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31/05/2014

Borzage en quatre films (2)

Seventh heaven (L'heure suprême)

Les films de Frank Borzage relèvent la chimie, ou plutôt de l'alchimie puisque son cinéma transforme le plomb du quotidien en or de la passion. Il y est donc question de mélange et de réaction, de sublimation et d'élévation avec la nuance mystique que cela comporte sans pour autant céder à l'hallucination. Au cœur de la réaction : le couple. Deux éléments hétérogènes qui vont détonner. Borzage, c'est l'expérience alchimique du sentiment amoureux. La transfiguration par la passion. Le cadre, c'est celui du mélodrame, le vrai sans la plus petite trace d'ironie ou de cynisme. Seventh heaven est le film matrice de ces chefs d’œuvres d'une époque qui voit le passage du muet au parlant. C'est le film qui assure le succès et le renom de son auteur, celui où il affirme son style et cristallise autour de lui une équipe créative admirable. C'est pour ce film tiré d'une pièce de Broadway que Borzage crée le couple mythique formé de Janet Gaynor, alors une débutante qu'il impose contre les grandes vedettes du moment, et de Charles Farrell tout aussi novice. Le couple fera dix sept films ensemble dont trois avec Borzage. L'heure suprême du titre français est onze heures tapantes, celle où Chico et Diane s'isolent pour penser l'un à l'autre, étreignant dans leurs mains les médailles pieuses de trois sous qui leur ont servi d'alliance, et répètent comme un mantra « Chico, Diane, paradis».

Ascension. Chico est égoutier à Paris. Quoique jeune, fort et beau, il touille toute la journée les canaux avec son ami « le rat ». Il est une force qui va, optimiste et d'une confiance inébranlable en lui « Je suis un type formidable » lance-t-il aux quatre vents. Diane est une jeune orpheline qui vit avec sa sœur, une teigne qui la fouette, il faut voir comment. Diane est la pure jeune fille, femme-enfant au visage de sainte ou d'innocente héroïne sadienne. Même si ce n'est pas clairement exprimé, les deux femmes survivent en se prostituant. Débarque un riche couple d'oncle et tante venu pour les aider. Diane, incapable de mensonge, leur avoue les expédients auxquels elles ont eu recours. Oncle et tante outrés les abandonnent, déclenchant la fureur de la sœur qui poursuit Diane à coups de cravache dans les rues. La caméra de Borzage s'envole dans le décor pour suivre cette scène impressionnante de violence. Surgissant de son égout comme un héros mythologique, Chico sauve Diane et la déclare sa femme pour donner le change à la police. Du coup, il est obligé, malgré son mépris affiché, de l'emmener chez lui et de la garder un temps. C'est ce qui déclenche le processus amoureux. Les deux êtres vont se transfigurer, se révéler l'un à l'autre et à eux-même. Diane va vaincre sa peur et se transformer en femme, Chico va découvrir sa délicatesse et se dépouiller de son égoïsme.

frank borzage

Ascension. Dans une scène inoubliable, long travelling ascendant dans la cage d'escalier, Chico fait monter Diane chez lui, au septième étage d'un immeuble parisien rêvé qui inspirera sans doute René Clair et Marcel Carné (alors critique enthousiaste du film). La vaste mansarde est d'un romantisme fou et pour le couple l'écrin paradisiaque où leur couple va éclore. Un monde à part sous les étoiles et le ciel de Paris. Dans un premier temps, avec tendresse et finesse, Borzage décrit l'invention d'une vie commune, les gestes du respect de Chico pour Diane, les attentions de Diane pour Chico. Elle lui fait le café le matin et, dans une courte scène à l'érotisme troublant, s'enveloppe dans sa veste dont elle vient de recoudre un bouton. C'est très beau. C'est la quintessence de l'expressivité du cinéma muet. Dans un second temps, le monde extérieur se rappelle au bon souvenir des personnages et ils vont devoir traverser une série d’épreuves initiatiques qui vont éprouver leur amour : la guerre, la séparation, la mort. Ce qui est remarquable chez Borzage, c'est qu'il emprunte à un mysticisme religieux pour le remettre à l'échelle du couple. Comme le note Hervé Dumont, le couple est auto-suffisant chez Borzage et sa force est telle qu'il réinvente le monde autour de lui, repoussant les forces spirituelles et sociales établies : l'église, l'armée, la police, la bourgeoisie. Sans le côté provocateur, {Seven heaven} est proche en cela de l'Age d'or (1930) de Luis Bunuel. Il y a bien un curé sympathique, mais il est vite dépassé par ce qui se joue entre Chico et Diane. Il donne les médailles pieuses, mais sans réaliser la valeur qu'elles vont prendre, une valeur qui sera celle que le couple décide de leur donner. Quand le couple s'unit, il organise la cérémonie seul, échangeant vœux et médailles sans prêtre ni officier d'état civil.

