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23/10/2007
Des voies différentes
Contribution au Double bill blog-a-thon
Si l'on considère les filmographies de l'ensemble des réalisateurs italiens qui ont œuvré dans le cinéma de genre, on constate une similitude dans leurs passages successifs par le genre dominant du moment. Sur la trentaine d'années fastes de la fin des années 50 à l'orée des années 80, on peut découper des périodes assez précises durant lesquelles ont régné tour à tour la comédie, le western, le péplum, le film d'espionnage, le giallo, le film policier, le film coquin, le film politique, le film d'horreur et l'anticipation. Bon gré, mal gré, aucun réalisateur n'y a échappé. Un réalisateur du calibre de Sergio Léone a commencé par le péplum avant de se révéler dans le western pour finir producteur de deux westerns parodiques post-Trinita (on mettra de côté son ultime opus qui sort du cadre de notre champ d'étude).
On voit les limites d'un système qui amène un homme du talent de Enzo G. Castellari à commettre I nuovi barbari (Les nouveaux barbares – 1982). D'un autre côté, ce mouvement permet aux plus doués de se révéler au sein d'un genre, après un échec dans un autre, et de rendre éventuellement passionnantes leurs incursions dans des genres voisins. En évitant le cloisonnement, on ouvre des possibilités qui parfois se transforment, et parfois non. C'est la vie.
Illustration avec deux approches du western par deux réalisateurs passés à la postérité à travers leurs films fantastiques et horrifiques : Mario Bava et Lucio Fulci.
Directeur de la photographie à l'origine, Mario Bava a eu une influence majeure sur le cinéma fantastique, en matière d'éclairages, d'érotisme et de tueurs en gants noirs. Son utilisation de la couleur de façon inédite et baroque, son goût du macabre, sa façon de faire naître la peur, ont marqué durablement le genre et ont définit des règles suivies par Dario Argento, Antonio Margheriti et... Lucio Fulci. Ses incursions dans le peplum et la comédie psychédélique d'espionnage ont donné de belles réussites.
Son ultime western, Roy Colt e Winchester Jack est un joli navet bien rond. Il paraît que Bava avait trouvé le script de Mario Di Nardo mauvais et qu'il avait espéré sauver le film en le tirant vers la parodie. A l'impossible, nul n'est tenu. Roy Colt e Winchester Jack lorgne à la fois sur Butch Cassidy and the Sundance Kid sortit l'année d'avant avec succès par Georges Roy Hill (Une femme, deux hommes et une musique entraînante) et sur Il buono, il brutto, il cattivo (Le bon, la brute et le truand) de Léone dont il démarque la structure autour d'une chasse au trésor. Hélas, le film de Bava enchaîne mollement les péripéties téléphonées, les gags lourdement étirés et laisse cabotiner sans retenue ses acteurs. Les deux héros, Brett Halsey et Charles Southwood rivalisent d'inexpressivité et se tapent dessus régulièrement comme deux collégiens. Le plus redoutable, terrible à en être fascinant, c'est Teodoro Corrà dans le rôle du méchant révérend, un russe socialiste, toujours enrhumé et adepte de la dynamite. Il est tellement caricatural que l'on croirait qu'il sort de l'album de Lucky Luke Le grand duc.
L'ensemble manque terriblement de conviction et en comparaison, les films de la série Trinita sont nettement plus soignés et plus efficaces. Surnagent à ce naufrage la partition gentiment allègre de Pièro Umiliani, les allusions aux films de Léone avec le tueur à la grimace et le paralytique, quelques éclairages et effets où l'on retrouve la patte du maître (la grotte, l'utilisation des branches au premier plan, l'ambiance de la première scène avec ses jolis contre-jour) et puis surtout la pétulance et le regard de braise de la belle Marilù Tolo en indienne sexy qui semble porter sur ses partenaires (et le film) un regard amusé et ironique. Elle force l'un des héros à prendre un bain, tire juste et embobine tout le monde à la fin. Elle a bien raison.
Je suis souvent assez dur avec Lucio Fulci. Je trouve sa série de films horrifiques qui lui ont valu admirateurs et reconnaissance assez surfaits. Complaisants dans la violence graphique (ce n'est rien de l'écrire), ils sont souvent mal construits et Fulci dirige approximativement des comédiens médiocres. Le réalisateur compense ses manques par des scènes choc sadiques, que l'on peut juger gratuites et artificielles à froid. A chaud, elles font leur effet et Fulci a le sens du cadre et de l'ambiance. Une grande partie de son oeuvre est mal connue, occultée par cette période sanglante de 1979 à 1981. Pourtant, il tourne depuis 1959 et compte une soixantaine de réalisations dont plusieurs incursions dans le western. Si I quattro dell'apocalisse (Quatre de l'apocalypse- 1975) n'a pas été fait pour réviser mon jugement (scénario à trous, complaisance dans la violence, viol racoleur pénible), j'avoue mon enthousiasme pour Le colt cantarono la morte et fu... Tempo di massacro (Le temps du massacre), réalisé en 1966, son premier essai dans le genre.
