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30/04/2008

DeMille à l'ouest

Grand conteur hollywoodien, Cecil B. DeMille ne pouvait se tenir à l'écart du western. De fait, il en est un pionnier puisque son premier film est The squaw man en 1914 (il en fera deux nouvelles versions). Il y reviendra plusieurs fois pour des films atypiques sans que cela ne devienne une marque de fabrique, incarnée chez lui par ses fastueuses fantaisies historiques. A la fin des années 30, il fait partie avec John Ford, Henry King, Fritz Lang et quelques autres, d'un mouvement qui remet le genre à l'honneur. Après l'échec de The big trail (La piste des géants – 1930) réalisé par Raoul Walsh, le western est essentiellement confiné dans des films de série, moins d'une heure, petits budgets, populaires mais méprisés. Le vent tourne et l'épopée reprend le dessus quand DeMille tourne Union Pacific (Pacific express) en 1938, sur la construction du chemin de fer transcontinental.

Magnifiques locomotives, foules d'ouvriers, trappeurs turbulents, troupeaux de bisons, franchissement de cols enneigés, attaques d'indiens, rivalités et traîtrises, chevauchées et cavalcades, DeMille déploie toute la panoplie du genre. Ne cherchez pas trop loin, c'est la même histoire que celle du neuvième album des aventures de Lucky Luke, Des rails sur la prairie, dessiné par Morris, sans l'humour de René Goscinny dont c'était la première collaboration, mais avec Barbara Stanwyck.

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Le film réactive l'épopée de la conquête de l'ouest et de la naissance d'une nation. En cette période historiquement tendue, ce n'est sans doute pas un hasard. Le film marche aussi sur les traces du Iron horse de John Ford tourné en 1924 et s'il est aussi spectaculaire, il est aussi plus intéressant dans son intrigue secondaire. A la classique histoire de vengeance du jeune John Ford, DeMille substitue la relation complexe entre Jeff Buttler, joué par Joel McCrea superbe et viril, Dick Allen joué avec assurance et élégance par le débutant Robert Preston et Mollie Monahan, Barbara Stanwyck, donc. Le premier est un ingénieur chargé de superviser la sécurité du chantier et s'oppose au vilain de service dont l'homme de main est le second, son ancien camarade durant la guerre civile. Et pour couronner le tout, les deux hommes aiment la troisième. McCrea a trouvé là l'un des rôle qui ont fait son mythe tandis que Stanwyck en fille du conducteur de train la joue garçon manqué. Loin des personnages sensuels composés pour Claudette Colbert, DeMille manque ici singulièrement d'érotisme. Mais les rapports entre les trois héros, bien que devenus classiques, n'en sont pas moins passionnants et bien menés. L'ensemble est rehaussé par une galerie de seconds rôles savoureux, notamment deux trognes toutes droit sorties des romans de Fenimore Cooper. Tout cela est fort réjouissant, dirigé tambour battant avec le sens de la composition de DeMille et son goût pour les plans spectaculaires remplis d'ici jusque là-bas. Chez lui, tout est toujours un peu plus grand que nature, un peu plus intense. Il suffit de voir comment il fait monter le suspense lors d'une confrontation entre les deux héros rivaux dans le wagon qui sert de domicile à l'héroïne. Brillant.

La seule chose qui fasse tiquer, c'est quand même sa façon de montrer les indiens. Sa façon de « filmer l'autre » comme on dit aujourd'hui, est assez détestable. Non que je lui reproche de montrer les indiens en antagonistes des valeureux pionniers, cela tous l'ont fait avec plus ou moins d'élégance selon les circonstances. Non, le problème, c'est que DeMille les montre comme des idiots, des crétins, de grands enfants effrayés lors de l'attaque du train par un carillon de pendule, incapables à deux cent de maîtriser trois personnes. Je lis Tintin au Congo sans problème et avec assez de recul pour ne pas être choqué, mais c'est quand même un peu méprisant pour rester poli. Étonnant de la part de quelqu'un qui avait avec The squaw man montré des indiens tout en noblesse.

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Mais cela reste le trait d'union avec Unconquered (Les conquérants d'un nouveau monde) son ultime film du genre, tourné en 1947. Dans ce film qui se déroule en fait avant même la création des États Unis, la tribu indienne est digne des habitants de l'île de King Kong, gri-gris à tous les étages, démarche sautillante, superstition, sauvagerie, infantilisme et, clou du spectacle, le chef est joué par Boris Karloff, le spécialiste du monstre de Frankenstein. La scène fameuse où le héros, joué par Gary Cooper qui s'amuse visiblement beaucoup, mystifie la tribu entière par des effets à la Mélies et une boussole est un sommet dans le genre. Ce film est malgré tout un souvenir d'enfance que j'ai redécouvert avec plaisir. Gary Cooper y est un héros plus grand que nature, le capitaine Holden, qui rachète la liberté d'Abby, jeune anglaise condamnée à l'esclavage dans les colonies d'Amérique du Nord. « And six pence » est une réplique culte prononcée par Cooper de sa voix traînante et lui permet d'emporter le morceau, si j'ose écrire, face à Garth, le vilain de l'histoire qui trafique, horreur, avec les indiens pour exterminer les colons pas encore américains. A la sortie de la seconde guerre mondiale, on sent les contorsion, ou la diplomatie, de DeMille qui nous montre les prémices de la naissance d'un peuple tout en ménageant les « occupants » anglais, qui sont ici des alliés. Une fois de plus, il est intéressant de comparer DeMille à Ford, en l'occurrence à Drums along the Mohawks (Sur la piste des Mohawks) tourné en 1939. Les deux films se déroulent à des époques proches et en technicolor flamboyant (Pacific express est en noir et blanc). Chez Ford, ce sont les anglais qui utilisent les indiens pour attaquer les colons et c'est la guerre. Les indiens n'y sont guère mieux traités, mais c'est plus elliptique, abstrait. Et puis chez Ford, il s'agit à la veille du conflit de montrer l'unité nationale et son film s'achève par un tableau de famille touchant, un rien naïf, dans lequel s'unissent blancs, riches et pauvres, bourgeois et paysans, indiens christianisés et noirs. Rien de tout cela chez DeMille qui déploie à nouveau un récit d'aventures haut en couleurs, en action (très belle poursuite sur une rivière), en humour et en spectaculaire. Il approche pourtant de la simplicité fordienne lors de la scène où nos deux héros se retrouvent dans la ferme abandonnée par une famille de colons et imaginent ce que pourrait être leur vie. Question érotisme, c'est nettement mieux. Paulette Goddard incarne une Abigail pleine de verve et de sensualité. Elle y prend un bain dans un grand tonneau, manque d'être fouettée et se retrouve attachée de diverses manières. Son caractère électrique contraste aimablement avec la nonchalance assurée de Cooper. Leur couple fonctionne comme dans les meilleures comédies.

