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10/12/2010
Godard par Corbucci, en guise de conclusion
Frédérique a eu raison de s'interloquer de ma clôture un peu rapide du Cobucci – Godard blogathon hier. En effet, il ne devait prendre fin qu'au premier coup de minuit. Du coup je lui suis reconnaissant d'avoir passé outre et de nous avoir offert, hier, un finale en forme de feux d'artifices autour de Sergio Corbucci, rétablissant quelque peu l'équilibre du double hommage. Éclatant, dynamique, coloré, enthousiasmant, à l'image du cinéma de « l'altro Sergio ». Je profite aussi de l'occasion pour lier le texte d'Anna paru mercredi sur Week-End de JLG, avec mes excuses pour mon défaut de vigilance. Mais ce n'est pas la seule surprise. Hier soir (je suis rentré tard), j'ai découvert que j'avais reçu, des mains diligentes de mon facteur, le numéro 246 de la Revue du Cinéma, Images et son, datée de janvier 1971 et contenant un entretien avec Corbucci mené par Noël (sic) Simsolo. Dans un commentaire précédent, je plaisantait à une remarque de Ran en disant qu'il serait intéressant d'avoir l'avis de Corbucci sur le cinéma de Jean Luc Godard. Par l'une de ces connivences secrètes du hasard qui font tout le sel de l'existence, je vous livre la première question de cet entretien, ainsi que sa réponse :
On vous considère comme un cinéaste commercial ?
J'appelle film commercial un film qui peut plaire à tous les genres de public. Godard est un grand maître et je le respecte beaucoup, mais je pense qu'il a fait plus de mal, chez lui, au cinéma, que nous, avec tous les films que nous avons pu faire, en Italie. Je dis cela malgré mon admiration pour lui, car quand il existe un maître de son envergure, il naît ensuite une série d'imitateurs ; ils essaient de faire le même type de cinéma. C'est vraiment dommage ! De même que Picasso, dans la peinture : beaucoup de gens regardant ses toiles croient que tout le monde est capable d'en faire autant. Dans le cinéma, c'est pareil : des réalisateurs, jeunes ou vieux, regardent les films de Godard et pensent être capables de faire la même chose. Mais ce n'est pas si facile. C'est dans ce sens que je déclare que Godard et Antonioni ont fait du tort au cinéma.
Si quelqu'un a le contrechamp de cette vision, je suis preneur.
22:49 Publié dans Cinéma, Réalisateur | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : sergio corbucci, jean-luc godard | Facebook | Imprimer | |
09/12/2010
Le tournage de Django par Franco Nero
Le Corbucci – Godard blogathon s'achève ici et sur une belle photographie publiée par Fredérique (Mais pas l'envie d'écrire sur ces deux réalisateurs !). Il est temps de remercier tous ceux qui ont participé par leurs textes et leurs interventions. C'était vraiment passionnant de passer de l'un à l'autre. J'espère que nous pourrons remettre cela à l'occasion. Deux conclusions : le cinéma de Godard est toujours bien vivant et inspire encore. Le cinéma de Corbucci a encore besoin d'un peu d'activisme. La revue italienne Nocturno lui a consacré plusieurs articles dans ses derniers numéros. Dans un texte en ligne, j'apprends avec un sourire d'envie que Quentin Tarantino aimerait lui consacrer un livre. Quelle bonne idée !
Je termine avec Franco Nero (pour Frédérique) racontant (en anglais, désolé, Ran) le tournage de Django (1966) et , bien sûr, la solution du jeu (Bravo à Breccio qui a presque tout identifié).
