Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

« Mouvements du bassin sur TCM (dommage que je n'ai pas la télé) | Page d'accueil | Les joies du bain : Gratte moi le dos »

04/11/2010

Citizen Zuckerberg

Je me souviens d'un article de Philippe Manœuvre dans un numéro de métal Hurlant de 1983 à l'occasion de la sortie du troisième volet de la saga Star Wars. Il écrivait à propos de la publication concomitante d'une biographie de Georges Lucas que le bouquin mettait 400 pages à montrer que Lucas n'avait rien vécu hormis un accident de voiture à 19 ans. On peut écrire de même qu'avec The social network, David Fincher fait un remarquable film de deux heures qui montre que Mark Zuckerberg, l'inventeur de Face de bouc, n'a même pas eu l'accident de voiture. Que ce vide existentiel est à l'origine de sa création et que, comme Lucas, il en a tiré des profits extravagants.

Même si David Fincher n'est pas tout à fait Orson Welles, l'analogie frappe avec Citizen Kane (1941). Même structure virtuose d'un récit éclaté en flashbacks avec intervention des personnages clefs, même figure de héros ambigu devenu légende controversée de son temps, même thématique autour de la puissance des media (les journaux hier, Internet aujourd'hui), de la construction du pouvoir et de la solitude au sommet. Même portrait en creux d'un pays et d'une époque que l'action du héros aura contribué à modeler. Question cinéma, Fincher n'a ni les capacités d'invention ni les ambitions formelles de son aîné, c'est entendu. Mais il se débrouille bien. Très bien même en arrivant à faire un film passionnant avec un matériau de départ très relativement excitant : la création d'un site Internet. Il y réussi en s'inspirant des mécanismes de la comédie américaine de la grande époque. Certains ont noté que l'intensité des dialogues d'Aaron Sorkin rapprochait The social network de His girl friday (La dame du vendredi - 1940) du spécialiste du genre, Howard Hawks (tiens, un histoire de journalistes).

Qu'est-ce que Facebook ? Un site Internet. Fincher filme donc des adolescents alignant des lignes de code, des heures voire des jours durant, piratant des réseaux pour se distraire. Il fait le portrait d'un monde qui ne se sépare plus de son ordinateur portable ou de son i-phone, tapotant avec acharnement en cours, à table, en soirée, au réveil, un véritable postulat de science fiction devenu réalité.

Qu'est-ce que Facebook ? Un réseau. Ficher nous montre donc le réseau d'origine, celui des élèves de ces écoles américaines prestigieuses, Harvard en l'occurrence. Fraternités d'élèves, monde codé de copains et de coquins, obsédés par le pouvoir et la réussite. Il montre au sein de ce réseau le besoin fou de communication, d'être accepté, intégré, qui masque mal l'absence de véritables relations.

Qu'est-ce que Facebook (enfin) ? Du langage, des phrases et des idées jetées en vrac à ses « amis » (puisque tout le monde est ami sur Facebook). Une communication basique et forcenée, le plus souvent artificielle car réduite à sa plus simple expression : « Je suis à Paris », « Je vais me recoucher », « Je n'aime pas quand il pleut », « T'as vu le dernier Fincher ? »... Et les films de gladiateurs, tu les aimes ?

Bon, je persifle. J'utilise Facebook et il paraît que Fincher non. Les blogs ont séduit ceux qui écrivent, photographient ou dessinent. Les musiciens aiment bien Myspace. Facebook n'as peut être pas trouvé (encore) sa véritable voie. Mais je me pose la question : Qu'est-ce que Fincher pense de tout cela, au fond ? Le film ne répond pas à la question. Fincher montre, mais reste à distance. La réussite du film, c'est la traduction visuelle et sonore de l'essence de Facebook et de l'état d'esprit qui a présidé à sa conception. Les gens y parlent pour ne rien dire. La première scène est emblématique avec ses répliques qui défilent sur un rythme de mitraillette entre Zuckerberg et la fille qui va le plaquer. Les phrases, comme tirées de quatre conversations différentes, se chevauchent et se percutent sur un brouhaha de fond qui met l'attention à rude épreuve. Au milieu de ce chaos sonore, Fincher organise un impeccable champ/contre champ, merveilleusement posé, qui pénètre au fond des âmes perdues de ses deux protagonistes. Et quand Zuckerberg comprend finalement ce que lui dit sa compagne, c'est le début de l'histoire, la construction de la légende.

