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31/08/2010

Crime d'amour

Quelqu'un devrait se dévouer pour dire à Alain Corneau (1) que l'image de son nouveau film, Crime d'amour, est moche. Numérique et moche ce qui est, d'une part bien dommage parce que le film en lui-même est plutôt réussi, d'autre part désolant venant de l'homme qui nous a donné les belles ambiances de polar de Police python 357 (1976), Le choix des armes (1981) ou Série noire (1979), et réalisé Tous les matins du monde (1991) dont la photographie raffinée marchait sur les traces du travail de John Alcott et Stanley Kubrick pour Barry Lyndon (1975). C'est peut être l'évolution actuelle de l'image de cinéma qui finit par ressembler à l'image de télévision mais je ne trouve là-dedans rien de réjouissant. J'avais déjà eu ce problème, nous dirons de goût, sur Lady Jane (2007) de Robert Guédiguian dont les scènes de nuit étaient aussi plutôt moches. Moches comment ? Leur grain fait ressortir leur aspect vidéo. Une image froide, plate, aux contours mal définis. Des couleurs fades, des noirs qui manquent d'intensité, une sorte de halo qui uniformise tout. Il y a aussi comme des traînées lors des déplacements des personnages ou de la caméra. Toute cela manque de contraste et la projection en salle, sur grand écran, accentue ces défauts qui passent presque inaperçus chez soi. Il faut dire aussi que l'on s'habitue à ces images immondes des nouvelles télévisions que j'ai beaucoup de mal, personnellement à regarder sans m'énerver.

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Sur Crime d'amour, les scènes de jour ou les intérieurs bien éclairés font illusion. La première scène entre les deux héroïnes est même plutôt réussie question ambiance. Mais dans un film noir ou l'atmosphère est essentielle et délicate, beaucoup de choses ne passent pas. Il faudrait peut être se pencher sérieusment sur le travail de Jean-Luc Godard sur Film socialisme qui arrive, lui, à des choses magnifiques avec la même technologie. Chez Corneau, non seulement beaucoup de scènes nocturnes en extérieur passent mal, mais les plans de Ludivine Sagnier dans la salle de gymnastique ressemblent à ceux d'un mauvais film publicitaire. Certains gros plans des visages manquent d'un je-ne-sais-quoi, comme une sorte de voile qui ternirait les regards des actrices. Nous vivons un temps bien étonnant.

Le film lui, disais-je, est plutôt pas mal. Le scénario d'Alain Corneau et Nathalie Carter propose un exercice de style bien construit qui ramène tant à l'un des maîtres de Corneau, Fritz Lang et Beyond a Reasonable Doubt (L'invraisemblable vérité - 1956) qu'à Police Python 357. Toute la partie où s'accumulent les preuves à grand coup d'ellipses sur un rythme soutenu fonctionne, de manière inversée, comme la descente aux enfers que vit le personnage du policier naguère joué par Yves Montand. La jeune femme jouée par Ludivine Sagnier lui ressemble par bien des côtés, acharnée au travail, vivant dans un environnement dépouillé, déterminée, maîtrisant la douleur sur son propre corps, professionnelle, froide mais capable d'une humanité tout au fond. Ici, c'est juste un peu plus vicieux mais cela tient en haleine comme à la grande époque. La musique du lointain Orient de Pharoah Sanders est originale dans le contexte et fonctionne bien. Je suis moins convaincu par les décors, l'arrière plan urbain de tours de verre et d'acier, les couleurs froides, qui donnent dans le symbole classique si ce n'est convenu, et rappellent surtout le début de Matrix. La description du milieu de travail où évoluent les personnages me laisse avec la bonne vieille question : dans cette fichue Word company quelconque, comment arrivent-ils à gagner tant d'argent en se passant des dossiers toute la journée ? J'imagine que c'est dans l'intention critique de Corneau mais cela manque de crédibilité.

Côté acteurs, les actrices sont superbes. Kristin Scott Thomas est toujours aussi belle, raffinée et vénéneuse comme il faut. Patrick Mille est assez convenu en loup d'entreprise manipulé, mais Guillaume Marquet est une belle surprise en cadre dévoué à son supérieur hiérarchique. Ludivine Sagnier ne se déshabille presque pas, ce qui pourra en frustrer certains, mais elle joue de mieux en mieux, toujours plus assurée, plus nuancée, sobre comme il faut. Elle est aussi bien que chez Chabrol. Quand je songe qu'en d'autres temps, elle aurait été filmée comme Anne Baxter ou Gene Tierney... assez, je me fais mal.

