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Le comique en contrebande

Depuis le 17 avril et jusqu'à la fin du joli mois de mai, le Centre Pompidou accueille Luc Moullet, ses oeuvres et ses amis. Si j'étais à Paris, je saurais quoi faire pendant ces belles journées de printemps. En attendant, pour fêter cela, les éditions Capricci ont édité deux livres, Notre alpin quotidien et Piges Choisies. Le premier est un livre d'entretiens avec Emmanuel Burdeau et Jean Narboni. Le second une sélection de textes critiques, depuis ses premiers pas vers 12 ans jusqu'à sa toute récente collaboration avec Positif, lui qui fut un pilier des Cahier du Cinéma. Il y a également une jolie bande annonce.

En bons zélateurs que nous sommes, le Docteur Orlof et votre serviteur ont planché sur les deux livres, deux chroniques à paraître rapidement sur Kinok qui organise au concours sur le sujet. Et pour que la fête soit complète, quelques extraits :

Les balances s'expriment fort bien par le comique : Keaton, Tati, McCarey, Groucho Marx, sont tous nés entre le 2 et le 8 octobre : le deuxième décan. J'en veux beaucoup à ma mère : si au lieu d'accoucher le 14 octobre, elle s'était pressée un peu, je serais du deuxième décan et j'aurais fait des films bien plus drôles. (Les douze façons d'être cinéaste – Cahiers du Cinéma – 1993)

Pourquoi critiquer P.P. (Powell-Pressburger) alors que je défends Une question de vie ou de mort ? On risque de me reprocher cette contradiction. C'est tout simplement que, quand on fait cinquante films dans sa vie, c'est bien le diable si on arrive pas à en réussir un. (Michael Powell n'existe pas – La lettre du cinéma – 1995)

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Les espagnols devaient bien se douter qu'ils misaient sur le mauvais cheval en l'allant chercher dans la Mancha, où, c'est logique, ils ne pouvaient tomber que sur une piètre rossinante... (Pédro Almodovar, rien sur ma mère – inédit)

Lorsque Lelouch emprunte le langage de Godard en recopiant les idées stylistiques de Godard, il échoue forcément parce que l'expression stylistique de Godard dépend du fait que Godard est suisse et protestant et qu'il est Godard. Lelouch n'est rien de tout cela, il exprime des thèmes personnels différents de ceux de Godard, ou, le plus souvent, il n'exprime pas de thèmes. (De la nocivité du langage cinématographique, de son inutilité, ainsi que des moyens de lutter contre lui – Table ronde - 1966)

La puissance de Ford réside d'abord dans une dialectique entre la présentation des mythologies et la familiarité, l'absolu et le relatif, le pensé et le vécu, la morale et la truculence, les nuages lourds du destin et la main au cul. (John Ford, le coulé de l'amiral – Cahier du Cinéma spécial Ford - 1990)

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04/05/2009 | Lien permanent

1969 (Quand parle la poudre)

C'est partit pour un retour en 1969 sur Zoom Arrière avec un éditorial ébouriffant de Frédérique. Sacrée belle année de cinéma dans les salles françaises pour clore la décennie. Il y a en ce qui me concerne une demi-douzaine de films de chevet, signés Truffaut, Leone, Peckinpah, Edwards, Corbucci ou Molinaro, et un cinéma venu des quatre coins du monde qui offre des œuvres majeures des cinéastes Rocha, Rohmer, Tarkovski, Costa-Gavras, Bunuel, Fischer, Ferreri, De Toth, sans compter tous ceux que je n'ai pas vus mais dont mes camarades disent tant de bien.

Ce qui me frappe pourtant, c'est l’impressionnante concentration, façon feu d'artifice, de westerns de haut vol. Le western à l'italienne offre aux français une sorte de bouquet final par le jeu du hasard des dates de sortie. Nous verrons donc, concentrés sur douze mois, l'aboutissement des œuvres des trois Sergio, Leone, Corbucci et Sollima. Le premier donne son film le plus ambitieux et rend hommage à John Ford en filmant quelques plans à Monument Valley même tout en pervertissant l'image des yeux bleus du "all american" Henry Fonda. Le second va au bout de sa veine nihiliste et sarcastique avec l'aide d'un Jean-Louis Trintignant aussi mutique qu'il était bavard à Clermont-Ferrand. Le troisième concentre sur les écrans sa trilogie politique avec Tomas Milian, royal en paysan frustre, rebelle et débrouillard. Derrière eux, comme l'écume, plusieurs films de belle tenue qui témoignent de la vitalité d'un cinéma de genre sur le point d'entrer en décadence.

Et, comme un passage de témoin, aux États-Unis, Sam Peckinpah remis de ses déboires avec les producteurs, peut réaliser avec The wild Bunch, le film du grand retour du western au pays natal. Clôturant dans le sang et la poudre des années soixante déprimantes, il reprend le genre là où l'avait laissé Ford dans The man who shot Liberty Valance (1962) et y intègre tout ce qui est né de formel du passage en Europe en y réinjectant le regard moral et humaniste des grands classiques américains. L'hommage à Ford ne passe pas comme chez Leone par le symbole mais par un état d'esprit. Dit autrement, ses Deke Thornton et Pike Bishop sont de la même trempe que Tom Doniphon et ce dernier, quand il s'efface, pourrait bien être partit pour le Mexique. Ce faisant, le grand Sam ouvre la porte à un nouveau western américain qui donnera de belles choses dans les années soixante-dix. Comme un échauffement, Sydney Pollack trousse un aimable Scalphunters.

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19/08/2014 | Lien permanent

DeMille à l'ouest

Grand conteur hollywoodien, Cecil B. DeMille ne pouvait se tenir à l'écart du western. De fait, il en est un pionnier puisque son premier film est The squaw man en 1914 (il en fera deux nouvelles versions). Il y reviendra plusieurs fois pour des films atypiques sans que cela ne devienne une marque de fabrique, incarnée chez lui par ses fastueuses fantaisies historiques. A la fin des années 30, il fait partie avec John Ford, Henry King, Fritz Lang et quelques autres, d'un mouvement qui remet le genre à l'honneur. Après l'échec de The big trail (La piste des géants – 1930) réalisé par Raoul Walsh, le western est essentiellement confiné dans des films de série, moins d'une heure, petits budgets, populaires mais méprisés. Le vent tourne et l'épopée reprend le dessus quand DeMille tourne Union Pacific (Pacific express) en 1938, sur la construction du chemin de fer transcontinental.

