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02/06/2014
Borzage en quatre films (3)
Street angel (L'ange de la rue)
Dans Steet angel, nous passons de Paris à Naples en restant en studio. Janet Gaynor y est Angela, pauvre et dévouée à sa mère malade, bientôt mourante. Pour payer les médicaments Angela s'essaye à la prostitution. Si ce n'est pas du mélo ! Mais cela ne marche pas, la mère meurt et Angela fuit la police dans les ruelles napolitaines dont l’expressionnisme rappelle Métropolis et Caligari : ombres, dédales, recoins, escaliers. Angela se sauve grâce à un cirque miteux, devient danseuse et fini par rencontrer Gino joué par Charles Farrell. Il est peintre et tombe raide de la jeune fille. Il fait alors son portrait, non pas telle qu'elle s'imagine ni telle qu'elle nous apparaît sur l'écran, mais telle qu'il la voit. Sublime. Il y a là de la part de Frank Borzage une véritable déclaration d'intention – un manifeste. Son cinéma n'a que faire du réalisme, de l'ordinaire, seule compte la vérité des sentiments et l’extraordinaire de l'Amour. Ce qu'il filme, comme Gino peint, c'est un paysage mental, celui dans lequel naît, grandit et lutte l'amour de son couple de héros.
Des épreuves donc, liées au passé d'Angela qui la rattrape sous la forme d'un carabinier d'opérette mais perspicace. La loi, c'est la loi, mais il va lui laisser un dernière heure, le temps d'une scène déchirante, pour faire ses adieux à Gino qui ne se doute de rien. Avant cela, le scénario de Marion Orth qui adapte la pièce Cristilinda de J. Monckton Hoffe, reprend des motifs de Seventh heaven. Le couple fait l’expérience de la vie commune dans un improbable appartement bohème hors du monde. Nouvelle occasion pour Borzage de ciseler des petits riens délicats : elle lui enlève ses bottes, il fait chambre à part, gentleman, ils sont ensemble. Si Angela est éperdue d'admiration pour son homme, Gino est d'une tendresse quasi enfantine, se blottissant contre elle tout en la protégeant de son imposante carrure. C'est pourtant à la femme fragile que revient le plus dur. En affrontant son passé, l'assumant en adulte, elle risque son amour pour payer sa dette au prix du mensonge.
Sans atteindre le sommet lyrique du film précédent, Street angel s'achève par une scène poignante qui mêle de nouveau révélation au sens religieux et miracle, un miracle qui, s'il a lieu dans une église, n'en est pas moins un miracle laïque, un miracle de la Vie, de l'Amour et de l'Art. C'est le tableau de Gino représentant sa vision d'Angela, à la trajectoire complexe (vendu, travesti, enjeu d'une escroquerie), qui va toucher l'homme au cœur au moment suprême en lui évitant de commettre l'irréparable. Gino se souvient alors qu'il avait su voir Angela au-delà des apparences. Ce tableau, c'est la vérité de la femme et c'est aussi un mensonge (on l'a fait passer pour l’œuvre d'un ancien maître). Il se charge alors symboliquement de ce qui mine le couple et, redécouvert par Gino, lui ouvre les yeux sur la vérité d'Angela. C'est magistral.
Photographies : A certain cinéma et Fox (DR)
(à suivre)
00:29 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : frank borzage | Facebook | Imprimer | |
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