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27/07/2014

En première page

Park Row (Violences à Park Row) de Samuel Fuller (1952)

Texte pour Les Fiches du Cinéma

Dans une première vie, Samuel Fuller travailla dans la presse. A douze ans, il est copy-boy, à dix-sept, il est reporter criminel pour le New York Evening Graphic. Il passe ensuite à l'écriture en tant que scénariste et romancier avant de s'engager dans la fameuse Big Red One pendant la seconde guerre mondiale. C'est avec une caméra 16 mm qu'il participe à la libération du camp de concentration de Falkenau. Le soldat laissera place au cinéaste à la fin des années quarante. De sa première expérience, son cinéma gardera l'empreinte par ses côtés documentés, la concision de son style et quelque chose de l'ordre de la conviction. Pour Samuel Fuller, le journaliste est un héros, un homme engagé dont la voix porte un idéal. Du moins, il devrait. Il devrait s'inscrire dans une longue lignée d'hommes enthousiastes, John Peter Zenger, Benjamin Franklin, Horace Greeley, James Gordon Bennett ou Joseph Pulitzer, hérauts d'une presse libre. Et américaine. Pour célébrer cet idéal, Fuller finance, produit, écrit et réalise un poème épique, enflammé et violent, Park Row en 1952. Il a pour cela refusé l'offre de Darryl F. Zanuck avec à la clef un gros budget, le Technicolor et Gregory Peck. Il reprend Gene Evans qu'il vient de diriger dans Fixed Bayonets ! (Baïonnette au canon) et tourne très vite, 10 jours à l'énergie, pour un tout petit budget. Le film sera un échec mais, comme John Ford qui aimait mettre en avant ses « petits films » très personnels, Fuller le citera toujours comme son préféré.

samuel fuller

Park row est une rue de New-York, près de Wall Street, où étaient installés au XIXe siècle les grands journaux, veillés par la statue de Benjamin Franklin. C'était un âge d'or de la presse écrite dynamique et foisonnante, bien avant la radio, la télévision sans parler d'Internet. Sur Park Row naissent et meurent les quotidiens qui tirent plusieurs éditions par jour, se livrant à une lutte acharnée à coup d'idées et de phrases assassines, parfois aussi avec une violence plus concrète qui peut rappeler les agissements des bandes de gangsters. 1886. Ce chaudron bouillonnant, Samuel Fuller, enflammé par son sujet, y plonge en avec une caméra fiévreuse en longs mouvements aériens et voluptueux le long des immeubles. Il pénètre les bureaux de rédaction, les imprimeries et ce bar où se réunit tout le petit peuple de la presse, éditorialistes, reporters, typographistes, caricaturistes, là où s'échangent les informations et où naissent les articles. Les images signées John L. Russel (Le directeur de la photographie inspiré du Macbeth (1948) d'Orson Welles et du Psycho (1960) d'Alfred Hitchcock) et les ambiances sont d'un noir d'encre et de polar, d'un blanc rustre de papier journal, ce papier vital qui peut être papier de boucherie sous le poids de la nécessité. Les plans sont saturés de personnages croqués à grands traits et d'action. Le mouvement avant tout. La fièvre encore.

Un soir, Phineas Mitchell, qui vient de se faire virer du Star, met son rêve à l'épreuve et crée le Globe. Fuller le suit dans ce projet fou qui cherche à retrouver l'esprit des grands anciens. Mitchell va se heurter à son ancien employeur et désormais rival, la belle Charity Hackett . Main de fer dans un gant de dentelle, Charity la bien mal nommée, est une héritière qui a la puissance financière mais pas le feu sacré. C'est par contre un sacré personnage, femme forte et autoritaire dans un univers masculin, comme le sera Jessica Drummond en 1957 dans Forty guns (Quarante tueurs). Elle rend passionnant son duel avec Mitchell d'autant que Fuller ne recule pas devant un rien de romance. Il a le bon goût de s'en tenir à la lisière, mettant le jeu de séduction en avant comme arme, laissant deviner les sentiments plus profonds, et contradictoires, qui assaillent les rivaux. Mary Welch, dont c'est hélas le seul film, campe une Charity Hackett fascinante dont on ressent les failles sous le masque, manipulatrice, impitoyable mais humaine en dernier ressort, érotique aussi à sa façon. Je suis conquis.

samuel fuller

Face à elle, Gene Evans donne densité à un Phineas Mitchell d'un bloc, concentré de rigueur et de talent, évoquant le Charles Foster Kane des débuts dans le film de Welles, annonçant le Dutton Peabody courageux de The man who shot Liberty Valance (L'homme qui tua Liberty Valance– 1962) de John Ford. L’héritage de Mitchell est celui d'une tradition de grand journalistes. Pourtant Fuller ne fait pas du Globe un grand journal d'investigation comme le Day mis en scène par Richard Brooks la même année dans le superbe Deadline U.S.A. (Bas les masques). Mitchell ne se bat pas pour une grande cause, mais démarre sur l'histoire d'un homme qui saute du Brooklyn Bridge, puis lance une souscription pour payer le socle de la statue de liberté. Joli symbole. Ce sont pourtant des sujets qui apparaissent bien légers mais qui, du coup, ne parasitent pas le fond du film, le principe d'indépendance.

