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06/05/2014
L'Étranger et le Duc
Gli fumavano le colt... lo chiamavano Camposanto (Quand les colts fument … on l'appelle Cimetière). Un film de Giuliano Carnimeo (1971)
Texte pour Les Fiches du Cinéma / Séquence all'dente
Coups de fouets et chœurs masculins, sifflements et cloches sur fond de guitares déchaînées, la diligence déboule sur la piste poussiéreuse du côté d'Almeria. En fait de diligence, c'est plutôt un de ces wagons baroques comme dans l'ouverture de Giù la testa ! (Il était une fois la révolution - 1971) réalisé par Sergio Leone. Ce sont les premières images enthousiasmantes du western de Giuliano Carnimeo sous pseudonyme d'Anthony Ascott, Gli fumavano le colt... lo chiamavano Camposanto. Un titre religieux à rallonge ici transposé littéralement en français. La mode lancée par Trinità est passée par là et la face du western italien en a été changée. Ce film est sans doute l'un des meilleurs dans cette veine. Carnimeo réussit un cocktail de comédie burlesque et de figures de pistoleros plus classiques, avec un zeste de peones mexicains vêtus de blanc et plus habiles au cuchillo qu'au six-coups. Ce mélange se traduit par paires dans le scénario d'Enzo Barboni, oui le père de Trinità soi-même, ancien chef opérateur doué et désormais réalisateur comblé qui, à priori, devait réaliser le film. Les choses étant ce qu'elles sont dans le petit monde du cinéma populaire italien, C'est Carnimeo qui hérite du film. Inspiré, il multiplie les variations dans le cadre et la composition des scènes en jouant sur la symétrie, les oppositions et le principe du reflet. Sans prétention mais avec plus d'intelligence que l'on pouvait en attendre sur un film tel que celui-ci, de pure distraction, Gli fumavano le colt... lo chiamavano Camposanto est un film d'initiation où les apparences sont souvent trompeuses.
Dans la diligence, deux jeunes frères, George et John McIntire reviennent dans l'Ouest au ranch paternel après avoir fini leurs études. Ils sont joués par John Fordyce et Chris Chittell, blondinets évaporés mais sympathiques comme le western italien aime à représenter les jeunes sympathiques. A l'accueil, Sancho et Chico, deux employés de leur père, joués par Ugo Fangareggi et Raimondo Penne qui m'évoquent le duo Franco et Ciccio, tirant leur numéro du côté de la comédie italienne. Autour, deux personnages mystérieux et fascinants : l'étranger, vite surnommé Camposanto (Cimetière) pour sa facilité à le remplir. Gianni Garko n'a pas son écharpe blanche mais reste dans la lignée de ses personnages fétiches, infaillible et toujours là au bon moment. Et puis le Duc, tout aussi redoutable, qui traîne un cache poussière léonien et le regard clair et mélancolique de William Berger. Six personnages plongés dans une contrée sans loi où les méchants bandits terrorisent les braves éleveurs, dont le père McIntire. Bille en tête, les deux frères, malgré le décalage de leurs manières de l'Est et leurs lacunes dans le maniement des armes à feu organisent la résistance. Leur maladresse est compensée par l'aide de l'étranger en noir qui entreprend leur éducation aux rudes réalités de l'Ouest. Le Duc fait lui partie du camp adverse, mercenaire solitaire, mais sa relation ancienne avec l’Étranger brouille les cartes.
Sur cette trame rabâchée, Barboni et Carnimeo s'emploient à d'intéressantes digressions et misent, chose rare, sur les personnages. Comme le verre rétractable du Duc, ceux-ci se révèlent de façon originale. Quelques fleurs sur une tombe et l’Étranger se voit doté d'un passé et d'une motivation au lieu d'être, comme Sartana, une sorte de créature surnaturelle. Une allusion, la profondeur d'un échange de regards, et la relation entre l’Étranger et le Duc prend une piste familiale. Comme dans le Companeros ! (1970) de Sergio Corbucci, le duel final est truqué. Les fréres McIntire vont révéler leur courage en jetant dehors un bandit venu racketter leur père et s'ils n'ont pas de revolver, ils savent se servir de leurs poings. Les deux peones dépassent leur condition de faire-valoir comiques en utilisant les armes qui leur sont naturelles, gourdin et couteau, armes des pauvres et sans doute souvenir du personnage crée par Tomas Milian dans les films de Sergio Sollima. Démultipliée, leur relation maître-élèves avec l’Étranger est proche de celle de Lucky Luke avec Waldo Badminton dans l'album Le pied tendre paru en 1968. Le film de Carnimeo partage l'esprit de la bande-dessinée de Morris et Goscinny, l'humour de ce dernier en particulier avec ce croque mort qui se réjouit de « l'épidémie de colts » , la grand-mère tirant les cactus à cent mètres et le bébé suçant une cartouche pour se calmer. Et je ne vous dirais rien de la scène réjouissante avec Nello Pazzafini avec son sombrero. Gli fumavano le colt... lo chiamavano Camposanto m’apparaît comme la meilleure adaptation à ce jour de l'univers du cow-boy solitaire.
