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29/03/2009

Les pirates du rail

Je suis toujours étonné de la façon dont les premiers films que j'ai vus sont restés en moi au-delà de ce que j'ai pu voir ou apprendre depuis. Prenons Christian-Jaque par exemple. Pas tout à fait le type du metteur en scène que l'on va chercher à réhabiliter. Le type « chefs d'œuvres méconnus ». Plutôt du genre de ceux qui se sont fait piétiner allègrement par la Nouvelle Vague, non parfois sans raisons. Plutôt du genre populaire, à succès et récompenses, sans grande ambition formelle apparente, progressivement dépassé par l'évolution du cinéma français dans les années 50 puis 60. Pourtant, pourtant, si je prends le temps de la réflexion, certains films de Christian-Jaque sont liés à mes premiers souvenirs de cinéma, des souvenirs que je lie avec mes lectures d'enfance, de Jules Verne à Conan Doyle en passant par Enid Blyton et Mark Twain. Ce sont le squelette Martin et la société secrète des Chiche-Capons (Les disparus de St Agil – 1938), le bondissant Fanfan la Tulipe (1952) avec Gérard Philippe (Le décolleté de Gina Lollobrigida, ça sera pour plus tard), les bolides improbables de Raphaël le tatoué (1938), la chèvre et le Larousse de Fernandel dans François 1er (1937). Quand je retombe sur l'un de ces films aujourd'hui, je trouve que certains ont plutôt bien tenu le coup. J'ai même été surpris de découvrir une œuvre comme Le repas des fauves (1964) un huis clos dans lequel, pendant l'occupation, un groupe d'amis est obligé de désigner l'un d'entre eux comme otage par les allemands. Un film amer et d'une rigueur de mise en scène irréprochable. Pour peu que l'on s'y attache, on trouve dans le cinéma de Christian-Jaque de bien belles choses : sa façon de filmer les couloirs déserts dans le pensionnat de St Agil, son sens du rythme, ses effets de montage et ses scènes à suspense, des gros plans saisissants. Et puis il possède une certaine fraicheur du cinéma des origines, un souffle pour l'aventure et une décontraction non feinte qui se perdront, il est vrai dans les dernières années d'une longue carrière.

Parmi tout ces films qui m'ont marqué, l'un de mes tout premiers souvenirs est lié aux Pirates du rail, un film réalisé en 1937. Ça se passe en Chine sur une ligne de chemin de fer construite et gérée par des français, en butte aux raids de seigneurs de la guerre pour lesquels elle est devenue un enjeu. La compagnie est dirigée par la main de fer de l'ingénieur Pierson, joué par Charles Vanel qui va se retrouver au cœur d'un conflit entre deux généraux, Tchou King et Tsai (Erich Von Stroheim et Lucas Gridoux) et un chef de bande, Wang (Valéry Inkijinoff), dont il est frère de sang.

Les pirates du rail affiche.jpg

Dès les premières scènes, nous sommes plongés dans une sorte de western à l'Est avec bandes de cavaliers cavalcadant dans les montagnes, attaque de ville, messages alarmants transmis par télégraphe et téléphone sur la situation de la ligne. Deux trains sont engagés, arriveront-ils à temps ? Il y a très peu de dialogues, surtout des noms exotiques qui aident au dépaysement. Cette première partie est très réussie. Après un superbe panoramique sur une cité chinoise, Christian-Jaque filme une première attaque avec un montage très vif, brisant allègrement la règle des 180°, traduisant le mouvement frénétique de l'assaut. Ce montage lui permet aussi de ne pas s'attarder sur la figuration. J'ai appris bien plus tard que ce film avait été tourné dans les Alpes-Maritimes, dans les studios de la Victorine et sur les lignes de chemin de fer de Cannes-Grasse et de Nice-Digne. Pour qui connait la région, c'est assez amusant. Les gares typiques sont ornées de jolis panneaux en chinois et l'on a fait appel à tous les extras asiatiques du département. Cela n'a sans doute pas suffit puisque l'on peut sans peine reconnaître des physionomies bien méridionales dans les fameux pirates. Mais ce n'est pas pire que bien des indiens dans les westerns d'outre Atlantique.

Mon ancien souvenir est lié à une scène qui a conservé son potentiel de beauté macabre. Le second train est attaqué, de nuit sous l'orage, et mitraillé sans pitié. Un peu plus tard, il arrive en gare, lentement sous une pluie battante. Pierson et ses hommes, déjà bien angoissés, voient s'avancer le convoi sombre, sifflant lugubrement (bande son impeccable sans recours à une musique pléonastique). Le train s'arrête doucement, défilant devant les hommes sur le quai et révélant les cadavres qui pendent aux portières. Le chauffeur blessé s'écroule dans un ultime effort. J'en ai rêvé pendant des années.

