09/03/2018
Le fond de l'oeil effraie
Zombi 2 (L'enfer des zombies – 1979), un film de Lucio Fulci.
Texte pour les Fiches du Cinéma.
Les éditions Artus Films éditent de façon luxueuse l'une des œuvres phares du maître-charcutier italien Lucio Fulci Zombi 2 alias L'enfer des zombies chez nous. Combo Blu-ray et Dvd avec un livre collectif rédigé par des spécialistes en la matière, une version complète et restaurée qui devrait rendre hommage à la photographie morbide de Sergio Salvati, des bonus avec le co-scénariste Dardano Sachetti (qui laissa les crédits à sa femme Elisa Briganti) et le responsable des maquillages Maurizio Trani (ce qui s'imposait), bref une édition que bien des classiques pourraient lui envier. Mais je ne ferai pas la fine bouche, le film a son importance dans l'histoire du cinéma de genre italien, dans celle du fantastique et dans la carrière de son auteur. Une carrière complexe pour un cinéaste qui ne l'est pas moins. Fulci, me semble-t-il, doit son renom à une sorte de malentendu, une conjonction sans doute heureuse dont ce film est la marque. Il a plus de cinquante ans quand il se retrouve aux commandes de Zombi 2 et une longue carrière derrière lui. Comme nombre de ses confrères qui ont vécu l'âge d'or du cinéma populaire italien, il a été scénariste, surtout pour le réalisateur Steno. Il a débuté la réalisation dans la comédie pour Totò et pour le redoutable duo Franco Franchi et Ciccio Ingrassia. Puis il suit les différents mouvements, touchant au western, au polar, au giallo, à la comédie polissonne avec Edwige Fenech, aux démarquages des succès américains des années 80 et, ce qui ramène à notre sujet, au fantastique et à l'horreur. Ce qui est intéressant chez lui, au-delà de ses indéniables qualités de metteur en scène, c'est un décalage au sein de l'histoire des genres abordés et une façon toute personnelle de les investir avec son goût propre pour le macabre, sa fascination pour le mal et la faute, et une violence surréaliste qu'il pousse toujours à son paroxysme. Ainsi en 1979, il vient de tourner Sella d'argento, un western plutôt classique avec Giuliano Gemma alors que le genre est moribond. Ce film, malgré ses qualités, a été un échec et Fulci voit avec Zombi 2 l'occasion de se refaire. Quand il réalise le thriller Una sull'altra (Perversion story) en 1969, il est précurseur du giallo au même titre que Dario Argento, mais son polar de 1980, Luca il contrabbandiere, (La guerre des gangs) arrive après la grande vague du Poliziottescho, dont il est quasiment le dernier représentant.
Avec ses zombies, Lucio Fulci est plutôt en avance. Son film met en scène un quatuor de personnages qui se rend dans une île des Caraïbes pour enquêter sur l'irruption d'une étrange créature dans le port de New-York. Sur l'île, les morts se sont réveillés et mangent les vivants, les transformant par ce processus désormais bien connu en zombie à leur tour. Avec l'aide d'un docteur et de son entourage de plus en plus réduit, les quatre personnages vont affronter la horde. C'est simple mais efficace. Le prologue et l'épilogue new-yorkais ont été imposés pour bénéficier du succès du Dawn of the Dead (Zombie - 1978) de George Romero dans lequel est associé Dario Argento, et donnent le sentiment que film de Fulci raconte le point de départ de la situation décrite chez l’américain. Mais ce n'est qu'opportunisme de producteur puisque Romero avait posé ses bases avec le séminal Night of the living dead (La nuit des morts-vivants) en 1968, et que son confrère italien opère un authentique retour aux sources haïtiennes du mythe et aux classiques des années trente et quarante comme le White Zombie (1932) de Victor Halperin ou I walked with a Zombie (Vaudou – 1943) de Jacques Tourneur. Fulci crée une sorte de nœud essentiel dans cette longue filmographie. D'une part il fait la synthèse de la vague des années soixante-dix qui, à la suite de Romero, a fait de la représentation de la violence gore un marqueur du genre avec l'ajout en prime du cannibalisme au mythe. Il y a eu les templiers espagnols de Amando de Ossorio, les zombies anglais de Jorge Grau, ou le vétéran du Vietnam de Bob Clark. Chacun renchérissant sur la représentation des chairs en décompositions et le sanguinaire des agressions. Fulci va faire mieux (ou pire) en la matière que les autres. Avec ses excès de violence graphique et son succès mondial, Zombi 2 est le point de départ d'une vague horrifique qui déferle comme ses héros décomposés sur le monde. L'effet gore, la scène choc à faire, sera au cœur de ces film que vont enchaîner Bruno Mattei, Umberto Lenzi, ou Marino Girolami, tandis que d'autres dévient sur le cannibalisme pur et dur comme Ruggero Deodato. Cette débauche de tripaille est dans l'air d'un temps qui ne cesse de repousser les limites de la représentation. Elle va durablement influer sur le genre horrifique, les américains reprenant assez vite la main avec des films comme Evil dead (1982) de Sam Raimi, The thing (1982) de John Carpenter, ou Re-animator (1985) de Stuart Gordon. Ha ! La belle époque où ça pissait sang et boyaux sur les écrans.