frank borzage

Épreuves, Diane apprend à marcher sur une planche posée entre deux immeubles au dessus de la rue. Plus tard elle devra affronter sa sœur revenue la faire chanter. La guerre qui éloigne Chico sera le plus grand défi du couple. Une guerre si haïssable que le réalisateur demandera à son ami John Ford de tourner la scène de bataille. Chico et Diane vont conjurer le malheur par ce rendez-vous spirituel. Guerre et Mort seront vaincus par l'Amour. Le film atteint à travers cette exaltation de l'Amour fou une véritable subversion, une poésie libertaire d'autant plus réjouissante qu'elle n'est jamais lourde, jamais ostentatoire. Elle naît de la mise en scène qui sublime le quotidien : Diane apparaissant en robe de mariée dans l'encadrement de la fenêtre comme une révélation. Borzage déploie des trésors de finesse et d'humour et il amène ses acteurs à un jeu épuré qui sonne juste à travers le temps. Ses élans, s'ils ne sont jamais retenus comme lors de l'incroyable scène finale qui donne à voir un véritable miracle, emportent l'adhésion par leur force de conviction et la virtuosité de la réalisation. Le spectateur marche, court, vole aux côtés de Chico et Diane.

Photographies : A certain cinéma et Fox (DR)

(à suivre)

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29/05/2014

Borzage en quatre films (1)

Introduction

Texte pour Les fiches du Cinéma

Il existe un document publicitaire étonnant de la Fox à la fin des années 20 qui présente ses réalisateurs vedettes. Il y a là John Ford, Allan Dwan, Raoul Walsh, le jeune Howard Hawks, Friedrich Wilhelm Murnau et puis Frank Borzage. Voilà qui donne à réfléchir sur ce que devait être l'ambiance de travail, les échanges et les connexions souterraines au sein de cet Olympe du cinéma. Voilà quel était le creuset créatif dans lequel évoluait Frank Borzage, réalisateur un peu oublié dont chaque œuvre découverte renforce l'idée qu'il est de tout premier ordre. Borzage c'est d'abord l'ampleur d'une carrière. Comme Ford, Walsh ou Dwan, son parcours épouse la trajectoire du Hollywood des grands studios. Il est là au tout début, accessoiriste et acteur pour Thomas H. Ince dès 1913 puis passe rapidement à la mise en scène. Borzage fera partie de ces réalisateurs formés à l'école du muet et qui portent cet art à son point de perfection à la fin des années vingt. Il négocie pourtant la transition du parlant sans problème majeur et ne cesse de tourner avec des fortunes diverses jusqu'à la dislocation du système à la fin des années cinquante. Il signera (en co-réalisation avec Edgar G. Ulmer et Giuseppe Masini) avec L'Atlantide, film franco-italien de 1961, son dernier travail, refermant ainsi une œuvre de plus de deux cent films dont beaucoup sont perdus ou oubliés.