Un autre passage m'avait marqué par son étrangeté. La femme de l'ingénieur se rend chez un général pour demander son aide. Elle est introduite dans un palais par un officier étrangement souriant. Elle passe devant des sentinelles raides comme des statues, dans un silence de mausolée. Dans une vaste pièce, elle s'avance vers le général en question, assis à son bureau. Celui-ci s'affaisse d'un coup, mort. Entre derrière elle la silhouette raide et massive d'Erich Von Stroheim. En revoyant cette scène admirable de tension silencieuse et d'esprit feuilletonesque, je me disais que l'on était proche de l'esthétique d'un Von Stenberg. Proche seulement.

Les pirates du rail.jpg

Aujourd'hui, Les pirates du rail garde pour moi un charme entêtant. Il alterne les scènes fortes (celles déjà citées, l'attaque d'un couple sur la ligne et la femme qui devient progressivement folle, les moments avec Von Stroheim), avec des passages plus faibles qui doivent surtout à un scenario mal ficelé et à une certaine désinvolture quand à la crédibilité de certains personnages. Si la première partie est rigoureusement construite, la fin enchaîne les invraisemblances (Tchou King perd d'un coup son armée) et nous transporte dans un monastère certes esthétique mais complètement incongru. Reste que Von Stroheim, tout à fait savoureux en émule asiatique de son personnage de La grande illusion, ressemble autant à un seigneur de la guerre chinois que moi à Bruce Willis. Enfin le film dégage une bonne conscience coloniale bien de son époque, entre Tintin au Congo, les Tarzan MGM et les aventures de Buck Danny. Avec un minimum de recul, ça passe tout seul. Cela peut même prendre un tour exceptionnel avec le duo Doumel (Les rois du Sport, César, Ignace) et Maupi (inoubliable visage pagnolesque, c'est lui le chauffeur de la trilogie). Le premier est Morganti un marseillais sans nuance qui a sa propre méthode de « civilisation ». Maupi joue un indigène surnommé Titin, premier résultat de cette méthode. Résultat : il sert le pastis, rêve d'un bateau sur le port de Marseille, peste contre ses compatriotes et s'exprime avec l'accent du vieux port. A un français admiratif « Il a même l'accent ! », Morganti répond « Qué accent ? ». Si ce n'est pas de la comédie.

Au crédit du film, la musique de Henri Verdun tranche agréablement avec les partitions ronflantes et stridentes de l'époque. Utilisée judicieusement, elle développe quelques thèmes héroïques tout à fait acceptables. La photographie signé de Marcel Lucien, André Germain et Pierre Lebon est souvent réussie, plus dans les séquences d'intérieur et de nuit (l'arrivée du train encore) que dans les extérieurs qui manquent un peu de puissance. Mais certains gros plans (Stroheim, Suzy Prim) sont expressionnistes à souhait et frappent l'imagination. Le film possède enfin une belle distribution. Charles Vanel est un peu raide, comme le veut son rôle mais sans trop de nuance. Simone Renan joue sa femme avec élégance, Suzy Prim y devient folle de façon convaincante. Von Stroheim, Inkijinoff et Lucas Gridoux s'amusent avec leurs personnages chinois. En support, on retrouve avec plaisir Dalio, Maupi, Doumel et le visage inquiétant de Héléna Manson (Le corbeau de H.G. Clouzot).

Les pirates du rail auraient pu être une sorte de Only angels have wings (Seuls les anges ont des ailes – 1939) de Howard Hawks, version ferroviaire. S'il vaut la peine d'être découvert, il n'en est malheureusement pas du même niveau. Il reste le témoin d'un cinéma d'aventure naïf et mouvementé et de la fantaisie de son auteur.

 

Photographie : Première.fr

Affiche : Moviecovers.com

26/03/2009

Ariane

De l'amour entre une très jeune femme et un homme d'âge mûr, le cinéma européen fait volontiers un drame : Tristana (1970) de Luis Bunuel, Noces Blanches (1989) de Jean-Claude Brisseau, La peau douce (1964) de François Truffaut. Le cinéma américain pencherait plutôt pour la comédie et a constitué quelques couples mythiques sur la base d'une différence d'âge conséquente : Lauren Bacall et Humphrey Bogart ou Angie Dickinson et John Wayne. Au coeur des années 50, entre maccarthysme et regain ultime de la censure du code Hays, apparaît la fine silhouette et le visage angélique d'Audrey Hepburn qui aura comme partenaires quelques acteurs qui étaient déjà des stars quand elle portait encore des couches. Le rude Bogart dans Sabrina de Billy Wilder en 1954, l'aérien Fred Astaire dans Funny face de Stanley Donen en 1957 et, la même année, le viril Gary Cooper dans Love in the afternoon « Ariane », toujours de Wilder et qui nous occupe ici.

