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22/04/2010

Les joies du bain : ludique

Un grand classique : Victoria Abril et son homme grenouille dévoué dans ¡Átame! (Attache moi ! - 1990), qui reste pour moi le meilleur film de Pedro Almodovar.

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Photographie : DR

28/05/2009

Cannes 2009 - jour 4

Deux maîtres

Côté compétition officielle, les choses sérieuses commencent. Je connais mal le cinéma de Marco Bellocchio. Vincere me semble pourtant éloigné des oeuvres virulentes des années 60 comme Pugni in tasca (Les Poings dans les poches - 1965) ou provocatrices façon Il diavolo in corpo (Le Diable au corps -1986). Ainsi donc Benito Mussolini aurait eu une famille cachée. Ida Dassler, éperdue de passion pour le syndicaliste socialiste et ténébreux des années 10, l'aurait légalement épousé alors qu'il était marié par ailleurs, et lui aurait donné un fils. Devenu fasciste après la grande guerre et monté à la conquête du pouvoir, Mussolini aurait tout fait pour étouffer le scandale possible, séquestrant, intimidant, séparant la mère de l'enfant avant de la faire interner dans un asile. Ida y mourra en 1937. Bénito junior finira lui aussi à l'asile et meut en 1942.

De cette histoire, Marco Bellocchio tire un film lyrique et puissant, furieux et convaincu, opératique. Impression accentuée par la partition aux accents verdiens de Riccardo Giagni. Bellocchio privilégie les plans d'ensemble mettant en valeur la qualité de la reconstitution historique et le magnifique travail sur les décors, sans y étouffer ses personnages. Très maîtrisé, Vincere enchaîne sur un rythme soutenu les morceaux de bravoure cinématographiques (au sens de Moullet), nous entraînant dans cette vaste fresque dramatique. La réunion syndicale au moment de la déclaration de guerre par exemple, est un jeu superbe sur le son et le hors champ. Ida cherche à pénétrer dans la grande salle où s'affrontent les hommes pour rejoindre Mussolini. Elle se heurte, comme un papillon affolé, à une multitude de portes vitrées opaques. Avec elle, à travers une caméra virevoltante, nous ne percevons que les éclats de voix et les ombres déformées des participants. La mise en scène exprime à la fois l'urgence du moment, sa violence, et aussi la détermination de cette femme résolue à pénétrer un monde masculin.

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Évidente illustration du fascisme et de ses méthodes d'écrasement de l'individu (oui, un peu comme le film de Haneke), Vincere est construit par Bellocchio autour de la figure d'Ida, jouée avec une force de conviction impressionnante par la superbe Giovanna Mezzogiorno. Figure de femme, d'amante, de mère et figure de résistance. Le titre peut être pris de ce point de vue tant comme un commentaire tragiquement ironique que comme l'expression d'une victoire morale. Sans cesse, on cherche à la briser, sans cesse, elle arrive à se rebeller, à s'enfuir, à lutter et, de manière obsessionnelle, à affirmer qui elle est. La femme du Duce et la mère de son fils. Les scènes d'affrontement opposent plastiquement Ida avec les représentants du régime, policiers ou médecins. Cette approche est la plus belle réussite du film, Giovanna Mezzogiorno est magnifiée par la photographie de Daniele Ciprì. Elle cultive les zones d'ombres d'Ida, cette passion dévastatrice pour un homme au coeur si sec, cette obstination butée, cette fermeture aux convulsions de l'époque qui ne la rendent pas toujours aimable. Lors de la premiere rencontre avec Mussolini, elle découvre du sang sur la main qu'elle a passé autour du cou de l'homme. Elle reste interdite et cette stupeur, cette incompréhension de la violence liée à son amant restera longtemps sa ligne de conduite. C'est ce qui la poussera à se réfugier dans la folie qu'on lui propose plutôt que d'accepter l'évidence, malgré les conseils du docteur qui a cette belle réplique : « Nous devons apprendre à devenir de bons acteurs ».

Je dois dire que je suis gré à Bellocchio et Mezzogiorno d'avoir traité tout ce qui touche à la folie, à l'asile, avec pudeur et sobriété. Il aurait été facile de multiplier les scènes d'hystérie, les yeux révulsés et la bave aux lèvres. Vincere s'attache plutôt à la dimension humaine de personnages comme la danseuse ou la bonne soeur qui fait passer les lettres, et toujours, à la dignité qui émane d'Ida. Bellocchio et son actrice trouvent des façons originales de rendre les douleurs traversées. Dans une très belle scène, Ida assiste à une projection du Kid de Chaplin, en plein air pour les pensionnaires de l'asile, sur un écran tendu devant la lagune, avec les lumières de Venise au-delà. Les larmes qui naissent dans ses yeux nous sont d'autant plus proches qu'elles se mêlent à celles provoquées chez nous par la force d'émotion du film projeté. Le cinéma tient ici une place dramatique de premier plan. C'est lui qui se pose en témoin de l'Histoire, dernière fenêtre sur le monde quand on en est séparé. C'est au cinéma que Ida prend des nouvelles de son époux secret et de son irrésistible ascension. C'est aussi le cinéma vecteur de mémoire, Bellocchio substituant, au temps de la gloire du Duce, l'acteur Filippo Timi par des images d'archives. Belle idée qui en rappelle d'autres du film Katyn de Wajda (qui travaille les mêmes thèmes) et des formes proches : figures centrales féminines, esprit de résistance, mécanismes d'oppression, utilisation et interrogation d'images d'époque, d'un pays de son histoire et de ses mensonges.