frank borzage

Franck Borzage et ses acteurs sur le plateau de Seven heaven

John Ford admirait Borzage, ce qui devrait me suffire. Le frère de Franck, Danny, était un régulier de la John Ford's stock company où il jouait de l’accordéon sur les plateaux de tournage. Je me souviens avec ravissement de la révélation de Three Comrades (Trois Camarades - 1938) et de The mortal storm (1940), une œuvre rare et poignante qui s'attaquait au nazisme de l'intérieur à travers le portrait d'une famille allemande. L'occasion est donc belle de se plonger dans le coffret édité par Carlotta contenant quatre films à tomber, excitants et vibrants, sommets de sa période muette. Seventh heaven (L'heure suprême – 1927), Street Angel (L'ange de la rue – 1928), Lucky Star (L'isolé – 1929) et The River (La Femme au corbeau – 1929) constituent une tétralogie de l'Amour fou selon Frank Borzage, brassant ses thématiques favorites, ses figures de style les plus prégnantes, ses élans les plus passionnés. La cohérence de ces quatre titres vient également du travail de l'équipe réunie autour du cinéaste dans le cadre du studio sous la production de William Fox, le duo d'acteurs Janet Gaynor et Charles Farrell, le directeur artistique et décorateur Harry Oliver, les directeurs de la photographie Ernest Palmer et Chester A. Lyons (sur Lucky Star), les monteurs H.H. Caldwell, Katherine Hilliker et Barney Wolf, et le compositeur et chef d'orchestre Erno Rapee.

frank borzage

Les films ont connu des fortunes diverses. Seventh heaven a été un grand succès à sa sortie, triomphant à la première cérémonie des Oscars. Il est resté un grand classique de son auteur. Street angel renouvelle et amplifie le succès du couple vedette mais les copies ont longtemps été perdues. Lucky star, tourné au moment de la révolution du parlant, voit son tournage interrompu, une version sonore remise en chantier et sera malgré tout un échec. Le film, sous sa forme actuelle, existe grâce aux versions muettes destinées au marché international, le doublage à l'époque n'étant pas encore au point, copies retrouvées aux Pays Bas. Un film aussi miraculé que son héros. The river enfin est le film maudit par excellence, perdu lui aussi et dont seule une partie a été retrouvée. La version actuelle est complétée d'extraits de scénario et de photographies de tournage. Même sous cette forme mutilée, c'est une merveille. Il convient ici de saluer la patience et la ténacité des cinéphiles, restaurateurs et éditeurs qui permettent aujourd’hui d’exalter nos âmes avec l'art de Frank Borzage. La présente édition réunie par Carlotta Films comprend un ensemble d'interventions passionnantes de Hervé Dumont, l'auteur de l'ouvrage Frank Borzage : Sarastro à Hollywood qui permettra d'approfondir sa connaissance du cinéaste.

Photographie : Oscar.org et A certain Cinema

(à suivre)

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17/05/2014

H+R G. R.I.P.

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Photographie Keystone

22:34 Publié dans Panthéon | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hr giger |  Facebook |  Imprimer | |

16/05/2014

Les joies du bain : frisson inquiet

La belle Claudie Lange pas très à son aise dans Crossplot (1969) de Alvin Rakoff. Elle y partage la vedette avec Roger Moore et, avant que ce dernier n'endosse le costume de James Bond, avec Bernard Lee, déjà habitué au rôle de "M", patron de 007. Photographie d'exploitation United Artists.

Claudie Lange bain.JPG

14/05/2014

Mais qu'est-ce que je vais bien pouvoir leur raconter ?

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L'angoisse du metteur en scène avant le plan

Sergio Leone et son équipe en pleine attente sur le tournage de Per un pugno di dollari (Pour une poignée de dollars - 1964). Clint Eastwood n'était pas réveillé ? DR

10/05/2014

"Ville Folle", appel à financement participatif

Chers lecteurs, chers visiteurs d'Inisfree, voici une note un peu différente puisque je relaie un appel de l'association Regard Indépendant dont je suis le président. Nous travaillons depuis plusieurs années sur le super 8 et organisons des collections de films en tourné-monté avec des réalisateurs venus de tous horizons.Il y a une partie créative, une partie de formation et une partie diffusion avec l'édition d'un DVD et des projections en argentique.