(La suite sur Kinok)

le DVD

08:51 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : billy wilder |  Facebook |  Imprimer | |

24/03/2009

Films de vacances

Je suis donc parti passer une semaine à la montagne histoire de prendre l'air et de monter à ma fille comment on fait de la luge et comment on monte un bonhomme de neige. Et puis j'ai emmené quelques films aussi. Pour commencer, je suis tombé à la télévision sur Gentlemen Prefer Blondes (Les hommes préfèrent les blondes - 1953), le film de Howard Hawks avec La Monroe et La Russel. Hélas, c'était La version française dans laquelle même les chansons sont doublées. C'est irregardable, enfin inécoutable. J'ai tenu malgré mon amour pour ce film, une vingtaine de minutes. Je me suis consolé avec The Life and Death of Colonel Blimp (Colonel Blimp - 1943) de Michael Powell et d'Emeric Pressburger film fleuve aussi drôle qu'émouvant et fondamentalement beau. Comme je l'ai dit chez Christophe, je me sens assez incapable d'écrire sur un tel film. Je trouve difficile d'exprimer l'enchantement constant que me procure la mise en scène virtuose, le panache de certaines scènes et le visage de Deborah Kerr.

Devoir de vacances avec Love in the afternoon « Ariane », l'excellente comédie de Billy Wilder avec Audrey Hepburn, Gary Cooper et Maurice Chevalier. Je voulais monter ce film à ma compagne, et ça me permet de le voir une seconde fois pour travailler ma chronique pour Kinok. Contrairement au souvenir que j'avais du film, c'est véritablement une très belle oeuvre placée sous le signe de Lubitsch et il me faudra plusieurs jours pour accoucher de mon texte.

Comme là nous avions le temps, nous en avons profité pour montrer de nouvelles choses à notre fille. Je lui ai dégoté Le chien, le général et les oiseaux (2003) un dessin animé de Francis Nielsen. C'est l'histoire d'un général de l'armée russe qui ne se remet pas d'avoir sacrifié les oiseaux de Moscou pour brûler la ville envahie par l'armée de Napoléon. Devenu vieux, il ne peut se déplacer sans un parapluie car les oiseaux rancuniers lui fientent dessus. Il trouvera la rédemption et le pardon grâce à un chien pas banal. Le conte est joli et le graphisme original. Mais si ma fille a été captivée, le grand air a provoqué rapidement ma somnolence et je vais devoir revoir la chose avant de vous en dire plus.

Un soir un peu tard, seul dans le silence des montagnes sublimes, je me suis regardé Bowfinger, une comédie signée Franck Oz de 1999. Écrit et joué par Steve Martin dont l'humour n'est jamais bien passé chez nous, le film est une ode pleine de bons sentiments au plaisir de faire des films. Martin joue un réalisateur-producteur minable mais sincère qui décide de faire un film avec une grande star qu'il va filmer à son insu. La star, c'est Eddie Murphy qui, comme à son habitude, joue plusieurs rôles dont celui de son jumeau pas célèbre du tout. C'est assez drôle, un cran au dessous du Ed Wood de Burton où du récent Be kind rewind de Gondry. La mise en scène de Oz est assez plate mais respecte les numéros de comédiens qui se régalent visiblement comme Murphy en Star paranoïaque, Terence Stamp en gourou ou Heather Graham en starlette nymphomane.

Madagascar de Tom McGrath et Éric Darnell est une grosse production Dreamworks d'animation en images de synthèse. Ça pète dans tous les sens, c'est très coloré, c'est d'un rythme très rapide, c'est bourré d'idées et ça brosse le spectateur dans le sens du poil. Pour une enfant de trois ans, je pense que c'est un peu trop intense et un peu trop référencé. Cette fois, c'est ma fille qui a décroché. La parodie plutôt amusante du plan final de Planet of the apes (version 1968) avec Charlton Heston désespéré au pied de la statue de la liberté, ça ne lui a pas dit grand chose. Côté esthétique, je ne suis pas très fan du genre mais ici, je reconnais que j'aime beaucoup le commando des quatre pingouins.

