Les 10 salopards - Partie 1 (13/10/2010)
A force de parler de choses horribles, elles finissent par arriver. Il y a quelques temps, Frédérique avait établi une liste de ses dix méchants préférés au cinéma, suivie en cela par Ran et Nolan du blog De son coeur le vampire. Stimulé par l'exercice, j'ai commencé à ruminer tout cela mais le temps, l'amour, les vaches... Je n'avais pourtant pas oublié et, chose promise, chose dure, voici une collection de 10 estimables salopards avec une contrainte supplémentaire, ne pas recouper les listes de mes trois camarades, excluant ainsi les morceaux de choix que constituent Tigrero, la reine de Blanche Neige et HAL 9000.
Honneur aux femmes, aucune ne m'a paru aussi pathétiquement ignoble que Emma Small campée par Mercedes McCambridge dans le Johnny Guitar de Nicholas Ray (1954). Elle irradie dune haine très pure envers Vienna (Joan Crawford) dont elle jalouse tout à la fois l'amour du Dancing Kid, l'indépendance, la séduction, l'assurance et le flair économique. Vieille fille encore jeune mais totale frustrée sexuelle, c'est une femme de pouvoir vêtue de noir (elle porte le deuil de son frère) qui réprime ses passions féminines. Elle fera tout pour abattre sa rivale: mentir, dénoncer, calomnier, promettre la vie sauve au jeune Turkey avant de le faire pendre, exciter les bons citoyens à libérer leurs instincts de lyncheurs, et tuer filialement, ivre de ressentiment, celui qu'elle aime. Glaçante, l'œil d'acier, la lèvre tremblante de rage, elle est plus terrifiante que bien des méchants du western classique, de Jack Palance à Arthur Kennedy en passant par Dan Duryea.
Dans le registre de la salope froide et calculatrice, personne n'égale à mon sens Ève Harrigton. Anne Baxter a personnifié à la perfection cette jeune femme d'allure modeste, réservée voire timide, dissimulant l'âme du serpent le plus venimeux dont Joseph L. Mankiewicz nous dit tout dans All about Ève (1950). Rêvant de gloire théâtrale, elle s'introduit dans l'entourage de la célèbre Margot Channing (Bette Davis) et manœuvre subtilement pour lui prendre (presque) tout et se hisser au sommet. Ce personnage se situe dans la lignée de femmes redoutables du cinéma américain de l'époque, les Phyllis Dietrichson (Barbara Stanwyck dans Double indemnity (1944) de Billy Wilder), Diane Tremayne (Jean Simmons dans Angel face (1952) d'Otto Preminger) ou Elsa Bannister (Lady from Shangai (1947) d'Orson Welles). Mais le combat femme contre femme et l'écriture subtile de Mankiewicz atténue les accents misogynes attachés aux portraits de ces femmes fatales.
Le cinéma français a donné quelques figures inoubliables d'ignobles, en particulier ceux écrits par Jacques Prévert pour Marcel Carné, Jean Grémillon et Jean Renoir. J'ai un faible pour le Paul Batala de Jules Berry (qui a un sacré palmarès à son actif) dans Le crime de monsieur Lange (1936) de Renoir. Capitaliste décomplexé, vicieux, pervers, manipulateur et ignoble donc jusqu'à l'exubérance, rien ne manque à ce portrait à charge que Berry rend lyrique dans la caricature. Son meurtre accidentel, assez radical, n'en fait pas moins plaisir à tout le monde.
De Sentenza à Tigrero en passant par les personnages joués par Jack Palance et le Franck de Henry Fonda, le western all'italianna a donné quelques figures incontournables de méchants tout ce qu'il y a de plus vicieux. La gâchette leste et l'œil sans pitié, ils tuent hommes femmes et enfants comme on prend un verre. Je porterais mon choix, puisque j'ai l'embarras, sur le colonel Gunther Reza de Giù la testa ! (Il était une fois la révolution – 1971), joué par Domingo Antoine (pseudonyme du français Antoine Saint-John), Némésis de Juan et John. Inspiré à Leone par les officiers fascistes de sa jeunesse, Reza a la parole rare et le poteau d'exécution rapide. Le visage anguleux, émacié, d'Antoine marque les esprits, comme se gravent les petits détails terrifiants: sa façon de manipuler les essuie-glaces, de se laver les dents, de gober un œuf. L'horreur militaire.
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Commentaires
Ah, voilà enfin ces fameux méchants !
Beau début de liste en tout cas. Cela me plaît d'autant plus que repensant à cela il y a deux ou trois jours, je me disais que j'avais oublié Batala. Par contre, moi, sa mort ne me fait pas plaisir. J'avais écrit un texte sur Monsieur Lange il y a quelques mois et je m'écriais qu'à la fameuse question de Lange : "Si vous mourriez, qui vous regretterez ?", j'aurais volontiers répondu "Mais le spectateur, le spectateur".