Magnifiques locomotives, foules d'ouvriers, trappeurs turbulents, troupeaux de bisons, franchissement de cols enneigés, attaques d'indiens, rivalités et traîtrises, chevauchées et cavalcades, DeMille déploie toute la panoplie du genre. Ne cherchez pas trop loin, c'est la même histoire que celle du neuvième album des aventures de Lucky Luke, Des rails sur la prairie, dessiné par Morris, sans l'humour de René Goscinny dont c'était la première collaboration, mais avec Barbara Stanwyck.

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Le film réactive l'épopée de la conquête de l'ouest et de la naissance d'une nation. En cette période historiquement tendue, ce n'est sans doute pas un hasard. Le film marche aussi sur les traces du Iron horse de John Ford tourné en 1924 et s'il est aussi spectaculaire, il est aussi plus intéressant dans son intrigue secondaire. A la classique histoire de vengeance du jeune John Ford, DeMille substitue la relation complexe entre Jeff Buttler, joué par Joel McCrea superbe et viril, Dick Allen joué avec assurance et élégance par le débutant Robert Preston et Mollie Monahan, Barbara Stanwyck, donc. Le premier est un ingénieur chargé de superviser la sécurité du chantier et s'oppose au vilain de service dont l'homme de main est le second, son ancien camarade durant la guerre civile. Et pour couronner le tout, les deux hommes aiment la troisième. McCrea a trouvé là l'un des rôle qui ont fait son mythe tandis que Stanwyck en fille du conducteur de train la joue garçon manqué. Loin des personnages sensuels composés pour Claudette Colbert, DeMille manque ici singulièrement d'érotisme. Mais les rapports entre les trois héros, bien que devenus classiques, n'en sont pas moins passionnants et bien menés. L'ensemble est rehaussé par une galerie de seconds rôles savoureux, notamment deux trognes toutes droit sorties des romans de Fenimore Cooper. Tout cela est fort réjouissant, dirigé tambour battant avec le sens de la composition de DeMille et son goût pour les plans spectaculaires remplis d'ici jusque là-bas. Chez lui, tout est toujours un peu plus grand que nature, un peu plus intense. Il suffit de voir comment il fait monter le suspense lors d'une confrontation entre les deux héros rivaux dans le wagon qui sert de domicile à l'héroïne. Brillant.

La seule chose qui fasse tiquer, c'est quand même sa façon de montrer les indiens. Sa façon de « filmer l'autre » comme on dit aujourd'hui, est assez détestable. Non que je lui reproche de montrer les indiens en antagonistes des valeureux pionniers, cela tous l'ont fait avec plus ou moins d'élégance selon les circonstances. Non, le problème, c'est que DeMille les montre comme des idiots, des crétins, de grands enfants effrayés lors de l'attaque du train par un carillon de pendule, incapables à deux cent de maîtriser trois personnes. Je lis Tintin au Congo sans problème et avec assez de recul pour ne pas être choqué, mais c'est quand même un peu méprisant pour rester poli. Étonnant de la part de quelqu'un qui avait avec The squaw man montré des indiens tout en noblesse.

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Mais cela reste le trait d'union avec Unconquered (Les conquérants d'un nouveau monde) son ultime film du genre, tourné en 1947. Dans ce film qui se déroule en fait avant même la création des États Unis, la tribu indienne est digne des habitants de l'île de King Kong, gri-gris à tous les étages, démarche sautillante, superstition, sauvagerie, infantilisme et, clou du spectacle, le chef est joué par Boris Karloff, le spécialiste du monstre de Frankenstein. La scène fameuse où le héros, joué par Gary Cooper qui s'amuse visiblement beaucoup, mystifie la tribu entière par des effets à la Mélies et une boussole est un sommet dans le genre. Ce film est malgré tout un souvenir d'enfance que j'ai redécouvert avec plaisir. Gary Cooper y est un héros plus grand que nature, le capitaine Holden, qui rachète la liberté d'Abby, jeune anglaise condamnée à l'esclavage dans les colonies d'Amérique du Nord. « And six pence » est une réplique culte prononcée par Cooper de sa voix traînante et lui permet d'emporter le morceau, si j'ose écrire, face à Garth, le vilain de l'histoire qui trafique, horreur, avec les indiens pour exterminer les colons pas encore américains. A la sortie de la seconde guerre mondiale, on sent les contorsion, ou la diplomatie, de DeMille qui nous montre les prémices de la naissance d'un peuple tout en ménageant les « occupants » anglais, qui sont ici des alliés. Une fois de plus, il est intéressant de comparer DeMille à Ford, en l'occurrence à Drums along the Mohawks (Sur la piste des Mohawks) tourné en 1939. Les deux films se déroulent à des époques proches et en technicolor flamboyant (Pacific express est en noir et blanc). Chez Ford, ce sont les anglais qui utilisent les indiens pour attaquer les colons et c'est la guerre. Les indiens n'y sont guère mieux traités, mais c'est plus elliptique, abstrait. Et puis chez Ford, il s'agit à la veille du conflit de montrer l'unité nationale et son film s'achève par un tableau de famille touchant, un rien naïf, dans lequel s'unissent blancs, riches et pauvres, bourgeois et paysans, indiens christianisés et noirs. Rien de tout cela chez DeMille qui déploie à nouveau un récit d'aventures haut en couleurs, en action (très belle poursuite sur une rivière), en humour et en spectaculaire. Il approche pourtant de la simplicité fordienne lors de la scène où nos deux héros se retrouvent dans la ferme abandonnée par une famille de colons et imaginent ce que pourrait être leur vie. Question érotisme, c'est nettement mieux. Paulette Goddard incarne une Abigail pleine de verve et de sensualité. Elle y prend un bain dans un grand tonneau, manque d'être fouettée et se retrouve attachée de diverses manières. Son caractère électrique contraste aimablement avec la nonchalance assurée de Cooper. Leur couple fonctionne comme dans les meilleures comédies.

Les DVD sur La boutique

Un clou en or pour DeMille

Sur le forum Western Movies avec de très belles reproductions par Metek (Ici aussi)

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Histoires de couples

Ludocic Maubreuil écrit beaucoup et très bien sur Cinématique. L'autre jour, je suis tombé sur une note qui m'a donné à réfléchir : lien

 Louis: Tu es si belle. Quand je te regarde, c'est une souffrance.

Marion: Pourtant hier, tu disais que c'était une joie.

Louis: C'est une joie et une souffrance.

Marion: Je vous aime.

Louis: Je te crois.

 
Le couple. Grand sujet de cinéma. Je me suis mis à réfléchir sur mes couples de cinéma, je veux dire ceux qui fonctionnent, qui sont dans le présent du film, qui nous montrent leur complicité, leur « confrontation réussie », leur fusion, si belle parfois que c'en est, au choix, douloureux ou exaltant. Question de couple. Question de cinéaste. Question d'expérience personnelle.