Lucio Fulci là-dedans semble avoir trouvé, enfin, sa voie. L'île de Matoul lui permet de laisser libre court à son imagination morbide. Le film est construit sur une succession de scènes où se mêlent l'angoisse, le sanglant et une étrange poésie macabre. Une scène aquatique où un zombie attaqué par un requin va déchiqueter le squale, la résurrection de zombies conquistadors, des morsures très profondes, un arrachage de gorge bien comme il faut, et la scène qui a fait passer le film à la postérité, l'écharde dans l’œil du personnage de Paula joué par Olga Karlatos qui fini en hachis parmentier, sans les pommes de terre. Fulci privilégie un rythme à deux temps, l'un vigoureux pour les scènes d'action, en particulier la scène finale de l'attaque de l'hôpital, l'autre plus suspendu, propre au réalisateur, où joue à plein la fascination de Fulci pour la fragilité de la chair martyrisée. Ces scènes sont aidées par une bande son des plus anxiogène mêlant effets sonores originaux et les nappes musicales, ici signées Fabio Frizzi et Giorgio Tucci, qui jouent sur nos nerfs. Lors de ces moments, Fulci distend le temps en faisant de ses personnages des proies comme paralysées, ce qui permet aux agresseurs de faire durer le plaisir, mais aussi celui du réalisateur et par un jeu un peu pervers, le notre. Fulci repousse les limites autant qu'il peut, proche de la pornographie tant l'effet horrifique seul compte au détriment de tout le reste. Il tend à une sorte d'abstraction, pas très loin de celle du Luis Buñuel de El ángel exterminador (L'ange exterminateur – 1962) où les personnages ne peuvent sortir de leur demeure par une force d'inertie qui restera inexpliquée. Chez Fulci, l'irruption de l'horreur anesthésie ses personnages au-delà de toute logique. Prenons la scène de l’œil. Fulci insiste sur les difficultés de Paula à traîner un meuble pour bloquer une porte puis, quand elle est attirée à l'extérieur à travers la porte par un zombie, l’œil fonçant droit sur une écharde, il alterne des champs / contre-champs avec de légers effets de travelling pour exacerber le suspense. Pourtant, il suffirait à Paula de mettre une de ses mains libres devant son visage pour éviter son sort, un geste qui semble instinctif mais qu'elle ne fera pas. Toute la scène est focalisée vers ce gros plan de l'écharde entrant dans l’œil. Fulci ne montre d'ailleurs pas la suite. L'année suivante, il filmera de la même façon le viol de la femme de Fabio Testi dans Luca il contrabbandiere, renforçant le malaise par un cadre réaliste. Il y a chez Fulci une inéluctabilité de l'horreur qu'il reprendra plusieurs fois jusqu'au délire de la fille attaquée par des escargots dans Aenigma (1987).
