« Bye bye baby | Page d'accueil | Leaning on the everlasting arms »
02/03/2011
Pony mine and papa's things
La sortie du nouveau film des frères Coen est une bonne occasion de revisiter le True grit original de 1969, réalisé par Henry Hathaway et sortit chez nous sous le titre 100 dollars pour un shérif. Le duo de réalisateurs et leur interprète principal, Jeff Bridges, prennent soin de se démarquer tant du film que de l'encombrante figure de John Wayne. On peut y voir l'irritant discours des faiseurs de remakes qui tentent de vendre leur version en assimilant modernité et qualité, moi je l'ai fait en parlant, en couleurs, en 3D, en vraie violence, avec de véritables morceaux de sexe, en respectant le livre original, en ceci, en cela, allez-y, ça sera mieux. En vérité, je vous le dis, le remake est neuf fois sur dix du pipi de chat et tous ces braves gens feraient mieux de se creuser un peu la tête. Dans le cas qui nous occupe, on verra bien. Les Coen jouent sur du velours, le film de Hathaway ne faisant pas partie des grands classiques du genre. On peut mieux comprendre les réticences de Bridges, vu le calibre de Wayne et que, comme nul ne l'ignore, c'est le rôle du marshall borgne Rooster Cogburn qui lui valu son unique oscar. Bridges a commencé par mettre le bandeau sur l'autre œil, mais malgré toute l'admiration que j'ai pour le Dude, pas facile de se mettre dans les bottes du Duke.
Comment situer aujourd'hui True grit alors qu'il s'est enrichi d'une partie du mythe John Wayne et qu'il fait désormais partie de la longue annonce de la mort du genre, annonce sans cesse repoussée ?
Comme Hollywood, le western américain dans les années 60 ne va pas bien. La série B a disparu pour être recyclée à la télévision, l'ère des grands classiques est terminée et The magnificents seven (Les sept mercenaires – 1960) de John Sturges a sonné l'heure du véhicule d'action pour star masculine. Mis à part les derniers feux des grands maîtres (Ford, Hawks, Walsh), le rebelle Peckinpah et quelques rares cas particuliers, c'est le règne du médiocre. Pire, face au sang neuf venu d'Italie et d'Espagne, le western américain n'a su que copier maladroitement les formes nouvelles. Il faudra dix ans pour que le genre émerge de nouveau avec une veine crépusculaire et de nouvelles œuvres fortes. True grit, dans ce contexte, est un retour plutôt sain (mais un peu vain) aux fondamentaux, récit initiatique, grands sentiments, grands espaces, partition enlevée d'Elmer Bernstein, photographie lumineuse aux couleurs de fin d'automne de Lucien Ballard, fidèle de Hathaway mais aussi directeur de la photographie de Budd Boetticher et de Sam Peckinpah. Bref, du joli boulot de spécialistes. Mais le film ne dépasse jamais vraiment cet état. Malgré les efforts de Bertrand Tavernier, il m'est difficile de voir en Hathaway plus qu'un des solides artisans de l'usine à rêves. Il n'a jamais eu la dimension d'un Ford ou d'un Mann, pas plus que l'inventivité d'un Lewis ou d'un De Toth. Bénéficiant de conjonctions favorables, True grit est peut être son meilleur western, avec notamment un vrai sens du paysage et de l'espace, une réelle efficacité dans les scènes d'action et une relative originalité dans la reconstitution, comme la scène de la pendaison publique qui ouvre le film, décrite avec ironie comme un grand spectacle populaire. Mais Hathaway montre ses limites quand il faut donner toute son intensité à la chevauchée finale ou Cogburn tente désespérément de ramener Mattie mordue par un serpent à un poste où elle pourra être soignée. Trop carré, il ne sait pas être véritablement lyrique. De même la direction d'acteurs, si elle équilibre bien le duo Wayne – Kim Darby (Mattie), et si elle utilise habilement les nouveaux visages de Robert Duvall et Dennis Hopper, peine avec l'insipide Glen Campbell (La Boeuf) et le transparent Jeff Corey. Et puis le film est un peu long, pour être totalement efficace, il aurait du s'en tenir à 90 minutes. Pour être plus long, il fallait le sens de la respiration hawksienne.