Photographie © Pascal Chantier (Source : Allociné) 

(1) : Écrit hier matin, dans le train, donc quelques heures avant d'apprendre la disparition du cinéaste. J'ai préféré ne pas retoucher le texte, personne ne dira rien à Alain Corneau. Je reste avec mes regrets photographiques mais pas mal de bons souvenirs, notamment comment il filmait la Deneuve. Finalement, de Police Python 357 à Crime d'amour, il y a comme une boucle qui se referme.

07:13 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : alain corneau |  Facebook |  Imprimer | |

29/08/2010

Les joies du bain : dans le marbre

Glacé et sophistiqué comme dirait Gotlib : la belle Alice Taglioni dans la classieuse baignoire de Notre univers impitoyable (2008) de Léa Frazer.

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Photographie : copyright Haut et Court.

28/08/2010

Tristesses

Patricia Neal était habituée aux bras des géants. Gary Cooper dans The foutainhead (Le rebelle – 1949), incroyable film de King Vidor, John Wayne dans Opération Pacific (Opérations dans la Pacifique – 1951) de Georges Waggner puis In harm's way (Première victoire – 1965) d'Otto Preminger où elle était deux fois lieutenant, et Michael Rennie dans le classique de la science fiction The day the earth stood still (Le jour où la terre s'arrêta – 1951) de Robert Wise, film où elle se faisait également porter dans les bras de l'immense robot Gort. Vue également chez Elia Kazan, Michael Curtiz ou Martin Ritt, elle a joué l'émouvante 2-E qui entretenait le personnage de Georges Peppard dans Breakfast At Tiffany's (Diamants sur canapé – 1961). Encore un peu de la légende de Hollywood qui s'éteint.

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Photographie Dr Macro

La disparition de Bruno Cremer m'inspire à peu près l'inverse de celle de Bernard Giraudeau. Outre que j'aimais beaucoup son visage tourmenté et sa présence entre nonchalance et intensité, sa filmographie se révèle éclectique et excitante, traversant des horizons très divers du cinéma français, de ses débuts avec José Bénazéraf à sa fidélité à Pierre Schoendoerffer, de ses expériences avec quelques francs-tireurs comme René Allio, Anne-Marie Mieville, Edouard Niermans et surtout ses trois films avec Jean-Claude Brisseau, de ses rôles marquants pour Claude Sautet, Bertrand Blier, Yves Boisset, Costa-Gavras (il était L'homme de trop), Patrice Chereau ou René Clément (il est très bien en colonel Rol Tanguy), du meilleur film de François Ozon où sa présence absente hante tout le métrage en passant par le cinéma populaire de Labro ou Lelouch, sans oublier ses incursions dans un cinéma plus international avec Luchino Visconti, Vincente Aranda et assez marquant en ce qui me concerne, le rôle de Victor Manzon dans Sorcerer (Le Convoi de la peur – 1977) de William Friedkin. C'est à son image, ça a de la gueule.

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Photographie DR

Je sais, j'avais dit que je préférais nettement Hayao Miyazaki à Satoshi Kon, mais quand même. Apprenant via Raphaël la disparition à 46 ans des suite d'un cancer du réalisateur et dessinateur japonais, cela me fait un peu mal. Je connais et apprécie quand même énormément Perfect blue (1997) et Paprika (2006). A son âge, un cinéaste n'en est qu'à se débuts (ou presque) même si Kon avait une très belle carrière derrière lui, déjà. C'est très triste parce que, contrairement aux deux précédents, il n'y a pas le sentiment d'un achèvement mais celui de promesses qui ne se réaliseront jamais.

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Photographie DR

27/08/2010

Le goût des belles choses

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Livres anciens, tissus, sculpture, meubles, objets rares, peinture, architecture, en quelque sorte le musée idéal de Dario Argento dans La terza madre (2007). Captures DVD Seven 7.