Marcello otto e mezzo.jpg

Le suivant, c'était une séance de rattrapage pour ma compagne. Et puis c'est bien tombé, avec toutes ces discussions sur Gran Torino. J'appréhendais un peu de revoir Million dollar baby. C'est le premier film de Clint Eastwood dans sa dernière période que je revois. Je suis resté sous le charme, plus attentif à sa mise en scène qui est quand même l'une de ses plus travaillées. Dans les compositions très sombres, notamment dans la salle de boxe, il y a une beauté qui évite le côté ostentatoire de films plus « prestigieux » (disons Mystic river) mais franchement affirmée contrairement à son dernier opus qui travaille plus dans la discrétion. J'ai bien sûr été tout particulièrement attentif au traitement de la famille de Maggie. Eastwood ne les ménage pas, mais en même temps, ils sont les briseurs de rêve. Je ne crois pourtant pas qu'il faille y voir un équivalent aux « salauds de pauvres » d'Autant Lara. Après tout, tous les personnages de ce film sont des gens durement touchés par la vie, comme Scrap, le personnage de Morgan Freeman ou le jeune Danger. Ce qui les différentie, c'est leur attitude en tant qu'individus. Et c'est de façon profondément individuelle qu'agit, in fine, Frankie.

Retour à un peu de légèreté avec Anastasia, le dessin animé réalisé par Don Bluth et Gary Goldman en 1997. C'était le premier dessin animé produit alors par la 20th Century Fox et j'en avait gardé un souvenir assez fort. Somptueux, le film mêle adroitement les techniques classiques d'animation avec des effets numériques (la séquence du train). Il y a des plans de toute beauté, vastes fresques minutieusement animées : les scènes de bal, la chorégraphie dans les enfers, la séquence de la tempête en mer. Le couple Anastasia / Dimitri fonctionne sur les ressorts les plus classiques de la comédie des années 30/40 avec des dialogues brillants illustrant les disputes des amants en devenir. C'est du travail d'orfèvre. Visiblement, le film fonctionne à ses différents niveaux et si je suis resté sensible au spectacle et à son humour jamais niais, ma fille est restée bouche bée par cette histoire de princesse orpheline, appréciant les nombreuses séquences musicales et le méchant Raspoutine aux morceaux amovibles. La délicieuse chauve-souris Bartok permet en outre de désamorcer les moments les plus terrifiants.

Soirée classique avec le Otto e mezzo (8 ½ - 1963) de Federico Fellini. Je voulais, là encore le montrer à ma compagne qui ne le connaît pas encore. Cette fois, c'est elle qui a piqué du nez à mon grand désappointement. Il faut dire que j'ai récupéré l'édition Criterion, de toute beauté et bourrée de bonus, mais sans sous titrage français. Comme ma compagne ne maîtrise pas l'italien, ce n'était pas évident de suivre avec les sous titres anglais. J'ajouterais que j'ai dû moi-même m'y reprendre à deux fois avant d'apprécier le film. Aujourd'hui, je dois en être à ma huitième vision, et je commence à bien circuler dans les méandres de ce film labyrinthe. J'ai désormais tout le temps de m'attarder sur les plans sublimes baignés de la lumière en noir et blanc de Gianni Di Venanzo (que son nom soit loué), et sur les visages de Claudia Cardinale, Anouk Aimée, Barbara Steele, Sandra Milo, Caterina Boratto et Rosella Falk. Assez, c'est trop, mon regard chavire...

Claudia otto e mezzo.jpg

Conclusion de la semaine avec un ultime dessin animé, mais des meilleurs : La prophétie des grenouilles (2003) de Jacques-Rémy Gired, auquel on doit L'enfant au grelot et le récent Mia et le Migou. Conte humaniste et écologique, variation sur l'histoire de l'Arche de Noé, le film possède un graphisme simple et original. Un brusque déluge amène de nombreux animaux à se réfugier dans une grange montée sur une chambre à air (!) en compagnie d'une famille « recomposée », sous la direction d'un sympathique capitaine-fermier joueur de guitare. Herbivores et carnivores vont de voir se supporter et survivre grâce à une imposante réserve de pommes de terre. Il est amusant de constater que ce film aborde avec franchise le sujet que l'américain Madagascar élude hypocritement. Il s'agit dans les deux cas de l'improbable coexistence entre chasseur et proie. Gired montre, non sans humour mais avec franchise, les renards, lions et tigres plumer et embrocher des poulets dans une crise de violence dont ils seront, quand même, honteux plus tard. Ma fille a adoré (elle l'a déjà vu plusieurs fois) et semble bien comprendre les ressorts du film. J'avoue que pour ma part, j'ai un faible pour le couple d'éléphants auxquels Michel Galabru et Annie Girardot prêtent leurs voix. Le reste de la distribution n'est pas mal non plus avec Michel Piccoli, Anouk Grinberg, Jacques Higelin, Thomas Fersen et quelques autres.

Les meilleurs choses ont une fin, les vacances aussi. J'ai aussi vu Welcome en salle et il va falloir que je travaille là-dessus.