Dans ces dispositifs, Lucio Fulci trouve un style et un début de reconnaissance critique chez ceux qui apprécient sa façon de repousser les limites du montrable. Il va enchaîner au cours des années quatre-vingt une série de films, fantastiques ou thrillers, généreux en visions horrifiques qui vont faire sa réputation. Pourtant, il me semble que ses meilleurs films sont déjà derrière lui. Tempo di massacro (Le Temps du massacre – 1966), Una sull'altra, Beatrice Cenci (Liens d'amour et de sang - 1969), Una lucertola con la pelle di donna (Le Venin de la peur – 1971) ou Non si sevizia un paperino (La Longue Nuit de l'exorcisme – 1972), sont tout aussi dérangeants, riches de violences surréalistes et d'images de cauchemar. Mais ces films bénéficient de scénarios plus complexes, mieux construits. L'horreur et la violence s'épanouissent dans des cadres plus originaux. Et puis les interprétations sont plus solides. Ce dernier point est important pour comprendre la décadence du cinéma de genre italien. Les comédiens de Zombi 2 sont fades. De Tisa Farrow à Ian McCulloch, de Al Cliver à Auretta Gay, il est difficile de sentir concerné par leur sort tant ils ne dégagent aucune émotion. Richard Johnson qui a tout fait dans sa carrière a l'air bien fatigué, et Olga Karlatos semble n'avoir été engagée que pour sa plastique et son œil clair. Nous sommes loin d'un Tomas Milian, d'une Elsa Martinelli, d'une Barbara Bouchet, d'un Franco Nero ou d'une Florinda Bolkan. Le problème ne se limite ni à ce film, ni à Fulci. Au tournant des années quatre-vingt, les comédiens des décennies précédentes ont pris un coup de vieux, et il n'y a pas de vraie relève. Lucio Fulci, comme ses confrères, Argento compris, ne peuvent palier leurs faiblesses de directeurs d'acteurs par le charisme ou le métier des vedettes de leur débuts. Le plus bel égorgement de vaut rien s'il n'y a pas d'empathie avec l'égorgé. En cela aussi, Zombi 2 est emblématique d'une nouvelle période qui s'ouvre pour un cinéma de genre transalpin qui tente un dernier baroud d'honneur via l'horreur, au sein d'un cinéma italien en crise. Presque mort. Zombi 2 est une dernière cartouche qui va durer quelques années. Il y a une certaine ironie à voir en ce film, celui de la reconnaissance pour son auteur, le signal de la curée. Je parlais de « maître-charcutier » au début de ce texte. J'ai découvert Fulci avec ses films saignants et je ne l'appréciais guère. Je l'ai redécouvert avec plusieurs titres antérieurs. Et s'il est désormais amusant de revoir ses séries B soignées mais qui éclaboussent, il y a un regret que son talent authentique ne soit pas plus reconnu pour ses œuvres les mieux tenues.
Photographies DR
A lire sur Devildead
Le site Fulci.fr
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28/03/2012
A l'abordage !
Toujours un peu orphelin de Kinok, j'ai accepté d'embarquer pour une nouvelle aventure collective et respirer l'air du grand large sous la direction du Capt'ain Mariaque sur Abordage, histoire de prendre moi aussi le cinéma scandaleusement par la quille. Baptême du feu et première bordée en début de semaine dernière avec un bon vieux Fulci des familles (façon de parler, n'allez pas voir cela avec vos enfants ni votre conjoint impressionnable). Hardi, les gars, vire au guindeau !