26/08/2010

Dario Argento années 2000 - Partie 2

Non ho sonno a été une sacrée surprise car il est lui largement réussi. Composé quasiment intégralement de scènes qui ont motivé le maestro, il bénéficie en outre de la très belle composition de Max Von Sydow en inspecteur Ulisse Moretti, rattrapé par une affaire qui n'avait pu résoudre vingt ans plus tôt. Idée géniale du scénario de Dario Argento, Franco Ferrini et Carlo Lucarelli , Moretti subit les premières atteintes de la maladie d'Alzheimer. La recherche des traces du passé devient ainsi une plongée dans la mémoire fuyante de l'inspecteur et l'enquête se double d'une méditation sur le souvenir. Quand Argento ouvre son cinéma à des thèmes bergmaniens, cela donne une intensité peu commune à la sempiternelle quête du tueur. Sur cette base solide, le réalisateur se livre à de brillantes variations sur ses plus belles obsessions.

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Le film s'ouvre sur une longue séquence de près de vingt minutes qui vous laisse à genoux. Trois parties. Une prostituée découvre par hasard qu'elle est tombée sur un bien macabre client et échappe à son appartement avec un dossier bleu électrique bourré de preuves. LA scène du train, huis-clos affolant, digne des meurtres inauguraux de Profondo rosso et Suspiria (à condition d'accepter le fait que les chemins de fer italiens roulent ainsi à vide !). Suspense intense, surprises à tiroir, caméra lancée à toute vitesse dans les couloirs des wagons, gros plans saisissants, utilisation au maximum de l'espace sur la longueur du train puis sur l'épaisseur des soufflets de séparation des wagons, réinvention du principe de la vitre qui isole la victime : du grand art. Et puis histoire de ne pas souffler, un passage de relais de la victime à celle qui n'a pu la sauver qui rappelle des souvenirs, avec un ultime rebondissement que je ne vous raconte pas. Quand même. Ambiance nocturne sous une pluie battante, la photographie de Ronnie Taylor, britannique à la belle carrière, est sophistiquée comme il faut, donnant aux extérieurs une allure de studio (la gare sous la pluie est splendide) et la musique des Goblin, fidèles au poste, enveloppe la musicalité du montage remarquable de Anna Rosa Napoli . Rien à dire de plus, nous sommes dans le tout meilleur Argento.

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Le film ne retrouvera pas vraiment une telle intensité mais reste constamment inventif. Témoin une autre très belle scène, un plan séquence composé d'un lent travelling le long d'un tapis rouge dans un théâtre, strictement cadré sur des paires de chaussures qui vont et viennent dans un brouhaha de voix de coulisses. Jusqu'à cette paire de ballerines soulevées de terre sur un râle d'agonie. Magistral. Flashback traumatique remontant à l'enfance, témoin forcé et impuissant d'un meurtre, lourd secret familial, recherche de preuves codées dans de vieilles demeures, peur du noir et surgissement de la peur en pleine lumière, Non ho sonno était une bien belle façon pour Argento d'entrer dans le nouveau millénaire. Les pérégrinations de Moretti, (l'Odyssée d'Ulisse est un symbole transparent) qui tente de recoller les morceaux de cette vieille histoire servent au réalisateur à revisiter son cinéma. Variations sur quelques motifs éprouvés, Non ho sonno, peut aussi se voir comme métaphore d'un cinéma perdu. A commencer par celui du réalisateur lui-même. Le cinéma dont il cherche à retrouver la trace, comprendre comment il a disparu et avec lui le succès, le talent peut être, la faculté de faire vibrer les foules. Toutes choses qui se confondent ici avec l'art de l'enquêteur à l'ancienne et sa faculté à résoudre l'énigme. Pointe d'orgueil de la part du maestro, il brocarde à travers le regard de Moretti les méthodes actuelles et affiche son pessimisme sur la transmission possible de son art. Le film baigne ainsi dans une ambiance mortifère, nostalgique d'une époque révolue, tout en affirmant encore une fois l'alpha et l'oméga du cinéma de son auteur qui refuse de céder un pouce de terrain. Position tordue voire obtuse qui se révèle pour l'occasion fructueuse.

