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11/01/2011

Fascination

Rien de mieux pour rendre hommage à un réalisateur disparu que de découvrir un de ses films. A une époque qui me semble terriblement lointaine, je trouvais toujours une sorte de consolation aux diffusions exceptionnelles sur le petit écran qui venaient bousculer le sage ordonnancement des programmes pour saluer un artiste et son œuvre. Je n'ai rien vu passer sur Blake Edwards, je peux me tromper, mais j'imagine avec un sourire sardonique une diffusion en première partie de soirée, y compris sur ARTE, des Raisins de la mort (1980) ou de La morte vivante (1982) de Jean Rollin. Comme on ne peut compter que sur soi même, je me suis fait ma propre veillée funèbre (Comme l'a joliment écrit Ludovic, j'avais encore envie de rester un peu avec Jean) en découvrant Fascination tourné en 1979. Et je vous assure qu'une telle veillée à plus à voir avec celles filmées par John Ford ou chantées par Georges Brassens qu'à autre chose.

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Conte fantastique, poétique, érotique et un poil anarchiste, Fascination jouit d'une réputation excellente au sein de l'œuvre rollinienne. C'est sans doute l'un de ses plus accessibles car l'un des plus équilibrés entre les habituelles contraintes économiques auxquelles le réalisateur était soumis (budget, temps de tournage, distribution, scénario) et ses ambitions formelles. Équilibre du rythme, le film a le juste tempo sans rien sacrifier à la composition des plans sur la longueur, contemplatifs souvent, laissant diffuser l'étrange. Équilibre de l'interprétation, pus homogène qu'ailleurs, dont le style particulier de jeu souvent dilettante, s'accommode bien du décalage temporel (le film se déroule au début du XXe siècle). Équilibre des décors, superbe château isolé dans une non moins superbe campagne traversée de brumes du plus bel effet, dont on ressent l'humidité, la fraicheur. Cadre hors du temps. Le huis-clos justifie la simplicité et permet à Jean Rollin d'exploiter au maximum ses faibles ressources : le pont photogénique, l'écurie, l'abattoir au début, le vieux moulin à la fin.

Les quatre premiers plans contiennent tout l'univers de leur auteur. Une ancienne peinture, un chandelier, un énorme grimoire aux gravures occultes, deux mains fines et blanches, féminines, aux poignets ornées de dentelle fragile, blanche, caressant la couverture et le parchemin des pages. Goût des belles choses anciennes, présence d'un monde au delà du rideau des choses matérielles auquel se heurte notre vision. Sensualité et goût des belles femmes, de leur douceur associée à une sorte de fièvre, tout cela dans un simple mouvement de la main. Comme avec les premières mesures d'un morceau de Ravel, nous sommes immédiatement plongés dans un univers à nul autre pareil. A chacun de choisir de le rejeter ou de s'y abandonner.

Suite à un vol qui a mal tourné, Marc trahit ses complices et file avec le butin. Poursuivi, il trouve refuge dans un étrange château où il est accueilli par deux ravissantes demoiselles. Tandis que les ex-complices encerclent la bâtisse Marc est le jouet des séductions d'Éva et Élisabeth, otages plus ou moins consentantes, préparant pour la nuit une étrange réunion féminine. Traitant l'articulation de ses péripéties par dessus la jambe, Rollin joue les variations dans les rapports entre ses personnages, faisant exploser des accès de violence et d'érotisme. Les uns comme les autres renversent les positions de protagonistes, tour à tour victimes ou bourreaux, dominants ou dominés. Je me suis fait la réflexion que, d'une certaine façon, Rollin est ici proche d'un Sergio Leone, jouant sur les codes et les attentes, s'amusant à les satisfaire là où on ne les attend pas. Il progresse par scène, chacune sur son rythme propre, possédant un tempo propre et s'emboîtant dans un ensemble plus lâche et plus libre. Ce qui compte, c'est la beauté et l'insolite du cadre, la saisie de la poésie de l'instant, la puissance visuelle de l'image et des associations visuelles. Le plus fameux dans Fascination, c'est l'élimination impitoyable du groupe des truands par une Éva, personnifiée par Brigitte Lahaie, armée d'une faux et vêtue seulement d'une vaste cape noire et de bottes rouges. Lors de son duel avec la femme du groupe sur le pont qui mène au château, elle est sciemment filmée comme Clint Eastwood sous l'œil du maestro italien (découpage, gros plans). Les scènes purement érotiques sont traitées de la même manière. Attendues, c'est une exigence des producteurs, ces passages surprennent par leur mélange de sensualité et de retenue. Rollin privilégie encore une fois le découpage, le jeu sur la durée et les gros plans, s'attardant sur un détail, un geste, ou se focalisant sur un visage, créant des visions d'un érotisme unique en son genre. Il est aidé sur ce plan par ses actrices d'une grande beauté, aussi troublantes nues que sous leurs voiles diaphanes ou leurs tenues sophistiquées façon 1900. Brigitte Lahaie en particulier a une aisance physique (marcher nue, c'est pas simple), qui compense un jeu pas toujours assuré et contraste par son côté très charnel (rondeurs musclées, seins sublimes) avec Franca Mai qui joue Élisabeth, plus éthérée, fragile ; et Fanny Magier dans le rôle d'Hélène, maîtresse femme rigide.