Photographie © UGC Distribution
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19/12/2007
Une étude en jaune (portfolio)
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18/12/2007
Une étude en jaune (partie 1)
La série noire en Italie est jaune. « Giallo » est devenu le nom familier de ces romans de gare édités avec la couverture jaune pâle des éditions Mondadori puis, par extension, le qualificatif d'un sous genre cinématographique typiquement transalpin. Le giallo trouve son inspiration dans le succès du Psycho (1960) d'Alfred Hitchcock, dans le fantastique anglais mêlant enquête policière et agissement de psychopathe comme Peeping Tom (Le voyeur – 1960) de Michael Powell ou Circus of horrors (Le cirque des horreurs – 1960) de Sidney Hayers, et dans une série de films bien oubliés, tirés par les allemands des romans d'Edgar Wallace et souvent réalisés par Harald Reinl. Films noirs à l'ambiance fantastique, jolies filles dénudées autant que le permettent les mœurs du temps, tueurs impitoyables à l'imagination macabre sans limite, le genre trouve sa matrice avec deux films fondateurs de Mario Bava : la ragazza che sapeva troppo (La fille qui en savait trop – 1962) et surtout Sei donne per l'assassino (Six femmes pour l'assassin – 1964). Comme dans le western de l'époque, le giallo est avant tout un superbe terrain de jeu cinématographique. Il permet toutes les audaces de style : cadrages baroques, éclairages psychédéliques, effets type split screen et morceaux de bravoure exaltant l'art du suspense. Si ni le jeu des acteurs, ni la rigueur des scénarios ne sont le fort du giallo, le genre dessine pourtant en creux un portrait aujourd'hui fascinant de l'Italie d'alors, saisissant pour les meilleurs d'entre eux quelque chose de l'air de ce temps. Parmi les plus illustres illustrateurs, on trouve aux côtés de Mario Bava, Dario Argento qui repoussera le genre dans ses limites (A la façon de Sergio Léone pour le western), Antonio Margheriti, Lucio Fulci, Sergio Martino où encore Umberto Lenzi. Liste non exhaustive.
Una sull'altra, réalisé en 1969 et sortit discrètement en France sous le titre subtil de Perversion story, est ma nouvelle plongée dans l'oeuvre de Lucio Fulci. Le film est surprenant, à la fois dans le genre et dans la filmographie de son auteur. Presque pas de meurtres, pas de rasoir, pas de gore ni de tueur ganté de noir. Una sull'altra est le récit d'une machination puisant sa source dans Vertigo de Hitchcock et Les diaboliques de Henri-Georges Clouzot. Il y a de pires références. Jerome Dumurrier, jeune, beau, médecin patron d'une riche clinique, perd sa femme Susan et, bien qu'il l'ait trompée avec la belle Jane, photographe à la mode, il est plus que troublé quand il rencontre Monica, une strip-teaseuse qui ressemble à la défunte de façon troublante. Que ce point de départ vous suffise. Lucio Fulci et ses scénaristes Roberto Gianviti et José Luis Martinez Molla ont travaillé en profondeur cette histoire, une année paraît-il. Elle devait initialement se dérouler en France, mais le retournement final les a amené à la déplacer à St Francisco. Vertigo toujours. Il reste la consonance française des patronymes et que cela n'empêche pas le scénario de receler quelques trous habituels au genre comme la mise à l'écart de Jane dans les vingt dernières minutes. Autre point plutôt faible, Jean Sorel, vu dans Belle de jour de Luis Bunuel, compose un Jérôme assez lisse, loin du Scottie de James Stewart. Mais finalement, son air un peu ahuri renforce le côté implacable de la machination. Plus intéressant est Alberto de Mendoza que j'avais déjà vu en déserteur chantonnant dans Quei dispérati che puzzano di sudore e di morte (Les quatre despéradosde Julio Busch) et en moine halluciné façon Raspoutine dans l'amusant Horror express (Terreur dans le Shanghai express) de Eugénio Martin. Il est ici impeccable dans le rôle de Henri, le frère. A noter la présence de John Ireland, acteur de Howard Hawks qui faisait alors une seconde carrière en Italie.
