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22/01/2007

As-tu du coeur, Alain ? Alain, as-tu du coeur ?

Première séance de rattrapage de l'année par la grâce de ma petite salle Art et Essais de la place Garibaldi. Mercury, que ton nom soit loué pour les siècles à venir. Soit donc Coeur d'Alain Resnais, un film acclamé par (presque) tout le monde, Lion d'argent à Venise, éloges mérités pour un réalisateur majeur, un grand cinéaste toujours au sommet de son Art. J'en suis presque gêné de, non pas tant de critiquer le film, que de faire part de mes réticences à partager les envolées unanimistes. Je pensais à cette critique que l'on fait de plus en plus souvent à des gens comme Woody Allen ou Pedro Almodovar (voir par exemple sur Les objets gentils) : ne plus donner que de beaux objets consensuels qui ont atteint un haut niveau de qualité mais peinent à se renouveler, à surprendre, à donner le frisson du risque. Je ne suis d'ailleurs qu'à moitié d'accord avec cette critique dans la mesure ou, chez Allen par exemple, c'est justement l'aspect familier de ses films, confortable, qui me plaît. Mais d'un autre côté, j'adore que Akira Kurosawa termine sa carrière avec un film comme Madadayo.

Mais revenons à Resnais qui semble pourtant à l'abri de ce type de reproche tant son oeuvre est multiple, tant il a su explorer de nouvelles voies, notamment par son travail avec des scénaristes aussi différents que Duras, Jaoui et Bacri, Robbe-Grillet, Semprun ou encore Gruault. Mais encore, il est passé avec bonheur par des formes cinématographiques très diverses et peu de cinéastes sont capables comme lui de jouer avec le temps. Le problème avec Coeurs, c'est peut être d'être trop proche de ses derniers films. D'être une variation non musicale de On connaît la chanson avec son groupe de personnages à la poursuite désespérée du bonheur et de l'amour. Avec cette neige omniprésente sur Paris et dans les coeurs, image trop proche des fameuses méduses ou des noirs de l'Amour à mort. Avec ces magnifiques décors luisants comme dans les comédies de Lubitsch et comme dans Pas sur la bouche ou Mélo. Avec sa troupe impeccable, Arditi et son air de cocker digne, Dussolier et ses sourires de grand gamin, Azéma, sa coiffure en pétard et ses tenues sexy, Wilson et son énergie physique. Par bonheur, Isabelle Carré et Laura Morante (Ah !) apportent un regain d'intérêt au milieu de prestations séduisantes certes mais pas emballantes car assez prévisibles. Je ne sais pas si c'est parce que je cherche un appartement en ce moment mais celui avec lequel j'ai eu le plus de mal, c'est le personnage de Dussolier, agent immobilier comme dans On connaît la chanson et trop gentil pour être vraiment crédible. Autant sa relation avec sa soeur est intéressante, autant j'aurais aimé, je ne sais pas moi, qu'il ressemble à Pacino dans Glengarry Glen Ross.

medium_Coeurs.jpg

Et puis il y a le fond. Coeurs est sombre et si le très beau plan final du personnage d'Isabelle Carré posant sa tête sur l'épaule de son frère apporte un peu de douceur, j'ai l'impression que ce film est le plus douloureux depuis l'Amour à mort. L'humour de nombreuses scènes n'atténue guère le sentiment de tristesse générale et une noirceur qui contraste pour le coup avec les touches d'espoir concluant les films précédents. Entendons nous, je ne demande pas à Resnais de marcher dans les pas de Gérard Oury, mais il y a un côté systématique dans le dépressif que j'ai trouvé un peu artificiel. Les personnages vont par paires qui n'arrivent pas à être des couples. La mise en scène multiplie donc les cloisons, les rideaux, les effets de profondeur de champ. Il y a un moment ou l'on voit plus l'effet que l'on ne ressent sa signification. Curieusement, les dispositifs encore plus artificiels de Smoking/No smoking, On connaît la Chanson ou Pas sur la bouche ne m'avaient pas gêné outre mesure. Mystère du cinéma. A y bien penser, cette image de la neige omniprésente est bien adaptée à ce que j'ai ressenti sur le moment. Magnifique et délicate construction des flocons dont il ne reste qu'une trace humide quand on les prend au creux de la main.