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Commentaires

j'ai énormément de mal avec les films de DeMille en dehors des Dix Commandements, fastueux loukoum dont le ton solennel, les morceaux de bravoure inégalés, les jolies actrices et surtout les couleurs superbes continent à me régaler.
Je n'ai pas vu le film Unconquered mais j'avais trouvé Pacific Express bien lourd. Les personnages sont complètement dépourvus d'individualité et donc de vie dans ce film. Ce sont de purs stéréotypes guidés par une narration archaïque. Et ça dure plus de deux heures.
Et Une aventure de Buffalo Bill, apparemment une comédie westernienne légère et drôle, m'avait fait le même effet. Statique, solennel...franchement chiant quoi.

Écrit par : Christophe | 30/04/2008

Ah ben voilà, j'en cherchais un western avec des indiens patibulaires, méchants et idiots. Parce que jusque là, tous les westerns "pré-flèche brisée" que j'ai pu voir montrent en fait un certain respect pour les indiens, contrairement à l'image anti-indienne que l'on donne toujours des westerns de cette période.

Écrit par : tepepa | 01/05/2008

Christophe, je ne vais pas reprendre le contenu de ma note, mais je pense que son ton dit assez que je ne me suis pas ennuyé ! En fait, je (re) découvre actuellement tout une partie du cinéma de DeMille à un moment ou je prends beaucoup de plaisir à des films qui me ramènent à mes sentiments cinéphiles de jeunesse.
Ce qui me fait embrayer sur Ford, pour répondre à votre commentaire de la note précédente. Je ne partage pas votre opinion sur les films de la série avec Will Rogers. j'ai trouvé très beau, "Steamboat 'round the bend", les bateaux à aube, le Mississipi, tout ça. J'apprécie le jeu de Rogers que je trouve assez naturel pour l'époque. Enfin, j'aime dans ces films découvrir les bases de l'univers fordien, le procès qui annonce "Young Mr Lincoln", l'étude des rapports nord-sud, la description de ces petites communautés rurales, ses héros simples, un peu en marge et porteur des idéaux fondateurs du pays. J'y vois une continuité avec les films des années 40 puis 50 et 60. Il y de belles idées comme la scène entre Rogers et Hattie McDaniels quand ils chantent un spiritual dans un plan séquence. J'y trouve le même plaisir de filmer les acteurs en interaction que dans le plan au bord de la rivière dans "Two rode together". Je vous concède qu'il y a des choses plus désuettes là-dedans et que ce ne sont pas non plus des œuvres aussi abouties que les grands films à venir, qu'il y a aussi des choses un peu, disons difficiles à avaler pour un spectateur d'aujourd'hui, mais j'arrive à prendre le recul nécessaire pour entrer dedans.
Tepepa, avec ces films, tu seras servi. En fait, en pensant à ta réflexion, je me suis dit que l'on nous avait soigneusement filtré tous les films où l'on montrait les "diables rouges". A moins que, finalement, tout ceci n'ait été qu'une légende. Heureusement qu'il reste DeMille et son solide premier degré.

Écrit par : Vincent | 02/05/2008

en fait mes réserves vis-à-vis de la trilogie Will Rogers sont d'ordre strictement formel. Je suis parfaitement d'accord quand vous dites que ce sont des films éminamment fordiens au niveau des sujets, des thèmes...Et Will Rogers m'est très sympathique. Et même si je ne suis pas fan du personnage de Stepen Fetchit, je n'ai reproche "idéologique" à faire à ces films. Reste que je m'ennuie un peu à cause de scénarios pas assez élaborés (que raconte Doctor Bull ? ) et d'une mise en scène relativement pauvre. Mais je peux concevoir qu'on trouve soit friand de cet archaïsme et même que l'absence de beaux éclairages, de dramaturgie sophistiquée, de séquences très découpées...puisse passer pour une forme d'épure. Peut-être même que si je les revois dans quelques années, j'y serai plus sensible.

Quant à DeMille, je comprends ce que vous voulez dire quand vous dites qu'il vous ramène à vos sentiments de jeunesse. C'est un cinéma d'une telle naïveté, d'un tel premier degré... ça régale ou ça ennuie.

Écrit par : Christophe | 04/05/2008

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