Photographies : capture DVD Criterion

18/03/2009

Interlude musical (Une semaine de vacances)

16/03/2009

Chez le bouquiniste

Film complet.JPG

14/03/2009

Le genou de Claire

Le genou de Claire c'est d'abord la belle barbe de Jean-Claude Brialy dans le rôle de Jérôme qui me fait toujours irrésistiblement penser à celle que portait mon père dans les années 70. Ce sont les chaussettes blanches de collégienne que porte Béatrice Romand quand elle entre dans le cinéma de Rohmer. C'est la blondeur de Fabrice Lucchini au début de sa carrière, qui fait lui aussi sa première apparition chez le maître. C'est le teint pain d'épice et les courbes délicates de Laurence de Monaghan au genou tentateur et si parfait. C'est l'accent roumain de Aurora Cornu, sa démarche posée et ses mains délicates.

Genou.jpg

Capture DVD Opening

Le genou de Claire est l'une des plus éclatantes réussites d'Eric Rohmer. Il suit immédiatement Ma nuit chez Maud et peu se voir comme un contre-pied. A la neige de Clermont-Ferrand, au noir et blanc de Nestor Almendros, aux dialogues en profondeur sur la foi, Pascal et l'amour, au visage un rien sévère de Jean-Louis Trintignant se substituent le soleil d'été sur le lac d'Annecy, les cerisiers sous la brise, les couleurs de montagne du même chef opérateur, un marivaudage (le terme est particulièrement bien adapté ici) brillant et la décontraction barbue de Jean Claude Brialy. Le film a la grâce et la légèreté des jeunes filles en fleur. Le rose est sa couleur, comme celle de ses intertitres.

(La suite sur Kinok)

Le DVD

Sur Critikat

Sur Cinéastes.net

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12/03/2009

Gran Torino pour les nuls

J'avoue que ça me réjouis assez de voir, face à l'unanimité louangeuse de la critique officielle, que c'est sur la blogosphère que les avis sont plus tranchés et que les esprits s'échauffent autour du Gran Torino de Clint Eastwood. Je suis plus sceptique sur les empoignades autour du présupposé racisme d'Eastwood et de son film, qui tournent vite au dialogue de sourd. Les échanges autour du texte de Jean-Baptiste Morain sur le site des Inrocks sont exemplaires (façon de parler). Cette histoire de racisme me semble passer à côté de ce qu'est le film mais de cela, j'en ai déjà parlé. Ce qui se joue dans le texte de Morain, et qui fait que ça tourne en rond, c'est que son attaque du film l'amène à attaquer ceux qui l'ont aimé, ses lecteurs au passage, puisque le film selon lui permet à ses admirateurs « d'exprimer sans remords ni conséquence leur racisme larvé ». Morain a regretté cette phrase dans l'un de ses commentaires et je lui en sais gré, mais c'est révélateur de cette manie que l'on a de vous sommer de choisir votre camp. Chose que je déteste entre toutes. Holà, camarade ! Es-tu Val ou Siné ? Royal ou Aubry ? Fromage ou dessert ? Critique dialectique ou poétique ? Misère...

Ceci posé, j'avais envie de revenir sur film par un autre angle : celui de sa mise en scène. Ses détracteurs l'ont souvent attaqué là-dessus sur l'air de la platitude tandis que les louangeurs en restaient souvent à la performance de l'acteur sans entrer dans le détail. Cela tient je crois à la pratique d'une forme classique de cinéma par Eastwood qui ne se prête pas facilement à l'analyse à l'opposé de celles, pour reprendre les exemples de Ed sur Nightswimming, de David Lynch ou Gus Van Sant. J'ai donc eu envie de voir un peu comment était faite une scène du film, celle qui m'a servi de déclencheur et qui circule sur Internet. Histoire de voir ce qu'il y a sous le capot de la Gran Torino. D'ou le titre de la note, que personne ne se sente visé. Voici :

Le premier plan est un élégant mouvement de grue descendant qui nous approche de Sue et son ami marchant dans une rue vers nous. Ce qui frappe, c'est que le plan démarre sur la clôture barbelée qui entoure un pavillon. On note que le plan englobe toute une partie de la rue, une de ces rues de banlieues typiques des États-Unis, et que la maison du premier plan est la seule à être clôturée ainsi. Gran Torino est un film construit largement sur la notion de territoire. Dans l'univers du western, la clôture c'est le conflit, le danger, c'est Kirk Douglas empêtré dans les barbelés. La porte ruinée devant laquelle ils passent est comme le symbole mis à bas de l'accueil et de la propriété, valeurs américaines basiques. Il est ainsi clairement signifié que le couple pénètre dans une zone dangereuse et ces signes de danger contrastent avec leur attitude nonchalante et leur dialogue insignifiant. Bingo. La caméra les suit dans le virage et le cadre les coince entre la clôture et le groupe des trois jeunes noirs. Jolie maîtrise de l'espace.

