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31/03/2016

Lucy in the sky with cow-boys

 Matalo ! (1970), un film de Cesare Canevari

Texte pour Les Fiches du Cinéma

Approchez ô vous dont l’œil étincelle pour entendre une histoire encore. Approchez je vous dirais celle du bandit Burt sauvé de la potence par la veuve noire, de l'attaque de la diligence, de la ville fantôme de Benson City, de la belle Mary et de l'étranger aux armes étonnantes. Je vous dirais le tourbillon de poussière, la nuit et le vent, les cordes de la harpe et le mouvement de la balançoire. Matalo ! est un film jeté comme l'injonction de son titre : « Tue-le », un extrait des rares dialogues de cet étrange western, si tant est que le terme ait encore un sens ici. Un film qui possède une foi totale dans la puissance des images et des sons, qui croit dans le cinéma jusqu'à l'ivresse, jusqu'à l’étourdissement. Matalo ! tient de la musique rock et psychédélique de son temps, 1970, autant pour la bande originale de Mario Migliardi avec ses guitares saturées, que pour les costumes très Woodstock, et surtout la mise en scène de Cesare Canevari : panoramiques à 360°, effets de flou, décalage entre le son et l'image, cadres inventifs. Le travail de la caméra est un étrange mélange entre des mouvements amples à la Philippe Garrel première période raturés de brusques zooms, des plans posés qui jouent la durée et d'autres fantasques qui cherchent à reculer les limites de la perception. Canevari et son chef opérateur, l'espagnol Julio Ortas, se laissent aller au mouvement de leur imagination, à une liberté donnée par la modestie de la production et, sans doute, par un étonnant concours de circonstances. Je voudrais éviter la comparaison avec l'utilisation de substances que la loi et la morale réprouvent, comparaison qui vient d’instinct à l'esprit à propos de ce film hippie, aussi dirais-je que Matalo ! procure le même sentiment grisant que l'on peut éprouver, enfant, quand on est lancé à pleine vitesse sur un tourniquet et que le monde défile sur un éclat de rire.

cesare canevari

Poétique, surréaliste, sur le fil, Matalo ! est proche d'autres œuvres hallucinées comme le El topo d'Alejandro Jodorowski sorti la même année, où le Easy rider (1969) de Denis Hopper, qui empruntent de la même façon des codes venus du western. Mais la folie de Canevari est tenue dans un cadre donné par une structure d'ensemble plus rigoureuse qu'il n'y paraît de premier abord. Il y a le métier de Julio Ortas et le montage de Antonio Gimeno, espagnol lui aussi, qui a collaboré avec Mario Bava sur Terrore nello spazio (La planète des vampires – 1965). Les deux hommes ont une solide expérience du film de genre, artisans doués capables de belles choses si l'occasion leur est donnée, comme c'est le cas ici. Leur travail technique canalise les élans de la mise en scène et évite qu'elle ne perde le spectateur dans le n'importe quoi, n'importe comment. Nous le savons depuis Alphonse Allais, quand les bornes sont passées, il n'y a plus de limites. Le patchwork de Matalo ! trouve une cohérence, une curieuse harmonie, une logique interne qui fait la différence avec les trop nombreux films dont les effets de style ne font que masquer la pauvreté d'inspiration. Par ses qualités formelles, Matalo ! se rapproche des quelques westerns européens les plus étonnants qu'aient donné le genre : Se sei vivo, spara (Tire encore si tu peux – 1967) de Giulio Questi, Blindman (1971) de Ferdinando Baldi, Keoma (1976) de Enzo G. Castellari, et les westerns sombres de Sergio Corbucci.