Pour financer le projet "Ville folle", la collection de 2014, Regard Indépendant se tourne vers le financement participatif. Nous avons déposé le projet sur la plate-forme Touscoprod et nous lançons un appel à tous les contributeurs :

Soutenez le projet et contribuez à mesure de vos moyens, de vos envies.

Soutenez le projet, répandez la nouvelle : le super 8 n'est pas mort, il bande encore !

Il reste moins de 40 jours pour réunir la somme, alors, rendez-vous sur Touscoprod / Ville folle

Ville Folle

Il s'agit d'une série de 30 courts métrages réalisés en super 8 autour du thème : Ville folle.

30 réalisateurs et réalisatrices, 30 univers, fiction, animation, documentaire ou expérimental. Les films seront réalisés en super 8 noir et blanc ou couleur sur le principe du « tourné-monté ». L'utilisation de pellicule argentique permet, outre son rendu inimitable, de découvrir ou retrouver l'intensité de la création cinématographique traditionnelle.

La première des films de la collection Ville folle aura lieu au cours des 16emes Rencontres Cinéma et Vidéo à Nice qui se tiendront en novembre 2014. L'association organisera la diffusion de la collection lors de ses manifestations ainsi qu'une édition en DVD et la mise en ligne sur notre espace Motionmaker sur Dailymotion.

 

Pourquoi le financement participatif ?

Soutenue par le Conseil Général des Alpes Maritimes et la Ville de Nice, l'association Regard Indépendant se tourne vers les coprods de la plate-forme afin d'étoffer son budget et de faire exister cette série de courts métrages.

Le budget est destiné à l'achat des pellicules, l'organisation des tournages, la post-production (développement puis numérisation pour l'édition DVD et sur Internet).

NOUS AVONS BESOIN DE VOUS !

Avec 2000 €, nous initions 12 projets avec nos partenaires libanais du festival Outbox et normands de La Petite Marchande de Films, avec une session de formation à Beyrouth.
Avec 3000 €, nous pouvons assurer une post-production numérique aux Archives Audiovisuelles de Monaco d'une qualité incomparable.

Transmettre, former, développer, accroître la qualité des films, diffuser plus largement les meilleures œuvres, ce sont nos objectifs et c'est le sens de notre démarche pour faire vivre la création en super 8.

Comment participer ?

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Créez un profil avec une simple adresse mail sous votre identité où avec un avatar.

Une gamme de contreparties en proposée selon votre contribution, de 1 à 150 €. Il y en a pour toutes les bourses. Cliquez sur « Produire le projet », choisissez votre niveau de contribution, validez et payez par carte bancaire ou par Paypal.

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Découvrez les films des éditions précédentes sur notre page Dailymotion 

08/05/2014

Relax (la pause après les cavalcades)

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William Berger goûtant un repos bien mérité dans Gli fumavano i colt... lochiamavano Camposanto (Quand les colts fument on l'appelle cimetière - 1971) de Giuliano Carnimeo. DR.

06/05/2014

L'Étranger et le Duc

Gli fumavano le colt... lo chiamavano Camposanto (Quand les colts fument … on l'appelle Cimetière). Un film de Giuliano Carnimeo (1971)

Texte pour Les Fiches du Cinéma / Séquence all'dente

Coups de fouets et chœurs masculins, sifflements et cloches sur fond de guitares déchaînées, la diligence déboule sur la piste poussiéreuse du côté d'Almeria. En fait de diligence, c'est plutôt un de ces wagons baroques comme dans l'ouverture de Giù la testa ! (Il était une fois la révolution - 1971) réalisé par Sergio Leone. Ce sont les premières images enthousiasmantes du western de Giuliano Carnimeo sous pseudonyme d'Anthony Ascott, Gli fumavano le colt... lo chiamavano Camposanto. Un titre religieux à rallonge ici transposé littéralement en français. La mode lancée par Trinità est passée par là et la face du western italien en a été changée. Ce film est sans doute l'un des meilleurs dans cette veine. Carnimeo réussit un cocktail de comédie burlesque et de figures de pistoleros plus classiques, avec un zeste de peones mexicains vêtus de blanc et plus habiles au cuchillo qu'au six-coups. Ce mélange se traduit par paires dans le scénario d'Enzo Barboni, oui le père de Trinità soi-même, ancien chef opérateur doué et désormais réalisateur comblé qui, à priori, devait réaliser le film. Les choses étant ce qu'elles sont dans le petit monde du cinéma populaire italien, C'est Carnimeo qui hérite du film. Inspiré, il multiplie les variations dans le cadre et la composition des scènes en jouant sur la symétrie, les oppositions et le principe du reflet. Sans prétention mais avec plus d'intelligence que l'on pouvait en attendre sur un film tel que celui-ci, de pure distraction, Gli fumavano le colt... lo chiamavano Camposanto est un film d'initiation où les apparences sont souvent trompeuses.