Confrontation entre les trois noirs et le couple, c'est le jeune homme qui tente de faire croire qu'il n'ont pas transgressé le territoire parce qu'ils en font partie. Il tente des signes de reconnaissance, : gestes et paroles. Ça tombe à plat. La mise en scène enchaîne des plans moyens animés d'un léger mouvement qui s'oppose au mouvement tournant des trois jeunes noirs. Le cadre encercle littéralement le couple et le coince contre la clôture. Ce qui m'avait frappé à la première vision, c'est ce mouvement de la caméra, qui donne une impression de porté mais reste maîtrisé, sans doute à la steadycam. Il se superpose à une sorte de balancement qui redouble l'effet de balancement des corps et les souligne ironiquement. On est loin d'une banale caméra à l'épaule.

Dans l'étape suivante, les trois jeunes noirs s'en prennent directement au jeune homme et l'éjectent littéralement du cadre à plusieurs reprises. La sensation de violence suspendue est accentuée par le resserrement du cadre qui rend le danger moins visible, témoin l'irruption de la main qui renverse la casquette sans que l'on voit l'agresseur.

Arrivée du héros dans sa camionnette. Une sorte de mini ellipse dans l'espace dont la continuité est assurée par le son. C'est un très beau plan large, peut être un peu trop court, suivi d'un mouvement en avant sur le visage de Kowalski. Eastwood va convoquer ici deux figures mythiques, L'homme sans nom et l'inspecteur Harry. Le brusque changement de point de vue et l'élargissement du cadre donnent une aura immédiate au véhicule puis à celui qui le conduit. Tout à coup, il est là. Pas de raison particulière. C'est ainsi qu'Eastwood apparaît dans nombre de ses westerns et dans le fondateur Per un pugno di dollari. Dans les films avec l'inspecteur Harry, il est toujours là où ça se passe, mais il est généralement déjà en scène (il vient prendre son café ou manger un morceau). C'est un plan qui a un côté très années 70, comme en on a vu de superbes dans Assaut ou Halloween de John Carpenter.

Le saut dans l'espace qui suit accentue la violence fait au jeune homme coincé contre la clôture. Il est mis hors du coup et la scène reprend avec une variante. Cette fois, c'est Sue qui s'oppose au groupe mais elle a choisi de se défendre et tente de rompre l'encerclement tout en insultant copieusement ses agresseurs. Kowalski amène alors sa camionnette en bordure du « territoire » des jeunes noirs et ceux-ci se disposent en triangle, selon une géométrie classique pour les admirateurs de Sergio Léone.

La descente d'Eastwood est un grand moment. D'abord, il est là, même de dos, dans la camionnette, le visage se reflétant discrètement dans le rétroviseur. A de nombreuses reprises, Kowalski sera ainsi filmé en un reflet, face à un miroir. Quand il sort, il est dans un premier temps sur la chaussée et donc apparaît plus petit que ses antagonistes. Puis il fait un pas en avant et monte sur le trottoir tandis que la caméra s'avance un petit peu. Cela donne l'impression qu'il domine tout à coup, qu'il s'étire sur la hauteur du cadre. C'est un procédé que John Ford utilisait avec Henry Fonda, façon d'accentuer sa domination morale. C'est assez subtil et c'est le genre de trouvaille qui me met en joie, comme un coup de crayon bien placé dans un dessin de Franquin. Et puis il crache mais on ne va pas revenir là-dessus.

Lors de la confrontation qui suit, on retrouve le même mouvement oscillant de la caméra mais cette fois, il épouse les mouvements de Kowalski qui vise les jeunes avec son doigt. Le danger, cette fois, c'est lui. « L'espoir changea de camp, le combat changea d'âme ». Il s'agit pour Kowalski d'envahir le territoire des jeunes noirs et de s'y affirmer pour « exfiltrer » Sue. Son entrée sur le territoire se fait par ses irruptions dans le cadre, d'abord le doigt, puis, comme cela ne suffit pas, il dégaine son arme, convoquant cette fois un geste (et un cadre) vingt fois vu chez Harry Callahan, qui traverse le plan comme l'a fait tout à l'heure le bras qui retire la casquette. La symétrie jusqu'au bout, c'est à cela que l'on reconnaît une belle mise en scène classique. La sortie de l'arme correspond aussi au début d'une musique façon Lalo Schiffrin, assez martiale avec roulement de tambour. On est en plein dans le retour du mythe.

