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17/10/2010
La cité des douleurs
Curieux film que Nanjing ! Nanjing ! réalisé par le chinois Lu Chuan et sortit chez nous cet été sous le titre international de City of life and death. Commencé en 2007 après un gros travail de recherche et d'écriture, le film aborde un des épisodes les plus douloureux de la guerre sino-japonaise (1937/1945) : la prise de Nankin alors capitale de la république du Kuomintang dirigée par Tchang Kaï-chek, puis le massacre tant des prisonniers de guerre que de la population civile. Ce massacre qui dura plusieurs mois avec son cortège de viols et exécutions de masse sonne comme un prélude à la barbarie généralisée de la seconde guerre mondiale, un peu à l'image du bombardement de Guernica en Espagne. Il reste un sujet très sensible en Chine et au Japon. A l'origine, la sortie du film devait correspondre à la commémoration des 70 ans de l'évènement. Mais l'angle d'attaque de Lu Chuan a quelque peu travaillé la censure chinoise qui a mis six mois avant d'approuver le scénario, puis, le film ayant démarré son tournage en octobre 2007, six mois de plus avant d'autoriser la sortie du film terminé. Il est présenté en avril 2009 et l'on pourra regretter qu'il lui ait fallu près d'un an et demi pour arriver sur nos écrans. Comme ce fut le cas pour le Katyn (2007) d'Andrzej Wajda, nous sommes quasiment les derniers. Le film est d'ailleurs disponible en Dvd depuis belle lurette. On pourra donc s'interroger de ce manque d'intérêt des distributeurs hexagonaux pour ces films qui tranchent assez radicalement sur le tout venant des sorties américaines comme françaises.
Mais revenons au film. Le ressentiment chinois (qui peut se comprendre) s'est souvent exprimé au cinéma à Hong-Kong comme en Chine populaire. On le retrouve dans des œuvres de pure fiction comme Fist of Fury (La fureur de vaincre – 1972) de Lo Wei avec Bruce Lee ou Beach of the war gods (Les dieux de la guerre – 1972) de et avec Jimmy Wang Yu comme dans les films « historiques » de Tun Fei Mou qui aborde le massacre de Nankin avec Black Sun: The Nanking Massacre en 1994. Leur constante est une xénophobie anti-japonaise virulente : tous les japonais sont des sauvages cruels sans nuance et jusqu'à la caricature, comme le fameux maître japonais « Croc de sabre », le méchant de The one-harmed boxer (Le boxeur manchot – 1971) de Wang Yu. Lu Chuan a décidé de sortir de ces visons manichéennes et son film entend approcher un point de vue japonais en parallèle à celui chinois, comme l'avait tenté Jiang Wen dans le superbe Guizi lai le (Les démons à ma porte – 2000). Son film introduit donc un personnage très réussi de soldat japonais, Kadokawa joué par Hideo Nakaizumi, profondément humain, bon soldat mais affecté par les exactions de ses camarades. Lu Chuan multiplie également les notations sur la vie quotidienne des soldats japonais, leurs temps morts, leurs rites comme la fête finale qui célèbre leur victoire, décrite dans le détail. Tout cet arrière plan, très réussi par sa précision et la grande qualité de la figuration de masse, vise à adresser son film autant aux spectateurs japonais que chinois. Habilement, au début du film, il montre un épisode de l'ultime résistance chinoise par une embuscade tendue au groupe de Kadokawa par des soldats chinois commandés par l'officier valeureux Lu Jianxiong. Cette bataille est un véritable combat d'homme à homme, mis en scène avec un grand sens de l'espace et du mouvement, où la peur, la vaillance et la mort sont des deux camps. Lu Chuan adopte tour à tour le point de vue des uns puis des autres. Cette première partie permet une identification aux soldats japonais avant les terribles scènes des exécutions de masse des prisonniers de guerre.
