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27/05/2016
Portrait d'un tueur en noir
The black panther (La panthère noire). Un film de Ian Merrick (1977)
Texte pour les Fiches du Cinéma
Chaque fois que je suis épaté par un film anglais, je repense à la sortie de Jean-Luc Godard dans ses Histoires(s) du cinéma : « Les Anglais ont fait ce qu'ils font toujours dans le cinéma, rien ». Ian Merrick a beau avoir une carrière très réduite, avec The black panther (La panthère noire) qu'il tourne en 1977, il a fait quelque chose. Le sombre félin du titre n'est ni un activiste du mouvement afro-américain, ni T'challa roi du Wakanda. C'est le surnom donné au criminel anglais Donald Neilson qui défraya la chronique des faits divers à partir de 1971 par ses braquage, ses meurtres, puis l'enlèvement en 1975 de la jeune Lesley Whittle. Un rapt qui se terminera tragiquement et amènera à l'arrestation de Neilson en décembre de la même année puis sa condamnation à perpétuité. Il devra son surnom à sa tenue et sa cagoule noires, sans doute aussi à sa dangerosité.
Dès 1976, Merrick s'intéresse à cette affaire avec l'aide de Joanne Leigthon qui rédige un premier traitement à partir d'une enquête méticuleuse. Ce travail est confié au scénariste Michael Armstrong. Celui-ci est aussi un réalisateur qui sent le soufre. Il a débuté à 22 ans par un court métrage classé X, chose rare, The image en 1969 avec les tout jeunes Daniel Byrne et David Bowie. Armstrong est surtout connu pour ses films d'horreur, en particulier Mark of the devil (La marque du diable – 1970) une production allemande gratinée à point autour de chasseurs de sorcières dont la promotion incluait des sacs à vomi pour les spectateurs. D'une certaine façon Armstrong procède de la même façon pour le film de Neilson. Il mélange les codes du film de genre, ici le thriller, à un matériau documentaire très complet. Le côté dérangeant de Mark of the devil tenait en grande partie à la précision de la reconstitution des procédures et tortures des inquisiteurs, basée sur des document authentiques. La force de The black panther vient, pour sa part, du soin apporté aux nombreux détails qui retracent le parcours meurtrier de Neilson. Mais si Armstrong réalisateur se laissait aller à des débordement sanglants et complaisants, Ian Merrick fait preuve d'une grande rigueur dans sa mise en scène, colle aux faits jusqu'à laisser planer sur le doute sur les événements prêtant à discussion. Une honnêteté intellectuelle et artistique qui lui fait honneur. Pour autant il joue avec franchise du suspense et donne à The black panther une intensité parfois aux limites du supportable. A ce point, il faut mentionner la prestation impressionnante de Donald Sumpter dans le rôle titre. Sumpter a débuté à la télévision à la fin des années soixante et le personnage Donald Neilson est son premier grand rôle, sans doute celui de sa vie. Qu'il ne soit pas un comédien connu renforce sa création dans la double dimension du documentaire et du thriller. Son physique et son visage dégagent à la fois un sentiment familier d'anglais moyen, et très vite une inquiétude qui va s'amplifier sur ce qu'il est capable de faire.
Le tout premier plan est un programme. Venant d'une ville moderne, industrielle et sinistre que l'on croirait sortie d'un film social de Ken Loach, un homme s'avance vers la campagne passant devant un ancien moulin à vent. Neilson s'enfonce dans les bois, en treillis, portant un sac rempli de pierres. Il ruisselle de brume et de sueur. Il s’entraîne. Plus tard nous sera révélé son passé de militaire et les façons qu'il en a gardé. Neilson est un homme du présent qui vit dans un passé fantasmé, dans des conceptions de la famille et de la morale qui sont un dévoiement des valeurs anglaises, plus largement occidentales. Il vit dans un rêve qui va tourner au cauchemar pour les autres, planifiant des expéditions dans différentes petites villes pour cambrioler des bureaux de poste. Ian Merrick détaille ses gestes de maniaque, la façon dont il s'équipe, dont il cache des lames de rasoir dans ses chaussettes, dont il déplie ses plans dans son bureau, dont il bricole des dispositifs comme la lampe-pulvérisateur. La multiplication de gros plans, l’absence de dialogues sur une bande son hyperréaliste, entretiennent l'angoisse et l’ambiguïté sur les compétences de l'homme. Assez vite, Neilson se révèle un sacré bras cassé. Face à l'imprévu, il perd ses moyens et est incapable de tirer partie de sa préparation. Si l'on est tenté de rire de sa maladresse, le rire s'étrangle vite car la violence naît de cette maladresse. A chaque résistance, à chaque impondérable, Neilson panique et frappe, et tire, et tue. Le suspense change de nature et l'angoisse se développe autour des carences du tueur, de ce qu'il faut bien appeler sa bêtise. Cet aspect du film le rend particulièrement original parce que l'on sait jamais comment les choses vont tourner. Et l'enlèvement de Lesley Whittle est d'autant plus pathétique qu'il mêle une impressionnante préparation, la jeune femme étant recluse dans un réservoir d'eau avec un dispositif assez sophistiqué pour la séquestrer, et une tout aussi impressionnante dose de maladresse criminelle. D'un simple choix de cadre, Merrick fait planer le doute sur l'intention du criminel lors du dénouement fatal. Un faux mouvement ?