N'ayant pas peur d'en rajouter, le scénario rajoute une réflexion sur l'évolution technologique avec le savoureux personnage (authentique) de Ottmar Mergenthaler, qui invente la linotype destinée à remplacer la composition manuelle (effectuée avec dextérité dans le film par un italien qui ne sait pas lire!). Cette invention capitale sera un enjeu de plus dans la lutte entre Hackett et Mitchell. Park Row s'en tient à une déclaration de principes et trouve sa richesse dans le portrait vivant de tout ce petit monde de la presse, dans le travail au quotidien de tous les rouages. Trouver le papier, manipuler les caractères, plonger les mains dans l'encre, organiser la diffusion, sont aussi importants que le fond des articles. François Truffaut montrera le travail de cinéma de la même façon vingt ans plus tard. Le parallèle est d'ailleurs limpide et si Fuller cède à un rien de nostalgie en faisant son autoportrait en jeune copy-boy avec le personnage de Rusty, il s'imagine en Mitchell, avec qui il partage le goût des gros cigares, dans les jeux de pouvoir hollywoodiens. Rapide et rythmé, Park row file comme un récit de passionné avec d’impressionnantes bouffées de violences typiques de l'auteur quand les choses s'emballent et que Mitchell fait jouer ses poings. Poème noir aux doigts d'encre, Park row est un Fuller essentiel.

Photographies : United Artist

A lire sur Critikat

A lire chez Shangols

A lire sur the Guardian (en anglais)

A lire sur Brightlightsfilms (en anglais) 

Par Jonathan Rosenblaum (en anglais)

16:43 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : samuel fuller |  Facebook |  Imprimer | |

25/07/2014

Les joies du bain : celle qui doit être obéie

Aimablement transmise par FredMJG (qui prend courageusement sur son temps libre) voici la belle actrice tchécoslovaque Olga Schoberová dans le bain et le double rôle de Carol et Ayesha, la divine héroïne imaginée par Sir Rider Haggard, She, celle qui doit être obéie. La débutante Olga remplaçait au pied levé la non moins belle Ursula Andress, vedette d'un premier film produit par la Hammer en 1965. Cette suite directe, The vengeance of She (La déesse des sables - 1968), signée Clive Owen ne rencontra pas le même succès. Pour ce qui est du bain, Olga était pourtant moins farouche qu'Ursula. Photographie DR.

She.jpg

 

16/07/2014

Lectures pour tous

L'évènement du mois, c'est sans conteste, sa modestie dû-elle en souffrir, la grande fête virtuelle des 10 ans du journal cinéma du bon Docteur Orlof que je m'obstine à appeler Pierrot pour des raisons nostalgiques, alors qu'il s'appelle Vincent comme toutes les âmes bien nées. Nos blogs ont une histoire parallèle, mais j'y reviendrais en novembre. Tout juillet, peut être au-delà, la blogosphère, la twitosphère, la face de boucosphère et les gens normaux qui lisent encore du papier célèbrent en mots et en images l'anniversaire d'un bastion cinéphile de haute tenue. J'y serais, je n'aurais manqué cela pour rien au monde.

Autre plume remarquable en son genre, l'ami Mariaque, le Capt'ain d'Abordages, revient avec Mancheck sous tirée "l’addition pourrait être salée", où il propose une très agréable forme de journal cinéphile, sur les traces de celui de Manchette, JP. Dommage que l'on ne puisse pas commenter, je lui exprime ici tout le plaisir que j'ai à le suivre.

blogs

Après 1967 sur lequel j'ai quelque peu fait l'impasse (pardon, pardon), Zoom Arrière se penche sur l'année 1968. Sous les pavés, les films, et de belles choses, la tête dans les étoiles. Bientôt 1969, sacrée année où j'ai repéré pas moins de six films potentiellement au sommet en ce qui me concerne. Encore des choix déchirants alors qu'il fait si chaud. Ce n'est pas humain. A lire en complément la note fleuve avec plein de photographies de FredMJG dont les goûts pour le vrai cinéma qui sent la poudre du côté d'Alméria m’emplit le cœur d'envies révolutionnaires, adelante ! Et puis merci pour m'avoir mis sous les yeux les films de Glauber Rocha.

Édouard de Nightswiming (en pause) et de Nage nocturne (en action) intègre l'équipe DVD des Fiches du Cinéma et entre en fanfare avec un bel article sur le coffret "Jean Epstein, poèmes bretons". 

Sur ce, je vais peut être me remettre au travail...