Car en miroir, le réalisateur ne dissimule rien des épisodes les plus terribles de cette histoire. Il semble avoir attentivement vu le cinéma de Steven Spielberg. Les scènes de combat s'inspirent des canons (si j'ose dire) définis par Saving private Ryan (Il faut sauver le soldat Ryan - 1998) et le reste de Schindler's list (La liste de Schindler – 1993). Nanjing ! Nanjing ! bénéficie d'une très belle photographie en noir et blanc signée Cao Yu, très travaillée au niveaux des effets (fumées, éclairages, scènes de nuit), avec ces effets d'accélérés très brefs sur des plans très courts qui donnent une terrible dynamique aux combats et aux fusillades. Il y a aussi cette approche frontale de la violence qui ne triche pas mais ne s'attarde pas, qui n'est pas tant une tentative d'impressionner le spectateur (ce qu'elle reste malgré tout) que de rendre compte du traumatisme des personnages qui la vivent (par exemple dans la scène de la mise à sac de l'hôpital). A ce titre, tout ce qui aborde le sort des femmes et les viols collectifs est traité avec autant de délicatesse qu'il est possible. Autre motif décliné tout au long du film, celui des enfants. Témoins et victimes, parfois insouciants, symboles de l'innocence en proie à la barbarie, ils représentent aussi chez Lu Chuan l'avenir. Dans l'une des dernières scènes, le secrétaire Tang part au poteau d'exécution après avoir révélé avec un sourire à l'officier japonais Ida que sa femme, désormais libre, est de nouveau enceinte. Il s'éloigne alors dans la profondeur du champ pour subir son sort tandis que nous restons sur le visage perplexe de l'officier. Manière d'optimisme là où Spielberg faisait de la petite fille en rouge le symbole de l'aveuglement criminel des nations.
Le problème de Lu Chuan est peut être d'avoir trop bien réussi son équilibrage. Face à Kadokawa, il y a donc le soldat Lu Jianxiong, le civil Tang, l'enfant-soldat, la femme Jiang Shuyun (une enseignante) et l'occidental, figure réelle de John Rabe l'ambassadeur de l'Allemagne nazie qui eu pour l'occasion une attitude courageuse. Mais aucun de ces personnages ne « tient » le film d'un bout à l'autre comme celui du japonais. D'où un curieux sentiment d'avoir affaire à une sorte de film de réconciliation, ce qui n'a pas manqué de provoquer les critiques de nombreux chinois. Ce que Clint Eastwood a tenté par son diptyque sur la bataille d'Iwo-Jima, il le fait de combattant à combattant. Lu Chuan tente le pari de juxtaposer les regards des victimes civiles à ceux des bourreaux militaires. D'où la perplexité qui peut s'emparer du spectateur et la limite d'un discours sur les horreurs de la guerre sur lesquelles tout le monde est déjà bien d'accord. Il manque peut être au film une dimension d'ouverture sur l'histoire, histoire du pays, histoire des relations entre Chine et Japon, perspectives ouvertes sur le monde d'aujourd'hui, toutes choses que l'on retrouve dans les films de Spielberg, Wajda ou Eastwood pour s'en tenir à ceux qui ont été ici cités. Lu Chuan s'en tient avec brio, talent de cinéaste et d'incontestables qualités humaines à un récit, vaste et embrassé dans sa complexité mais il ne le dépasse pas.
Sur Nightswimming
Photographie : Tajeunesse.com
17:22 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : lu chuan | Facebook | Imprimer | |
16/10/2010
Les joies du bain : En images
09:53 Publié dans Les joies du bain | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : cecil b demille | Facebook | Imprimer | |
14/10/2010
Les 10 salopards - Partie 2
L'histoire fourmille d'ordures en tout genre, dictateurs, tyrans, inquisiteurs, chefs de guerre et de milice, dont le cinéma s'est emparé avec gourmandise. L'une des figures les plus gratinées est celle de l'empereur Caligula. Oderint, dum metuant. Les épisodes de son règne, réels ou légendaires, sont connus. Rien n'égale le portrait qu'en a donné Malcolm McDowell dans le Caligola (1979) de Tinto Brass. McDowell, déjà, rien que de voir son visage de poupon pervers, les poils du dos se hérissent. Ici, lâché en liberté, il promène son rictus en forme de sourire sadique dans les décors opératiques de Danilo Donati. Il faut l'avoir vu, nu sous l'orage, arpenter les terrasses de son palais, le pouce levé, criant à la face du ciel qu'il est Dieu. Il faut l'avoir vu.