cesare canevari

Mais Cesare Canevari n'a pas une carrière aussi lisible que ses collègues et son film brille d'un éclat particulier au sein d'une filmographie courte (une dizaine de titres) et de pure exploitation, y compris dans les registres les plus douteux comme la naziploitation avec L'ultima orgia del III Reich (Des filles pour le bourreau – 1977). Peut être a t-il eu avec son second western une soudaine crise de talent ? En tout cas, Matalo ! reste son titre de gloire pour l'éternité. Le scénario, comme l'explique Alain Petit dans les bonus de cette édition Artus, est identique à celui de Dio non paga il sabato (Dieu de paie pas le samedi) tourné en 1967 par Tanio Boccia, et écrit par le même Mino Roli. Roli qui avait débuté comme scénariste et producteur avec Sergio Corbucci pour le mélodrame Salvate mia figlia en 1951 et sera du scénario de Keoma. Comme quoi tout se tient. La même histoire ayant donné des résultats complètement différents, c'est dire le peu d'importance de l'intrigue où quatre truands se retrouvent dans une ville-fantôme autour d'un butin pour s'écharper entre eux tout en torturant deux voyageurs, un curieux étranger et la veuve d'un pionnier. Matalo ! est une expérience au sens Jimi Hendrix du terme. Ce qui compte, ce sont les moments. Impossible d'oublier le sourire ravageur et un rien cabotin de Corrado Pani dans le rôle de l'impitoyable Burt, son bandana, son bain dans l'abreuvoir, et ses adresses au spectateur quand il explique la philosophie rustique de son père. Impossible d'oublier la dégaine angélique de Lou Castel en Ray, tombé au mauvais endroit au mauvais moment avec sa veste chamarrée et ses boomerangs. Impossible d'oublier les accès de folie de Théo, sa veste en peau de mouton et ses frustrations sexuelles qui le rendent aussi idiot que dangereux. C'est lui qui poursuivra Ray à coup de chaînes dans toute la ville avant de tomber sur un os avec le cheval du jeune étranger. Impossible d'oublier l'arrivée à cheval de la belle Claudia Gravy en Mary, amante et complice de Burt, sa façon de jouer de la cuisse sous le nez de Philip où de jouer de la balançoire tout en torturant Ray au couteau.

cesare canevari

Composé d'éléments hétéroclites, aussi disparates et anachroniques que les costumes des protagonistes, Matalo ! ne conserve du western que le squelette rongé à l'os. Le réalisateur pousse les limites du genre en tant que terrain de jeu de pur imaginaire tel que l'ont envisagé les européens, les italiens en premier lieu. Canevari défini un espace et un temps abstraits, hors de toute connexion à une histoire, une géographie, ou une culture américaine, ce qui ne manquera pas d'agacer les puristes. En ce lieu désolé mais excitant de possibilités se retrouvent, comme les personnages venus de nulle part, des fétiches issus de la culture populaire du cinéma, de la musique et de la bande-dessinée. Le film est d'ailleurs contemporain des deux albums du Lieutenant Blueberry les plus hallucinés de Jean Giraud, La mine de l'allemand perdu et Le spectre aux balles d'or. La pendaison, la diligence, les armes, le cheval fidèle comme Trigger, celui de Roy Rogers, Canevari ouvre le coffre à jouets et en étale le contenu sur le tapis de l'écran. Il utilise l'étonnant personnage de la vieille Benson, dernière héritière de ceux qui créèrent la ville, comme un fantôme qui hante le décor aussi délabré que celui de Django, ruine d'un prestigieux passé. La vieille dame a réuni une poignée de souvenirs dans sa tanière et à travers elle, il y a comme un hommage à la splendeur évanouie du genre. Hommage tordu, certes, mais hommage tout de même. Autant que les grandes œuvres dites crépusculaires du tournant de années soixante-dix, Matalo ! est pour le western un enterrement de première classe des démons qui l'ont mené à sa perte.