En contre-point de ses activités délictueuses, le réalisateur nous montre Neilson dans son cadre familial, petit tyran domestique avec sa femme et puritain avec sa fille, sans toutefois que les deux femmes aient jamais soupçonné quoique ce soit de sa double vie. Neilson est montré aussi pleurant comme un veau devant un feuilleton télévisé, lui qui ne manifeste jamais le moindre sentiment face à ses victimes. Ni après. Nous sommes dans la banalité du mal, au cœur de la cellule de base de la société, invisible et d'autant plus redoutable. Cette approche prend corps grâce un travail précis, aussi précis que les plans du personnages, sur le contexte, le choix des lieux, les détails et l’atmosphère lourde d'une Angleterre comme engourdie entre tradition et modernité, entre les petites villes, les intérieurs modestes des receveurs des postes où de Neilson, la campagne mouillée de pluie si typique, et les grands espaces urbains sans charme où se dressent les cheminées d'usines. La photographie de Joseph Mangine rend à la perfection ces ambiances, tout en composant de superbes nuances nocturnes à mi-chemin entre le film noir et le film fantastique, marque d'un chef opérateur qui a surtout œuvré dans la série B de genre. Le choix des acteurs participe aussi de la justesse d'ensemble, au-delà de la perle rare Donald Sumpter, des comédiens qui viennent de la télévision et apportent une charge de proximité à leurs personnages, comme Marjorie Yates dans le rôle de la femme de Neilson ou Debbie Farrington en Lesley Whittle.
Ian Merrick colle à son personnage tordu, épousant chacun de ses mouvements, gardant pourtant toujours la juste distance car elle est déterminée par le travail d'enquête. Nous assistons au naufrage implacable de l'humanité chez cet homme du commun qui se cherchait un destin d'exception. The black panther peut ainsi se situer entre les deux films de Richard Fleischer The Boston strangler (L'étrangleur de Boston – 1968) et 10 Rillington Place (L'étrangleur de la place Rillington – 1971), autre histoire authentique de tueur en série britannique. La rigueur documentaire donnant une redoutable froideur au film évoque In cold blood (De sang froid) adapté par Richard Brooks en 1967 d'après Truman Capote. Mais ce film atypique annonce aussi le portrait fictif de Henry, portrait of a serial killer inspiré du tueur Henry Lee Lucas, que réalise John McNaughton en 1986 et cher à Nanni Moretti. L’œuvre de Ian Merrick aurait pu se faire une réputation à l'égale de ces titres prestigieux. Son film est de ceux qui ne s'oublient pas, qui vous happent dès ses premières images. Hélas pour le réalisateur, la proximité des événements réels, la réussite même du film quand à son réalisme, ont déchaîné les passions au moment de sa sortie. The black panther a été attaqué avec violence par la presse. La sortie nationale est annulée et le film enterré, brisant la carrière se son auteur. Quarante ans plus tard, il est possible de le découvrir dans cette édition DVD de UFO Distribution, agrémentée d'une présentation de François Guérif, toujours impeccable, resituant le film dans la tentative de renouveau d'un film noir anglais dans les années soixante-dix. Un film à découvrir parce que, sans aucun doute, c'est quelque chose.
Photographies DR.
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18:32 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : ian merrick | Facebook | Imprimer | |
Commentaires
Bonjour Vincent et merci pour cette critique qui donne envie de voir le film. Concernant le cinéma anglais, je suis du même avis que vous. D'ailleurs, Truffaut n'était pas en reste, pour qui il y avait "incompatibilité entre le mot cinéma et le mot Angleterre" ou quelque chose comme cela. C'est le destin des phrases lapidaires que d'être rapidement ridicules (quand ce n'est pas immédiatement).
Strum
Écrit par : Strum | 30/05/2016
Bonsoir Strum,oui Truffaut malgré Hitchcock a eu des mots assez durs envers le cinéma anglais, je ne sais pas trop ce qui leur déplaisait à ce point. mais plus je découvre le cinéma britannique plus je me régale. Je vous conseille si vous ne l'avez pas vu, dans la veine polar, "The long good friday" de John Mackenzie.
Écrit par : Vincent | 02/06/2016
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