Le film va continuer à décliner ces formes de la parole, faisant se succéder les joutes verbales qui restent des monologues à plusieurs. On ne se comprend pas, on ne s'écoute pas, on s'interprète mal, les livres (le code de conduite d'Harvard) n'a plus de sens, il faut une armée d'avocats pour se parler avec son vieil ami, son seul ami devenu un étranger. Les regards captés par Fincher disent les désarrois, les déceptions. « Ai-je votre attention M Zuckerberg ? » - « Non ». Et le grand gourou de la communication virtuelle, de l'amitié à grande échelle de regarder par la fenêtre, le regard perdu dans le vague, ailleurs. Mais où ? Nulle part parce qu'il est bien incapable de dire quelque chose.

Les acteurs font admirablement passer cet entre-paroles, aidés par un réalisateur qui a toujours eu la faculté de nous faire pénétrer dans des mondes intérieurs : la prison spatiale de Alien 3 (1992), la ville pluvieuse de Seven (1995), le mental schizophrène de Fight club (1997), l'univers ludique de The game (1999), après j'ai décroché. The social network se situe dans la continuité de ces films, sans doute des autres opus fincheriens, tout en étant cette fois plus rigoureux, moins dépendant d'effets, des artifices parfois fatigants du cinéma de genre, d'une esthétique trop tape-à-l'oeil. Joli sens du rythme avec le montage de Kirk Baxter et Angus Wall, musique étrange de Trent Reznor, photographie sophistiquée de Jeff Cronenweth dont l'artificiel colle au réel policé de la couche virtuelle de Facebook sur le monde.

David Fincher Mais qu'est-ce que ça veut dire ?

Inisfree Sais pas. Mais c'est pas mal pour conclure.

Mark aime ça.

Panoptique D'autres avis si tu cliques sur mon lien.

Commentaires

Facebook

Bonjour Vincent,

Ed vous a envoyé une invitation à "Laisse tomber Zuckerberg et fais-toi plutôt Zodiac"

Participerez-vous ? oui - non - peut-être

Merci,
L'équipe Facebook

Écrit par : Ed(isdead) | 05/11/2010

Bonjour Vincent
Facebook vous invite à vous abonner au groupe "moi, j'aime les films de gladiateurs"
Cliquez sur I like et invitez vos amis à liker ce que vous likez et ainsi je vous likerez
Likement votre

Écrit par : Celle qui aime à fesser l'book | 05/11/2010

nolan aime votre critique

Écrit par : nolan | 05/11/2010

Je propose de créer le groupe "Les Vincent aiment le dernier opus de Fincher" et de partir en cabale contre les Ed rabats-joie ;)

Écrit par : Dr Orlof | 05/11/2010

Bien vu! A voir Zodiac, ça devrait te plaire...

Écrit par : ADCR | 06/11/2010

"Zodiac", je vais sans doute me laisser tenter. Pour les groupes, créez et multipliez, j'adhère aux gladiateurs et aux pro-Fincher. Mais, question pour le Doc et Nolan, vous êtes sur Facebook vous aussi ?

Écrit par : Vincent | 06/11/2010

Toujours pas :) Mais j'espère que tu viendras nous rejoindre un jour sur Twitter.

Écrit par : Dr Orlof | 07/11/2010

Toujours pas :) Mais j'espère que tu viendras nous rejoindre un jour sur Twitter.

Écrit par : Dr Orlof | 07/11/2010

Je suis d'accord sur la qualité formelle du film de Fincher mais j'ai tendance à trouver que l'"objet" même Facebook encombre en quelque sorte le film et que son entrée en résonance avec l'histoire de Zuckerberg est problématique.
Sinon, puisqu'il ne répond pas, je le fais à sa place : nolan a un compte Facebook (et moi, je n'en aurai jamais - comme quoi, on peut avoir des amis sans passer par ça).