Solution du jeu : Il fallait trouver
Per un pugno di dollari : Pour une poignée de dollars (Leone)
Per qualche dollaro in più : Et pour quelques dollars de plus (Leone)
Vamos a matar compañeros : Companeros (Corbucci)
Il buono, il brutto e il cattivo : Le Bon, la Brute et le Truand (Leone)
Giù la testa : Il était une fois la révolution (Leone)
(La) resa dei conti : Colorado (Sollima)
Il mio nome è nessuno : Mon nom est Personne (Valerii)
Faccia a faccia : Le Dernier Face à face (Sollima)
Un dollaro a testa : Navajo Joe (Corbucci)
Il mercenario : El mercenario (Corbucci)
Cangaceiro ! : O Cangaceiro (Fago)
Un dollaro bucato : Le Dollar troué (Ferroni)
Minnesota Clay : Le Justicier du Minnesota (Corbucci)
Lo chiamarono il magnifico : El Magnifico (Barboni)
C’era una volta il west : Il était une fois dans l'Ouest (Leone)
Anche gli angeli mangiano fagioli : Les anges mangent aussi des fayots (Barboni)*
Corri uomo, corri! : Saludos hombre (Sollima)
Altrimenti ci arrabiamo : Attention, on va s'facher (Fondato)*
Dio perdona, io no : Dieu pardonne, moi pas (Colizzi)
Il bestione : Deux grandes gueules (Corbucci)*
Ma che c’entriamo noi con la rivoluzione? : Mais qu'est-ce que je viens foutre au milieu de cette révolution ? (Corbucci)
Django (Corbucci)
* : ces trois titres ne sont pas des westerns.
Texas peut éventuellement être pris comme allusion à Il Prezzo del Potere (Valerii) et Il mucchio selvaggio est le titre italien de The wild Bunch (La horde sauvage) de Sam Peckinpah comme le nom de la bande de truands de Mon nom est personne. Ringo est un personnage emblématique du genre, joué par Giuliano Gemma initialement. Barboni, c'est Enzo Barboni, l'inventeur de Trinità, et Leone, comme dit Breccio, c'est sans commentaire.
08:45 Publié dans Cinéma, Panthéon, Réalisateur | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : sergio corbucci, franco nero | Facebook | Imprimer | |
08/12/2010
Godard - Portraits
Le Corbucci - Godard blogathon
Joachim prend le relais avec une belle note sur 365 jours ouvrables qui nous livre la minute où Godard nous dit pourquoi on va au cinéma. Je me suis décidé à voir, enfin, Sauve qui peut (la vie) (1979) mais le temps m'est par trop compté aussi je m'en tiendrais à ma programmation initiale. Voici quelques portraits de Godard et une curiosité, une publicité des années 70 pour un après-rasage réalisé par le groupe Dziga Vertov.
Par Gérard Courant (série Cinématon 1981)
Par Wim Wenders (Room 666 - 1982)
Par lui même JLG/JLG, portrait de décembre (1994)
06:15 Publié dans Cinéma, Panthéon, Réalisateur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean-luc godard, gérard courant, wim wenders | Facebook | Imprimer | |
07/12/2010
L'adieu aux armes de Sergio Corbucci
Le Corbucci - Godard blogathon
Le bon Dr Orlof décidément inspiré par JLG propose une cinquième note autour de la relation particulière de Godard avec la télévision ou comment il la critique de l'intérieur.
De tous les westerns réalisés par Sergio Corbucci, son dernier en 1974, Il bianco, il giallo, il nero (Le blanc, le jaune et le noir) a la plus mauvaise réputation. Rien ne serait à sauver de cet adieu au genre auquel on reproche son manque d'imagination, de rythme, ses concessions à la mode déjà déclinante du western comique, le cabotinage de Tomas Milian et surtout, un humour raz des pâquerettes assaisonné d'une dose de vulgarité.
