Sartana ou l’ange de la mort du western à l’italienne (02/05/2014)
Buon funerale amigos... paga Sartana (Bonnes funérailles, amis, Sartana paiera). Un film de Giuliano Carnimeo (1970)
Texte pour Les Fiches du Cinéma/ Séquence all'dente
Vêtu de noir avec élégance, Sartana est un vengeur quasi surnaturel, habile aux armes au-delà de toute expression. Il possède un sixième sens pour repérer les coups fourrés de ses innombrables ennemis. Insaisissable, il surgit du néant là où se déchaîne le mal et dans un cri de mort, d’une traînée de poudre, il laisse derrière lui une rangée de cadavres. Tel est Sartana le fossoyeur, l’Ankou du Far-west, précis et ordonné, il fait place nette. Impassible, il ne manque pourtant pas d’humour, noir bien sûr, une ombre de sourire sous sa fine moustache. Séducteur irrésistible, il fait frémir les belles de l’Ouest mais n’est jamais dupe de leurs ruses. Bricoleur, il emprunte à James Bond son goût du gadget mortel : cartes à jouer tranchantes, pantin explosif, orgue à malices, revolvers truqués qui ont toujours un coup de plus pour lui donner le dernier mot. Il méprise l’argent sans le négliger et s’il lui court après, il peut le livrer aux flammes sans ciller. A la fin, il repart, solitaire. Tout à coup, il n’est plus là. Il est Sartana.
Ce fascinant personnage a été créé par le scénariste Renato Izzo et le réalisateur Gianfranco Parolini en 1968, incarné par George Hilton et surtout Gianni Garko dans cinq films aux titres à rallonge, macabres et amusants, et mis en scène, après Parolini pour le premier opus, par Giuliano Carnimeo sous le pseudonyme d’Anthony Ascott. Carnimeo est un réalisateur intéressant dans le paysage du western transalpin. Il a réussi à développer un style particulier à un moment où le genre entre en décadence avec l'explosion de la veine parodique initiée par la série des Trinità. Carnimeo maintient quelques années un équilibre entre le sérieux des classiques et l'humour décontracté des modernes. Il allie une certaine exigence formelle et une mise en scène parfois inspirée à quelques facilités et, il faut le dire, un usage agaçant du zoom. Tirant le meilleur parti du charisme de comédiens qui s'amusent beaucoup, son bilan reste globalement positif, faisant de lui le réalisateur le plus intéressant du début des années 70 dans le genre.
Buon funerale amigos... paga Sartana est le troisième film de la série signé par Carnimeo en 1970. Tout commence par l’assaut nocturne d'une cabane et le meurtre de ses occupants. Mais les tueurs ne savourent pas longtemps leur forfait. Sartana surgit sur fond d’incendie et élimine prestement la bande. Comme dans les films de James Bond, le récit importe peu. Ce qui compte, ce sont les péripéties, les rebondissements dans l'esprit du sérial, le mélange d'humour et d'action pimenté d'un peu de violence et d'érotisme (léger, l'érotisme). Moins que du suspense, la réalisation crée une connivence entre le héros et le spectateur qui n'attend pas de voir si le sombre vengeur va s'en sortir mais comment il va s'y prendre, avec quelle diabolique élégance il va se jouer de ses ennemis, ponctuant le tout d'une savoureuse ligne de dialogue. Le film vaut donc pour le pittoresque des situations et des caractères : le banquier et son livre piégé, le shérif corrompu, le vieux croque-mort amusant, le propriétaire de saloon chinois façon Fu-Manchu qui sait jouer du sabre, la belle nièce un rien vénale... Sa réussite tient à celle de ses composants, le travail de Stelvio Massi à la photographie (plus tard, il passera à la réalisation dans le polar), remarquable sur les ambiances nocturnes qui font entrer du fantastique dans le western et la richesse du technicolor sur les rouges, les ors et les bleus ; la musique du spécialiste Bruno Nicolai avec son thème imparable pour guitare et chœurs ; et la mise en scène de Carnimeo qui accumule, au risque plus tard de l’essoufflement, l'action et l'humour sur un tempo enlevé orchestré par la monteuse Giuliana Attenni, une spécialiste de la comédie. Au final, Buon funerale amigos... paga Sartana est un spectacle aussi équilibré que jouissif.
Sartana ne serait pas tout à fait Sartana sans son interprète, Gianni « John » Garko, acteur d'origine croate, élégant et racé, l’œil clair dans lequel traîne un rien de mélancolie, capable de porter des moustaches très diverses. Il apporte à ses personnages du charme et de l'assurance. Après une série de petits rôles, par exemple dans le Kapò (1959) de Gillo Pontecorvo, il explose avec le western en trouvant une voie entre Clint Eastwood et Franco Nero. Sa création de Sartana le fait entrer dans la mythologie du genre. Autour de lui, la distribution est composée d'habitués, Franco Ressel, Ivano Staccioli, Franco Pesce en « old timer » rigolo. George Wang compose un chinois comme on en trouve chez Lucky Luke, un rôle qu'il tient souvent avec une délectation visible. Les belles Helga Linè et Daniela Giordano apportent un peu de féminité dans cet univers très masculin, mais sans faire beaucoup d'étincelles. La première a peut être un rôle plus intéressant, cédant à la panique après avoir, vainement, tenté de séduire notre héros. Tout le monde joue le jeu avec conviction et leur plaisir est communicatif. Gianni Garko reprendra une dernière fois le rôle titre derrière un orgue bien particulier, mais ceci est une autre histoire.
Photographies : Artus films et DR.
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