Vivian : Speaking of horses, I like to play them myself. But I like to see them work out a little first, see if they're front-runners or come from behind, find out what their whole card is, what makes them run.

Marlowe : Find out mine?

Vivian : I think so.

Marlowe :Go ahead.

Vivian : I'd say you don't like to be rated. You like to get out in front, open up a lead, take a little breather in the backstretch, and then come home free.

Marlowe : You don't like to be rated yourself.

Vivian : I haven't met anyone yet that can do it. Any suggestions?

Marlowe : Well, I can't tell till I've seen you over a distance of ground. You've got a touch of class, but I don't know how, how far you can go.

Vivian : A lot depends on who's in the saddle.

 
Est-ce que ces films sont si rares ? Je ne le crois pas. Moins nombreux sans doute parce qu'il est difficile, sans tomber dans le mélodrame, de montrer l'amour au travail, la fusion intense au quotidien. Voici donc quelques propositions de couples qui me semblent illustrer « l'échange radieux ».

James Stewart de Dona Reed dans La Vie est Belle de Franck Capra
John Wayne et Angie Dickinson dans Rio Bravo de Howard Hawks
Birger Malmsten et Eva Henning, La Fontaine d'Arethuse de Igmar Bergman
Maggie Cheung et Tony Leung dans In The Mood For Love de Wong Kar-Wai
Charlie Young et Nicky Wu The Lovers de Tsui Hark
Humphrey Bogart et Elizabeth Sellars dans La Comtesse aux pieds nus de Joseph L Mankiewicz.
John Wayne et Maureen O'Hara dans L'Homme Tranquille de John Ford
Charlie Chaplin et Paulette Goddard dans Les Temps Modernes de Charlie Chaplin
Alberto Sordi et Léa Massari dans Une Vie Difficile de Dino Risi
Cary Grant et Katharine Hepburn dans Indiscretions de Georges Cuckor

cinéma,blog,théorie

Feathers: I thought you were never going to say it.

John T. Chance: Say what ?

Feathers: That you love me.

John T. Chance: I said I'd arrest you.

Feathers: It means the same thing, you know that

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Pony mine and papa's things

La sortie du nouveau film des frères Coen est une bonne occasion de revisiter le True grit original de 1969, réalisé par Henry Hathaway et sortit chez nous sous le titre 100 dollars pour un shérif. Le duo de réalisateurs et leur interprète principal, Jeff Bridges, prennent soin de se démarquer tant du film que de l'encombrante figure de John Wayne. On peut y voir l'irritant discours des faiseurs de remakes qui tentent de vendre leur version en assimilant modernité et qualité, moi je l'ai fait en parlant, en couleurs, en 3D, en vraie violence, avec de véritables morceaux de sexe, en respectant le livre original, en ceci, en cela, allez-y, ça sera mieux. En vérité, je vous le dis, le remake est neuf fois sur dix du pipi de chat et tous ces braves gens feraient mieux de se creuser un peu la tête. Dans le cas qui nous occupe, on verra bien. Les Coen jouent sur du velours, le film de Hathaway ne faisant pas partie des grands classiques du genre. On peut mieux comprendre les réticences de Bridges, vu le calibre de Wayne et que, comme nul ne l'ignore, c'est le rôle du marshall borgne Rooster Cogburn qui lui valu son unique oscar. Bridges a commencé par mettre le bandeau sur l'autre œil, mais malgré toute l'admiration que j'ai pour le Dude, pas facile de se mettre dans les bottes du Duke.

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Comment situer aujourd'hui True grit alors qu'il s'est enrichi d'une partie du mythe John Wayne et qu'il fait désormais partie de la longue annonce de la mort du genre, annonce sans cesse repoussée ?

Comme Hollywood, le western américain dans les années 60 ne va pas bien. La série B a disparu pour être recyclée à la télévision, l'ère des grands classiques est terminée et The magnificents seven (Les sept mercenaires – 1960) de John Sturges a sonné l'heure du véhicule d'action pour star masculine. Mis à part les derniers feux des grands maîtres (Ford, Hawks, Walsh), le rebelle Peckinpah et quelques rares cas particuliers, c'est le règne du médiocre. Pire, face au sang neuf venu d'Italie et d'Espagne, le western américain n'a su que copier maladroitement les formes nouvelles. Il faudra dix ans pour que le genre émerge de nouveau avec une veine crépusculaire et de nouvelles œuvres fortes. True grit, dans ce contexte, est un retour plutôt sain (mais un peu vain) aux fondamentaux, récit initiatique, grands sentiments, grands espaces, partition enlevée d'Elmer Bernstein, photographie lumineuse aux couleurs de fin d'automne de Lucien Ballard, fidèle de Hathaway mais aussi directeur de la photographie de Budd Boetticher et de Sam Peckinpah. Bref, du joli boulot de spécialistes. Mais le film ne dépasse jamais vraiment cet état. Malgré les efforts de Bertrand Tavernier, il m'est difficile de voir en Hathaway plus qu'un des solides artisans de l'usine à rêves. Il n'a jamais eu la dimension d'un Ford ou d'un Mann, pas plus que l'inventivité d'un Lewis ou d'un De Toth. Bénéficiant de conjonctions favorables, True grit est peut être son meilleur western, avec notamment un vrai sens du paysage et de l'espace, une réelle efficacité dans les scènes d'action et une relative originalité dans la reconstitution, comme la scène de la pendaison publique qui ouvre le film, décrite avec ironie comme un grand spectacle populaire. Mais Hathaway montre ses limites quand il faut donner toute son intensité à la chevauchée finale ou Cogburn tente désespérément de ramener Mattie mordue par un serpent à un poste où elle pourra être soignée. Trop carré, il ne sait pas être véritablement lyrique. De même la direction d'acteurs, si elle équilibre bien le duo Wayne – Kim Darby (Mattie), et si elle utilise habilement les nouveaux visages de Robert Duvall et Dennis Hopper, peine avec l'insipide Glen Campbell (La Boeuf) et le transparent Jeff Corey. Et puis le film est un peu long, pour être totalement efficace, il aurait du s'en tenir à 90 minutes. Pour être plus long, il fallait le sens de la respiration hawksienne.