La jeune fille dans la camionnette, reste le jeune homme. On peut dire que Eastwood manifeste le mépris de Kowalski pour son attitude conciliante en les séparant nettement des plans. On entend la voix du jeune homme sur un plan de Kowalski puis celui-ci, tout en l'insultant, le pointe de son arme comme il l'a fait avec les trois jeunes noirs. Mais alors que l'un des deniers plans montre Kowalski de profil dans le même cadre que les trois jeunes noirs, il n'apparait jamais dans le même plan que le jeune homme. Il lui refuse cet « honneur ». Malheur aux vaincus. On peut presque sentir une sorte de sympathie entre le polonais et les trois noirs, ils s'acceptent comme adversaires. Ce qui est accentuée par le plan large sur le dialogue qui détend la toute fin de la séquence.

Voilà, nous sommes bien avancés. C'est pour moi une façon de faire très maîtrisée mais très peu ostentatoire. La forme se coule dans l'action et la mise en place de celle-ci sait prendre son temps. Nous sommes dans un style que je trouve proche des classiques des années 60 et 70, Don Siegel en tête, mais aussi Franklin J. Schaffner, Richard C. Sarafian ou même Peter Yates. Éloignée quand même de celui d'un John Ford dont les plans ont une force poétique indéniablement plus grande, ou d'un Howard Hawks ou d'un Sergio Léone qui ont des dispositifs bien plus sophistiqués. Merci de votre attention et à la semaine prochaine. Sortez en rang et que le grand Cric ne vous croque pas.

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09/03/2009

Cent fusils

100 rifles (Les cent fusils), tourné en 1969 par Tom Gries, est de ces films qui me faisaient grimper aux rideaux quand j'étais petit. Tout en me doutant de la réponse, je me demandais comment il avait passé toutes ces années dans un coin de mon souvenir. Pas de surprise, il reste un spectacle agréable et enlevé tout en se révélant un film bien médiocre. 100 rifles est de ces westerns d'aventures situés au Mexique, au début du 20e siècle traversé de secousses révolutionnaires. C'est aussi l'un de ces westerns hollywoodiens qui pillèrent à l'époque les formes du western italien, ses trucs et ses tics, espérant bénéficier de son succès. Il faut se rendre à l'évidence, le western américain entre 1964 et 1969, à quelques exceptions brillantes, quelques derniers feux de grands maîtres, est au fond du trou tandis que son confrère italien livre ses plus beaux fleurons. Donc on imite et Tom Gries, par ailleurs réalisateur d'un estimable Will Penny (1968), déballe la panoplie : Il y a un train, des mitrailleuses, une armée mexicaine impitoyable dirigée par un général sadique (Fernando Lamas), un conseiller militaire allemand, des péons opprimés en tuniques blanches et sales (ici des indiens Yaquis, mais c'est du pareil au même), les étendues désertiques d'Alméria, de la dynamite, des exécutions capitales et un passage à tabac. Et puis aussi un héros gringo qui fera sa prise de conscience en faveur des révolutionnaires, un héros paysan un peu truand mais grand coeur et une passionnaria habile à la gâchette.

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L'originalité, c'est qu'ici le gringo est un noir, joué par Jim Brown au charisme certain. Lyedecker est un shérif lancé sur les traces du voleur de banque Yaqui Joe (Burt Reynolds, moustache flamboyante et sombrero) comme Lee van Cleef se lançait à la poursuite de Tomas Milian dans le Colorado de Sergio Sollima. Bon, Yaqui Joe a volé une banque américaine pour payer des armes (les cent fusils) à la guérilla indienne menée par la belle Sarita, très belle Raquel Welch. Curieusement, et malgré quelques allusions, le film n'exploite pas tant la thématique du racisme. D'une façon générale, le film annonce la couleur avec sa phrase publicitaire : « Ce film a un message : faites gaffe ! ». Avec ça... Peut être que les actes se suffisaient d'eux-même. L'étreinte vigoureuse entre Brown et Raquel Welch, une première dans le cinéma grand public, reste une date dans la représentation des noirs dans le cinéma hollywoodien. La scène est plutôt jolie et le choc de ces deux beautés est l'un des sommets du film. Entre les deux, Reynolds fait le guignol, déjà très loin de son personnage de Navajoe Joe (1966) de Sergio Corbucci. Il est également assez loin des compositions équivalentes données par Tomas Milian, Eli Wallach ou Tony Musante. Il reste le faire-valoir du héros américain, quand bien même celui-ci est noir. On ne lutte pas contre sa nature.

