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02/10/2010
Des hommes et des dieux
Le nouveau film de Xavier Beauvois rencontre le succès et j'aurais mauvaise grâce à ne pas m'en réjouir. Lorsqu'il a été présenté à Cannes en mai, j'étais dans la file d'attente avec des amis qui avaient leurs places et tentaient de me convaincre de les accompagner. J'ai jeté un œil sur le programme : « Une histoire de moines, ça ne m'inspire pas ». J'avais tort. Je ne me suis pas ennuyé un instant en le découvrant ce week end dans une très belle salle à l'ancienne de Cavaillon. C'est un film remarquable, précis, carré, rigoureux, assez beau par moments, le plus souvent grâce à la lumière de Caroline Champetier, magicienne des vibrations du soleil à l'aube (très belle première scène construite sur les premières heures du jour) et de la bougie monastique. C'est nettement mieux que Le petit lieutenant (2005), ma précédente expérience avec le cinéma de Beauvois.
Pourtant, je ne vois pas dans Des hommes et des dieux l'espèce de chef d'œuvre assez largement loué. Pas déçu, loin de là, le film correspond à l'idée que je m'en faisais (précis, carré, rigoureux) ce qui n'est déjà pas mal. Le film, évoquant pour ceux qui l'ignoreraient, le destin funeste des moines du monastère de Tibhirine en Algérie, jusqu'à leur enlèvement en 1996, remplit son programme mais s'y tient avec une sorte de crispation qui empêche l'intensité, la tragédie, la violence, la poésie, en un mot pour citer Samuel Fuller, l'émotion. Les qualités du film se retournent contre lui et en forment les limites, larges mais réelles.
Xavier Beauvois construit sa mise en scène sur règle de Saint Benoît suivie par les moines : compositions épurées, cadres dépouillés, retenue du jeu, poids du silence, attention à la beauté et à la musique de la Nature. La caméra est souvent fixe (ce que je ne lui reprocherais certes pas), les gros plans prennent leur temps, le montage posé (en général). Beauvois s'attache à décrire le quotidien (les gestes, les rites, le travail) et décide de se limiter drastiquement dans la peinture de la violence qui règne en ces années de guerre civile où la population est prise en terrorisme extrémiste et pouvoir militaire. Le réalisateur refuse d'aborder l'assassinat des moines après leur enlèvement, position justifiée par le fait qu'aujourd'hui encore, on ne sait pas très bien qui les a tués. La violence qu'il choisit de montrer éclate par à-coups. Beauvois choisit la surprise contre le suspense comme dans la scène du meurtre des ouvriers croates que rien ne prépare, avec son gros plan gore inutile, sa caméra tout à coup agitée rendant l'action illisible. Plus ennuyeux, cette scène n'engendre pas l'inquiétude dans les scènes suivantes, l'inquiétude d'une mise scène qui traduirait le trouble des moines. La retenue de Beauvois agit comme la surface de l'eau absorbant l'impact d'un galet. Tout à ses descriptions minutieuses, respectueuses, aux interludes des chants en commun et des prières, il crée un décalage, un décrochage avec la situation vécue. De même, les dilemmes intérieurs des moines, une fois passées les séances de discussion collectives, sont tellement intériorisés (sauf chez Christophe joué par Olivier Rabourdin), qu'ils disparaissent du film et leur décision finale, dans un second temps, arrive sans que l'on ai senti les évolutions des uns ou les convictions des autres. La meilleure scène, finalement, c'est encore l'affrontement nocturne entre Frère Christian et le chef de bande venu embarquer médecin et médicaments.