John Wayne, lui, accompagne le mouvement de la décennie. En 1960, il a produit, joué et réalisé son grand rêve, Alamo. Ce beau film épique lui a coûté, littéralement, la peau des fesses. Fin 1964, il est opéré d'un cancer. Il passera donc les années soixante à éponger ses dettes et assurer ses arrières en enchaînant sur un rythme soutenu des participations prestigieuses et des films sur mesure qu'il confie à des réalisateurs sans grande envergure mais qui entretiennent le mythe, Andrew McLaglen (fils de son père Victor) et Burt Kennedy (plus doué comme scénariste de Bud Boetticher). Et puis Hathaway un cran au dessus. Là aussi, on mettra à part ses dernières collaborations avec Ford et Hawks. De cette période, True Grit n'a pas de mal à dominer l'ensemble. Il est évident que Wayne était motivé par le rôle, il avait aimé le roman de Charles Portis dont il avait tenté d'acquérir les droits puis le scénario de Marguerite Roberts. Quand il déclare en recevant son oscar « Si j'avais su, j'aurais mis ce bandeau il y a 25 ans »Il se rendait sans doute compte que ce rôle, il l'avait déjà créé pour Hawks avec le Tom Dunson de Red river (La rivière rouge) en 1946, puis peaufiné trois ans plus tard pour Ford avec le capitaine Nathan Brittles, ses cheveux grisonnants et ses lunettes, dans She wore a yellow ribbon (La charge héroïque). Deux créations magistrales dont Rooster Cogburn ne pouvait être que l'aimable parodie. Mais bon, ce ne sont que les oscars, on ne peut pas leur en demander trop. De fait Wayne s'amuse avec ce rôle, que ce soit dans la scène du rat, la fusillade finale à la Falstaff contre la bande à Ned Pepper, les échanges avec la nouvelle génération. Il en fait juste un peu trop quand il se vautre de cheval sous l'emprise de l'alcool. Chez Hawks, c'était parce qu'il avait une vieille balle dans le dos.

Film quasi anachronique en 1969, True grit vieillit plutôt bien. D'une certaine façon, le film dépasse son réalisateur par la façon dont il entre en résonance avec sa star. Sachant se mettre en retrait par rapport au personnage de Mattie, Wayne développe un discours nostalgique sans sensiblerie. Il ne cherche pas à éduquer (comme il le fera dans plusieurs autres westerns tardifs), ni à séduire encore comme il le fera chez Hawks dans Rio Lobo (1970) et du coup esquisse un rapport père-fille qui joue plus subtilement que prévu sur la transmission. C'est Mattie qui donne le révolver de son père à Cogburn, comme elle lui propose de faire partie de la famille en lui réservant une place dans le cimetière familial. Scène casse-gueule qui passe plutôt bien parce que Wayne s'en sort par une pirouette au sein d'un superbe décor neigeux. Toute l'esthétique du film colle à Cogburn comme à l'image de Wayne, à sa légende au sens fordien. Les intérieurs sombres et chaleureux, les paysages d'automne, le rythme un peu nonchalant, True grit est un chant du cygne, un adieu aux armes qui ne se résout ni à la tristesse (Ford), ni à la colère (Peckinpah). Un ultime mensonge quand le montage du saut au dessus de la barrière fait comprendre que ce n'est pas Wayne qui exécute la prouesse, mais qu'un dernier plan, figeant le mouvement, entretient une dernière fois l'illusion du mythe. Élégant.

Photographie : Dr Macro

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Comment être Spielberguien ?

En écho à la célèbre question posée à propos d'Hitchcock et Hawks, je désespère de trouver le duo critique Rohmer-Chabrol qui saurait exprimer la pleine mesure du cinéma de Steven Spielberg. Hélas, hélas, entre les attaques prévisibles, les laudateurs béats, les contresens, les approximations, ceux qui n'osent pas et ceux qui osent n'importe quoi, il y a bien un problème à parler de son oeuvre. Moi-même, homme de peu de foi, j'ai fini par douter. C'est qu'à entendre nombre de voix très sérieuses, le cas semble indéfendable. Grosso modo, on lui a reproché pendant quinze ans d'avoir fait du cinéma adolescent pour lui conseiller ensuite, à partir de La Liste de Schindler, de revenir plutôt à du cinéma pour adolescent. Aujourd'hui encore, la tendance pour ce qui est de Munich est à : « mais de quoi se mêle-t'il ? Que n'en reste-il pas à ses dinosaures ! ». et puis, il n'a pas de chance. Steven Spielberg, grâce à la fidélité du public et son sens des affaires et de l'organisation , s'est construit un système qui lui permet de faire ce qu'il veut et, surtout, de tourner très régulièrement dans de confortables conditions économiques. Pour parler clair, il peut se consacrer pleinement à son art avec le maximum d'indépendance possible. Il n'est donc pas un brillant rebelle obligé de s'épuiser des années pour monter un projet (Cimino, Coppola, Friedkin...), ni un non moins brillant rebelle obligé de passer sous les fourches caudines des studios, ni un farouche indépendant, ni un artiste maudit. Serait-il donc possible qu'il ait du talent ? Une vision ? Un cinéma ?
 

Entre 1939 et 1940, John Ford, devenu producteur et aussi à l'aise que possible dans le système des studios hollywodiens enchaîne Vers Sa destinée, La Chevauchée Fantastique, Sur La Piste des Mohawks, Les Raisins de la Colère et The Long Voyage Home. On retrouve le même genre de périodes fastes chez Hawks, Kurosawa, Truffaut ou Fellini. Avoir du talent et les moyens de l'exprimer permet d'atteindre la plénitude de son art. Ce n'est pas un absolu mais il n'y a rien de pire pour un cinéaste que de ne pas tourner. Or Spielberg tourne, très régulièrement, et depuis dix ans multiplie les projets audacieux, construisant une oeuvre qui explore son pays, son histoire et quelque chose de son humanité. A Cette oeuvre aujourd'hui, cette oeuvre encore inachevée, il me semble n'y avoir qu'une seule comparaison possible, celle de John Ford.

 

Je cherchais un signe et Munich me l'a donné. Lorsque le poète palestinien, celui du premier assassinat, est filé à Rome, il entre dans une crémerie acheter du lait. Il y a une télévision au mur et elle diffuse L'Homme Qui Tua Liberty Valance. Il ne pouvait y avoir de message plus clair. Ce film de Ford est un film sur le mensonge et le meurtre comme principes fondateurs d'un pays. C'est aussi le film d'un homme rongé de culpabilité pour y avoir recouru dans le but de faire accepter ses idées, un film sur l'amertume et la stérilité qui en ont découlé. C'est un film sombre, une ambiance de film noir et une façon de mettre en perspective la violence de Valance (Lee Marvin à la limite de la caricature) et celle de Tom Doniphon, joué par John Wayne, que celui-ci exerce tout en se rendant compte qu'elle va le détruire.