John Wayne, lui, accompagne le mouvement de la décennie. En 1960, il a produit, joué et réalisé son grand rêve, Alamo. Ce beau film épique lui a coûté, littéralement, la peau des fesses. Fin 1964, il est opéré d'un cancer. Il passera donc les années soixante à éponger ses dettes et assurer ses arrières en enchaînant sur un rythme soutenu des participations prestigieuses et des films sur mesure qu'il confie à des réalisateurs sans grande envergure mais qui entretiennent le mythe, Andrew McLaglen (fils de son père Victor) et Burt Kennedy (plus doué comme scénariste de Bud Boetticher). Et puis Hathaway un cran au dessus. Là aussi, on mettra à part ses dernières collaborations avec Ford et Hawks. De cette période, True Grit n'a pas de mal à dominer l'ensemble. Il est évident que Wayne était motivé par le rôle, il avait aimé le roman de Charles Portis dont il avait tenté d'acquérir les droits puis le scénario de Marguerite Roberts. Quand il déclare en recevant son oscar « Si j'avais su, j'aurais mis ce bandeau il y a 25 ans »Il se rendait sans doute compte que ce rôle, il l'avait déjà créé pour Hawks avec le Tom Dunson de Red river (La rivière rouge) en 1946, puis peaufiné trois ans plus tard pour Ford avec le capitaine Nathan Brittles, ses cheveux grisonnants et ses lunettes, dans She wore a yellow ribbon (La charge héroïque). Deux créations magistrales dont Rooster Cogburn ne pouvait être que l'aimable parodie. Mais bon, ce ne sont que les oscars, on ne peut pas leur en demander trop. De fait Wayne s'amuse avec ce rôle, que ce soit dans la scène du rat, la fusillade finale à la Falstaff contre la bande à Ned Pepper, les échanges avec la nouvelle génération. Il en fait juste un peu trop quand il se vautre de cheval sous l'emprise de l'alcool. Chez Hawks, c'était parce qu'il avait une vieille balle dans le dos.
Film quasi anachronique en 1969, True grit vieillit plutôt bien. D'une certaine façon, le film dépasse son réalisateur par la façon dont il entre en résonance avec sa star. Sachant se mettre en retrait par rapport au personnage de Mattie, Wayne développe un discours nostalgique sans sensiblerie. Il ne cherche pas à éduquer (comme il le fera dans plusieurs autres westerns tardifs), ni à séduire encore comme il le fera chez Hawks dans Rio Lobo (1970) et du coup esquisse un rapport père-fille qui joue plus subtilement que prévu sur la transmission. C'est Mattie qui donne le révolver de son père à Cogburn, comme elle lui propose de faire partie de la famille en lui réservant une place dans le cimetière familial. Scène casse-gueule qui passe plutôt bien parce que Wayne s'en sort par une pirouette au sein d'un superbe décor neigeux. Toute l'esthétique du film colle à Cogburn comme à l'image de Wayne, à sa légende au sens fordien. Les intérieurs sombres et chaleureux, les paysages d'automne, le rythme un peu nonchalant, True grit est un chant du cygne, un adieu aux armes qui ne se résout ni à la tristesse (Ford), ni à la colère (Peckinpah). Un ultime mensonge quand le montage du saut au dessus de la barrière fait comprendre que ce n'est pas Wayne qui exécute la prouesse, mais qu'un dernier plan, figeant le mouvement, entretient une dernière fois l'illusion du mythe. Élégant.
Photographie : Dr Macro
Chez le bon Dr Orlof
Chez Mariaque
Sur DVD Classik
21:49 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : henry hathaway, john wayne, western | Facebook | Imprimer | |
Commentaires
Très jolie analyse. A bien y réfléchir, nous sommes quasiment d'accord même si j'insisterais plus que toi sur le côté un peu pépère et paresseux de la mise en scène d'Hathaway (2h, c'est effectivement beaucoup trop long).
Paradoxalement, c'est moi qui suis un peu moins sévère avec le cinéaste : comme toi, je le considère davantage comme un honnête artisan mais il me semble qu'il a quand même fait beaucoup mieux (ses films noirs sont très biens et je ne parle même pas de "Peter Ibbetson" que j'adore plus que tout).
J'attends maintenant que tu aies vu le remake des Coen pour que nous puissions discuter de leurs mérites respectifs :)
Écrit par : Dr Orlof | 02/03/2011
Hathaway a joué effectivement à fond sur le mythe Wayne et sur son personnage tout de même fortement et durablement "positif" (même si l'on entrevoit des fêlures chez Ford). Et c'est ainsi que l'on peut lire la dernière image, encore vert, toujours jeune (et surtout "confortable" cf. Hawks).
Honnêtement, le personnage (et Bridges n'essaie même pas de rappeler son illustre confrère) chez les frère Coen n'est pas une ordure parce qu'il est du "bon" côté de la barrière mais la frontière est ténue... il suffirait d'un rien. Et il n'y a plus d'espoir. (oups ! j'espère que je n'ai rien spoilé)
Écrit par : FredMJG/Frederique | 03/03/2011
Doc, je me souviens que quand tu avais écris sur "Peter Ibbetson", je t'avais dit que ce film m'avait déçu par rapport à sa réputation. Il faudrait peut être que j'y revienne mais il me semble que, là aussi, Hathaway avait été presque dépassé par la portée de son film. J'ai un peu du mal à le voir comme un "paresseux", plutôt trop carré ce qui empêche ses films de respirer. C'est juste aussi que le film noir lui convient mieux, quoique la réputation du "Carrefour de la mort" vienne pour beaucoup de la prestation de Widmark.