Mouais. Autant avouer de suite que j'ai pris beaucoup de plaisir à ce film, que j'y ai ri de bon cœur et sans remords, voire même avec une certaine jubilation comme on dit chez Télérama. Il est facile de comprendre la déception des admirateurs des contes cruels de Django (1966) ou Il grande silenzio (Le grand silence – 1968), et de ceux qui avaient aimé les aventures colorées de Il mercenario (Le mercenaire – 1968) ou Companeros ! (1970). Mais si l'on remet Il bianco, il giallo, il nero en perspective dans la carrière de Sergio Corbucci, au-delà du western, on pourra mieux lui faire une place et comprendre son importance. Mieux, ce film est passionnant pour explorer l'essence du cinéma de son auteur tant il est à la fois un bilan, un manifeste (parodique) et une ouverture. Il permet aussi de bien situer où se trouve le malentendu avec Corbucci, les raison parfois (mais pas toujours) justifiées pour le sous-estimer.
Il bianco, i giallo, il nero suit les aventures picaresques d'un improbable trio : l'intègre shérif Black Jack joué par Eli Wallach, le truand sympathique et athlétique d'origine suisse Blanc de Blanc joué par Giuliano Gemma, et le serviteur japonais apprenti samouraï Sakura joué par Tomas Milian. Tous les trois recherchent un poney sacré enlevé par de faux indiens et se disputent une bonne vieille malle pleine de dollars. L'argument, co-écrit avec pas moins de six scénaristes vaut ce qu'il vaut, c'est à dire pas grand chose. Mais il a donné déjà de bon résultats. On voit que Corbucci joue avec deux idées classiques : une parodie inspirée de Soleil rouge (1971), western de Terence Young avec Alain Delon, Charles Bronson et Toshiro Mifune en samouraï, et évidemment celle du trio lancé à la chasse au trésor dans le classique de Sergio Leone Il buono, il brutto, il cattivo (Le bon, la brute et le truand – 1966) auquel le titre fait clairement référence.
Souvent surnommé « L'autre Sergio », Corbucci s'est amusé avec dérision de son rapport avec Leone. On se souvient du personnage joué par Tomas Milian déclarant dans La banda J.S. (Far west story - 1972) « Celui qui a inventé les spaghettis, c'était un génie et il a du se faire de l'argent » en dévorant un plat de pâtes. Leone qui a toujours eu une haute estime de lui-même disait des westerns italiens « On m'avait désigné comme le père du genre ! Je n'avais eu que des enfants tarés. ». Mais Corbucci était passé à l'acte avant lui avec Massacro al Grande Canyon (Massacre au grand canyon – 1964) sortit trois mois avant le, il est vrai mythique, Per un pugno di dollari (Pour une poignée de dollars). Les deux hommes se connaissaient bien, ont travaillé ensemble vers 1959 et tourné côte à côte dans le désert d'Alméria. Face au succès et à la reconnaissance acquise par Leone, Corbucci peut parodier son film fétiche avec l'emblématique interprète de Tuco et faire dire à l'un de ses personnages « ...vergognati di fare vivere i tuoi bambini come dei barboni. Leone, questo devi diventare... » Barboni signifiant clochards mais étant aussi le patronyme d'Enzo Barboni, réalisateur des films de Trinità, tandis que « Tu devrais devenir un Leone/lion » est explicite. Plus largement, Il bianco, i giallo, il nero passe à la moulinette dix ans de western all'italiana. La première scène, savoureuse, voit la femme de Black Jack lui passer un savon en règle, lui reprochant une vie ratée. Le long monologue est constitué de titres de westerns italiens et autres fines allusions que le shérif écoute stoïquement avant de lancer « Ma ché c'entriamo noi, con la rivoluzione ? », titre originale du film précédent de Corbucci. L'effet comique est renforcé du fait que d'habitude, les personnages d'Eli Wallach sont ceux qui agonisent les autres de paroles.