De Giallo, le petit dernier en attendant son film hommage à Dracula à venir (en 3D ai-je lu), il convient de dire qu'il repose sur un malentendu par ailleurs cyniquement entretenu. Le giallo, faut-il le rappeler, est à l'origine la littérature policière éditée en Italie sous des couvertures jaunes (giallo), devenu dans les années 60 un genre cinématographique des plus excitant. Qu'en 2008 Dario Argento tourne un film appelé Giallo, voilà qui annonce un programme précis. La série de couteaux sur l'affiche est tout aussi explicite. Pourtant, cette couleur jaune a un sens bien différent dans le film, sens que je vous laisse découvrir et Giallo n'a pas grand chose d'un giallo classique, et encore moins de ceux, classieux classiques de la première partie de carrière du maestro. Assez perfidement, je puis écrire que si je n'avais pas su que le film était d'Argento, je ne l'aurais pas forcément deviné. A ce stade, les admirateurs, s'il en reste, sont effondrés. Pourtant Giallo n'est pas un mauvais film. Simplement, c'est un solide thriller, sans éclat, carré, ressemblant à des dizaines de films de tueurs en série post Silence of the lambs (Le silence des agneaux - 1990) de Johnathan Demme. J'ignore les dessous détaillés de l'affaire, mais le film était conçu à l'origine par Argento pour sa fille Asia et Vincent Gallo. Les vicissitudes du cinéma étant ce qu'elles sont, L'un puis l'autre ont du renoncer. Auréolé de son oscar chez Polanski, Adrian Brody est entré dans le projet comme co-producteur et comme vedette, avec un double rôle pour faire bonne mesure.

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Tu la vois ? Hop ! Tu la vois plus... Ecco.

Pour revenir à ce que j'écrivais plus haut sur les acteurs, il semble que Brody a mis la main sur le film et qu'Argento s'est artistiquement désengagé du film, faisant refluer son talent de Giallo comme le sang d'un organisme. Il a fait œuvre de mercenaire, ne laissant qu'une carcasse, solide certes, mais sans rien de lui-même. C'est ce qui m'a frappé à la vision du film. J'ai pris un certain plaisir à cette chasse au tueur fou dans Turin menée par la sœur d'une victime enlevée et un inspecteur un peu borderline, mais elle aurait pu être menée par n'importe quel autre cinéaste, ou presque. Un exemple significatif : le tueur nous est montré assez vite. Dans le giallo canonique, sa découverte tient le fil narratif jusqu'à la fin. Le tueur est une abstraction, le plus souvent masqué, cadré façon puzzle, de manière fétichiste : les mains gantées de noir (toujours jouées par Argento soi-même), le dos en amorce, la bouche soufflant sous la cagoule, les chaussures s'avançant dans l'ombre. Le tueur est une incarnation du mal absolu, ne dévoilant son visage qu'au dernier moment, si possible après quelques coups de théâtre bien sentis. Pas ici. De même la violence et les tortures infligées par l'abominable sont plus proches des jeux sadiques de la série Saw que des excès grand-guignolesques à dimension opératique qui sont la marque de Dario Argento. Intensité calculée et aucun véritable débordement. Comme si, après les envolées gores de La terza madre, Argento avait voulu montrer qu'il pouvait tuer comme tout le monde mais que cela n'avait aucun intérêt. J'avoue aussi un certain plaisir pervers à la prestation d'Adrian Brody. Dans son vaste bureau en sous sol, il est filmé avec une distance ironique, comme une caricature du héros tourmenté qu'il incarne, prenant des poses sophistiquées. Il faut le voir jouer de son regard de cocker avec de petits coups d'œil en coin comme s'il guettait la venue du cinéma d'Argento, un coup d'éclat de son réalisateur. Mais c'est le désert des tartares et Brody, stoïque, assume jusqu'au bout. A ses côtés, Mathilde Seigner se débrouille correctement mais la plus intéressante est Elsa Pataky dans le rôle de Céline, la sœur séquestrée, très belle comme toute victime argentesque, elle crie, souffre et se débat, cavale dans de sinistres couloirs artistiquement maculée de sang, digne héritière de quarante années de meurtres sexys.

Me restent à découvrir Ti piace Hitchcock ? tourné pour la télévision et Il cartaio (2004) qui ne devraient pas modifier de beaucoup l'idée d'une décennie inégale mais passionnante d'un cinéaste qui force le respect par sa fidélité à des formes définies au début des années 70. Aristocrate hautain qui préfère lacérer ses toiles plutôt que de céder à l'eau tiède, tournant envers et contre tout, refusant le silence forcé d'un John Carpenter, Argento n'a certainement pas dit son dernier mot.