A lire chez Olivier Père

Photographies Artus

30/03/2016

Petit coup de fatigue

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Claudia Gravi dans Matalo  ! (1970) de Cesare Canevari (DR)

19/03/2016

Les joies du bain : trilogie Moreau

Elle n'a pas l'air ravie, Jeanne Moreau, dans la baignoire de La notte (La nuit - 1961) mais c'est qu'elle est sous le regard de Michelangelo Antonioni. "Bel regista, Antonioni", comme dirait Bruno Cortona. Photographies DR. LA NOTTE 1 - copie.jpg

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16/03/2016

Les belles éveillées

Bella addormentata (La belle endormie – 2012), un film de Marco Bellocchio

Texte pour Les Fiches du Cinéma

Dans Vincere en 2009, Marco Bellocchio s’attachait au destin de la maîtresse de Benito Mussolini et de leur fils illégitime qui s'enfonçaient dans le cauchemar fasciste, victimes de la raison d'état. C'était aussi pour l'héroïne un réveil impossible du fait d'une violente addiction amoureuse. Bella addormentata (La belle endormie), en 2012, nous fait partager le récit de plusieurs réveils rendus possibles par l'amour qui « fait voir les choses d'une autre façon » comme l'avoue Maria à son père Uliano à la fin du film. Bellocchio, délaissant le passé, plonge les racines de son film dans le présent proche. Avec ses scénaristes Veronica Raimo et Stefano Rulli, il construit sa fiction autour du cas d'Eluana Englaro qui divisa l'Italie au début de 2009. La jeune femme était plongée le coma depuis un accident de voiture, dix-sept ans plus tôt. Sa famille combattait pour son euthanasie, clivant les autorités morales, religieuses et politiques. En février 2009, alors que la décision est prise de cesser l'assistance respiratoire, le parti conservateur de Silvio Berlusconi tente de faire passer une loi en urgence au sénat pour bloquer les choses. Tout le pays s’enflamme autour de ce débat, un peu comme chez nous avec l'affaire Vincent Lambert, avec manifestations virulentes et prises de positions tranchées. C'est dans ce contexte documentaire que Bellocchio développe ses fictions, les situant dans les quarante-huit heures précédent le vote au sénat. Un compte à rebours qui donne au film un sentiment d'urgence intense.

marco bellocchio

Mais le suspense ne réside pas sur cette partie documentaire, pour peu que l'on connaisse les grandes lignes de cette affaire, mais bien dans les fictions. Et loin d'un film à thèse sur la fin de vie, Bella addormentata est lié aux sentiments des divers personnages entre eux. Nous suivons donc Uliano Beffardi, sénateur berlusconien qui s'apprête à voter contre l'avis de son parti, prêt à sacrifier sa carrière. Maria, sa fille, est en conflit avec lui depuis la mort de sa mère. Elle milite dans un groupe catholique opposé à l'euthanasie et part manifester devant l'hôpital. Là, elle rencontre Roberto qui accompagne son frère, militant du camp opposé, atteint de troubles mentaux. Il y a le jeune docteur Pallido qui prend en charge une toxicomane suicidaire, Rossa, et se pose en ange gardien. Il y a enfin la « Divina madre », grande actrice française et donc jouée par Isabelle Huppert, qui a renoncé à sa prestigieuse carrière pour veiller sa fille dans le même état qu'Eluana, mais qui le fait au détriment de son époux et surtout de son fils qui paye le prix fort de la situation.

