d'idée d'avoir mis ce morceau de film en sélection. C'est comme présenter Lawrence d'Arabie jusqu'à l'entracte et donner rendez-vous à l'année prochaine. Au-delà de toute cette confusion, restent deux heures et demi assez intenses. Mikhalkov réussi les doigts dans le nez ce que Bouchareb peine à faire. Le film est bourré de morceaux de bravoure à la mise en scène ample et constamment inventive (L'attaque du pont ou l'assaut des panzers dans la neige par exemple), et regorge de personnages secondaires qui existent vraiment comme le lieutenant du bataillon disciplinaire, l'officier exécrable musicien cuisiné par Mytia ou le capitaine du navire hôpital. Chez Mikhalkov, ça bouge, ça braille, ça chante, ça vit. On le compare beaucoup à Emir Kusturica sur ces plans là. C'est un peu ça.
Pourtant, le film n'est pas très bon, en grande partie à cause de ses excès. Mikhalkov ne sait pas (plus) faire simple et il en rajoute dans la démesure, le grotesque, l'hyperbole et un humour qui parfois se fait lourdingue. Le film souffre en outre de sérieux problèmes de construction à vouloir trop jongler avec diverses couches de flashbacks, sans parler de la musique badaboum à faire passer Max Steiner pour un discret. Confusion enfin sur le fond, le film vaut mieux que les déclarations d'intentions de son auteur. A l'entendre, il s'agirait d'une grande saga à la gloire des sacrifices de l'armée rouge alors que l'on assiste à des scènes tragiques et absurdes où l'on se débat plus que l'on ne se bat, coincé entre l'envahisseur nazi et la terreur stalinienne. Cela sera peut être plus clair quand on aura vu toute l'histoire. D'ici là, je reste partagé entre l'irritation et le plaisir immédiat, feuilletonesque, que procure le film, nettement supérieur au pénible Sibirskiy tsiryulnik (Le barbier de Sibérie - 1998), mais si terriblement loin de la beauté du film original qui évoquait de grandes heures de la littérature et du théâtre russe.
08:00 Publié dans Festival | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cannes 2010, nikita mikhalkov, rachid bouchareb | Facebook | Imprimer | |
24/05/2010
Cannes jour 8 (et fin)
Lee Chang-dong et son actrice Yun Jughee (source Ion cinéma) sur le tournage de Poetry. Pour ce qui est du petit jeu en cours, ce serait in-extremis mon choix pour la plame 2010. Les résultats sont tombés et ce n'est pas le cas, mais le film d'Apichatpong Weerasethakul était mon autre choix. A partir de demain, des chroniques et sans photographies.
07:16 Publié dans Festival | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : cannes 2010, lee chang-dong | Facebook | Imprimer | |