Fredérique, vous avez été sacrément impressionnée par le côté confortable du Duke ! Mais j'ai aussi confiance dans Bridges, réponse ce week-end.
Écrit par : Vincent | 03/03/2011
Et bien vu que Jennifer O'Neill lui explique que c'est parce qu'il est confortable qu'elle a préféré sa couche à celle de Rivero et que le Wayne en est tant marri qu'il ne cesse jusqu'à la scène finale de s'en émouvoir... il est difficile de faire l'impasse :)
Écrit par : FredMJG/Frederique | 03/03/2011
Très belle article, j'aime bien cette analyse du "champ du cygne".
J'ai bien aimé le film de frère Coen, ils sont cohérent avec le mythe qu'était le filme originale, avec un beau plus, c'est la fin qui est hommage à john Ford, sur les légendes et les pierres tombales!
En conclusion je dirais les westerns sont morts comme leurs réalisateurs, leurs acteurs... Les frères ont fait un beau filme, pleins de nostalgies mais ce n'est pas eux qui referont renaitre "la machine à rêve" "Why knows?
Écrit par : claude kilbert | 04/03/2011
je ne sais pas si le film méritait un texte aussi joli mais s'il fallait ne garder qu'un western d'Hathway, je choisirais plutôt Le jardin du diable. Ce n'est pas un chef d'oeuvre, cela reste conventionnel malgré les apparences (ça se passe au Mexique et y a une tonalité fantastique) mais c'est nettement mieux troussé que True grit. C'est 1954 et non 1969...
La fureur des hommes (premier film de Dennis Hopper) était pas mal aussi, j'ai le souvenir peut-être trompeur d'un film assez violent.
Écrit par : Christophe | 05/03/2011
La fille du bois maudit a une jolie réputation sinon. Je ne l'ai pas vu mais j'ai bien envie de le voir (Technicolor primitif+Henry Fonda, ça suffit à me faire rêver)
Écrit par : Christophe | 05/03/2011
Frédérique, je croyais que c'était avec la mexicaine balafrée qu'il finissait, le Duke ?
Claude, oui, ce n'est pas ce film qui ressuscitera le western, mais est-il bien mort ? Rien que l'intérêt qu'il suscite m'encourage à l'optimisme.
Christophe, merci pour le texte, tu m'avais fait une réflexion du même genre pour "les pirates du rail" :) J'avoue avoir été déçu par "Garden of evil", bien que l'ai vu en salle dans une copie superbe. Mais les années 50, c'est la grande période, pas à discuter. De Hathaway, j'ai de bon souvenirs de ses premiers westerns et il y a aussi "The Shepherd of the Hills" son premier film avec Wayne et Harry Carey, pas mal du tout. J'ai une certaine affection pour les lanciers du Bengale, à cause de Cooper et d'un délicieux souvenir d'enfance. Après avoir vu la version des Coen, je persiste, le Hathaway est vraiment pas mal.
Écrit par : Vincent | 05/03/2011
Ezzzat ! et elle l'aide à marcher en lui disant qu'il est trop gentil comme gars et là, il lui sort royal en claudiquant : Par pitié, dites moi n'importe quoi mais pas que je suis confortable.
PS. je n'ai jamais prétendu que le Duke avait connu bibliquement la O'Neill, juste qu'en cas de grand froid, les freluquets lubriques ne servent pas à grand chose et qu'elle avait partagé la couche du vieux
Re.PS. Sherry Lansing... mexicaine... ah ah ah j'en ris encore
Écrit par : FredMJG/Frederique | 05/03/2011
Je ne sais pas si vous connaissez l'histoire, mais Hawks avait été très déçu par O'Neill et s'il avait pu, il l'aurait virée pour la remplacer par Lansing, plus dans son goût très sûr pour le jeunes femmes classes et canailles. Du coup, il a donné plus de trucs à jouer à sa "mexicaine" dont cet adorable finale.
Écrit par : Vincent | 05/03/2011
Faut reconnaître que la Lansing a un peu plus de chien ! et un peu plus de caractère itou. D'ailleurs, les choix de carrières des deux dames sont relativement emblématiques.
Écrit par : FredMJG/Frederique | 05/03/2011
C'est amusant, j'ai vu que Lansing avait épousé Friedkin (il faut effectivement en avoir, du chien) alors qu'à l'époque de "Rio Lobo", le réalisateur sortait avec la fille de Hawks. c'est un tout petit monde...
Écrit par : Vincent | 05/03/2011
Écrire un commentaire