Mais Una sull'altra, comme son titre l'indique, ce sont les femmes. Elsa Martinelli, piquante chez Hawks dans Hatari ! aux côtés de John Wayne est superbe en photographe spécialisée dans l'érotique de luxe. Et que dire de Marisa Mell, la Eva du Diabolik de Mario Bava ? Sculpturale, mélange détonnant d'érotisme et de vulgarité, son strip-tease à moto et la scène de séduction avec Jane sont deux sommets du film magnifiés par la caméra inventive de Fulci que je vois filmer pour la première fois avec sensualité ses héroïnes. Motivé par la création de séquences torrides, il compose des scènes contrastées à l'aide la photographie violemment colorée d'Alejandro Ulloa et de la partition musicale obsédante de Riz Ortolani qui mêle des accents romantiques aux cordes et un jazz syncopé parfois strident. Ainsi, après une première scène tranquillement étrange entre Jérôme et sa femme, Fulci nous entraîne dans le lit où s'ébattent Jérôme et Jane, plaçant sa caméra sous le drap, mêlant au plus près notre regard aux corps noyés dans une lumière rouge-rosée. Effets de distorsion, cadrages, le passage est quasi expérimental. Et l'on peut multiplier les exemples. Si le strip-tease de Marisa Mell est en situation dans la boite de nuit, il n'en est pas moins inventif sur une musique jazzy langoureuse et, chose rare, plein d'humour. Il y a chez nombre de cinéastes italiens de l'époque une façon désarmante de filmer la vulgarité (façon qu'ils perdront par la suite pour filmer vulgairement). Fulci fait avec la séance de photographie et de séduction entre ses deux héroïnes un autre morceau de bravoure, pleinement intégré au scénario. Antonioni avec son Blow-up est enfoncé. Motivation et retournement final en plus. La caméra est là encore très proche des corps, caressant les visages, magnifiant le grain des peaux, la texture des yeux (Grande obsession fulcienne), le fin duvet féminin. Dieu qu'elles sont belles !
Effets de contraste encore, Fulci situe la fin de son film dans la prison de St Quentin (San Quentin, I hate every inch of you), pénétrant dans l'authentique chambre à gaz, détaillant avec son côté morbide parfois gênant les détails du mécanisme du meurtre d'état. Sagesse des cadrages ici, précision du découpage et couleurs froides du pénitencier. Une scène intense d'un autre genre où vont se dénouer les fils d'une intrigue tordue.
Sur le happy end un peu plaqué, reste comme en écho à la musique de Bernard Herrmann, les accents tourmentés de Riz Ortolani pour clore une perle originale, atypique du genre.
Sur coffee, coffee and more coffee (en anglais)
Sur Psychovision
Sur Cinédelica par Kimberly Lindbergs (de Cinebeats, en anglais aussi)
Sur Shocking images (en anglais toujours)
La musique de Riz Ortolani (cd)
07:05 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lucio fulci | Facebook | Imprimer | |
23/10/2007
Des voies différentes
Contribution au Double bill blog-a-thon
Si l'on considère les filmographies de l'ensemble des réalisateurs italiens qui ont œuvré dans le cinéma de genre, on constate une similitude dans leurs passages successifs par le genre dominant du moment. Sur la trentaine d'années fastes de la fin des années 50 à l'orée des années 80, on peut découper des périodes assez précises durant lesquelles ont régné tour à tour la comédie, le western, le péplum, le film d'espionnage, le giallo, le film policier, le film coquin, le film politique, le film d'horreur et l'anticipation. Bon gré, mal gré, aucun réalisateur n'y a échappé. Un réalisateur du calibre de Sergio Léone a commencé par le péplum avant de se révéler dans le western pour finir producteur de deux westerns parodiques post-Trinita (on mettra de côté son ultime opus qui sort du cadre de notre champ d'étude).
On voit les limites d'un système qui amène un homme du talent de Enzo G. Castellari à commettre I nuovi barbari (Les nouveaux barbares – 1982). D'un autre côté, ce mouvement permet aux plus doués de se révéler au sein d'un genre, après un échec dans un autre, et de rendre éventuellement passionnantes leurs incursions dans des genres voisins. En évitant le cloisonnement, on ouvre des possibilités qui parfois se transforment, et parfois non. C'est la vie.
Illustration avec deux approches du western par deux réalisateurs passés à la postérité à travers leurs films fantastiques et horrifiques : Mario Bava et Lucio Fulci.
Directeur de la photographie à l'origine, Mario Bava a eu une influence majeure sur le cinéma fantastique, en matière d'éclairages, d'érotisme et de tueurs en gants noirs. Son utilisation de la couleur de façon inédite et baroque, son goût du macabre, sa façon de faire naître la peur, ont marqué durablement le genre et ont définit des règles suivies par Dario Argento, Antonio Margheriti et... Lucio Fulci. Ses incursions dans le peplum et la comédie psychédélique d'espionnage ont donné de belles réussites.