La volonté de dépouillement contribue aussi à révéler les écarts dans l'interprétation. L'approche de Beauvois oblige à un jeu très sobre et naturel, très cinématographique en vérité. Pour certains, cela conduit à l'effacement (Loïc Pichon, Xavier Maly et Jean-Marie Frin) et pour Lambert Wilson à une composition tout aussi crispée que la mise en scène. Je m'explique : sans doute pénétré de l'importance de ce rôle (réelle), Wilson se raidit, trop attentif à en faire le minimum. Du coup il manque de naturel. Il ne passe pas loin, mais le moindre geste est un poil trop pensé, trop calculé. Il faut voir ses jeux de mains lors des séances de discussion, comment elles prennent la pose. Comment sa voix prend le ton plein d'humilité. Comment la larme perle au coin de l'œil lors du repas en musique, seule scène à mon avis véritablement ratée dont la succession de gros plans fait éclater l'hétérogénéité de jeu des acteurs (et échoue à rendre compte du sentiment de fraternité). Les défauts de Wilson, les limites de Pichon, Maly et Frin prennent du relief face à la justesse confondante de Michael Lonsdale, Jacques Herlin et Philippe Laudenbach (Rabourdin se situe à mon sens entre les deux, il en fait un peu trop, mais il a quelque chose à jouer de plus intense). Lonsdale est un immense acteur de cinéma. Mocky, Spielberg, Bunuel, Duras, Hamilton, Truffaut, Godard, il a tout fait, a survécu à tout. Comme John Wayne ou Marcello Mastroianni, il ne joue pas, il sait être. En frère Luc, médecin de la bande, il apporte une jolie touche d'humour. Sa voix inimitable fait des merveilles, y compris dans des scènes un peu fabriquées (avec la jeune fille). Et puis ses mains... rien de forcé, jamais. Herlin, il faut ouvrir une parenthèse : je l'ai découvert dans un western italien, Le due facce del dollaro (Poker d'As pour Django – 1967) de Roberto Bianchi Montero. On ne peut plus éloigné du film de Beauvois. Lui aussi a tout fait, de Fellini à Sollima, de Beineix à Besson, beaucoup de cinéma italien, beaucoup de cinéma de genre. Refermons la parenthèse. Ici, il est le doyen des moines. A 82 ans, le petit tremblé des mains, le soupçon d'humidité aux coin de l'œil, on ne le joue plus. Herlin, c'est la force de l'évidence. Laudenbach, c'était le monologue final du tueur dans la cabine téléphonique de Vivement dimanche (1983) le dernier film de Truffaut. Beaucoup de classe, une assurance tranquille. Il est impeccable quoique pas assez employé.
Christophe (le blogueur, pas le moine) rapprochait ce film chez Ed de Nightswimming du Seven women (Frontière chinoise - 1966) ultime opus de John Ford. Belle idée que je n'aurais sans doute pas eue. Un peu vache pour Beauvois qui n'en est qu'à son cinquième film, mais très juste. Je vais faire un pas de plus en rapprochant notre film du Alamo (1960) de John Wayne. Mais si, la mission « assiégée », le groupe déterminé à lutter pour sa croyance, le dilemme : partir et renoncer ou rester et se sacrifier. Wayne aussi puisait dans l'Histoire des leçons pour le présent. Il jouait lui, la carte du spectaculaire, tout en livrant ses convictions (dont on peut discuter mais ce n'est pas le problème ici). John Ford de son côté multiplie dans son film les conflits et les tensions, les unes nourrissant les autres, révélant les êtres. Sous les apparences du film d'action, il développe un discours complexe sur les femmes, l'hypocrisie sociale, la foi, le sens des valeurs, bref une vision du monde et de la vie. Un engagement. C'est ce qui manque à Beauvois, bien que je ne pense pas qu'il manque de conviction personnelle, la force d'un engagement ne passe pas vraiment, pas autant qu'il l'aurait fallu, à travers celle de ces moines qu'il filme. Je lui vois pourtant une qualité qui le rapprocherait de Ford, le fait de filmer la religion, la foi, sans aucun prosélytisme, dans la simple action quotidienne. Les moines sont ici moines comme d'autres seraient pilotes de l'Aéropostale ou équipage de navire. Leur foi fait partie d'eux en tant que personnages, jamais en tant qu'idéologie plaquée sur le récit. C'est pour moi l'aspect le plus remarquable de ce film précis, carré, rigoureux.
Photographies : © Mars Distribution
Pour un ensemble d'autres avis, une seule adresse : Panoptique.
11:29 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : xavier beauvois | Facebook | Imprimer | |
01/10/2010
Hécatombe
Il y a des semaines où, si l'on est un peu sentimental, il vaudrait mieux être haltérophile que cinéphile.
Gloria Stuart, la Rose âgée de Titanic (1997) de James Cameron, mais aussi actrice chez John Ford dans Air mail (1932) et The Prisoner of Shark Island (Je n'ai pas tué Lincoln – 1937) où elle campait la femme du malheureux héros. A 100 ans, belle carrière.
Hélas beaucoup plus jeune, Sally Menke était la monteuse attitrée de Quentin Tarantino, collaborant avec lui de Reservoir Dogs (1992) à Inglourious Basterds l'an passé. On frémit en pensant au boulot que ce devait être pour organiser les jeux du temps et de l'espace de pareils films. Elle avait également travaillé pour Oliver Stone et Xavier Beauvois. Respect.