L'héroïne de la révolution, c'est donc Raquel Welch. Ah ! Raquel... Elle est magnifique, pur fantasme adolescent. Mais elle est aussi crédible en indienne yaqui qu'au milieu des dinosaures de la Hammer films. Elle se situe dans la ligne des beautés terriblement anachroniques du western américain de l'époque : Bibi Andersson, Candice Bergen, Senta Berger... On se dit que le sous prolétariat mexicain a bien de la chance de compter de si belles femmes dans ses rangs. Je me demande ce qui attirait les réalisateurs de l'époque vers ces types plutôt européens, plutôt nordiques. Seul Sam Peckinpah a fait l'effort de trouver un prétexte. On pourra préférer les belles brunes Giovanna Ralli, Martine Beswick, Chelo Alonzo ou Nicoletta Machiavelli un peu plus adaptées à ce genre d'histoires.

Reste que c'est dans ce film que Raquel Welch arrête un train de l'armée en prenant une douche sous un réservoir d'eau. En chemise, hein, mais ce n'en est que plus excitant. La séquence est d'anthologie. L'eau était peut être froide, mais Raquel a une façon de bouger très nature, qui tranche avec son jeu corporel pendant le reste du film. Elle dégage, durant ces quelques instants, une vitalité exceptionnelle.

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Pour le reste, la mise en scène est plate, sans aucune de ces inventions de cadre ou de montage qui me ravissent chez les italiens. Peu d'emploi de la profondeur de champ, la caméra est à l'endroit de l'action mais se contente de l'enregistrer sans chercher à la sublimer. Absente. Le montage est pépère, accélérant doucement lors des scènes d'action. L'arrivée du train dans la ville, par exemple, n'est spectaculaire que pour ses effets pyrotechniques. On est loin de l'attaque du train turc chez David Lean. La photographie de l'espagnol Cecilio Paniagua est à l'avenant, sans relief, ne faisant ressentir ni la sueur des visages, ni la poussière du désert. Soyons juste, les très gros plans sur le visage de Raquel Welch lors de l'étreinte, légèrement voilés, dégagent quelque chose de sensuel et violent. C'est déjà ça.

Au crédit du film, la partition de Jerry Goldsmith. Dans les années 60, ce grand compositeur a donné quelques belles musiques à des westerns moyens, contribuant à les garder en mémoire : Bandolero, Rio Conchos, le remake de Stagecoach, le Rio Lobo de Hawks. Goldsmith y renouvelle le genre, arrivant à se dégager des canons des grands anciens sans tomber dans la parodie du style d'Ennio Morricone. Ses partitions sont rythmées, basées sur une thème principal fort, du genre que l'on peut fredonner en sortant de la salle (très important, ça). Tempo vif, accents jazz et pop, guitare folk (l'ouverture de Rio Lobo est superbe), c'est enthousiasmant et, avec Raquel Welch, la trop courte apparition de Soledad Miranda, égérie de Jesus Franco, et le torse de Jim Brown, les raisons essentielles du plaisir pris à 100 rifles.

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Photographies : captures DVD 20th Century Fox (en zone 1 hélas).

11:30 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : tom gries |  Facebook |  Imprimer | |

06/03/2009

Le convoi sauvage (au coin du feu)

Le western du mois, sur le forum Western Movie, c'est Man in the wilderness (Le convoi sauvage) réalisé en 1971 par Richard C. Sarafian. C'est un film qui n'a cessé de me fasciner. Quand j'étais adolescent, je l'ai vu deux ou trois fois à la télévision, et à chaque fois, je l'oubliais. Et à chaque fois je le retrouvais avec bonheur. Depuis je l'ai revu en salle (la photographie du grand Gerry Fischer est une splendeur) et je n'ai cessé d'en garder en moi les images. Ce film fait partie de ces westerns qui ont renouvelé le genre entre la fin des années 60 et le début des années 70. Nouveau ton, nouvelle esthétique, se dégageant de l'influence de la révolution des westerns italiens tout en retrouvant quelque chose des grands classiques.

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Man in the wilderness raconte l'histoire d'un trappeur accompagnant une expédition et laissé pour mort après avoir été attaqué par un ours. Il survit et, comme dans Red River (1946)de Hawks ou Bend of the river (Les affameurs - 1952) de Mann, il se lance à la poursuite de ceux qui l'ont abandonné. Habité par la présence de l'acteur Richard Harris, le film est un poème élégiaque et un conte écologique assez proche du Jérémiah Johnson de Sidney Pollack. L'homme et la nature, toutes ces sortes de choses. Impossible d'oublier ces images épiques du bateau traîné à travers plaines et montagnes par l'expédition menée d'une main de fer par le personnage joué par John Huston, variation du capitaine Achab de Moby Dick. Impossible d'oublier la partition enlevée de Johnny Harris. C'est un film remarquable, à découvrir ou redécouvrir, comme l'oeuvre étrange et attachante de Sarafian auquel on doit The man who loved Cat Dancing (Le fantôme de Cat Dancing - 1973) ou Vanishing point (Point limite zéro - 1971).