26/04/2007
Un cinéphile
Il ne le sait pas, bien sûr, mais il a été l'un de mes maîtres. Pendant une douzaine d'années, toutes les années 80, j'ai guetté chaque semaine la programmation du ciné-club d'Antenne2 de Claude-Jean Philippe. Il passait tard le vendredi soir, et mon père qui n'aimait pas trop que l'on reste debout jusqu'à minuit passé ne nous permettait pas souvent de voir les films. Alors, rampant dans le long couloir, espérant qu'il s'était endormi, nous filions dans le salon avec mon frère et mettions le son tout bas. Parfois, on se faisait choper, parfois non. Mais cet interdit qu'il fallait braver, c'était aussi renforcer le prix de ce cinéma là. Claude-Jean Philippe a donc contribué à mon éducation de cinéphile, comme Patrick Brion, Gérard Joud'hui, le magasine Cinéma-cinéma ou la cinémathèque de Nice. Même sans avoir, loin de là, vu toute sa programmation, le ciné-club a élargi mes goûts. D'abord, je conservais les coupures de journaux qui annonçaient les films et donc apprenais l'existence d'oeuvres dont on entendait parler nulle part ailleurs. Par exemple, La corne d'Anara d'Irakli Kvirikadze est un film qui m'a fait rêver sans que l'ai jamais vu. Et puis mon père regardait Apostrophe, l'émission littéraire de Bernard Pivot et Claude-Jean Philippe y présentait le film à venir après les informations. Du coup je l'entendais en parler même si je ne devais pas le voir. Et son style, son enthousiasme me plaisait plus que le ton un peu monocorde de Patrick Brion. Bref, sans que ça soit déterminé, j'ai accumulé là un « savoir » (c'est un peu prétentieux mais je trouve pas d'autres mots) aussi sûrement que si j'avais suivi des cours. Je lui dois entre autres la découverte des Marx Brothers et mon premier film japonais, Rashomon d'Akira Kurosawa. Claude-Jean Philippe, il faut le rappeler, fut aussi celui qui programma France, tour et détour de deux enfants de Jean-Luc Godard, celui là même qui disait de lui, un brin méprisant : « Oh lui, il aime tout ». Je me reconnaît sans peine dans cette formule lapidaire.
Le hasard qui fait bien les choses m'a conduit à la découverte de La nuit bienfaisante dans un bac à occasions. Claude-Jean Philippe y raconte sa vie, un peu, ses films surtout. Une véritable biographie de cinéphile. Il fait renaître avec ses souvenirs l'ambiance des années 50 et 60, lui qui présenta le concours d'entrée à l'IDHEC aux côtés de Jean-Marie Straub et de Danièle Huillet. Ce concours dont les deux réalisateurs refusèrent une épreuve qui portait sur le film Manèges de Yves Allégret qu'ils estimaient trop mauvais. Pudique et discret, Claude-Jean Philippe se fait volontiers lyrique lorsqu'il évoque ses films favoris et leurs auteurs : Jean Vigo, Hitchcock, Rossellini, sa rencontre avec John Ford, Eustache, Truffaut, Errol Flynn, Renoir, les salles de Casablanca puis de Paris.
J'avais envie de le voir, ce spectateur, livré à ses émotions, et contraint tout à coup de les formuler, mais sans le recours de ses instruments critiques, de ses arguments théoriques, ou de ses repères historiques. Je me devais de le prendre en flagrant délit de mauvaise foi, de naïveté, de snobisme, afin d'isoler et de retenir le meilleur de ses visions : certains rares moments d'intime compréhension, nécessairement liés à son caractère et à sa sensibilité.
Voilà pourquoi il me fallait aussi raconter son histoire -en dehors mais en fonction du cinéma – en prenant le risque de l'impudeur, et de cette complaisance qu'il ne détesterait pas tant s'il en avait réellement exorcisé le péril.