marco bellocchio

Comme toujours chez Marco Bellocchio, la pression sociale se paye au prix de dérèglements mentaux qui vont se traduire par une violence dans l'expression des sentiments. Cette fois pourtant, il y a une tendance à aller vers l'apaisement chez la majorité des personnages et une tonalité d'ensemble plutôt optimiste. Les belles endormies, qui ne sont pas celles que l'on croit, vont se réveiller. Et comme dans le conte de Charles Perrault ou celui des frères Grimm, ce seront des baisers d'amour de princes qui en seront les responsables. Bellocchio joue beaucoup sur cet aspect conte de fée dans sa mise en scène, par exemple dans la façon dont il filme la fille de la « Divina madre » comme une poupée de porcelaine, belle et immobile comme une déesse de marbre. L'épisode entre le docteur et la droguée assume un premier degré naïf qui le rend un peu trop prévisible et en fait l'épisode le plus faible de l'ensemble. Mais la délicatesse du réalisateur fait passer pas mal de choses. Les deux autres récits sont à la fois plus complexes et plus forts. Faisant varier les figures du réveil entre les différents protagonistes. Ces réveils sont question d'acceptation de soi, de ses convictions, de ses responsabilités, et des autres. Se réveiller est accepter de voir les choses telles qu'elles sont et non de camper sur des positions de principe, sur des idéologies. Question de regard, la mise en scène orchestre leur confrontation. Maria et Roberto échangent les leurs dans un bar, quand le frère du second jette un verre d'eau au visage de la première (quel réveil !), puis se croisent à nouveau quand ils sont face à face, chacun dans son camp devant l'hôpital. Comme dans un film de Dario Argento, Maria devra réinterpréter ce qu'elle avait vu dans la chambre d'hôpital entre ses parents pour revenir à son père. Pallido et Rossa veillent alternativement sur le sommeil l'un de l'autre, ce qui permet à leurs regards de tenter de percer leurs mystères réciproques, même s'il y a de la triche. Chez la « Divina madre », l'épisode le plus sombre, le regard de la mère est perdu dans un combat mystique, celui du fils n'arrive plus à l'accrocher et le père a renoncé.

Petit à petit, la part documentaire s'estompe au profil des fictions. Bellocchio a de très belles idées autour de l'épisode du sénat. Il y a cette belle scène où des images réelles de Berlusconi sont projetées sur les visages des acteurs jouant les sénateurs, créant un hybride expérimental troublant. Il y aussi cette scène superbe qui montre les sénateurs se détendre avant le vote dans les thermes du sénat. Le réalisateur crée avec son chef opérateur Daniele Ciprì, déjà en poste sur Vincere, une ambiance de peplum avec vapeurs, lumières basses, hommes en serviettes blanches. Passe le souvenir du Satyricon (1969) de Federico Fellini qui rattache le contemporain de manière poétique à la longue histoire du pays. D'une autre façon, l'immense demeure luxueuse de la “Divina madre” évoque le XIXéme siècle et les cinéma de Luchino Visconti ou Mauro Bolognini, tandis que tout ce qui se déroule dans l'hôpital est ancré dans le contemporain. Bellocchio passe avec aisance et élégance de l'un à l'autre, revenant à l'os des relations humaines, les rapports amoureux et familiaux qui sont au cœur de son cinéma. Il les oppose aux institutions (politiques, morales, médiatiques, administratives, complétez la liste vous-mêmes) qui fonctionnent de manière désincarnée et étouffent l’individu.

marco bellocchio

Avec ces objectifs, la direction d'acteur est tenue à une grande précision. Bellocchio a réunit une très belle distribution mêlant des comédiens chevronnés, Isabelle Huppert comme souvent impressionnante dans un rôle difficile de femme dure, Toni Servillo plein de force tranquille en sénateur ou Roberto Herlitzka, un familier du cinéma de Bellocchio, en élu psychiatre ; et de jeunes acteurs à la hauteur, son fils Pier Giorgio Bellocchio en médecin sous le charme, Maya Sansa qui dispense le charme en question et obtiendra pour ce rôle un David di Donatello, Michele Riondino en Roberto, et Brenno Placido en fils sacrifié. Et puis surtout, illuminant le film de sa beauté discrète, il y a Alba Rohrwacher en Maria qui passe de la militante bigote à la jeune femme amoureuse puis à la fille réconciliée avec une justesse qui laisse sans voix. Mais pas sans mots : quelle actrice !

Photographies : Copyright Francesca Fago

12/03/2016

Les joies du bain : ado

Petit clin d’œil au césarisé Philippe Faucon avec la jolie Catherine Klein à la bouche en cœur, dans Muriel fait le désespoir de ses parents, l'un de ses premiers longs métrages sortit en 1995. Photographie DR.

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