 

J'aime beaucoup le cinéma de Pedro Almodovar, même si je ne suis pas aussi enthousiaste que certains sur ses dernières oeuvres tant célébrées. Avec Los abrazos rotos (Étreintes brisées), je pouvais craindre le syndrome du film de plus. De fait, cela commence un peu comme cela : Un cinéaste-écrivain aveugle, la quarantaine séductrice, a ramené chez lui une très belle jeune femme blonde pour lui lire le journal, tu parles ! Il la séduit et ils s'étreignent sur le canapé. Érotisme, humour, photographie lumineuse et couleurs pétantes, personnages tirés à quatre épingles, c'est griffé Almodovar. Un rapide travelling le long du dossier du canapé (nous ne voyons pas les corps) vient cadrer un joli pied aux ongles délicatement manucurés de rouge. C'est partit pour un tour.

Et bien non. Cette introduction leste et plaisante sonne comme une mise à l'écart de la manière branchée du réalisateur. Elle contraste avec les images du générique, un essai lumière sur un tournage, images sans couleur ni relief, format carré sur un moniteur vidéo. Et puis le visage de Pénélope Cruz, et se dégage tout à coup une gravité, une impression de distance, le sentiment du temps. Los abrazos rotos est un film complexe, l'un de ces films à rapprocher des récents Vicky Cristina Barcelona de Woody Allen ou Gran Torino de Clint Eastwood qui, sous les dehors du « film de plus », brassent et affinent l'univers de leur auteur, convoquent ses formes et ses thèmes de prédilection et reviennent sur la pratique de son art, sur le cinéma qu'il fait et sur celui qu'il aime et qui l'inspire. Un film somme de toute beauté.

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Jadis Matéo, le réalisateur aveugle a aimé une très belle femme, Lena, qui rêvait d'être actrice. Elle était la compagne d'un homme très riche, Ernesto qui en était fou. L'homme très riche a produit un film pour elle et le réalisateur l'a dirigé. Et ils se sont aimés. L'homme très riche a mutilé le film. Il y a eu un accident, le réalisateur a perdu la vue et la très belle femme est morte. Tout ce passé resurgit après 14 années et Pénélope Cruz interprète sous le regard de la caméra d'Almodovar cette femme qui est la plus belle et la plus émouvante de toutes les figures féminines qui traversent son oeuvre. Pour cela, le réalisateur est venu à un style classique, inspiré de celui des grands mélodrames qui l'on toujours inspiré. Ce n'est pas un hasard si un extrait de Viaggio in Italia (Voyage en Italie - 1954) de Roberto Rossellini est choisi en contrechamp de la scène la plus tendre du film, celle où Matéo se prend en photo avec Lena, dans un simple moment d'intimité, assis sur le canapé. C'est cette photographie que récupère et recolle symboliquement Diego, le fils retrouvé de Matéo, à la fin du film.

A côté de cette approche posée et maîtrisée, Almodovar revisite également son oeuvre. Il y a le film dans le film, une comédie qui retrouve le piquant de Mujeres al borde de un ataque de nervios (Femmes au bord de la crise de nerfs - 1988). De ce film, il reprend aussi la très belle scène du doublage de Johnny Guitar. Cette fois, elle gagne en intensité pour devenir un moment inoubliable. Ernesto fait espionner Lena par son fils qui la filme à son insu. Comme les films sont inaudibles, Ernesto se les fait projeter en compagnie d'une femme qui lit sur les lèvres. La caméra glisse pour découvrir Lena sur le pas de l'entrée et c'est elle qui se double, disant enfin les mots qu'elle refoule et la font souffrir. Elle aime Mateo et va quitter Ernesto.

Il faut avoir un bloc de béton à la place du coeur pour ne pas être bouleversé par cette vertigineuse mise en abyme. Pouvoir et beauté du cinéma, mensonge des images incomplètes. Los abrazos rotos est aussi un grand film sur l'acte de faire du cinéma. On y voit le travail du scénario, du tournage, des essais, du doublage et du montage, la vidéo et la pellicule. Et chacune de ces étapes est insérée dramatiquement dans le récit. Ernesto frappe les amants en dépossédant le réalisateur de son film et en montant les mauvaises prises. L'intrigue se dénouera autour du travail de restauration de ce film que l'on croyait perdu et qui permet d'affirmer le talent de Lena au-delà de la mort. Et dans un autre plan particulièrement émouvant, on verra l'aveugle caresser l'écran de télévision où se diffusent les ultimes images de Lena quelques secondes avant l'accident. Après une dernière étreinte. Pénélope, Pénélope, il faudrait dire tous les plans de ce film dans lequel vous êtes, en perruque blanche, en robe noire et d'or devant votre miroir, les cheveux dans le vent devant la plage sauvage de Lanzarote. Los abrazos rotos est l'un des plus beaux films d'Almodovar, les plus achevés, le point culminant d'une vie et d'une oeuvre vouées à la passion du cinéma.

Photographies : source Allociné

(à suivre)