giuliano carnimeo,gianni garko,william berger

Dans la diligence, deux jeunes frères, George et John McIntire reviennent dans l'Ouest au ranch paternel après avoir fini leurs études. Ils sont joués par John Fordyce et Chris Chittell, blondinets évaporés mais sympathiques comme le western italien aime à représenter les jeunes sympathiques. A l'accueil, Sancho et Chico, deux employés de leur père, joués par Ugo Fangareggi et Raimondo Penne qui m'évoquent le duo Franco et Ciccio, tirant leur numéro du côté de la comédie italienne. Autour, deux personnages mystérieux et fascinants : l'étranger, vite surnommé Camposanto (Cimetière) pour sa facilité à le remplir. Gianni Garko n'a pas son écharpe blanche mais reste dans la lignée de ses personnages fétiches, infaillible et toujours là au bon moment. Et puis le Duc, tout aussi redoutable, qui traîne un cache poussière léonien et le regard clair et mélancolique de William Berger. Six personnages plongés dans une contrée sans loi où les méchants bandits terrorisent les braves éleveurs, dont le père McIntire. Bille en tête, les deux frères, malgré le décalage de leurs manières de l'Est et leurs lacunes dans le maniement des armes à feu organisent la résistance. Leur maladresse est compensée par l'aide de l'étranger en noir qui entreprend leur éducation aux rudes réalités de l'Ouest. Le Duc fait lui partie du camp adverse, mercenaire solitaire, mais sa relation ancienne avec l’Étranger brouille les cartes.

Sur cette trame rabâchée, Barboni et Carnimeo s'emploient à d'intéressantes digressions et misent, chose rare, sur les personnages. Comme le verre rétractable du Duc, ceux-ci se révèlent de façon originale. Quelques fleurs sur une tombe et l’Étranger se voit doté d'un passé et d'une motivation au lieu d'être, comme Sartana, une sorte de créature surnaturelle. Une allusion, la profondeur d'un échange de regards, et la relation entre l’Étranger et le Duc prend une piste familiale. Comme dans le Companeros ! (1970) de Sergio Corbucci, le duel final est truqué. Les fréres McIntire vont révéler leur courage en jetant dehors un bandit venu racketter leur père et s'ils n'ont pas de revolver, ils savent se servir de leurs poings. Les deux peones dépassent leur condition de faire-valoir comiques en utilisant les armes qui leur sont naturelles, gourdin et couteau, armes des pauvres et sans doute souvenir du personnage crée par Tomas Milian dans les films de Sergio Sollima. Démultipliée, leur relation maître-élèves avec l’Étranger est proche de celle de Lucky Luke avec Waldo Badminton dans l'album Le pied tendre paru en 1968. Le film de Carnimeo partage l'esprit de la bande-dessinée de Morris et Goscinny, l'humour de ce dernier en particulier avec ce croque mort qui se réjouit de « l'épidémie de colts » , la grand-mère tirant les cactus à cent mètres et le bébé suçant une cartouche pour se calmer. Et je ne vous dirais rien de la scène réjouissante avec Nello Pazzafini avec son sombrero. Gli fumavano le colt... lo chiamavano Camposanto m’apparaît comme la meilleure adaptation à ce jour de l'univers du cow-boy solitaire.

