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14/12/2008

Hommage à Forest J. Ackerman

C'est passé complètement inaperçu (ou presque) en notre doux pays et c'est bien dommage. Forrest J Ackerman a disparu début décembre. Ackerman était un passeur dont l'influence sur le fantastique et la science fiction a été majeure. Il était un peu l'équivalent, en France, de gens comme Francis Lacassin, Ado Kyrou, Jean Boullet ou Jean Pierre Bouyxou, qui se sont intéressé et ont intéressé à des forme d'expression artistique, à des genres qui étaient méprisés ou négligés à leur époque : fantastique, horreur, érotisme, bandes dessinées, Fantomas et Tarzan. Forrest J Ackerman, né en 1916, s'est intéressé à la science-fiction dès les années trente, au sein de clubs, écrivant dans des revues, devenant un activiste du genre. Il était l'ami de gens comme l'écrivain Ray Bradbury ou le légendaire créateur d'effets-spéciaux Ray Harryhausen, travaillant avec le gratin du genre. Créateur de Vampirella à la fin des années 50, il est surtout le fondateur de la fameuse revue Famous Monsters from filmland en 1958 une revue qui aura une influence déterminante sur un pan entier du cinéma américain puisqu'elle fera rêver des adolescents comme Joe Dante, John Carpenter, Steven Spielberg ou Tim Burton. Ackerman était donc un passeur, un inspirateur, un fan, un passionné, un collectionneur acharné qui vivait dans une maison regroupant des milliers de documents, revues, objets, photographies, bref, vous l'aurez compris, une sorte de Henri Langlois du fantastique. De nombreux blogs américains lui rendent aujourd'hui hommage aussi, aussi il n'était pas pensable qu'Inisfree ne lui tire un coup de chapeau. Et pour ce faire, je me suis revu vendredi Forbidden planet (Planète interdite – 1956) de Fred McLeod Wilcox, ses cieux colorés, son Ann Francis en minijupes, son monstre invisible et son Robby le robot.

Sur Flickhead

Sur Cinebeats

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11/12/2008

Comment ça va, monsieur Eastwood ?

Au départ, j'étais partit sur un texte à propos de Brian de Palma, une sorte de bilan de ma relation, un peu heurtée à son cinéma. Et puis il y a eu ce texte du bon Dr Orlof, plutôt virulent, et puis les débats qui se sont greffés autour, sur Cinématique, Nightswimming et Les objets gentils. Débats passionnés qui, après la pause sur le dyptique Iwo Jima, ont réactivé les polémiques et les critiques qui s'étaient élevées autour de Mystic River et Million dollar baby. De leur côté, les voix officielles passent avec un bel ensemble la brosse à reluire sur le récent Changeling (L'échange). Très bien, De Palma attendra, je prends le pouls de notre homme Clint

A la fin des années 70, Eastwood était un type assez infréquentable pour moi. Héros un peu facho d'un cinéma d'action sans finesse, on ne m'encourageait guère à aller le voir, d'autant qu'il était pour mon père le fils spirituel de John Wayne. Cela aurait dû me mettre la puce à l'oreille, mais je trouvais la comparaison exagérée. Pas attiré donc, je me souviens encore de mon recul devant l'affiche de The gauntlet (L'épreuve de force – 1977) façon héroïc fantaisy. Pauvre couillon, c'était une oeuvre du grand Franck Frazetta ! Néanmoins, j'appréciais quand même l'acteur, le Blondin de Léone et le Kelly de Brian G. Hutton. Mais ça s'arrêtait là.