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A tout ceci s'ajoute , discrètement, une dimension politique, vision surréaliste et fantastique de la lutte des classes. Le gang a l'allure d'une bande à Bonnot au petit pied, arborant le foulard des apaches (les parisiens, pas ceux de l'Arizona) et utilisant leur langage, ce qui donne des dialogues plutôt amusants quoique peu naturels. Ils rêvent d'ascension sociale et aiment s'en prendre aux « bourgeois » : symboliquement, leur chef intervertit les rôles de sa compagne et d'Éva en donnant les vêtements « de riche » de la seconde à la première, amenant Éva à révéler sa nature réelle quand après le viol, elle élimine le truand puis revêt sa fameuse cape. Ce rêve prolétaire sera sanctionné par la mort. Impitoyable société. Les deux héroïnes sont clairement identifiées comme deux domestiques un peu particulières qui s'ébattent en liberté restreinte dans la demeure abandonnée de leurs mystérieuses patronnes. Quand celles-ci surviennent, elles n'hésitent pas à les sacrifier à leurs besoins. La symbolique du sang, utilisé pour préserver la beauté comme dans la légende de la comtesse Bathory (Rollin s'inspire aussi des traitements contre l'anémie à base de sang de bœuf, directement bu à l'abattoir, qui avaient cours à l'époque), peut relever d'une lecture marxiste et ironique, le sang du peuple abreuvant les possédants. Lecture troublée par la puissance de l'érotisme quand Rollin filme en gros plan Franca Mai humectant ses lèvres. L'affection de Rollin va à ses héroïnes rêvant de liberté et d'amour fou.

Le DVD

L'avis du bon Dr Orlof

Et celui du Dr Franc N Furter

Sur Gotterdammerung (en anglais)

Photographies Mondes étranges

13:00 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : jean rollin |  Facebook |  Imprimer | |

Commentaires

Très juste évocation de ce film envoûtant. Je me souviens de la séquence, très belle, où le bandit en fuite pénètre pour la première fois dans le château, après avoir aperçu brièvement la silhouette des deux femmes par une fenêtre.

Écrit par : Ludovic | 11/01/2011

Ta critique est nettement meilleure que celle du sévère Dr Orlof à qui je vais dire deux mots de ce pas !
Sérieusement, tu m'as redonné envie de voir ce film dont je garde paradoxalement un bon souvenir (je ne dis pas ça parce que le cinéaste vient de disparaître : j'avoue ne pas avoir envie de revoir certaines de ses œuvres que je considère comme ratées : "La morte vivante" ou "la nuit des traquées", par exemple).
En relisant mon texte, je me rends compte que les défauts pointés dans la première partie ne me paraissent plus aussi importants aujourd'hui et que ce que j'écris dans la seconde représente vraiment ce qu'est le cinéma de Rollin et pourquoi il me semble précieux.

Écrit par : Dr Orlof | 12/01/2011

L'un d'entre vous a-t-il vu La nuit des horloges ?