La distribution va dans le même sens. Wallach c'est Leone, mais aussi tous les acteurs hollywoodiens venus trouver un second souffle en Europe. Giuliano Gemma incarne le western italien première manière, celui des Ringo et autres Arizona Colt, héros décontractés. Milian, c'est le renouvellement apporté par les personnages de mexicains (avec arrière-plan politique) et la tentation de greffer des éléments asiatiques sur un genre qui s'épuise. On peut aussi dire que Wallach incarne la tradition classique, Gemma le héros invincible et Milian la veine parodique. Bref, tout cela se tient, j'ose dire que cela fait sens. Et puisque c'est un adieu, Corbucci reprend aussi nombre de motifs qui ont jalonné sa carrière. Le shérif bien sûr, qu'il aime honnête, courageux et un peu idiot, et Black Jack d'être le digne héritier des personnages joués par Franck Wolf ou Gastone Moschin. Gemma joue un étranger un peu truand comme le polonais et le suédois joués par Franco Nero faisant équipe avec Tony Musante et déjà Milian. On trouvera aussi un Milian enterré jusqu'au cou, un cercueil contenant de l'argent, un cimetière (grand motif corbuccien), une prostituée rousse et une séquence de travestissement bouffonne. Je note un clin d'oeil à Howard Hawks quand, de derrière un muret, Gemma jette de la dynamite pour que Wallach tire dessus. Cet ensemble très référencé, mais sans parasiter l'action, peut dérouter celui qui s'attend à un pur récit, mais devrait réjouir par ce regard posé sur le genre et la réflexion un peu désabusée menée sur la fin d'un cycle.
Le rapport à la comédie est important dans Il bianco, il giallo, il nero. Il faut commencer par rappeler que la comédie est le domaine de prédilection de Sergio Corbucci. Il en a fait avant ses peplums et ses westerns, il en a fait après et même ses films les plus sombres en contiennent une bonne dose. C'est de la comédie italienne, du sud, romaine, maniant l'humour noir, la parodie, le grotesque. D'où peut être malentendu si l'on ne considère cet aspect que comme accessoire alors qu'il me semble central. Corbucci manie le gag dans un esprit très bande dessinée, visuel et immédiat, jouant sur l'anachronisme et les ressorts éternels de la Comédia dell'arte. Blanc de Blanc porte une croix blanche sur son marcel rouge, façon d'arborer sa nationalité suisse. Il file sur la moto d'un démonstrateur ambulant. Plus tard, Black Jack tombe d'un pont tout droit dans la nacelle du side-car que Blanc de Blanc va séparer de l'engin. Plus loin encore, le shérif transforme cette nacelle en une variation du pousse-pousse asiatique qu'il oblige le Suisse à tirer tandis que le japonais court derrière. Ironie et répétition. Un esprit cartoon que l'on retrouve dans les oreilles démesurément allongées de Sakura lors de son sauvetage. Les gags construits sur la distance sont plus laborieux comme le mal de dent de Sakura ou l'évasion.
Reste le fameux gag du pet de Poney qui a traumatisé les commentateurs. Il mérite que l'on s'y attarde car à lire les compte rendus, il y en aurait pléthore. Il y en a deux, bien intégrés à l'intrigue. Au-delà de la finesse de l'idée, certes discutable, son rejet est symptomatique d'une éducation cinéphile. Les codes de représentation dans lesquels nous avons baigné (et baignons toujours largement) aux USA comme en Europe, bannissent nombre de choses liées au corps, le sexe en premier lieu, mais aussi nombre de fonctions naturelles. Le cinéma italien, plus direct dans son approche, a beaucoup fait pour l'évolution de ces représentations. Ainsi la première fois que j'ai vu un homme uriner à l'écran, c'était Rod Steiger dans le premier plan de Giù la testa ! (Il était une fois la révolution – 1971) de Sergio Leone. Plan coupé dans les copies américaines. Il suffit d'évoquer certaines scènes de Fellini, Ferreri ou Pasolini pour comprendre la nature de leur apport. Aujourd'hui, les choses ont évolué et Kubrick a pu filmer Nicole Kidman assise sur ses toilettes. On sera peut être moins sensible, ce qui n'est pas sûr.