Son ultime western, Roy Colt e Winchester Jack est un joli navet bien rond. Il paraît que Bava avait trouvé le script de Mario Di Nardo mauvais et qu'il avait espéré sauver le film en le tirant vers la parodie. A l'impossible, nul n'est tenu. Roy Colt e Winchester Jack lorgne à la fois sur Butch Cassidy and the Sundance Kid sortit l'année d'avant avec succès par Georges Roy Hill (Une femme, deux hommes et une musique entraînante) et sur Il buono, il brutto, il cattivo (Le bon, la brute et le truand) de Léone dont il démarque la structure autour d'une chasse au trésor. Hélas, le film de Bava enchaîne mollement les péripéties téléphonées, les gags lourdement étirés et laisse cabotiner sans retenue ses acteurs. Les deux héros, Brett Halsey et Charles Southwood rivalisent d'inexpressivité et se tapent dessus régulièrement comme deux collégiens. Le plus redoutable, terrible à en être fascinant, c'est Teodoro Corrà dans le rôle du méchant révérend, un russe socialiste, toujours enrhumé et adepte de la dynamite. Il est tellement caricatural que l'on croirait qu'il sort de l'album de Lucky Luke Le grand duc.
L'ensemble manque terriblement de conviction et en comparaison, les films de la série Trinita sont nettement plus soignés et plus efficaces. Surnagent à ce naufrage la partition gentiment allègre de Pièro Umiliani, les allusions aux films de Léone avec le tueur à la grimace et le paralytique, quelques éclairages et effets où l'on retrouve la patte du maître (la grotte, l'utilisation des branches au premier plan, l'ambiance de la première scène avec ses jolis contre-jour) et puis surtout la pétulance et le regard de braise de la belle Marilù Tolo en indienne sexy qui semble porter sur ses partenaires (et le film) un regard amusé et ironique. Elle force l'un des héros à prendre un bain, tire juste et embobine tout le monde à la fin. Elle a bien raison.
Je suis souvent assez dur avec Lucio Fulci. Je trouve sa série de films horrifiques qui lui ont valu admirateurs et reconnaissance assez surfaits. Complaisants dans la violence graphique (ce n'est rien de l'écrire), ils sont souvent mal construits et Fulci dirige approximativement des comédiens médiocres. Le réalisateur compense ses manques par des scènes choc sadiques, que l'on peut juger gratuites et artificielles à froid. A chaud, elles font leur effet et Fulci a le sens du cadre et de l'ambiance. Une grande partie de son oeuvre est mal connue, occultée par cette période sanglante de 1979 à 1981. Pourtant, il tourne depuis 1959 et compte une soixantaine de réalisations dont plusieurs incursions dans le western. Si I quattro dell'apocalisse (Quatre de l'apocalypse- 1975) n'a pas été fait pour réviser mon jugement (scénario à trous, complaisance dans la violence, viol racoleur pénible), j'avoue mon enthousiasme pour Le colt cantarono la morte et fu... Tempo di massacro (Le temps du massacre), réalisé en 1966, son premier essai dans le genre.
La séquence d'introduction avec son mélange de cavaliers aristocratiques bien mis et de discrets cow-boys a quelque chose de bunuellien. La lumière et les chants d'oiseaux rappellent la première séquences de Belle de Jour. Et son soudain dérapage dans le sadisme. Un homme est sortit d'une cage et les chiens sont lâchés. La chasse commence. La suite comprend une belle idée de mise en scène : l'homme meurt déchiré par les chiens dans le lit d'une rivière et l'on suit son sang emporté par le courant. Celui-ci devient torrent dont le flux accélère et bouillonne aux accents de la chanson de Sergio Endrigo avant de rejoindre un groupe de chercheurs d'or parmi lesquels Tom Corbett joué par Franco Nero. Cette image aquatique permet de relier habilement Corbett à son antagoniste, Jason Scott joué par Nino Castelnuovo (oui, l'amoureux de Deneuve dans Les parapluies de Cherbourg). Par un lien de sang. La force du courant image le caractère irrésistible et violent de la vengeance que va exercer Corbett. Car vengeance il y a, l'un des thèmes piliers du western à l'italienne. Corbett revient au pays pour le retrouver sous la coupe de Scott père, gros propriétaire, tandis que son fiston fait régner la terreur. La famille Corbett a été dépossédée et le frère de Tom, Jeff, joué par Georges Hilton dans un registre qui rappelle le Dude de Dean Martin dans le Rio Bravo de Howard Hawks, s'est abîmé dans l'alcool et l'ironie. Comme on peut s'y attendre, Tom Corbett va remettre tout cela d'aplomb.