 

Que nous montre Spielberg dans Munich ? Des terroristes palestiniens abattant des otages israéliens, oui, mais pas seulement. Il nous montre l'équipe de tueurs israéliens traquant et éliminant les responsables de la prise d'otage à coup de bombes et de fusillades, une tueuse éliminant l'un des membres de l'équipe de tueurs, les mêmes retrouvant sa trace et l'éliminant d'une sale façon, des raids de représailles, des lettres piégées, des agents doubles et triples, de la raison d'état et un état généralisé de déraison. Je n'ai pas encore lu que l'on ait relevé combien le raid israélien au Liban ressemblait à la reconstitution de la prise d'otages. Et pourtant, ce sont les mêmes arrivées furtives, les mêmes armes que l'on épaule, les mêmes portes que l'on enfonce, les mêmes visages d'hommes tirés de leur lit et abattus sur place, la même sale guerre sans prisonniers, les mêmes justifications. Spielberg filme la peur, les visages ravagés d'angoisse et de haine. « C'est ma terre », « il faut le faire », « j'ai pris ma décision », « tue-les », « tuez-les ». Il montre les mêmes certitudes d'avoir raison, les mêmes fronts butés, la même absence de scrupules, les mêmes moyens pour une même fin. Il filme ce qui tue le Proche Orient depuis le commencement, les cadavres que l'on se renvoie à la figure et qui justifient toujours de nouveaux cadavres. Le refus de l'autre. Et à travers le personnage d'Avner joué par Eric Bana, il pointe la seule possibilité de sortir de cette spirale sans fin : douter. Il pointe aussi, ce qui fait de Munich un film assez sombre, l'effet destructeur de cette spirale sur l'homme : la paranoïa totale. Très belle scène d'Avner qui rentre dans sa chambre, la pense forcée et démoli son mobilier, se souvenant de tous les pièges dont il s'est servi sur d'autres, pour finir par dormir, halluciné, dans son placard. Munich poursuit ici le discours initié dans Minority Report, discours sur une société tellement obsédé par le crime qu'elle abdique toute liberté individuelle pour un traçage de l'individu jusqu'à condamner à la vie végétative ceux qui commettrons un crime dans le futur. Car bien sûr Spielberg s'adresse en priorité aux américains. La traque vengeresse du groupe israélien renvoie à la « croisade du Bien » initiée par G.W.Bush. Son inanité est signifiée par l'ultime plan sur les tours du World Trade Center. Aux discours plein de certitudes du supérieur d'Avner, Spielberg rappelle que, plus de vingt ans après, rien n'a été réglé. Que c'est encore pire. Parce que dans les années 70, New-York est encore un refuge.

 

Revenons à Ford. Les deux films ont en commun de réfléchir sur les rapports entre une nation, son affirmation (ou son existence), et la violence qui est nécessaire à cette affirmation. Réflexion également sur l'effet de cette violence sur les individus et le besoin absolu de dépasser cette violence pour construire un futur. Cette image du futur se décline chez Spielberg par les nombreuses présences d'enfants, israéliens, américains, palestiniens, français. Des enfants hélas déjà prêts à la guerre mais qui peuvent espérer la paix. Chez Ford, mais c'est un homme d'avant le Vietnam, ce futur, ce sont la mise en place des dispositifs démocratiques, de la civilisation qui balaie la violence du vieil ouest. L'oeuvre de Ford, c'est l'épopée de l'Amérique avec, de plus en plus aiguës avec le temps, les contradictions qui vont avec. Et un fondamental : la communauté. L'oeuvre de Spielberg, c'est la communication entre les êtres avec, de plus en plus aiguës avec le temps, les difficultés qui vont avec. Et un fondamental : la famille. Et celle-ci, dès Duel, est souvent en crise ou dispersée. L'armée, la police, les scientifiques, les corps constitués sont le plus souvent des menaces. Spielberg a un petit fond anar. C'est un cinéaste d'après le Vietnam (et Kennedy, Matin Luther King, le Watergate, le Chili...) pour lequel les contradictions que Ford essaye de résoudre sont intenables.

 

Comme lui, Spielberg a exploré les différentes époques de la courte histoire de son pays. Comme Ford, il convoque les pères fondateurs (le discours de Lincoln dans Saving Private Ryan par exemple). Il cherche dans le passé une façon de lire le présent et des pistes pour le futur. Il y a le même désir, le même enthousiasme, la même fièvre à embrasser cette histoire courte et intense pour en faire la matière vive de leurs films et tenter de lire le monde. Spielberg n'est pas un historien, pas un documentariste, Munich est « inspiré de faits réels » comme Le Massacre de Fort Apache est inspiré de Little Big Horn. Munich est un thriller comme La Chevauchée Fantastique est un western mais ce sont tous les deux des portraits de l'Amérique au moment de leur tournage. Ce ne sont pas des films politiques mais ils sont éminemment politiques. Ce ne sont pas des films idéologiques, mais qui portent un regard sur une idéologie, ils sont profondément humanistes. Et si certains trouvent Munich trop basique, il faut rappeler que les Palestiniens viennent de voter pour le Hamas après que les américains aient réélu Bush et que les israéliens aient élu Sharon, qu'un diplomate israélien a critiqué le film au motif que les agents du Mossad n'avaient pas d'états d'âme tandis que le dernier survivant du commando palestinien de Munich disait ne rien regretter. Le doute, ce n'est pas gagné.

 

Un dernier point concernant les critiques, très localisées, sur le côté folklorique de la vision «à la Spielberg» de la France. Il suffit de revoir L'Affaire Ben Barka de Serge le Péron ou cet excellent téléfilm sur le SAC pour voir ce dont nous avons été capables en matière de groupes parallèles, coups tordus et manipulations en tout genre. Malgré le plan insistant sur la tour Eiffel, le Paris 70' de Spielberg est cent fois plus convainquant que celui 60' de le Peron.

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Beyond the canon

J'ai déjà eu l'occasion de dire tout le bien que je pensais des listes du genre « les 100 meilleurs films du monde ». Il se trouve que j'ai été sollicité cet été par Iain Scott du blog britannique The one-line review pour une approche un peu plus originale : Beyond the canon. Si j'ai tout bien compris, il avait déjà mené une enquête classique qui avait donné évidemment les résultats attendus, avec Citizen Kane au premier rang. Quelque peu frustré, il a eu l'idée de solliciter 100 films mais cette fois en excluant 300 titres qui reviennent dans la plupart des enquêtes du genre. Exit, donc le film de Welles et les oeuvres majeures des cinéastes canoniques (d'où le titre). Ca devrait être intéressant. Quand je lis les palmarès de fin d'année dans les revues, j'ai tendance à me pencher sur les listes individuelles pour voir les titres qui se détachent. Avec Beyond the canon, nous devrions avoir une liste composée essentiellement de ce genre de titres.