Il bianco, il giallo, il nero est aussi une comédie de la parole, d'un phrasé, d'une langue spécifiquement romaine que Corbucci a développé spécialement avec Tomas Milian dès leur première collaboration et qu'il parodie ici avec son japonais de bazar. Le personnage de Sakura est prétexte au plaisir du jeu de mot, car il comprend tout de travers. Il faut avouer que cet humour ne passe pas la traduction. La version française est authentiquement vulgaire, la version anglaise plate. Les amateurs des Marx Brothers savent quels peuvent être les dégâts d'une version française. Ceci posé, Milian n'est pas Groucho et il faut aussi accepter (supporter) le jeu outré du cubain. Ce n'est pas, je le concède, évident pour tout le monde mais si l'on aime les Monty Pythons ou John Belushi, on devrait être à l'aise. Milian s'est beaucoup amusé avec Sakura, au point de le reprendre en bloc dans un film contemporain, Delitto al ristorante cinese (1981) du frère Bruno. Par contraste, Corbucci fait jouer Wallach tout en sobriété, loin des exubérants Tuco ou Cacopoulos. Gemma seul reste fidèle à lui même.
Globalement, ce côté comique marqué du film est à la fois un retour aux comédies de l'époque Totò (les mots, les gestes) et l'annonce d'un retour au genre qui va se poursuivre avec Bluff l'année suivante, un démarquage du succès américain de The sting (L'arnaque – 1973). Corbucci a fait le tour du western, en épousant toutes les inflexions, il referme le cycle dans un éclat de rire, comme Black Jack retourne à sa famille après avoir rêvé mener la grande vie avec les dollars et la belle prostituée.
L'ensemble reste mis en scène avec élégance, même si l'on décèle l'abandon des recherches visuelles ayant marqué les oeuvres les plus remarquables. Sergio Corbucci tend à un style plus épuré, direct, plus simple. Son monteur favori, Eugenio Alabiso est toujours aux commandes et enchaîne les péripéties sans temps mort, maniant l'ellipse hardiment. Mais il s'est assagi, exception faite de la scène bouffonne où nos trois héros se déguisent en danseuses de saloon, se font draguer puis déclenchent une bagarre fameuse. La photographie de l'espagnol Luis Cuadrado qui avait signé les superbes ciels de La banda J.S. est conforme aux canon du genre. Il y a toujours de belles choses ici et là, l'entrée des héros dans le village déserté, la précision des scènes d'action, l'utilisation de l'écran large, la composition de la première scène avec ses multiples personnages répartis en profondeur. Corbucci a toujours le chic pour tirer partie des extérieurs espagnols que l'on a vus cent fois. Seule véritable concession à la mode, c'est l'une des rares fois qu'Ennio Morricone ne signe pas la musique, confiée aux frères De Angelis qui composent un thème sautillant, énervant mais qui finit par s'imposer.
Il bianco, il giallo, il nero, avec ses limites, est un film plus intéressant qu'il n'y paraît, souvent distrayant, important au sein de la carrière de son auteur, attachant par certains côtés si l'on veut bien le voir à travers le regard fatigué du shérif Black Jack.
Sur Psychovision
La chronique de Tepepa.
Photographies : Flixter
06:00 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : sergio corbucci | Facebook | Imprimer | |
06/12/2010
Godard contre Kubrick
Pour filer la métaphore cycliste, le Dr Orlof fait une belle course fond sur le col du St Godard avec un nouvel article, Godard décortiqué, sur la présence de notre homme deans le travail de Gérard Courant. De son côté, Ed de Nightswimming nous propose un de ces classements dont il a le secret. Êtes vous godardien ?