J'ai franchi le pas à reculons, accompagnant un ami voir Sudden impact en 1983. Ce film était le premier (et le seul) de la série mettant en scène l'inspecteur Harry réalisé par Eastwood soi-même. Le choc a été profond. Voilà que je découvrais un film superbe, filmé avec élégance, des hommages discrets à Hitchcock et Welles, une héroïne atypique et diaphane, Sondra Locke, sa compagne d'alors, et un propos bien plus subtil que prévu au-delà des scènes imposées (la cafétéria) que j'avoue pourtant avoir trouvées jouissives. J'y suis retourné deux fois. L'année suivante, son rôle dans Tightrope (La corde raide) sous la direction de Richard Tuggle, achevait de renforcer cette idée qu'on m'avait raconté un peu n'importe quoi. Jamais John Wayne n'aurait joué un policier fréquentant les prostituées et jouant avec elles à des jeux sado-masos.

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Take a hard ride (source : Clinteastwood.net)

Bird m'a définitivement convaincu. C'est aussi, je pense, ce film qui a a fait basculer la critique de son côté. A partir de ce film, il est devenu fréquentable et « sensible », « oscarisable » et « légion d'honneurisable ». Tout à été réévalué en bloc et les films à venir seront l'objet de toutes les attentions. Pour moi, ce film a d'abord été un choc esthétique. La traduction en images de la musique de Charlie Parker et plus largement de l'univers du jazz. Avec ce film, Eastwood m'a ouvert des portes. J'ai aimé sa façon de composer des images très sombres, des noirs profonds avec juste quelques touches de lumière. J'y retrouvais ce que j'aimais chez quelques maîtres du noir et blanc, les chef opérateurs Gregg Toland ou Joe August, les images des films d'Akira Kurosawa. Intellectuellement, sa vision du monde des musiciens noirs des années 40 contredisait tout ce que véhiculait son image grand public. Et je crois que cette contradiction, aujourd'hui encore irrésolue, est au coeur de l'intérêt que je porte à son cinéma.

Cette contradiction s'incarne bien dans la série des Dirty Harry. Réalisé par Don Siegel, le premier film en 1971 a fondé cette image « fasciste, raciste et machiste » selon Pauline Kael, provoquant la confusion entre l'acteur et son personnage. Avec arrogance mais non sans humour, Eastwood va répondre à travers les autres films de la saga. Dans Magnum force (1973) de Ted Post, il affronte sa caricature à travers un escadron de la mort composé de policiers d'extrême droite. The enforcer (L'inspecteur ne renonce jamais – 1976) de James Fargo l'oblige à faire équipe avec une femme et à s'allier à un noir. Sudden impact l'amène à remettre en question sa conception (ô combien) rigide de la loi quand il tombe amoureux d'une femme poursuivant une sanglante vengeance. L'ultime volet se moque du vedettariat mais est il est largement raté. Ces films, auxquels on peut ajouter le fondateur Coogan's bluff (Un shérif à New-York – 1969) de Don Siegel et The gauntlet qu'il réalise lui-même, dessinent un portrait plutôt convainquant de l'Amérique de l'époque. Tout autant que les films de Michael Cimino, Martin Scorcese ou William Friedkin. Une Amérique un peu paumée, en crise de ses valeurs, doutant de sa force et de ses idéaux, une Amérique qui ne reconnaît plus ses enfants, dont la violence fondatrice lui est retournée en pleine figure et surgit du plus profond du pays (Texas Chainsaw massacre de Tobe Hooper, c'est l'époque).

Les personnages joués par Clint Eastwood dans ces films ont deux expressions type : La colère froide (Make my day !) et ce petit air tordu de celui qui ne comprend pas. Ligne des sourcils en biais, mâchoire serrée, l'oeil incrédule, c'est son expression face aux institutions qui le lâchent, aux femmes ou aux noirs qu'il pense mépriser mais qui se révèlent des alliés dans un combat qu'il se croit seul à mener. C'est le regard d'un vrai misanthrope. Et ce qui me semble intéressant, c'est le regard que Clint Eastwood réalisateur, porte sur ce regard-là.

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Alors, on me dit que le roi est nu ?