Arthur Penn, je dois avouer que je n'aimais pas trop son cinéma, en particulier ce qu'il a fait dans le western, Little big man (1970) étant une purge consensuelle et oscarisée (Que les dieux en leur bonté nous protègent des rictus de Dustin Hoffman) et son Billy the Kid de The left handed gun (Le gaucher – 1958) est tellement loin de celui de Sam Peckinpah. Bon, il reste le cinéaste américain intellectuel (de gauche bien sûr) type, tel que l'admirent les français (de droite comme de gauche), tellement plus facile à aimer que Fuller, Aldrich ou Eastwood. Seul The Miracle Worker (Miracle en Alabama – 1962) m'avait vraiment impressionné et puis Missouri Breaks (1975) est assez bouffon pour être drôle, d'autant que la partition de John Williams est fort réussie.
Tony Curtis, je salue l'homme qui aura tenu si sensuellement Marilyn dans ses bras. Ses fantaisies télévisées amicalement nôtres auront presque fait oublier qu'il fut un acteur formidable pour Wilder, Kubrick, Edwards (Ah ! Le sous marin rose, l'éclair sur les dents du grand Leslie), Mackendrick, Fleischer qui le rendit crédible en viking puis en étrangleur. On lui pardonnera d'avoir été parfois plus léger comme avec les collants verts de l'homme reptile (Je balance, mais c'est affectueux). Pendant des années, j'avais sur une étagère une figure de carton qui le représentait ainsi. J'ai été marqué.
23:40 Publié dans Actrices, Cinéma, Réalisateur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : arthur penn, tony curtis, gloria stuart, sally menke | Facebook | Imprimer | |
27/09/2010
Argento années 2000 - Il cartaio
Je pourrais éventuellement regretter d’avoir découvert Il cartaio tourné en 2004 par Dario Argento après Giallo sorti 5 ans plus tard dans la mesure où les deux films se ressemblent. Deux histoires de tueurs fous assassinant de belles et jolies jeunes femmes tout en défiant la police. Cette fois, c’est directement via un jeu de poker en ligne. Si la police perd, la fille est égorgée, si la police gagne, la fille est libérée. Deux thrillers plus que de véritables gialli, se suivant sans déplaisir mais sans passion. La ressemblance est surtout flagrante sur la forme. Les deux films ont la même esthétique un peu terne (froideur des décors ordinaires, rareté des couleurs vives), le même défaut d’ambition formelle (pas de cadrages tordus, pas de mouvements virtuoses de la caméra, montage assez sage), l’absence de coups de folie. Un film derrière l’autre, c’est un de trop.
Il cartaio ressemble à un catalogue de belles idées inexploitées. Pourquoi ? Je me perds en conjectures. L’idée du jeu en ligne aurait pu être excitante, comme la description d’un monde dominé par les relations virtuelles. Hélas, l’interface du jeu est très pauvre, le déroulé des parties toujours identique et les spécialistes informatiques de la police traités par-dessus la jambe, sans une once de vraisemblance. Non seulement Argento n’apprécie pas ce monde (ce que l’on savait déjà), mais il est incapable de porter sur lui un regard, même ironique, même critique. C’est assez gênant pour un élément central de son film. Quand on pense à ce que les réalisateurs de western pouvaient faire avec une partie de poker réelle !
Dans un autre registre, Stefania Rocca est plutôt bien dans un rôle de policière au centre de l’enquête assez proche de celui tenu par Asia Argento dans La sindrome di Stendhal (Le syndrome de Stendhal – 1996). Malheureusement, le personnage est mal écrit et elle a peu à défendre. Sa relation avec le policier irlandais joué par Liam Cunningham est basique, comme les soucis du policer avec l’alcool sont traités avec lourdeur. La relation entre la policière et Remo, le jeune prodige des cartes (dont on se demande bien en quoi son talent réside), n’est pas plus développée. Il y avait pourtant de quoi faire, mais Argento, tout du long, ne semble pas intéressé. On se prend à rêver à ce qu’aurait pu donner la scène ou Remo est séduit par une mystérieuse inconnue et entraîné dans le dédale des rues romaines jusqu’au rives du Tibre. Et quand je pense que la belle est tuée d’un simple coup de feu. Bon. Côté meurtres, ils sont souvent, trop souvent hors champ et le finale manque de conviction. Restent quelques lueurs éparses qui, paradoxalement, rendent Il cartaio moins homogène que Giallo : l’employé de la morgue qui fait des claquettes en chantant du bel canto, la découverte du repaire du tueur par le policier irlandais dans un jardin à la lumière dorée et, surtout, l’agression nocturne d’Anna chez elle, jolie scène jouant sur la profondeur de champ et les ombres chinoises. Maigre bilan pour un film qui fait revoir à la hausse les audaces de La terza madre (2007).
A noter l'étrange relation qu'Argento entretien avec les "filles de". Les siennes bien sûr puisque Fiore Argento joue ici l'une des victimes (elle s'en sort), mais aussi celle de Giuliano Gemma, Vera, qui meurt, elle.
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08:50 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : dario argento | Facebook | Imprimer | |