A l'origine de ce texte, il y a la découverte, voici quelques années, de la vidéo ci-dessous sur le toujours excellent et toujours multilingue O Signo do dragao. Cet extrait provenait de l'une de mes émissions cultes du temps que je regardais la télévision. Ah ! Cinéma, cinémas, la musique déchirante de Franz Waxman, les peintures de Guy Peellaert, le cri de Rita Hayworth dans Lady from Shanghai et les portes d'Aphaville. J'imagine que tous ceux qui suivaient ce magasine télévisé sur Antenne 2 dans les années 80 s'en souviennent avec les yeux humides. Donc je regarde et, comme souvent avec Godard, au bout d'une minute, je fais des bonds sur mon siège, excité, passionné et furieux. Les idées roulent dans ma petite tête, puis je temporise, je prends le temps de la réflexion en même temps que des notes, et puis le temps file, et puis comme on ne badine pas avec le contenu copyrighté, je constate que la vidéo a été retirée. Me voici avec un texte embryonnaire, une grande envie d'en découdre, mais plus de quoi travailler. Et pas question de se lancer de mémoire, la mienne est trop aléatoire. Je laisse donc macérer le temps que la vidéo ressorte, ailleurs. Magie d'Internet.
Donc voilà.
C'était ça, Cinéma, cinémas, et je trouve ça passionnant bien qu'en même temps ça me fasse grimper aux rideaux. Godard dans ses œuvres. Rien que sa façon de dire « C'est du Peckinpah, si tu veux ». Moi, je n'y tiens pas. En même temps c'est ici qu'il a cette belle phrase sur la télévision qui fabrique de l'oubli et le cinéma des souvenirs. Godard a la passion de la critique de cinéma. Devenu metteur en scène, il a fait vivre cette passion dans ses films. Rien ne l'enthousiasme plus que de confronter les images entre elles et nul peut être plus que lui n'a autant pensé (sur) les images. Reste que, comme toute l'équipe historique des Cahiers du Cinéma, il a construit cette réflexion sur des positions tranchées, des clivages marqués, une confrontation des films et des auteurs où se mêlent aux critères esthétiques des considérations politiques et morales. A cela s'ajoute chez JLG ce désir de la dispute dont j'ai déjà parlé. Il y a dans telle ou telle prise de position une part de provocation qui appelle une réponse. Mais son style, quelque peu ombrageux, puis sa réputation font que la réponse ne se fait pas.
La démonstration est ici exemplaire. Godard reçoit l'équipe de tournage (Guy Girard et Michel Boujut) au sein de son atelier ou de son laboratoire. Il confronte deux images, deux passages de deux films : Full metal jacket (1988) du réalisateur américain Stanley Kubrick et 79 veranos (79 printemps – 1969) du cinéaste cubain Santiago Álvarez. Il y a deux écrans l'un au dessus de l'autre, un peu comme Godard filmait Numéro 2 (1975). A première vue, tout oppose les deux films et leurs auteurs, la grosse production classique d'apparence, américaine (même si le film a été tourné en Angleterre) d'un auteur célèbre et célébré, face à un film poème, expérimental et très engagé d'un réalisateur cubain par ailleurs combattant de la révolution. Ce qui me gène, c'est le choix de la confrontation de ces deux films (au lieu d'une comparaison), les arguments utilisés et la plus value morale qui est donnée à l'un contre l'autre. Ce n'est pas tant sur le principe que je m'élève. Godard défend un cinéma qu'il aime et qu'il pratique, c'est son droit. Son dispositif est parfait. Mais sous l'habillage démonstratif, scientifique pourrait-on dire, il se permet de passer sous silence un certain nombre de faits, d'ignorer la spécificité de certaines situations et de passer en force au risque de l'énormité, le tout avec une parfaite mauvaise foi, renforcé du fait que ce n'est pas Boujut qui va lui faire la moindre remarque. Bien mieux, lors de l'échange autour du film de John Wayne de 1968, Godard se paie le luxe d'apparaître magnanime (ceci dit, il n'aurait plus manqué qu'il soutienne l'idée d'interdire un film). On sent trop le plaisir qu'il a de se mesurer lui-même avec Kubrick, n'abordant jamais le caractère particulier de l'œuvre et de l'homme.