giuliano carnimeo,gianni garko,william berger

Le réalisateur, s'il cède à ses facilités habituelles (et zoome que veux-tu), s'amuse d'effets de double focale et de profondeur de champ (la pièce de monnaie qui tourne lors du duel final) et mène son récit à un rythme soutenu tenu par le montage vif d'Ornella Micheli, une spécialiste du cinéma de genre. La musique enlevée de Bruno Nicolai qui parodie Morricone avec verve emballe le tout. Que demande le peuple ? Rien. Tout est bien. Carnimeo garde avec aisance l'équilibre entre comédie, farce (l'inévitable bagarre au saloon) et action, sans renoncer comme dans les Trinità à la violence (on tue beaucoup de monde comme dans les westerns sérieux), et avec quelques pointes d'émotion que le charisme de Garko et Berger, héros comme nous voudrions l'être, rend crédibles, et achève de rendre ce film réjouissant dans ses limites. L'édition proposée par Artus est une nouvelle fois digne d'éloges, belle copie en Scope respecté, version originale, intervention de l'incontournable Curd Ridel et, jolie cerise sur le gâteau all'dente, un entretien avec Giuliano Carnimeo et Gianni Garko.

Photographies DR. Source Spaghetti western database

Canonnépar Manchec sur Abordages

A lire chez le bon Dr Orlof

A lire sur Écran Bis

04/05/2014

Dynamite Joe

Joe l'implacabile (Dynamite Joe). Un film de Antonio Margheriti (1967)

Texte pour Les fiches du Cinéma / Séquence all'dente

Je me demande souvent dans quelle mesure les promoteurs du western italien, producteurs, réalisateurs et scénaristes, étaient lecteurs des aventures de Lucky Luke, le cow-boy solitaire créé par Morris et René Goscinny (que leur nom soit loué pour les siècles à venir). E poi lo chiamarono il magnifico (1972) de Enzo Barboni est très inspiré de l'album Le pied tendre et Gli fumavano le colt... lo chiamavano Camposanto (Quand les colts fument , on l'appelle Cimetière – 1971) de Giuliano Carnimeo alias Anthony Ascott, est une belle adaptation de l'ambiance des aventures de l'homme qui tire plus vite que son ombre tout en reprenant quelques gags. Les exploits balistiques, puisque l'on en parle, des Ringo, Blondin, Sartana et Sabata sont du même ordre fantasmatique que ceux du héros de papier. On retrouve des similitudes stylistique, que ce soit dans les cadrages parfois baroques, les découpages de scènes qui dilatent le temps et multiplient les points de vue d'une action. Belge, Morris était un fervent admirateur du western américain comme l'étaient nombre des maîtres du western all'italiana, Leone et Corbucci en tête. Ils avaient grandit avec. Et puis passé un moment, peut être sous l'influence de la plume de Goscinny, la bande-dessinée a puisé à son tour dans le nouveau western européen avec le fameux Eliot Belt qui emprunte les traits de Lee Van Cleef dans l'hommage direct Le chasseur de primes publié en 1972. La boucle est bouclée.

antonio margheriti

Joe l'implacabile alias Dynamite Joe en français, plaisant western réalisé par Antonio Margheriti en 1967 est une pièce de choix pour nourrir cette réflexion. Des convois d'or sont régulièrement attaqués. Le gouvernement fait alors appel à un spécialiste pour résoudre le problème. La scène qui présente notre héros faisant irruption de façon explosive dans un aréopage de sénateurs est tout à fait dans l'esprit de la bande dessinée, tout comme le principe de la scène d'introduction, où Luke est chargé d'escorter le Grand Duc, terminer le fil qui chante ou guider une expédition vers les collines noires. Le scénario signé María del Carmen Martínez Román (spécialiste à qui l'on doit celui de l'exceptionnel Se sei vivo spara (Tire encore si tu peux – 1967) de Giulio Questi) enchaîne ensuite dans la décontraction la plus totale des péripéties humoristiques et mouvementées où Joe, toujours tiré à quatre épingles, se tire avec brio de toutes les situations à l'aide de son arme fétiche, la dynamite (d'où son surnom si vous voulez mon avis). C'est léger, bien fait (musique entraînante de Carlo Savina, photographie soignée de Manuel Merino collaborateur de Jess Franco), vite vu et facilement oublié mais procure indéniablement un plaisir instantané non négligeable. Il y a quelques jolies scènes comme cette attaque de fort défendu par Joe et une troupe de jolies filles de saloon. De ce point de vue, le film est assez sexy et la grande faiblesse de notre héros reste son attrait pour la gent féminine incarnées ici par les belles Halina Zalewska (vue dans quelques fleurons du cinéma populaire notamment aux côté de Barbara Steele dans du gothique) et Mercedes Castro (c'est son premier film).