Photographie : MGM

02/07/2014

Petits carnets cannois (3)

La haut sur la montagne

« […] et ce côté sursignifié (l'horreur de la vie moderne, la technologie, internet, les téléphones mobiles, la mondialisation, aliénation et incommunicabilité… bla bla ou cui cui, je sais plus ». cette phrase de Buster sur Balloonatic à propos d'un autre film correspond tout à fait à mon sentiment d'agacement à la vision de Sils Maria d'Olivier Assayas. Inutile de dépenser beaucoup plus d'énergie pour ce film. Juliette Binoche incarne Maria Enders, une grande artiste dans la quarantaine qui doit rejouer dans la pièce qui la rendit célèbre à vingt ans. Dans cette pièce, une femme de quarante ans est dévorée de passion pour une jeune femme de vingt. Elle s'est révélée dans le rôle de la seconde, elle doit désormais affronter celui de la première. Rapport entre l'actrice et l'âge, entre le théâtre et la vie, avec le cinéma derrière. Le sujet est beau même s'il a déjà été abordé avec talent (esprit de Bergman, est-tu là?). Mais Olivier Assayas filme comme il écrivait et étouffe son film sous une mise en scène très en avant, pleine d'effets de style (montage sec, ruptures brutales, effets de reflets, caméra très (trop) mobile, sérieux papal). C'est tour à tour agaçant, lassant, désespérant. Le réalisateur reste à la surface des choses en enfilant une collection de clichés (inévitable vomissement). Une jolie scène rafraîchissante : Caméra quasi fixe. Binoche et Kristen Stewart qui joue la secrétaire – confidente de Maria, se jettent dans un lac de montagne. A leurs cris authentiques on devine que l'eau était vraiment froide.

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Afrique

Il y a un monde entre Olivier Assayas et le cinéaste mauritanien Abderrahmane Sissako. Un monde et une conception du cinéma. Timbuktu est une œuvre d'une grande force et d'une grande beauté. D'une simplicité d'accès qui nous fait pénétrer en douceur, mais avec fermeté, dans la complexité d'une situation tragique. Le film évoque la prise de Tombouctou par les milices islamistes et le bouleversement de la vie quotidienne des habitants qui se voient imposer la charia de façon aussi stupide que cruelle. Timbuktu est un film qui ouvre des portes. Sissako fait le pari que l'émanation d'une culture particulière, ici Africaine, exprime quelque chose d'universel via des valeurs partagées par tout être humain, l'amour (sous plusieurs formes), la foi, l'art et l'aspiration au bonheur. Hélas, la bêtise alliée à la brutalité sont de redoutables ennemis de ces valeurs. Le film de Sissako suit le destin de Kidane, éleveur de vaches dans les dunes, qui vit paisiblement entre sa femme aimante et sa fille adorable. Une famille idéale qui est dépeinte avec une économie de moyens, gestes simples, paroles rares et regards justes. L'harmonie est ressentie plus que démontrée. La rupture de cette harmonie ne viendra pas comme on peut s'y attendre de l'ingérence extérieure, mais d'une faille de Kidane, de ce qu'il porte encore en lui de violence et de trop grande confiance en lui. Pour tout dire, ce sera une histoire de vache appelée GPS et de voisinage difficile.

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Entre temps, Sissako nous fait découvrir une large galerie de portraits, mosaïque humaine qui compose un portrait global des oppressés comme des oppresseurs. Côté islamistes, le réalisateur met en avant les côtés humains et les motivations prosaïques, sachant utiliser un humour absurde qui peut virer au noir. Il y a ce milicien qui fume en cachette et est amoureux de la femme de Kidane, il y a son jeune chauffeur qui l'a percé à jour mais laisse faire, il y a ce jeune homme bêta qui tente d’enregistrer un message vidéo menaçant (une scène très drôle), et puis les autres, désœuvrés, peu convaincu, mais qui seront, c'est le point terrible, les bras et les armes de la violence la plus abjecte. Face à eux, il y a ce très beau personnage de la femme aux tissus qui tient tête aux islamistes avec sa folie de façade, il y a ces enfants qui jouent au football sans ballon (c'est interdit!), il y a cette poissonnière qui ne veut pas porter de gants au marché (ce n'est pas pratique), il y a ces musiciens qui se cachent pour jouer et dont la chanteuse est jouée par la malienne Fatoumata Diawara. Entre les deux, il y a un saint homme modéré, figure de l'équilibre qui défend l'islam de tolérance.

Peut être que le film aurait gagné a ne pas tant vouloir étreindre. Il y a un côté systématique chez Sissako qui semble vouloir passer en revue tous les aspects de son sujet. Certaines scènes comme l'ouverture avec l'enlèvement d'un occidental, ne sont pas intégrées au reste du récit. La scène de la lapidation, moment glaçant, arrive de façon abrupte. Par l'absence de point de vue à l'intérieur du film, elle fonctionne plus comme une scène choc que comme élément dramatique.

Mais la force de l'ensemble, l'aisance dans les ruptures de ton et le jeu très vivant de l'ensemble des acteurs, emporte l'adhésion. D'un point de vue formel, Timbuktu est d'une grande beauté. La photographie du tunisien Sofian El Fani qui a travaillé sur les deux derniers films d'Abdellatif Kechiche, est une splendeur qui rend les teintes chaudes des murs de terre, la finesse des étendues de sable, la richesse des couleurs des vêtements, opposée bien sûr au noir et terne des islamistes. Les femmes sont photographiées avec passion, avec cette sensualité africaine un peu alanguie, la plus belle des réponses aux intégrismes.

Photographies : DR Télérama et © Le Pacte