Le réalisateur, s'il cède à ses facilités habituelles (et zoome que veux-tu), s'amuse d'effets de double focale et de profondeur de champ (la pièce de monnaie qui tourne lors du duel final) et mène son récit à un rythme soutenu tenu par le montage vif d'Ornella Micheli, une spécialiste du cinéma de genre. La musique enlevée de Bruno Nicolai qui parodie Morricone avec verve emballe le tout. Que demande le peuple ? Rien. Tout est bien. Carnimeo garde avec aisance l'équilibre entre comédie, farce (l'inévitable bagarre au saloon) et action, sans renoncer comme dans les Trinità à la violence (on tue beaucoup de monde comme dans les westerns sérieux), et avec quelques pointes d'émotion que le charisme de Garko et Berger, héros comme nous voudrions l'être, rend crédibles, et achève de rendre ce film réjouissant dans ses limites. L'édition proposée par Artus est une nouvelle fois digne d'éloges, belle copie en Scope respecté, version originale, intervention de l'incontournable Curd Ridel et, jolie cerise sur le gâteau all'dente, un entretien avec Giuliano Carnimeo et Gianni Garko.
Photographies DR. Source Spaghetti western database
Canonnépar Manchec sur Abordages
A lire chez le bon Dr Orlof
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10:59 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : giuliano carnimeo, gianni garko, william berger | Facebook | Imprimer | |
Commentaires
Bonjour Vincent. Le seul contact que j'aie jamais eu avec Carnimeo remonte à mes 12 ans: découverte de la VHS de Ratman enduite de poussière dans une brocante et achat immédiat. L'affiche et les images au dos de la jaquette promettent (ça semble fort gore !)... et la déception en fut ça de plus grande, même pour un préado encore bien magnanime ! À 12 ans c'est simplement très mauvais. Mais en en revoyant des extraits çà et là sur la Toile ("pour rigoler"), on se dit que c'est un film mauvais, épars, constamment sur- ou sous-éclairé, sentant à plein nez l'agonie du cinéma bis transalpin (il fut tourné en 1988 si je ne m'abuse, je crois d'ailleurs qu'il s'agit d'une des dernières bandes du sieur Carnimeo) et qui vaut plus pour son casting que son contenu: en effet, un véritable "acteur" de plusieurs dizaines de centimètres tout au plus a été utilisé pour le rôle-titre, ce qui, avouons-le, confère au film un semblant de cachet.
Tout ça pour dire que votre texte fait fort envie. Je tâcherai de me procurer un ou deux de ces westerns de Carnimeo dont vous vantez les mérites, histoire d'oublier ce premier abord de sinistre mémoire.
Écrit par : Dédé | 25/05/2014
Bonsoir. Pour ma part je l'ai découvert assez récemment, avec certains films où jouait Edwige Fenech (un giallo et un polar assez réussis) puis avec ses westerns. Je sais qu'il a commis des choses assez atroces, dans la comédie érotique et dans les "post nukes" qui correspondent à cette période d'effondrement du cinéma de genre italien que vous évoquez. Il suit hélas la pente très savonneuse suivie par nombre de ses confrères. Je me suis donc contenté d'extraits pour "Les Exterminateurs de l'an 3000". "Ratman", je me souviens en avoir entendu parler, une variation je crois sur le film de Sondra Locke "Ratboy", produit par Eastwood. Ça me rend curieux.
Écrit par : Vincent | 25/05/2014
Je n'ai pas eu l'honneur de voir Ratboy mais je vous rappelle que dans certains cas, la curiosité est un vilain défaut !
Écrit par : Dédé | 26/05/2014
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