Photographie : © Mars Distribution

 

 

Commentaires

Comme tu es passé sur mon blog ces derniers temps, tu dois deviner que je ne suis pas d’accord avec toi. Je comprends tes réticences mais il me semble qu’elles illustrent assez bien le malentendu qui plane autour des derniers films de Resnais. On a voulu en faire un auteur de comédies alors que, selon moi, On connaît la chanson était déjà un film très pessimiste et dépressif. Avec Cœurs, Resnais plonge encore plus loin dans la noirceur et, à mon avis, se renouvelle complètement (à l’inverse de Pas sur la bouche que je considère comme un exercice de style pas désagréable mais plutôt vain). Ce que je trouve beau dans ce film, c’est qu’il ne doit plus rien à personne ni à aucune convention psychologique ou dramatique, qu’il se paye le luxe d’être totalement irréel, intemporel (à l’instar des derniers Kurosawa, De Oliveira ou Imamura) tout en touchant d’une manière incroyablement juste le cœur des angoisses humaines (la mort, l’oubli, la fin des passions, la solitude). Le film est grinçant et noir ; de ce fait peu aimable (malgré les bonnes critiques, on le sent d’ailleurs assez mal-aimé : Cf. l’abondant courrier des lecteurs du Masque et la plume contre le film) mais je ne crois pas avoir déjà senti de manière aussi forte le désarroi contemporain. Le tout dans une forme cinématographique absolument somptueuse (tu n’as pas été ému par ce bras dans la neige, indéniablement le plus beau plan de l’an dernier ?). Je persiste et signe : c’est non seulement le plus beau film de l’an dernier et un des plus beaux de la décennie écoulée !

NB : Par contre, totalement d’accord avec toi sur les quelques lignes que tu consacres à Almodovar et Woody Allen…

Écrit par : Dr Orlof | 22/01/2007

Bien sûr, j'avais lu ton article enthousiaste. Je te suis d'ailleurs tout à fait sur Resnais, son talent et son importance. Je partage aussi l'opinion que ses films ne sont pas des comédies, à une ou deux exceptions près. Par contre ils savent être souvent drôles. C'est toute la réussite de "On connait la chanson" d'avoir raconté de cette façon légère et musicale les histoires de ces personnages dépressifs, aussi dépressifs que dans "Coeurs". C'est peut être l'absence de ce décalage qui m'a manqué dans le film qui a pourtant plusieurs scènes assez drôles. D'autre part, en y réfléchissant, Imamura ou Kurosawa (je connais mal De Oliveira) ont justement abandonné sur la fin de leur carrière des films assez graves (et parfois un peu lourds comme "Ran") pour des oeuvres pleines de vie et dont on ressort gonflé à bloc. Peu aimable "Coeurs", je ne sais pas, tellement la forme, sa beauté sont quand même évidentes. Mais dans sa tonalité sombre, et encore plus sombre quand on y repense, il y a quelque chose qui ne passe pas. Peut être que je ne suis pas dans un état d'esprit à l'accepter. Peut être que j'ai du mal à percevoir le désarroi de notre époque à travers ces personnages là. Je n'ai pas d'empathie pour celui de Wilson ni celui d'Azéma, peu pour celui d'Arditi. je suis désolé pour le plan que tu cites, mais il ne m'a pas marqué. J'y ferais plus attention lorsque je reverri le film. Sinon, j'en tiens pour le dernier, celui qui rachète beaucoup de choses, entre Carré et Dussolier. Je le trouve très beau, vraiment.

Écrit par : Vincent | 22/01/2007

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