Écrit par : Ran | 14/10/2010
Quand Batala dit "Les femmes, les femmes", il s'avance pas mal vu comment il traite celles du film. En se retrouvant pour faire bloc autour du héros, les personnages du film ne regrettent visiblement pas grand chose. L'humanité du personnage, il faut s'en méfier un peu, c'est le talent de Prévert, Renoir et Berry qui le rendent sympathique, comme le personnage joué par Marcel Herrand dans "Les enfants du Paradis", mais ce sont quand même de sacrés crapules à la limite de la caricature. Si l'on joue le jeu du mélodrame, on peut ne pas regretter la disparition du méchant même si moralement, et avec le recul...
Écrit par : Vincent | 14/10/2010
Non, mais c'est sûr que c'est une sacrée crapule ce Batala. Par contre, ce qui me trouble dans ce film, c'est qu'il est comme frappé d'une contradiction interne. Renoir - en pleine période communiste - veut affirmer la force de la communauté et le personnage le plus marquant de l'œuvre, c'est, de loin, le plus individualiste. De sorte qu'à côté de lui, tous les autres héros du Crime de monsieur Lange apparaissent bien fades. Et on en ressort en se disant que sans des Batala, le monde serait plus juste mais aussi assez, comment dire, emmerdant.
Bon, allez pour le monde en général, c'est peut-être vrai que l'on pourrait se passer de Batala. Mais pas le cinéma !
Écrit par : Ran | 14/10/2010
Ah mais c'est que vous allez nous faire languir...
Il est vrai que finalement je n'ai pas du tout plongé chez les misérables bien de chez nous, il y a pourtant quelques ordures inexcusables. Mais Jules, je l'aime trop... Et quand il cabotine en diable "ce cœur qui bat, qui bat, qui bat". A chaque fois que je le vois, je songe à sa dame qui l'a quitté un jour en lui laissant ce mot laconique "J'ai assez ri"...
Antoine St John a participé à un giallo plutôt bizarre The killer must kill again ; pour un peu, on aurait pitié de lui dans le film :)
Mais j'ai pensé à vous y a pas si longtemps, puisque ce gredin d'Angelo Infanti a également tiré sa révérence. Le cinéma bis se dépeuple à vitesse grand V !
Écrit par : FredMJG/Frederique | 14/10/2010
Bonjour Vincent, ah Jules Berry dans le Jour se lève, un régal. Pierre Larquey dans le Corbeau dans le corbeau n'est pas mal non plus sans parler de Paul Meurisse et Simone Signoret dans les Diaboliques. Je ne sais plus qui a dit (ou écrit) que pour qu'un film soit réussi, le méchant doit l'être. J'ai aussi une tendresse pour le Pinguoin dans Batman le défi. Danny de Vito est génial. Bonne après-midi.
Écrit par : dasola | 19/10/2010
"Plus le méchant est réussi, plus le film l'est" ; c'était l'un des principes de Sir Alfred qui a beaucoup fait (Oncle Charlie dans L'Ombre d'un doute, Bruno Anthony dans L'Inconnu du Nord-Express, Philip Vandamm dans La Mort aux trousses, Norman Bates dans Psychose, de petits oiseaux dans le film du même nom,...) pour en prouver la véracité.
Écrit par : Ran | 20/10/2010
Dasola, merci de votre visite, c'est toujours un plaisir de vous lire dans ces colonnes. Votre liste est presque faite ! vous devriez nous la livrer in extenso :) J'aime aussi ceux que vous citez, Larquey a été exceptionnel à l'occasion et le Pingouin, c'est un grand souvenir, quoique le personnage joué par Walken était pus complètement méchant.
Ran, oui, le principe de Hitchcock, j'ai bien faillit organiser mon article dessus. Mais j'ai des réserves sur la formule, surtout depuis que je connais les films de Miyazaki qui peuvent être absolument sans antagoniste et très bien fonctionner. C'est d'ailleurs amusant de voir ma fille toujours très concernée par les méchants chez Disney (lui aussi grand applicateur de cette formule) mais qui raffole des Miyazaki.
Écrit par : Vincent | 20/10/2010
Ah, comme toutes les formules, cela connait bien des exceptions. Mais c'est vrai qu'un grand méchant fait toujours beaucoup pour un film et, assez souvent, on finit même par avoir un certain attachement pour celui-ci (cf. Batala) même si, chez Disney, soit ils font vraiment peur (bon je ne reparle pas de la reine de Blanche-Neige parce qu'il est l'heure d'aller dormir et je ne veux pas faire de cauchemars), soit ils sont assez fades et c'est plutôt les héros qui marquent.
Mais, je crois que cela dépend aussi beaucoup du réalisateur : Hitchcock avait un immense intérêt pour ses méchants, Lang éprouvait même une certaine fascination pour ceux-ci (et ses héros étaient toujours à deux doigts de se transformer en méchants) alors qu'ils sont effectivement plutôt absents chez Ford qui, quand il en montre un, le réussit parfaitement mais le rend tout de même totalement antipathique.
Sinon, je suis d'accord : Walken en Max Schreck (pas pour rien qu'il s'appelle comme cela...) est pire que le Pingouin.
Écrit par : Ran | 21/10/2010
@Ran : Y a pire que la reine chez Disney... trussssssssssssssssst me :)
Écrit par : FredMJG/Frederique | 21/10/2010