Écrit par : Ludovic | 12/01/2011

Ludovic, merci et, oui, j'ai vu cet avant-dernier film, je l'ai même programmé à Nice ce qui nous a permis d'inviter Jean Rollin. Je n'avais finalement pas écris sur ce film, assez différent de ce qu'il faisait d'habitude, mais il m'a donné l'envie de me replonger dans son travail.
Doc, tire lui les oreilles de ma part :) En fait, je pense que les films de Rollin sont souvent sur la corde raide et, selon son humeur, on penche d'un côté ou de l'autre. Les défauts que tu pointes, la direction d'acteurs par exemple, me semblent justifiés, mais comme disons chez Argento ou Fulci, ça peut passer si on se focalise sur autre chose, la poésie des images ou l'atmosphère. Parfois, dans le cinéma de genre, je me dis que ça fait partie du charme.

Écrit par : Vincent | 12/01/2011

L'avis du bon Mariaque fut, en son temps, celui-ci:

Si l’on s’en tient à la dimension calendaire, le « gros morceau » de la carrière dans le X de Brigitte Lahaie, ne dura pas plus de trois ans (77-80). Ce n’est pas pour autant que, poursuivant ses efforts dans un cinéma dit « plus traditionnel » (mais peut-on décemment considérer un film comme Te Marre Pas, C’est Pour Rire (1982, avec Aldo Maccione et... Chantal Nobel) comme parfaitement « traditionnel » ?), lui fut permis de passer un chandail: Non, Bribri, garde donc les seins à l’air qu’on te reconnaisse (et qu’on t’en soit reconnaissant). Ainsi, même le bien peu grivois Henri Verneuil (dans I… Comme Icare) ne fera pas l’économie d’un plan mammairesquement identifiable, une fois la pauvresse tragiquement pendue, sans qu'Yves Montand ait pu faire quoi que ce soit pour la sauver.
Nulle surprise dés lors à considérer qu’un monsieur comme Jean Rollin, qui fit tourner à la blonde du Nord l’un de ses tous premiers films X* (la même année qui vit Jean-François Davy et Jean-Marc Pallardy, deux autres prototypes d’ « intellos du cul », l’employer également), se souvienne donc de la jeune Van Meerhaegue pour incarner nombre de succubes et autres vampires, saphiques le plus souvent, dans certaines de ses productions (enfin celles de Joe de Palmer**, producteur et réalisateur du Poker Partouze urophile de Catherine Ringer (1981)***) ayant un mal de chien à comprendre qu’une actrice de X n’est pas «nécessairement» une pute ****!).
Rollin, l’un des premiers français à, sur les pas évidents d’un Franju, proposer une idée française de cinéma fantastique (il est au réalisateur du Sang des Bêtes ce qu'Ed Wood était à Orson Welles, pourrait-on dire), emprunt d’une certaine poésie et souvent relié à un (sommaire) tableau social (ses Raisins de la Mort sont ainsi une manière de brûlot écologique) se montre ici sans doute à son meilleur (le jeu est moins approximatif qu’à l’accoutumée(même si l’ingénuité souhaitée des jeunes filles dans la première moitié, tout en « dodelinement d’épaules » et regards « par en dessous », frise un ridicule certain) et l’atmosphère mieux campée (épatants plans inauguraux, qu’on perd hélas par la suite), et confirme son chic pour rassembler des demoiselles autant assoiffées de lucre que de gamètes (ici à la « manière » Barthory) dans des manoirs ou châteaux (procédé repris au X ?) qui s’offrent comme autant de tombeaux pour le visiteur qui ne manque jamais de succomber, d’une manière ou d’une autre (souvent les deux !).
Toujours à mi-chemin entre une discrète exploitation (nubilesploitation ? horror softies ?) héritée des premières (et plus agressives) heures du gore HGLewisien, et une possible prétention auteurisante soixantehuitarde, le réalisateur a toujours été synonyme de pourvoyeur stakhanoviste (le rythme X ?) en nanars ennuyeux pour certains et de poète érotico-surréaliste pour les autres (souvent hors hexagone !). Fascination ne rassemblera pas les deux écoles.