De Caligula à Messaline, il n'y a qu'un pas que je m'empresse de franchir. L'impératrice scandaleuse a inspiré pas mal de monde mais la plus vicieuse selon moi est celle de Belinda Lee dans le Messalina, venere imperatrice (1960) de Vittorio Cottafavi. Grande, féline, sublime, les mains longues et dansantes, elle séduit puis frappe, retorse et sans pitié, usant de tous ses charmes pour frayer sa voie dans ce monde d'hommes. Elle retourne ainsi de son œil de biche l'officier joué par le juvénile Giuliano Gemma, venu pour la tuer, puis à l'issue d'une nuit que l'on imagine torride, le fait exécuter. Ah ! Mante religieuse.
Des salauds ordinaires, Jean Yanne en aura joué de bien beaux. Pour Maurice Pialat bien sûr, Godard aussi. J'aime tout particulièrement sa composition en Paul Decourt dans Que la bête meure (1969) de Claude Chabrol, un spécialiste. Il est l'homme que vous aimerez haïr. Bourgeois parvenu, garagiste vicieux qui tripote sa bonne, macho, égoïste, dur avec les faibles et faible avec les forts, fort en gueule, prétentieux et violent, il est évidemment lâche. Il a fuit après avoir renversé le fils de Charles Thénier (Michel Duchaussoy) qui le traque et finit par le retrouver pour découvrir quel bonhomme atroce il est.
Dans le film de cape et d'épée à la chinoise, on ne s'embarrasse généralement pas de nuance quand il s'agit des méchants. Le méchant est très méchant, vicieux et redoutable jusqu'à la moelle. Doué en art martial, personne ne lui résiste, sauf le héros. Et encore, c'est pas toujours facile. A ce jeu, Ku Feng aura personnifié une jolie galerie de salopards fourbes pour, entre autres Chang Cheh. Il porte souvent la moustache et la barbe, surtout la moustache longue à trois poils qu'il caresse avec volupté tout en méditant de noirs desseins. Dans San duk bei do (La rage du tigre – 1971), il est Long Zi-Yhi dont l'apparence de vieux sage dissimule une technique perverse: il amène les chevaliers qu'il combat à se trancher le bras, jouant sur une botte secrète et leur sens extrémiste de l'honneur. C'est ainsi qu'il coince Lei Li, ce qui ne lui portera pas bonheur puisque le manchot compensera son handicap par un coup avec trois épées. Encore raté.
Le méchant est finalement assez rare dans le cinéma de John Ford. Sa profonde humanité le retenait peut être de s'étendre sur des portraits de terribles canailles (sauf si elles sont sublimes). Il nous aura pourtant donné un méchant des plus mémorables avec Liberty Valance dans le film qui se demande qui l'a tué. Valance, c'est Lee Marvin et il incarne sans trop de nuance tout ce que Ford pouvait détester: violence sadique, désir d'humilier, attaques contre les principes démocratiques américains et la liberté de la presse. Valance est l'homme primitif et la face sombre de l'homme de l'ouest qui s'oppose à la figure de Tom Doniphon joué par John Wayne. Deux routes possibles pour des hommes grandis dans un pays encore libre et sauvage. Mais là où Doniphon a construit sa ferme et vit selon des règles plutôt chevaleresques, Valance a laissé s'exprimer ses instincts les plus vils et s'est vendu aux grands propriétaires. Il est le redoutable valet.
Dans le cinéma de genre à la française, son visage à la Lee Van Cleef, œil sombre et fine moustache, en ont fait l'incontournable sbire. Traître idéal, exécuteur des basses œuvres, homme de main et de tous les coups fourrés, Guy Delorme n'a cessé de mettre des bâtons dans les roues des héros personnifiés par Jean Marais et Gérard Barray, se délectant à enlever leurs douces dulcinées. Immanquablement, à l'issue d'un duel acharné, il finissait par tomber de la muraille ou du toit, embroché en beauté. Difficile d'isoler un rôle plutôt qu'un autre, ce paragraphe est un hommage à sa carrière d'affreux sublime.
Photographies : Camp academy , Notre cinéma , Allociné (collection Christophe L.), HKcinemagic, LEFT of cyber-center, Tout le ciné.