antonio margheriti

Le climax du film est une scène d'inondation spectaculaire quoique incongrue dans ces contrées désertiques, cataclysme provoqué par Joe et sa... dynamite, oui. On y retrouve le goût du metteur en scène, Antonio Margheriti pour les effets spéciaux et en particulier les miniatures. On retrouve l'image étrangement décompressée en format large Techniscope, lors de la ruée des eaux, que l'on avait notée lors de l'explosion finale du train de Giù la testa (Il était une fois la révolution – 1971) de Sergio Leone dont Margheriti avait assuré les effets. C'est un aspect du travail de cinéma qui l'a toujours passionné. Avant Joe l'implacabile, Margheriti a réalisé quelques fleurons du fantastique gothique, de la science fiction et des films d'espionnage. De fait ce western est aussi très inspiré par le succès des James Bond (la mission, le rapport aux femmes, la diligence en or) et sa vedette est le hollandais Rick Van Nutter qui venait de tenir le rôle de Felix Leiter, le collègue de la CIA de Bond dans Thunderball (1965). Van Nutter a le sourire et la prestance qui collent au rôle, pas plus mais c'est suffisant. Margheriti fera deux westerns qui assureront sa renommée dans le genre : Joko invoca Dio... e muori (Avec Django, la mort est là – 1968), quelque peu surestimé, et E Dio disse a Caino (Et le vent apporta la violence – 1970), tous les deux dans des tonalités nettement plus sombres. Sous ses dehors plus légers, Joe le dynamiteur, à la croisée de Lucky Luke et de James Bond, vaut le coup d'œil.

Photographies DR

02/05/2014

Sartana ou l’ange de la mort du western à l’italienne

Buon funerale amigos... paga Sartana (Bonnes funérailles, amis, Sartana paiera). Un film de Giuliano Carnimeo (1970)

Texte pour Les Fiches du Cinéma/ Séquence all'dente

Vêtu de noir avec élégance, Sartana est un vengeur quasi surnaturel, habile aux armes au-delà de toute expression. Il possède un sixième sens pour repérer les coups fourrés de ses innombrables ennemis. Insaisissable, il surgit du néant là où se déchaîne le mal et dans un cri de mort, d’une traînée de poudre, il laisse derrière lui une rangée de cadavres. Tel est Sartana le fossoyeur, l’Ankou du Far-west, précis et ordonné, il fait place nette. Impassible, il ne manque pourtant pas d’humour, noir bien sûr, une ombre de sourire sous sa fine moustache. Séducteur irrésistible, il fait frémir les belles de l’Ouest mais n’est jamais dupe de leurs ruses. Bricoleur, il emprunte à James Bond son goût du gadget mortel : cartes à jouer tranchantes, pantin explosif, orgue à malices, revolvers truqués qui ont toujours un coup de plus pour lui donner le dernier mot. Il méprise l’argent sans le négliger et s’il lui court après, il peut le livrer aux flammes sans ciller. A la fin, il repart, solitaire. Tout à coup, il n’est plus là. Il est Sartana.