La séquence d'introduction avec son mélange de cavaliers aristocratiques bien mis et de discrets cow-boys a quelque chose de bunuellien. La lumière et les chants d'oiseaux rappellent la première séquences de Belle de Jour. Et son soudain dérapage dans le sadisme. Un homme est sortit d'une cage et les chiens sont lâchés. La chasse commence. La suite comprend une belle idée de mise en scène : l'homme meurt déchiré par les chiens dans le lit d'une rivière et l'on suit son sang emporté par le courant. Celui-ci devient torrent dont le flux accélère et bouillonne aux accents de la chanson de Sergio Endrigo avant de rejoindre un groupe de chercheurs d'or parmi lesquels Tom Corbett joué par Franco Nero. Cette image aquatique permet de relier habilement Corbett à son antagoniste, Jason Scott joué par Nino Castelnuovo (oui, l'amoureux de Deneuve dans Les parapluies de Cherbourg). Par un lien de sang. La force du courant image le caractère irrésistible et violent de la vengeance que va exercer Corbett. Car vengeance il y a, l'un des thèmes piliers du western à l'italienne. Corbett revient au pays pour le retrouver sous la coupe de Scott père, gros propriétaire, tandis que son fiston fait régner la terreur. La famille Corbett a été dépossédée et le frère de Tom, Jeff, joué par Georges Hilton dans un registre qui rappelle le Dude de Dean Martin dans le Rio Bravo de Howard Hawks, s'est abîmé dans l'alcool et l'ironie. Comme on peut s'y attendre, Tom Corbett va remettre tout cela d'aplomb.
Le film ressemble beaucoup à Texas Addio, tourné par Ferdinando Baldi juste avant avec le même Nero. Même thématique de la vengeance, même culture méditerranéenne à base d'histoires familiales (pères indignes, fraternité, bâtards) et de réminiscence des tragédies antiques. Même personnage déterminé et quasi invincible, d'une rigidité d'esprit qui se traduit par son allure. Ici, Tom Corbett porte une veste en peau retournée qui lui fait comme une carapace. Mais le film de Fulci est supérieur en tout point à celui de Baldi qui était déjà pas mal. Il le doit en partie au scénario de Fernando Di Léo, tendu à l'extrême, sans temps morts, jouant habilement sur les deux images du frère : le « mauvais » psychopathe Jason et le « bon » ivrogne Jeff. Tous les deux ont une véritable épaisseur et surprennent tout au long du récit. Quoique sérieusement imbibé, Jeff saura montrer (aux limites du crédible) qu'il n'a rien perdu de son agilité de pistoléro.
Le film ménage aussi un aspect conte avec ce ranch baroque et luxueux (tourné dans la villa Mussolini) que tout le monde connaît mais que nul ne sait trouver, le voyage initiatique avec épreuves, les chasses à l'homme et ces personnages aristocratiques plus proches de Perrault que de Ford. Dernier atout déterminant, le traitement assez radical de la violence. C'est peut être le premier film où Lucio Fulci laisse éclater son goût pour le sadisme et les situations extrêmes. Non que le film soit plus violent au fond que certains Corbucci où Léone, mais il y met une froideur, une distance dans la mise en scène qui font ressortir la cruauté des actes. Le film est célèbre pour la scène quasi surréaliste où Tom, arrivé au ranch des Scott, est fouetté par Jason. Au-delà du motif de la lacération que Fulci reprendra maintes fois, il y a ces spectateurs en costumes blancs, ces chants d'oiseau, les sifflements du fouet et le temps qui se dilate. Tout contribue à rendre la scène glaçante. Mais il faut voir aussi la façon dont Corbett accomplit sa vengeance, tirant dans le dos, tirant à bout portant, impassible, impitoyable, tout aussi glaçant parfois que son bourreau. Il y a chez Fulci fascination maladive de la violence, mais dans ce film encore, il sait garder ses démons à distance.
Et puis, c'est jusqu'ici le film le mieux dirigé de Fulci que j'ai vu. Nero est impeccable, Castelnuovo effrayant à souhait et Georges Hilton... Je commence à bien l'aimer, George Hilton (une opinion contraire ici). Urugayen élevé en Angleterre, il n'est pas terriblement expressif, mais décontracté, il a fait merveille en Sartana, Alleluja, Tresette et en pistoléro quasi parodique pour le premier western d'Enzo G. Castellari, Vado, l'ammazzo e torno(Je vais, je tire et je reviens) en 1967. Il s'est essayé à un registre plus dramatique dans Quei disperati che puzzano di sudore e di morte (Les quatre despérados) en 1969 dont je vous avait entretenu ici, avec force louanges. Dans le film qui nous intéresse, il contraste parfaitement avec Franco Nero et je ne peux que le féliciter de s'être mis dans les pas de Dean Martin. Il y a de plus mauvaises références.