Voici donc ma liste, que je vais publier par ordre chronologique tout au long de la semaine histoire d'alléger.  Impossible d'établir une hiérachie là-dedans, ce serait trop me demander. J'ai essayé de ne pas multiplier les oeuvres de mes réalisateurs fétiches et de ne pas systématiquement évacuer les ténors en allant vers des films qui me sont chers et généralement moins cités. Si le coeur vous en dit, vous pouvez envoyer votre liste à Iain à l'adresse : onelinereview@hotmail.co.uk avant le 30 septembre. Je sais que le bon docteur en avait fait une en 2006. Listeurs, en lice.

Beyond the canon partie 1

The unknown (L'inconnu -1927 ) Tod Browning

The sign of the cross (Le signe de la croix – 1932) Cecil B. De Mille

Design For Living (sérénade à trois – 1933) Ernst Lubitsch

Tarzan and his mate (Tarzan et sa compagne – 1934) Cedric Gibbons

Le roman d'un tricheur (1936) Sacha Guitry

Remorques (1940) Jean Grémillon

The mortal storm (1940) Frank Borzage

The long voyage home (Les hommes de la mer – 1940) John Ford

Le silence est d'or (1947) René Clair

The ghost and Mrs Muir (L'aventure de madame Muir - 1947) Joseph L. Mankiewicz

Wake of the Red Witch (Le réveil de la sorcière rouge - 1948) Edward Ludwig

San Mao, Liuglangji (San Mao, le petit vagabond - 1949) Yang Gong et Zhao Ming

Törst (La fontaine d'Arethuse – 1949) Ingmar Bergman

Bakushu (Été précoce – 1951) Yasujiro Ozu

The quiet man (L'homme tranquille – 1951) John Ford

Apache drums (Quand les tambours s'arrêteront – 1951) Hugo Fregonese

Bend of the river (Les affameurs – 1952) Anthony Mann

The big sky (La captive aux yeux clairs – 1952) Howard Hawks

The big heat (Règlement de comptes – 1953) Fritz Lang

Manon des sources (1953) Marcel Pagnol

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De l'érotisme (partie 1)

Annoncé depuis quelques temps, Ludovic de Cinématique nous livre un remarquable questionnaire sur l'érotisme au cinéma. Une invitation au voyage que je n'aurais pensé décliner. Ed de Nightswiming et le bon Docteur Orlof ont déjà tracé la route. Comme Joachim sur 365 jours ouvrables, je pense procéder par étape, en attendant de lire d'autres contributions des deux sexes.


1- Quel est votre plus ancien souvenir d'émoi érotique ayant un lien avec le cinéma ?

Celui que je peux dater le plus précisément, et que je peux considérer comme délibéré, c'est celui de Claudia Cardinale dans C'éra una volta il West (Il était une fois dans l'Ouest – 1968) de Sergio Leone.

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2- Quels films (un par décennie depuis les années 20) représentent pour vous le summum de l'érotisme ?

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-années 20 : The unknown (L'inconnu -1927) Tod Browning

-années 30 : Design For Living (Sérénade à trois – 1933) Ernst Lubitsch

-années 40 : Notorious (Les enchaînés – 1946) d'Alfred Hitchcock

-années 50 : The Quiet man (L'homme tranquille - 1951) de John Ford

-années 60 : Otto e mezzo (8 ½ – 1963) de Federico Fellini

-années 70 : The Rocky Horror and picture show (1975) de Jim Sharman

-années 80 : Witness (1985) de Peter Weir

-années 90 : Groundhog day (Un jour sans fin - 1993) de Harold Ramis

-années 2000 : In the mood for love (2000) de Wong Kar-wai

3 et 4 - Quelle acteur/actrice a su vous montrer la plus belle chevelure ? Les plus beaux pieds ?

Chevelure : En rousse : Maureen O'Hara, en brune : Rachel Weisz, en blonde : Catherine Deneuve.

Pieds : Dans Quai des orfèvres (1947) de Henri-Georges Clouzot, on trouve cette immortelle réplique dite par Charles Dullin : « N'enlevez pas les chaussures, jamais les chaussures » destinée à une jeune modèle qui doit poser nue. Les pieds, c'est une affaire complexe. Alors bon, moi c'est plutôt avec chaussures ou bottes. Évidemment, le spécialiste incontesté du genre, c'est Bunuel, néanmoins assez récemment, j'ai été assez touché par le pied de Yang Ziyi dans 2046 de Wong Kar-wai et par celui de Diane Kruger si délicatement manipulé dans Inglorious basterds de Quentin Tarantino.

5 - Si tout comme dans La Rose pourpre du Caire, un personnage devait sortir de l'écran et vous accompagner quelques jours avant de disparaître à jamais, qui serait-il ?

Je passerais volontiers un moment avec Mrs Muir, jouée par Gene Tierney dans le film de Joseph L. Mankiewicz

6 - Quelle est votre scène de pluie préférée ?

La scène du cimetière dans The Quiet man (L'homme tranquille - 1951) de John Ford (cliquer sur la photographie).

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7 - Y a-t-il une musique de film qui saurait accompagner vos ébats amoureux ?

Une bonne compilation d'Ennio Morricone devrait couvrir toutes les situations.

8 - Avez-vous vu dans un film un vêtement que vous aimeriez porter ou offrir ?

Vaste question ! Disons pour le côté ludique quelque chose dans ce goût là :

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(à suivre)

Photographies : Collection personnelle / Joan Crawford best / Capture DVD Montparnasse / Non identifié

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Lincoln (2)

Ford, Ford, Ford !