23:36 Publié dans Blog, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : liste | Facebook | Imprimer | |
13/10/2010
Les 10 salopards - Partie 1
A force de parler de choses horribles, elles finissent par arriver. Il y a quelques temps, Frédérique avait établi une liste de ses dix méchants préférés au cinéma, suivie en cela par Ran et Nolan du blog De son coeur le vampire. Stimulé par l'exercice, j'ai commencé à ruminer tout cela mais le temps, l'amour, les vaches... Je n'avais pourtant pas oublié et, chose promise, chose dure, voici une collection de 10 estimables salopards avec une contrainte supplémentaire, ne pas recouper les listes de mes trois camarades, excluant ainsi les morceaux de choix que constituent Tigrero, la reine de Blanche Neige et HAL 9000.
Honneur aux femmes, aucune ne m'a paru aussi pathétiquement ignoble que Emma Small campée par Mercedes McCambridge dans le Johnny Guitar de Nicholas Ray (1954). Elle irradie dune haine très pure envers Vienna (Joan Crawford) dont elle jalouse tout à la fois l'amour du Dancing Kid, l'indépendance, la séduction, l'assurance et le flair économique. Vieille fille encore jeune mais totale frustrée sexuelle, c'est une femme de pouvoir vêtue de noir (elle porte le deuil de son frère) qui réprime ses passions féminines. Elle fera tout pour abattre sa rivale: mentir, dénoncer, calomnier, promettre la vie sauve au jeune Turkey avant de le faire pendre, exciter les bons citoyens à libérer leurs instincts de lyncheurs, et tuer filialement, ivre de ressentiment, celui qu'elle aime. Glaçante, l'œil d'acier, la lèvre tremblante de rage, elle est plus terrifiante que bien des méchants du western classique, de Jack Palance à Arthur Kennedy en passant par Dan Duryea.
Dans le registre de la salope froide et calculatrice, personne n'égale à mon sens Ève Harrigton. Anne Baxter a personnifié à la perfection cette jeune femme d'allure modeste, réservée voire timide, dissimulant l'âme du serpent le plus venimeux dont Joseph L. Mankiewicz nous dit tout dans All about Ève (1950). Rêvant de gloire théâtrale, elle s'introduit dans l'entourage de la célèbre Margot Channing (Bette Davis) et manœuvre subtilement pour lui prendre (presque) tout et se hisser au sommet. Ce personnage se situe dans la lignée de femmes redoutables du cinéma américain de l'époque, les Phyllis Dietrichson (Barbara Stanwyck dans Double indemnity (1944) de Billy Wilder), Diane Tremayne (Jean Simmons dans Angel face (1952) d'Otto Preminger) ou Elsa Bannister (Lady from Shangai (1947) d'Orson Welles). Mais le combat femme contre femme et l'écriture subtile de Mankiewicz atténue les accents misogynes attachés aux portraits de ces femmes fatales.
Le cinéma français a donné quelques figures inoubliables d'ignobles, en particulier ceux écrits par Jacques Prévert pour Marcel Carné, Jean Grémillon et Jean Renoir. J'ai un faible pour le Paul Batala de Jules Berry (qui a un sacré palmarès à son actif) dans Le crime de monsieur Lange (1936) de Renoir. Capitaliste décomplexé, vicieux, pervers, manipulateur et ignoble donc jusqu'à l'exubérance, rien ne manque à ce portrait à charge que Berry rend lyrique dans la caricature. Son meurtre accidentel, assez radical, n'en fait pas moins plaisir à tout le monde.
De Sentenza à Tigrero en passant par les personnages joués par Jack Palance et le Franck de Henry Fonda, le western all'italianna a donné quelques figures incontournables de méchants tout ce qu'il y a de plus vicieux. La gâchette leste et l'œil sans pitié, ils tuent hommes femmes et enfants comme on prend un verre. Je porterais mon choix, puisque j'ai l'embarras, sur le colonel Gunther Reza de Giù la testa ! (Il était une fois la révolution – 1971), joué par Domingo Antoine (pseudonyme du français Antoine Saint-John), Némésis de Juan et John. Inspiré à Leone par les officiers fascistes de sa jeunesse, Reza a la parole rare et le poteau d'exécution rapide. Le visage anguleux, émacié, d'Antoine marque les esprits, comme se gravent les petits détails terrifiants: sa façon de manipuler les essuie-glaces, de se laver les dents, de gober un œuf. L'horreur militaire.
23:05 Publié dans Blog, Cinéma, Panthéon | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : liste | Facebook | Imprimer | |