Si Mario Bava n'était visiblement pas motivé par ses incursions dans le western, il semble que Lucio Fulci y ait trouvé un terrain pour exprimer enfin des choses en lui profondes. Tempo di massacro est un jalon essentiel du genre et pour moi, si peu sensible à la tripe, son plus beau film.
Roy Colt e Winchester Jack
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07:35 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : western, blog-a-thon, mario bava, lucio fulci, george hilton, franco nero | Facebook | Imprimer | |
Commentaires
Vincent- thank you very much! Took me some time to read but it was definitely worth the time.
Écrit par : Gautam | 23/10/2007
Magistral.
Comme je ne peux rien ajouter au fond, je complète sur un détail : la villa Mussolini. Dans son film L'America a Roma (1998), Gianfranco Pannone y est conduit par Guglielmo Spoletini (acteur-cascadeur également connu sous le psedo de William Bogart). C'est devenu un restaurant, semble-t-il, et les murs sont entièrement repeints en "rose lotissement". Beuh.
Breccio
Écrit par : Breccio | 24/10/2007
Je ne reviendrais pas sur George Hilton qui n'est effectivemment pas mauvais dans Le temps du massacre - preuve en étant que je ne savais même pas que c'était lui dans ce rôle ;-)
Par contre je trouve un peu sévère ton jugement lapidaire des Quatre de l'apocalypse. La complaisance dans la violence ne doit même pas compter plus de dix minutes dans la version longue du film. Le viol est au contraire froid et sordide, a l'opposé des habituels viols et/ou tentatives de viol du genre. J'ai aimé ce film qui est toujours détesté pour les mauvaises raisons et dont on ne voit jamais les autres qualités. Un road movie en enfer, sans fusillade toutes les dix secondes, sans aucun poncif des westerns al'italiana, des personnages marginaux et perdus, une scène étonnante par sa longueur chez les mineurs, une musique qui me plait. Un problème de rythme oui, mais un film attachant quand même, atypique, un peu comme Matalo.
Écrit par : tepepa | 26/10/2007
Gautham, thanks for the good idea. You have a beautiful collection of double bill. I'll make a complete link when i'm finsed with my festival (and take a rest !).
Breccio, toujours sensible à vos appréciations de ma modeste prose. merci à vous pour la référence à la villa. j'ai vu le documentaire, mais je ne me souvenais plus de la séquence. ou alors, je n'ai pas fait la rapprochement.
Tepepa, tu vois avec les yeux de l'amour ! Bon, j'ai été lapidaire parce que ce n'était pas le sujet. Je n'ai vraiment pas aimé ce film de façon physique. Je l'ai trouvé désagréable bien qu'au départ sans aucun préjugé. Je lui trouve tout ce que je n'aime pas chez Fulci et sa complaisance ne se limite pas aux scènes de violence. La scène où Chaco leur file du peyolt ou celle de l'accouchement m'ont parues interminables. J'étais constamment mal à l'aise, quand il tire les lapins, quand ils opèrent Clem, le viol bien sûr et la scène avec ce pauvre Lorenzo Robledo. Tu te doutes que ce n'est pas la violence en elle-même qui me pose problème, mais la façon dont elle est montrée.
Je te concède que le film est original, Fulci est souvent habile, il y a des tentatives de sortir effectivement des figures imposées du genre, mais je ne les trouve pas toutes abouties. L'accouchement, par exemple, est une belle idée mais ce qu'en fera l'année suivante Castellari dans "Kéoma", c'est autrement réussi.
Et puis Milian, faut le tenir un peu.
Écrit par : Vincent | 26/10/2007
C'est totalement futile mais je pense qu'il faut quand même te féliciter :
http://www.wikio.fr/blogs/top/cinema
Écrit par : Dr Orlof | 01/11/2007
Et ben !
Je mentirais en écrivant que ça ne fait pas plaisir, mais je n'ai rien fait pour. J'ignorais qu'il y avait tant d'amateurs de John Ford et de Sergio Corbucci en France.
Bon, revenons aux choses moins futiles, je planche sur une liste des plus mauvais réalisateurs, interrompue par mes activités d'organisateur de festival. Avec ça, je vais sûrement prendre la première place :)
Écrit par : Vincent | 01/11/2007
je te remercie bien pour cette vidéo :)
Écrit par : paris hilton | 22/01/2008
Vincent! It's been very long... Sorry I haven't been around in the blogosphere very much, trying my best to get back to it. The 2nd Edition of the Double Bill blogathon begins tomorrow, I would love it if you could participate again!
Hope to see you there!
Écrit par : Gautam | 04/10/2009
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