D’un classicisme à l’autre, le cinéma de Steven Spielberg a un lien très fort avec celui de John Ford. C’est un lien évident mais à mon sens trop souvent abordé en surface, à l’occasion d’un cadrage ou d’une citation littérale, parfois sur le lien à l’Amérique ou sur le sentimentalisme. Belle exception, l’article de Christian Viviani sur Lincoln dans le Positif de févier qui va plus profondément. Les différences existent bien sûr, mais le lien est organique. Les deux hommes viennent de minorités (catholique irlandais, juif) et en ont souffert dans leur jeunesse. Ce sont des hommes au double visage. L’un fort, celui de réalisateurs célèbres et célébrés, producteurs, hommes de pouvoir dans leur domaine, et un plus sombre lié à une lucidité sur la nature humaine, un pessimisme viscéral qui pourtant ne l’emporte pas sur la part idéaliste mais la nuance. Cette contradiction interne est le moteur de leur cinéma, un cinéma auquel ils vouent une passion totale. Le rapport à leur pays est certes fondamental. Comme Franck Capra, ils ont une conscience aigue de ce que le système américain leur a apporté. Et ils font de l’histoire de ce pays la matière brute de leur œuvre. Avec Lincoln, il est inévitable que l’on convoque l’un des plus beaux films de Ford, Young mister Lincoln (Vers sa destinée– 1939). Ford prend Lincoln à ses débuts, jeune avocat de Springfield et homme politique débutant juché sur un tonneau pour haranguer ses concitoyens. Spielberg le prend dans les derniers mois de sa vie, menant le combat qui donne rétrospectivement le sens à son engagement.

steven spielberg

A plus de 70 ans de distance, Spielberg procède de la même manière que Ford, montrant dans le même mouvement la légende et l’homme, l’irruption de l’icône (le chapeau !) au sein du récit à hauteur d’homme. On se rappellera ainsi cette scène où le Lincoln fordien se dresse tout à coup dans son bureau face à deux plaignants et déplie la grande silhouette de Henry Fonda pour devenir par un jeu de cadre et de lumière le président légendaire. Mais il montre également Lincoln arriver (avec le chapeau, déjà) sur un âne à Springfield. Spielberg reprend ce principe et multiplie les touches triviales avec humour, Lincoln à quatre pattes pour mettre des bûches dans la cheminé, Lincoln se couchant par terre à côté de son fils, Lincoln agonisant son entourage de ses histoires (plus ou moins) drôles. Et dans l’un de ces couloirs étriqués de la Maison Blanche, tout à coup un cadre et un contrejour dessinent la silhouette inoubliable. Il y a également tout ce qui a trait à la reconstitution et qui cherche par un effet de réel à contrebalancer l’importance historique de ce qui se joue. Dans un registre plus émouvant, on rapprochera l’insistance d’Ann Ruthledge à ce que le Lincoln de Ford fasse son droit avec la réplique de la femme du Lincoln de Spielberg : « Ne reviens pas sans avoir gagné ». Ce sont également deux films sur la parole, le film de Ford trouvant son climax dans un procès, mettant en valeur les dons d’orateur de Lincoln et sa force de conviction, mais sans rien dissimuler de sa roublardise. Ils possèdent en outre un niveau de lecture avec le moment de leur réalisation, que ce soient les années Roosevelt ou les années Obama. Il y a quelque chose d’exaltant à voir ces deux films dialoguer à travers les décennies. On pourrait poursuivre ce dialogue avec l’épisode Civil war de How the west was won (lLa conquête de l’Ouest – 1962), construit autour d’un dialogue Grant-Sherman et reléguant le spectacle de la guerre à une brève introduction et à une scène dans un hôpital de campagne ; et puis il y a un autre beau film bavard sur la politique, The last hurrah (La derniere fanfare – 1957). Lincoln est un grand film dans l’héritage fordien.

De l’art du compromis

Film ouvert, Lincoln prolonge à la fois Munich (sur les questions de choix dans le cadre d’une démocratie en guerre) et surtout Amistad (1998), film peu estimé (à tort, tu penses !) dans la filmographie de Spielberg. Un film également taxé d’« académisme », nouvelle marotte des détracteurs du cinéma du réalisateur, remplaçant « immature » car passé la cinquantaine, c’était nécessaire de se renouveler. Amistad comme Lincoln est un film sur la parole, sur l’apprentissage de la parole de l’autre et sur les joutes politico judicaires qui ont fait évoluer la condition et les droits des noirs en Amérique. Lincoln est le récit d’une action politique, film politique (un peu) et sur la politique (beaucoup). Écrit comme cela, ce n’est pas forcément excitant. Ca l’est pourtant car rares sont les films ayant abordé de façon centrale le sujet. Advise and consent (Tempête à Washington – 1962) d’Otto Preminger, la scène de débat dans le village de Land and Freedom (1996) de Ken Loach, Le promeneur du Champ de Mars (2002) de Robert Guédiguian, The last Hurrah… Spielberg innove en la matière puisque l’intégralité du film décrit un mécanisme politique sans rien dissimuler de la part de mesquinerie, de calcul, de manipulation, de tractation, d’intérêts privés, qui en font partie, et pourtant en faisant ressentir la grandeur de l’objectif. Lincoln est un grand film sur le compromis nécessaire sur la voie de l’idéal. La fin et les moyens. Spielberg décrit chez Lincoln la conviction profonde qui l’habite, conviction qu’il partage, ce serait la part idéaliste du réalisateur. Et il montre les moyens utilisés, exprimant là sa part de doute sur la nature humaine. La conclusion du film est à la même double face. Lincoln paye de sa vie sa victoire, la violence enraye l’avancée obtenue. Mais l’esclavage est aboli, l’Union sera sauve et les noirs pénètrent pour la première fois dans l’enceinte du Congrès, ouvrant une nouvelle histoire avec ses reculades (le Ku Klux Klan, les lynchages, la ségrégation), mais un mouvement progressiste de conquête âpre des droits, le mouvement des droits civiques, Martin Luther King et in fine un président noir en héritier de Lincoln. Un chemin pas pavé de roses, inachevé, mais qui grimpe. On comprend que cet éloge du compromis agace ceux qui aimeraient que cela aille plus vite, plus complètement. Spielberg le prend en compte avec le personnage de Stevens, tout en montrant que c’est par l’acceptation de cette idée de compromis, difficilement, que la bataille est gagnée.

steven spielberg

Poussons le raisonnement, Lincoln est un grand film social-démocrate. Mais si. La grande scène du film, c’est bien sûr le vote. Et il n’y a pas plus de suspense dans cette scène que dans une douche à polémique. L’enjeu est ailleurs. Que nous montre le film ? Les sentiments de ceux que l’on a vu s’agiter dans leur tambouille de basse politique. Et qui prennent tout à coup conscience de l’importance du moment, de cet instant de haute politique où va écrire l’Histoire. Les visages sont graves, les yeux humides, nous voyons l’explosion de joie avec le chant Battle cry of freedom qui sera repris avec des chœurs lorsque nous suivrons Stevens à l’extérieur (un procédé fordien encore). Nous voyons le leader démocrate, battu, quitter le Congrès de dos. Lui aussi vient de prendre la mesure de l’événement, il disparait dans le passé et il le sait. Lincoln, lui, en connaissait déjà l’importance. Les autres la découvrent et sur leur visage se lit ce sentiment bien particulier de ceux qui vivent, en conscience, l’Histoire en train de se faire et faite avec eux. Ah c’est autrement exaltant que ce que l’on voit d’ordinaire sur un écran, mais je ne donnerais pas de noms. Histoire de nous faire redescendre en douceur, Spielberg fait suivre par une jolie scène où Stevens rapporte le texte original de l’amendement à celle que l’on prend pour sa domestique (là il y a un petit suspense), mais qui se révèle être sa compagne. Au vrai elle était les deux, madame Lydia Hamilton Smith. On mesurera (perfidement en ce qui me concerne) l’écart avec le Django Unchained de Quentin Tarantino, qui se défoule d’une colère qui a un siècle de retard, prétendant montrer l’Histoire sans être capable de l’inscrire dans la durée ni dans une réflexion plus large. Des combats d’hier, Spielberg fait un film pour aujourd’hui et sans doute pour demain, comme ceux de Ford. Je pourrais parler d’un artiste au sommet de son art si ce n’était le cas depuis bien longtemps.