* Vibrations Sexuelles, 1976.
** Présent à l’écran, dans le rôle d’un des « apaches ».
*** Mais aussi des peu équivoques Défonce-Moi Chéri (1982),
Ma Culotte Est Mouillée ou Bourre-Moi le Cul (1983 pour les deux, riche année !)
**** Brigitte devra maintes fois le repousser d’autorité !

Écrit par : mariaque | 13/01/2011

Merci, Mariaque, pour ces superbes mots clefs qui vont exploser mes statistiques :)
Je me souviens maintenant de votre texte (et du jeu). Je ne sais pas pourquoi il n'est pas ressortit lors de mes petites recherches sur la Toile. Sur le fond, je pense que nous sommes sur la même longueur d'onde. Brigitte forever !

Écrit par : Vincent | 14/01/2011

Bonjour,

J'ai vu votre lien vers les Mondes Etranges : merci ! Et félicitations pour votre blog, intéressant et très éclectique (à la différence du mien).

N'hésitez pas à en mettre d'autres, par exemple lorsque vous n'avez pas encore rédigé votre propre chronique (par exemple pour Christine de Carpenter), voire dans votre partie "salles obscures".

Et si vous voulez publier certaines de vos chroniques sur Les Mondes Etranges (comme le fait également le "doc" FrankNfurter, la porte est ouverte :)

Bonne continuation,
Didier

Écrit par : Didier GIRAUD | 14/01/2011

Bonjour, Didier, merci de votre visite et merci pour la photographie aussi.
Je poursuis l'exploration de votre site et je ne manquerais pas de m'y référer sur certains articles. je ne pense pas écrire sur le Carpenter, je ne le fais pas de manière systématique, mais si la porte est ouverte, je vous proposerais avec plaisir quelques articles sur le genre que nous aimons. Cordialement.

Écrit par : Vincent | 16/01/2011

Très belle analyse de FASCINATION certainement un des meilleurs de Jean ROLLIN par contre malgré certains défauts dù selon la biographie de rollin à sa monteuse qui a "saboté" son film.
Là où Brigitte LAHAIE est la plus belle c'est dans LA NUIT DES TRAQUEES thriller d'anticipation pour lequel j'ai une certaine affection où il y a aussi une très belle rousse Dominique Journet.

Écrit par : frey | 20/01/2011

Avec un peu de retard, très belle chronique et bel hommage à Rollin.
Il valait mieux en effet s'attarder sur Fascination que sur La morte-vivante... ou pire, ses commandes (je viens de voir Les trottoirs de Bangkok... je suis encore sous le choc... au moins Le lac des morts-vivants faisait rire)

Écrit par : dr frankNfurter | 27/01/2011

Un autre docteur ! Merci de votre visite Franck N.
Jamais vu "La morte-vivante" dont les photographies à l'époque de sa sortie m'avaient fait quand même une certaine impression. Mais je vois bien ce que vous voulez dire :). Pour ma part, j'étais resté circonspect avec "Les raisins de la mort", par moment assez mollassons. "Le lac..." c'est un film assez raide qu'il vaut mieux voir avec humour.
Mais depuis "La nuit de horloges", j'ai plutôt envie de découvrir les films plus poétiques comme "La rose de fer".

Écrit par : Vincent | 28/01/2011

Oui "Les raisins de la mort" aussi m'ont laissé dubitatif, mais comme me la apprit ma moitié, les raisins est aussi une commande, le producteur de l'époque voulant avant tout faire un film de zombies (le premier français?), Rollin essayant tant bien que mal de s'arranger avec cette demande.
Dans ma besace en attente, j'ai justement un des premiers Rollin, "Le frisson du vampire", et concernant "La rose de fer", ce n'est pas la première fois que j'en entends parler, c'est à creuser effectivement.

Écrit par : dr frankNfurter | 28/01/2011

Rollin et les commandes... J'ai l'impression qu'il a toujours eu beaucoup de pressions de ses producteurs. Si je me souviens bien, sur "Le lac..." il a remplacé au pied levé Jesus franco partit au bout que trois jours de tournage.
Sur un film comme "Fascination", plus personnel, on insistait toujours pour qu'il rajoute des scènes érotiques voire carrément pornographiques.

Écrit par : Vincent | 28/01/2011

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