Prenons l'histoire du ralenti. Chez Peckinpah il est inclus dans un montage très fragmenté, rapide, enchaînant les points de vue. Il s'agit de dilater le temps, de donner une respiration au sein des déchaînements de violence. Chez Kubrick, qui l'a peu utilisé, c'est tout autre chose. Il s'agit de donner du poids à un moment précis, celui de la mort de l'un de ces soldats que l'on suit dans un tourbillon ininterrompu depuis le début du film. Là, il est isolé et le ralenti, comme le plan subjectif juste avant, très large, accentue le sentiment d'isolement et de vulnérabilité. Chez Peckinpah c'est un point virgule, chez Kubrick c'est un point final. On peut dire aussi que chez Peckinpah c'est une façon de faire avancer l'action en la morcelant, alors que chez Kubrick c'est une suspension du temps pour figer l'action. Il est difficile de croire que Godard ne fait pas la différence d'autant que le ralenti kubrickien est proche de celui qu'il utilisa dans Sauve qui peut (la vie). Donner de la densité à un instant , à un geste bien particulier. Et celui d'Alvarez n'est guère différent puisqu'il s'agit de figer, de densifier un instant, ici de douleur. La seule différence se situe au niveau du personnage. Alvarez fait un film dont le personnage est un peuple en lutte, disons comme quand Eisenstein fait Octobre (1927), alors que Kubrick fait un film sur des individus envoyés dans la guerre. Godard ne nous dit pas que Full metal jacket n'est pas un film sur la guerre du Vietnam, mais mais un film sur le conditionnement à la guerre et l'effet de ce conditionnement. C'est là que se situe le travail documentaire de Kubrick. La guerre du Vietnam, en tant que fait historique, politique, est une abstraction que Kubrick rend en ne montrant justement pas l'ennemi, en ne faisant aucun discours alors qu'Alvarez conclut son plan par un intertitre qui sonne comme un slogan. La guerre de Kubrick ce sont de jeunes gens qui tirent aveuglément sur la façade d'un bâtiment qui pourrait être de n'importe où. Et qui meurent parfois. Et quand ils découvrent leur ennemi, c'est une gamine de 13 ans. Car le contre-champ existe. Kubrick doute de l'homme quand Alvarez croit dans le peuple. Godard ne nous dit pas que Kubrick est un artiste misanthrope, obsédé de contrôle et farouchement individualiste. Comment imaginer qu'il ait pu faire un film « américain » ?
Côté mauvaise foi, la sortie sur les grands acteurs hollywoodiens jouant les officiers allemands est un grand moment. J'allais citer John Wayne mais, le saviez vous, il a bel et bien joué un commandant de navire allemand dans The sea chase (Le renard des océans – 1955) pour John Farrow. Il y est bien entendu un allemand anti-nazi. Inutile de vous dire qu'il y est crédible comme moi en pape. Évidemment très peu l'on fait. Stewart, Bogart, Cooper, Grant, McQueen, Eastwood, certainement pas. Et quand on voit ce qu'à donné Marlon Brando en officier de la Wermarch pour Edward Dmytryk, je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée. C'est un peu comme quand on a imposé des acteurs espagnols à John Ford pour faire les indiens dans Cheyenne Autumn (Les Cheyennes – 1964), cela ne fonctionne pas terrible. A plus forte raison, penser qu'un acteur américain puisse jouer un vietnamien, c'est difficilement imaginable. Tant qu'au contraire...
Ce dont Godard ne parle pas, qui est essentiel et sur lequel on pourrait se rejoindre, c'est la différence d'accès aux films entre Kubrick et Alvarez, une différence économique qui est aussi un acte politique. Mais chacun des deux faisait les films qui lui ressemblait. Les deux visions sont complémentaires, pas antagonistes. On peut penser à bien des films qui auraient été plus pertinents pour la démonstration de Godard. Mais il lui fallait un adversaire à sa taille.
05:26 Publié dans Cinéma, Panthéon, Réalisateur | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : jean-luc godard, stanley kubrick, santiago Álvarez | Facebook | Imprimer | |