Écrit par : Ran | 07/11/2010

Doc, Nolan et Ran, en fait je triche, je n'ai pas de compte sur Facebook, mais l'association dont je m'occupe en a ouvert un. Je m'en sers donc pour communiquer avec tous mes contacts via Inisfree qui sont dessus (Fred, Ed, Joachim, Kinok...). Pour être franc, c'est plus un relais à des informations et du contenu qui se trouve ailleurs. Je ne me verrais pas avoir une page pour moi-même, encore moins mettre des informations personnelles.
Twitter, je ne saurais pas trop quoi en faire, je serais plus tenté par tumblr à cause de mon fétichisme des photographies.
Pour ce qui est de "l'objet Facebook", il me semble que le film le met de côté en tant qu'objet mais le montre en tant qu'état d'esprit, façon de vivre. Je ne suis pas sûr que ce soit l'expression juste, mais c'est ce que j'ai ressenti.

Écrit par : Vincent | 07/11/2010

Oui, je pense qu'il y avait une volonté de le mettre de côté en tant que tel mais que le réalisateur ne voulait pas - ou ne pouvait pas - l'évacuer pour ce qu'il signifiait et, du coup, j'ai trouvé qu'il y avait là une articulation qui passait (relativement) mal. Mais, bon, sinon, j'ai plutôt aimé mais je ne peux pas m'empêcher de penser que le film aurait été meilleur s'il n'avait pas été, en quelque sorte, encombré par Facebook.
Ah, si Zuckerberg avait inventé plutôt inventé Google...

Écrit par : Ran | 07/11/2010

Mais si Zuckerberg avait inventé Google, il n'aurait plus été Zuckerberg mais Larry Page ou Sergey Brin. Ou dit autrement, Zuckerberg pouvait-il créer autre chose qu'un Facebook ?

Écrit par : Vincent | 08/11/2010

Déjà, du point de vue de l'orthographe, ça aurait nettement été plus simple. Et puis, Zuckerberg a quand même l'air doué question informatique.
Plus sérieusement, je pense que le film n'aurait rien perdu si l'objet créé s'était certes ancré dans la modernité (c'est-à-dire qu'il aurait été lié à Internet) mais sans avoir une résonance sociale si forte. En effet, le premier point amène des choses intéressantes (par exemple l'opposition entre Eduardo qui, en bon élève de sciences économiques d'Harvard, souhaite un retour sur investissement rapide et le fondateur de Napster qui est, lui, un outsider et a une pensée "économique" moderne et se montre plus joueur). Mais le second alourdit un peu le film (la nécessité de "tuer" sa seule amitié pour fonder un réseau de millions de vrais-faux amis virtuels).

Écrit par : Ran | 08/11/2010

J'ai bien aimé l'humour des réflexions de Sean Parker sur l'industrie du disque, d'autant que ça passe dans un film de major.
Sur le dernier point, je suis d'accord, c'est le côté très américain du film et peut être son point faible. Comme d'autres l'on noté, cette scène finale avec l'avocate, c'est un peu cliché.
Mais sur le reste, c'est la résonance sociale forte qui donne l'intérêt au film. Cela lui donne une portée au delà de l'anecdote. Pas sûr qu'avec Google, on aurait autre chose qu'une classique "sucess story".

Écrit par : Vincent | 09/11/2010

C'est un thème assez universel que celle de l'homme qui se hisse au sommet et n'y rencontre guère que la solitude. Dans ce cadre, c'est le traitement plus que l'objet de la réussite qui fait la qualité du film. C'est pour cela que Facebook ne me semblait pas véritablement nécessaire. Mais, bon, je l'admets avec Google, cela ne fonctionnait pas du tout vu qu'ils sont deux...

Écrit par : Ran | 09/11/2010

Sur le fond comme sur la forme, excellent ! Rien à ajouter.

Écrit par : Raphaël | 11/11/2010

Merci, Raphaël, c'est gentil :)

Écrit par : Vincent | 11/11/2010

Écrire un commentaire