Photographies : © 20th Century Fox

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Le Grand Sam

Dans le panthéon peu enviable des réalisateurs martyrs d'Hollywood, entre Welles, Gilliam, Cimino et Léone, Sam Peckinpah tient une place de choix. Je ne sais plus quel grand réalisateur actuel disait que, quand il voyait Major Dundee, il en pleurait de rage de voir ce qui avait été fait de ce film. Et bien, ce réalisateur et les amateurs du grand Sam pourront un peu sécher leurs sanglots puisque sort, enfin, une édition « extended » de ce superbe western, un peu trop vite traduit en français par « intégrale ». la sortie DVD est prévue pour fin août, mais aux pays Bas, c'est déjà fait. Du coup, je l'ai vu, il n'y a pas deux heures.
Il faut un petit peu modérer son enthousiasme. Cette version comprend 12 minutes supplémentaires, un commentaire audio de trois spécialistes de Peckinpah, deux documentaires et, c'est une première, une toute nouvelle composition musicale écrite pour le film. Mais nous sommes encore loin du compte puisqu'il manque environ 20 minutes pour arriver à la version qui mériterait le nom d'"intégrale", telle que voulue par le réalisateur.

Major Dundee, il faut le rappeler, est la première grosse production de Peckinpah après son coup d'éclat de Coups de feu dans la Sierra en 1963. Le film se monte autour de Charlton Heston qui considérera toujours ce rôle comme l'une de ses créations majeures. On ne peut pas lui donner tort. Dépassé par la logistique du film, tourné au Mexique, Peckinpah se brouille avec le producteur, s'engueule copieusement avec Heston qui ira jusqu'à le menacer de son sabre. Ceci n'empêchera pas Heston, lorsque le film risquera d'être arrêté, de renoncer à son salaire et de prendre la défense du réalisateur. Rien n'y fait, Le producteur finit par virer Peckinpah, réduira drastiquement la longueur du film et imposera une partition musicale envahissante de Daniele Amphiteatrof (avec une marche militaire de Mitch Miller) qui désespéreront le réalisateur. Peckinpah mettra quatre ans à remonter un projet. Ce sera La Horde Sauvage.

Pourquoi ce film, aujourd'hui, au-delà de son statut de « film maudit » est important ? Parce qu'il est le maillon nécessaire qui permet de faire La Horde Sauvage. Tout y est déjà. Amos Dundee est un homme qui se lance dans l'Aventure à la poursuite d'un improbable apache, Sierra Charriba, avec une troupe disparate composée de nordistes, de prisonniers sudistes volontaires, de soldats noirs et de vauriens de toutes sortes. Dundee est au sommet d'un triangle, à la recherche d'un Destin à la hauteur de son idéal. Le chef confédéré (Richard Harris) partage ce sentiment, mais l'exprime à travers une feinte aristocratie sudiste à la Reeth Butler. Au troisième coin du triangle, L'indien Charriba qui répète plusieurs fois « Et maintenant, qui allez vous m'envoyer ? » lui aussi, cherche un adversaire à sa taille pour « pouvoir en parler autour du feu de camp pendant mille ans ».

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Major Dundee, c'est la prolongation du discours de Peckinpah sur le mythe du western. C'est aussi le film où il règle ses comptes avec Ford, prétendant rétablir la vérité esthétique de l'Ouest, avec ses cow-boys crasseux, ses cavaliers dépenaillés, sa violence. Il y a une très jolie scène de sortie de fort, comme en a fait Ford plus d'une fois, où chaque groupe de la troupe hétéroclite de Dundee chante son air « communautaire » : Dixie pour le Sud, When Johnny Comes Marching Home pour le Nord, l'appel de la cavalerie pour les réguliers et My Darling Clémentine pour les convoyeurs. Au bel ordonnancement de Ford se substitue la cacophonie et le chaos.

Mais Peckinpah admire aussi Ford, c'est son paradoxe et la force de son cinéma. Ses héros cherchent toujours à se raccrocher à des valeurs, aux valeurs supposées de l'Ouest des pionniers. Ces valeurs, ce combat suceptible de les illustrer, ils le trouvent souvent, malgré eux, sur l'autre rive du Rio Grande. Ici, Peckinpah passe pour la première fois le fleuve pour aborder la terre mexicaine avec sa politique compliquée, son authenticité, son sens de la fête, ses enfants si vivants et ses femmes si bien en chair. Dundee a une belle scène avec une mexicaine qui annonce celles avec Pike (William Holden) dans la Horde Sauvage, ou d'autres encore dans Pat Garrett et Billy the Kid ou Apportez Moi la Tête d'Alfredo Garcia. On retrouve également une longue séquence de fête dans un village délivré avec départ déchirant à l'aube très proche de celle de La Horde Sauvage.

Major Dundee n'est pas un chef d'oeuvre, mais il n'en est pas loin. Il est la répétition générale des sommets à venir. Il est la naissance d'un style et l'affirmation d'un discours. Il est aussi la naissance d'une famille puisque l'on retrouve une très belle distribution avec James Coburn, Senta Berger, Slim Pickens, Ben Johnson, Warren Oates, LQ Jones et quelques autres gueules que l'on retrouvera dans la plupart de ses films. Encore une façon de se mettre dans la lignée de Ford.

Je termine par une anecdote que j'aime beaucoup. Peckinpah voit un film de Ford et lui dit : « Mais pourquoi vous montrez ces soldats si bien habillés ? vous savez que ce n'était pas comme ça, John ». Et Ford lui réplique : « Oui, mais sur fond de coucher de soleil, c'est tellement beau ». Le poète et le moraliste.
 
Le DVD 

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