Josey Wales dans le western de 1976 est le plus réussi à ce niveau. Wales est un homme à qui l'on a tout pris et qui s'est transformé en machine à tuer. Mais au cours de son périple sanglant, il attire autour de lui une jolie bande de bras cassés. Un vieil indien, une jeune fille simplette, un chien errant... Si le regard de Wales sur cette humanité est méprisant (il crache régulièrement sur le chien), celui d'Eastwood est plein de tendresse et l'enjeu du film, c'est que Wales modifie le sien, fasse la paix avec les autres et avec lui-même. On retrouve ce genre de parcours dans Bronco Billy (1980), Honkytonk man (1982) et Million dollar baby (2004). Au coeur de ces histoires qui revisitent l'imaginaire américain (le western, la country, la route, la boxe), il y a d'abord la recherche d'une dignité et l'étude d'un rapport père-fille (dans Pale rider (1985) aussi, mais de façon plus tordue). Une idée, certes conservatrice, de la transmission de valeurs, elles aussi souvent conservatrices mais très américaines. Pas seulement pourtant puisque la transmission se joue aussi sur une histoire culturelle (la musique, le sport...). C'est pour cela que les lectures de Million dollar baby qui se focalisent sur le film de boxe (nous ne sommes pas chez Tarantino), l'euthanasie ou la description sociale de la famille de l'héroïne me semblent passer à côté de l'essentiel. Eastwood s'appuie sur les ficelles (certains diront les câbles) du cinéma de genre, western ou mélodrame, pour aborder ce qui l'intéresse profondément et qui est du registre de l'intime. Le virulent et au demeurant intéressant texte du Dr Macro à l'époque, ne voit pas ce qui se joue dans ce registre là et perd la cohérence de l'ensemble comme la beauté musicale de la mise en scène, inspirée comme souvent chez Eastwood par le jazz et la blues : variations, rythmes alternés, atmosphère, émotion à fleur d'image à travers l'utilisation des gros plans.

C'est peut être mon sentimentalisme fordien, mais ce cinéma me touche sans que je ne sente jamais manipulé. Il faut dire que je ne me sens presque jamais manipulé au cinéma. Comme l'écrit Jean-Baptiste Thoret dans un texte fort intéressant : « [...] La vraie question reste : que faire de la « part maudite » de la société, de ces pulsions violentes et désirs inavouables que chacun porte en soi, et qui sont parfaitement humains. Critiquer cette violence, c’est nier cette part violente ».

A côté de ce regard qui apprend à voir les autres, il y a celui qui voit le vide s'ouvrir devant lui. Celui qui est confronté aux conséquences de ses « désirs inavouables ». Arrogants, méprisants parfois, trop sûrs d'eux, certains héros eastwoodiens font l'épreuve de la tragédie. Pour moi, le personnage emblématique, c'est celui du réalisateur dans White hunter Black heart (Chasseur blanc, coeur noir – 1990). Progressiste, artiste aristocratique et flamboyant, inspiré de John Huston, John Wilson a un ego démesuré qui lui fait tout sacrifier à ses désirs de puissance. Au cours d'un tournage en Afrique, il a décidé qu'il devait tuer un éléphant. Il a beau envoyer paître de belle manière une sympathisante nazie, son obstination provoquera la mort de son guide indigène. Et la dernière scène du film le voit, hébété, le regard vide, prostré dans la voiture qui le ramène vers l'occident. Impitoyable. Ce sont des choses que l'on retrouve par exemple dans la relation père-fille du film True crime en 1999 quand il provoque un accident sur sa fillette. Ou encore dans le regard d'impuissance qui clôt A perfect world (Un monde parfait – 1993).