giuliano carnimeo

Ce fascinant personnage a été créé par le scénariste Renato Izzo et le réalisateur Gianfranco Parolini en 1968, incarné par George Hilton et surtout Gianni Garko dans cinq films aux titres à rallonge, macabres et amusants, et mis en scène, après Parolini pour le premier opus, par Giuliano Carnimeo sous le pseudonyme d’Anthony Ascott. Carnimeo est un réalisateur intéressant dans le paysage du western transalpin. Il a réussi à développer un style particulier à un moment où le genre entre en décadence avec l'explosion de la veine parodique initiée par la série des Trinità. Carnimeo maintient quelques années un équilibre entre le sérieux des classiques et l'humour décontracté des modernes. Il allie une certaine exigence formelle et une mise en scène parfois inspirée à quelques facilités et, il faut le dire, un usage agaçant du zoom. Tirant le meilleur parti du charisme de comédiens qui s'amusent beaucoup, son bilan reste globalement positif, faisant de lui le réalisateur le plus intéressant du début des années 70 dans le genre.

Buon funerale amigos... paga Sartana est le troisième film de la série signé par Carnimeo en 1970. Tout commence par l’assaut nocturne d'une cabane et le meurtre de ses occupants. Mais les tueurs ne savourent pas longtemps leur forfait. Sartana surgit sur fond d’incendie et élimine prestement la bande. Comme dans les films de James Bond, le récit importe peu. Ce qui compte, ce sont les péripéties, les rebondissements dans l'esprit du sérial, le mélange d'humour et d'action pimenté d'un peu de violence et d'érotisme (léger, l'érotisme). Moins que du suspense, la réalisation crée une connivence entre le héros et le spectateur qui n'attend pas de voir si le sombre vengeur va s'en sortir mais comment il va s'y prendre, avec quelle diabolique élégance il va se jouer de ses ennemis, ponctuant le tout d'une savoureuse ligne de dialogue. Le film vaut donc pour le pittoresque des situations et des caractères : le banquier et son livre piégé, le shérif corrompu, le vieux croque-mort amusant, le propriétaire de saloon chinois façon Fu-Manchu qui sait jouer du sabre, la belle nièce un rien vénale... Sa réussite tient à celle de ses composants, le travail de Stelvio Massi à la photographie (plus tard, il passera à la réalisation dans le polar), remarquable sur les ambiances nocturnes qui font entrer du fantastique dans le western et la richesse du technicolor sur les rouges, les ors et les bleus ; la musique du spécialiste Bruno Nicolai avec son thème imparable pour guitare et chœurs ; et la mise en scène de Carnimeo qui accumule, au risque plus tard de l’essoufflement, l'action et l'humour sur un tempo enlevé orchestré par la monteuse Giuliana Attenni, une spécialiste de la comédie. Au final, Buon funerale amigos... paga Sartana est un spectacle aussi équilibré que jouissif.

giuliano carnimeo

Sartana ne serait pas tout à fait Sartana sans son interprète, Gianni « John » Garko, acteur d'origine croate, élégant et racé, l’œil clair dans lequel traîne un rien de mélancolie, capable de porter des moustaches très diverses. Il apporte à ses personnages du charme et de l'assurance. Après une série de petits rôles, par exemple dans le Kapò (1959) de Gillo Pontecorvo, il explose avec le western en trouvant une voie entre Clint Eastwood et Franco Nero. Sa création de Sartana le fait entrer dans la mythologie du genre. Autour de lui, la distribution est composée d'habitués, Franco Ressel, Ivano Staccioli, Franco Pesce en « old timer » rigolo. George Wang compose un chinois comme on en trouve chez Lucky Luke, un rôle qu'il tient souvent avec une délectation visible. Les belles Helga Linè et Daniela Giordano apportent un peu de féminité dans cet univers très masculin, mais sans faire beaucoup d'étincelles. La première a peut être un rôle plus intéressant, cédant à la panique après avoir, vainement, tenté de séduire notre héros. Tout le monde joue le jeu avec conviction et leur plaisir est communicatif. Gianni Garko reprendra une dernière fois le rôle titre derrière un orgue bien particulier, mais ceci est une autre histoire.

Photographies : Artus films et DR.

A lire chez le bon Dr Orlof

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