Le film ressemble beaucoup à Texas Addio, tourné par Ferdinando Baldi juste avant avec le même Nero. Même thématique de la vengeance, même culture méditerranéenne à base d'histoires familiales (pères indignes, fraternité, bâtards) et de réminiscence des tragédies antiques. Même personnage déterminé et quasi invincible, d'une rigidité d'esprit qui se traduit par son allure. Ici, Tom Corbett porte une veste en peau retournée qui lui fait comme une carapace. Mais le film de Fulci est supérieur en tout point à celui de Baldi qui était déjà pas mal. Il le doit en partie au scénario de Fernando Di Léo, tendu à l'extrême, sans temps morts, jouant habilement sur les deux images du frère : le « mauvais » psychopathe Jason et le « bon » ivrogne Jeff. Tous les deux ont une véritable épaisseur et surprennent tout au long du récit. Quoique sérieusement imbibé, Jeff saura montrer (aux limites du crédible) qu'il n'a rien perdu de son agilité de pistoléro.
Le film ménage aussi un aspect conte avec ce ranch baroque et luxueux (tourné dans la villa Mussolini) que tout le monde connaît mais que nul ne sait trouver, le voyage initiatique avec épreuves, les chasses à l'homme et ces personnages aristocratiques plus proches de Perrault que de Ford. Dernier atout déterminant, le traitement assez radical de la violence. C'est peut être le premier film où Lucio Fulci laisse éclater son goût pour le sadisme et les situations extrêmes. Non que le film soit plus violent au fond que certains Corbucci où Léone, mais il y met une froideur, une distance dans la mise en scène qui font ressortir la cruauté des actes. Le film est célèbre pour la scène quasi surréaliste où Tom, arrivé au ranch des Scott, est fouetté par Jason. Au-delà du motif de la lacération que Fulci reprendra maintes fois, il y a ces spectateurs en costumes blancs, ces chants d'oiseau, les sifflements du fouet et le temps qui se dilate. Tout contribue à rendre la scène glaçante. Mais il faut voir aussi la façon dont Corbett accomplit sa vengeance, tirant dans le dos, tirant à bout portant, impassible, impitoyable, tout aussi glaçant parfois que son bourreau. Il y a chez Fulci fascination maladive de la violence, mais dans ce film encore, il sait garder ses démons à distance.
Et puis, c'est jusqu'ici le film le mieux dirigé de Fulci que j'ai vu. Nero est impeccable, Castelnuovo effrayant à souhait et Georges Hilton... Je commence à bien l'aimer, George Hilton (une opinion contraire ici). Urugayen élevé en Angleterre, il n'est pas terriblement expressif, mais décontracté, il a fait merveille en Sartana, Alleluja, Tresette et en pistoléro quasi parodique pour le premier western d'Enzo G. Castellari, Vado, l'ammazzo e torno(Je vais, je tire et je reviens) en 1967. Il s'est essayé à un registre plus dramatique dans Quei disperati che puzzano di sudore e di morte (Les quatre despérados) en 1969 dont je vous avait entretenu ici, avec force louanges. Dans le film qui nous intéresse, il contraste parfaitement avec Franco Nero et je ne peux que le féliciter de s'être mis dans les pas de Dean Martin. Il y a de plus mauvaises références.
Si Mario Bava n'était visiblement pas motivé par ses incursions dans le western, il semble que Lucio Fulci y ait trouvé un terrain pour exprimer enfin des choses en lui profondes. Tempo di massacro est un jalon essentiel du genre et pour moi, si peu sensible à la tripe, son plus beau film.
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Tempo di massacro
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07:35 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : western, blog-a-thon, mario bava, lucio fulci, george hilton, franco nero | Facebook | Imprimer | |