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Source BFI

Ce regard a ses limites et les laudateurs d'Eastwood vont a mon sens un peu trop loin qu'ils essayent de trop faire parler la partie la plus délibérément commerciale de sa filmographie. Dans l'alternance systématique entre oeuvres personnelles et films d'action spectaculaires, les seconds sont rarement à la hauteur. S'il ne les avaient pas signés, je ne serais jamais allé voir Space cow-boys (2000) ou The rookie (La relève – 1990). Il y a aussi la gène que j'ai fini par ressentir à Unforgiven (Impitoyable - 1992), ou plutôt aux commentaires autour de ce film. C'est un western superbe, plutôt original, d'accord. Mais tout le discours autour de la démythification ne me convainc pas. Pas chez Eastwood. Comme je l'ai déjà écrit il y a quelques temps, le film emploie un procédé classique (qui ne me gène pas) qui consiste à bien enfoncer le héros pour qu'il se révèle d'autant mieux au final. Toute la philosophie de Will Munny tend quand même à la scène du saloon dans laquelle on retrouve l'image du Eastwood vengeur invincible, tenant la ville à sa merci. Et malgré tout ce qui a précédé, nous sommes dans des figures déjà largement explorées par Sam Peckinpah.

De tout cela, je retiens finalement un véritable cinéaste, au propos patiemment construit,  à l'univers cohérent, au style plutôt classique. Malgré certaines réserves, ce sont des qualités précieuses et rares dans le cinéma d'aujourd'hui. Pourtant, je ne le rapprocherais pas des noms de la grande époque. Eastwood n'est pas Ford. Ford était un poète, un homme de doutes, de contradictions et de combats. Eastwood m'apparaît comme un homme de certitudes même s'il s'intéresse à ce qui lui est étranger. Son statut de star lui ayant permis de maîtriser mieux que quiconque sa carrière de créateur, c'est aussi un homme apaisé (ou alors, c'est bien caché). De ce point de vue, il se rapproche plus de Hawks mais il n'en a pas l'inventivité, le sentiment d'aisance suprême que donne l'auteur de Rio Bravo. Eastwood est un héritier, il maîtrise des acquits. Il est néanmoins vrai que certaines de ses mises en scènes sont un peu lourdes, un peu trop «posées» comme Mystic river ou Bridges of Madison County (Sur la route de Madison – 1995), certes impeccablement exécuté. Je le rapprocherais volontiers de son mentor, non pas Sergio Léone qu'il s'est attaché à ne pas imiter, mais Don Siegel. Le style carré des années 60/70. Peut être même à John Huston avec lequel il partage aujourd'hui le même visage aux rides magnifiques, Huston qui fut pas mal acteur lui même dans ses films et quelques autres.

Il me reste à avouer deux choses. Je n'ai toujours pas vu ses trois derniers films, ce qui m'ennuie quand même un peu par rapport à Changeling. Ce n'est pas que je ne voulais pas, mais ça m'est devenu difficile d'aller en salle. L'autre chose, c'est que j'ai toujours aimé quand Eastwood acteur prend son petit air méchant, qu'il a ce rictus mauvais, signe qu'il va faire parler la poudre. Ou cracher sur le chien.

09/12/2008

Le western au coin du feu

Sur le forum western movies, un débat est organisé une fois par mois autour d'un film. Comme pour beaucoup de choses, j'y participe quand j'ai un peu de temps (mes lecteurs vont finir par croire que j'ai un agenda de ministre). C'est souvent de très bonne tenue, avec de beaux textes, des échanges passionnés et des documents parfois précieux. Je vous informerais désormais régulièrement, pour ceux qui ont envie d'aller y voir de plus près, du western “autour du feu” mensuel. En décembre, il s'agit du magnifique, extraordinaire, les bras mes tombent et mes yeux se mouillent, The big sky (La captive aux yeux clairs – 1952) de Howard Hawk avec Kirk Douglas, Dewey Martin et la sublime Élisabeth Threatt aux yeux de biche. Je profite de l'occasion pour vous donner le lien d'un bel article d'Ophélie Wiel, cité dans la section documents, sur le film.

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Image source : MoMA