17:28 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Claude-Jean Philippe, cinéphilie |
Facebook |
Imprimer |
16/03/2006
Un beau livre
Si je n'ai guère le temps de retourner dans les salles obscures, j'ai pu avancer mes lectures. Voici un bouquin qui devrait plaire à Imposture s'il ne l'a pas déjà : Il Etait une fois en Italie, Les Westerns de Sergio Léone. Ce livre a été écrit par Sir Christopher Frayling à l'occasion de l'exposition organisée par le Museum of American West du Autry National Center de Los Angeles. Une exposition unique en son genre, que l'on aimerait bien voir débarquer chez nous et qui s'est achevée fin janvier. Christopher Frayling, on le voit beaucoup dans les bonus des belles éditions collector des principaux westerns du maître italien ainsi que celle de Mon Nom est Personne de Tonino Valérii, anglais débonnaire et érudit. Son livre est une véritable oeuvre de collectionneur passionné, d'historien amoureux, j'allais écrire "transi", mais pas franchement de critique. Nous sommes assez loin du travail de Gilles Cebe (son livre paru dans les années 80 est épuisé). Frayling divise son livre en trois parties, une présentation de l'oeuvre, un ensemble d'entretiens avec Léone et ses principaux collaborateurs, et une étude sur son influence jusqu'à aujourd'hui. De loin, la force du livre tient dans la partie centrale ainsi que dans la richesse et la qualité de l'illustration. Au fil des années Frayling a pu rencontrer Clint Eastwood, Claudia Cardinale, Eli Wallach, Lee van Cleef, Ennio Morricone, le décorateur Carlo Simi, Tonino Delli Colli, fameux chef opérateur et les scénaristes Luciano Vincenzoni, Sergio Donati et Bernardo Bertolucci dont on sait qu'il participa, avec Dario Argento, à l"éllaboration de Il Etait Une Fois Dans L'Ouest. Trois documents complètent ce tour d'horizon : Un texte de Léone sur John Ford, un texte de Martin Scorcese sur Léone et, peut être le plus touchant, un album d'adolescent compilant coupures de presses et photographies sur la trilogie des dollars. Ce genre de découpages, je le pratiquais entre 10 et 15 ans, c'est la base de ma cinéphilie, cette façon de prolonger le film, cette façon de faire naître une réflexion, je crois que c'est la première fois que je la vois intégrer une oeuvre "adulte".

Côté réserves, je suis un peu resté sur ma faim quand à l'exploration critique de l'oeuvre léonienne. Il y a une certaine indulgence vis à vis de Pour Une Poignée de Dollars qui n'est pas "inspiré" mais franchement pompé sur le Yojimbo de Kurosawa, à un point dont on se rend bien compte lorsque l'on découvre le film japonais. Cela n'ôte rien aux qualités de mise en scène du film de Léone mais ce n'est pas une raison. De la même façon, Frayling inclus Mon Nom est Personne dans sa revue des westerns léoniens. Même s'il est clair que ce film porte la marque de son producteur et initiateur, il n'en reste pas moins un film de Tonino Valerii, avec l'exploration d'un rapport entre un jeune héros du western italien et un vétéran du western américain proche de celui filmé par le même Valérii dans Le Dernier Jour de la Colère, et avec talent. Ceci dit, s'il est légitime d'envisager ce film dans le parcours de Léone, pourquoi alors ne pas inclure Un Génie, Deux Associés et une Cloche, pour lequel Léone a eu plus ou moins la même implication et qu'il a confié à Damiano Damiani ? Parce que le film a moins bonne réputation ? Parce qu'il semble moins bien "coller" thématiquement aux autres films ? J'ai regretté que ce ne soit pas abordé. Mais ne faisons pas la fine bouche, cet ouvrage est de la belle ouvrage et restera une pierre de taille dans l'exploration de l'oeuvre du maître du "Cinéma Cinéma". (Editions de la Martinière).
En bonus : une bibliographie
15:10 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : sergio léone, christopher frayling |
Facebook |
Imprimer |




