Sélection DVD Argento

Photographies : Copyright Medusa Films (captures DVD) et Horreur.net

08:40 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : dario argento |  Facebook |  Imprimer | |

25/08/2010

Dario Argento années 2000 - Partie 1

La roche Tarpéienne est proche du Capitole. Voici une formule qui s'applique bien au cinéaste d'origine romaine Dario Argento. Argento ! Combien ce nom fut dans les années 70 synonyme de la peur la plus pure. Combien nous ont hantés, avec un h comme Halimi, ses lames d'acier luisant, ses éclats de verre sanglants, ses mouvements de caméra sinueux, ses rouges profonds, ses bleus vifs, ses grands espaces mortels et les deux yeux qui surgissent des ténèbres devant la fenêtre de Suspiria (1976). Continuateur de Mario Bava, Argento repousse les limites du travail sur les couleurs, le mouvement, les échelles de plan, la musique, et mène le giallo dans des territoires cinématographiques inédits. Pays de toutes les peurs, de tous les déchaînements sauvages, de toute poésie macabre. Dario Argento, comme à la même époque Lucio Fulci, John Carpenter, Georges Romero ou Brian DePalma impose un cinéma très personnel, tourmenté, obsédé, au sein du cinéma de genre et ouvre de nouvelles voies qui seront empruntées avec plus ou moins de fidélité dans les décennies qui suivent.

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De cette époque, Argento a des fans acharnés qui mettent ses films au-dessus de tout, mais déjà de violents détracteurs. Je me souviens de la sortie de Tenebrae en 1983 et du long article dithyrambique paru dans la revue Starfix sous la plume de Christophe Gans, à mette en parallèle avec la réflexion lapidaire de Première : « Avec les 20 francs (et oui) de la place achetez vous plutôt l'affiche ». Phénoména, en 1984 est le film de la rupture. Le cinéma italien n'est plus que l'ombre de lui même. Argento file un mauvais coton et le film est un échec commercial doublé d'un échec critique. Et cette fois, la ligne de fracture ne se fait plus entre pro et anti mais au sein des admirateurs du maître. Argento ne s'en est jamais vraiment relevé. Ses projets suivants auront eu du mal à se monter et à se montrer. En France, certains films sont directement sortis en DVD comme La terza madre (2007). Je me souviens qu'un ami, admirateur fidèle de la première heure, m'avait entraîné jusqu'à Turin pour découvrir La sindrome di Stendhal (Le syndrome de Stendhal – 1996). C'est ce film que je trouve remarquable qui m'a amené à m'intéresser plus à fond au réalisateur. Quand j'étais plus jeune, il me faisait trop peur. Le contre-coup des errements des années 80/90 a été si rude que tout ce qu'il a fait depuis a été jugé avec une très grande sévérité. Le texte de Pascal Laugier dans le hors-série de Mad Movies consacré au cinéma de genre transalpin est typique de cette attitude d'amoureux déçu. Du coup, j'ai l'impression que l'on est passé à côté de belles choses. Il faut dire que Dario Argento n'a rien facilité, son cinéma restant terriblement obsessionnel, comme renfermé sur lui-même, ses formes et sa gloire d'antan. Les trois des films des années 2000 que j'ai pu découvrir, Non ho sonno (Le sang des innocents – 2001), La terza madre, et le petit dernier, Giallo, tourné en 2009 avec Adrian Brody et Emmanuelle Seigner, sont loin d'être indignes de sa filmographie même si le second est révélateur de la position difficilement tenable du maestro.

Autant commencer par le plus délicat. La terza madre, nul n'est censé l'ignorer, se veut le troisième volet de la trilogie des mères comprenant Suspiria et Inferno (1980). Chacun des films est centré sur un lieu maléfique, une demeure au sein d'une grande ville (Fribourg, New-York puis Rome) abritant une sorcière redoutable. Après Mater Suspiriarum et Mater Tenebrarum, c'est donc la mère des larmes, la terrible Mater Lachrimarum dont les méfaits sont mis en scène. Asia Argento prend la suite du personnage de Jessica Harper dans Suspiria et, bien malgré elle, perce le secret de la sorcière tandis que les cadavres s'empilent autour d'elle. A cause de ce lien très fort avec les films de la grande époque, La terza madre pouvait apparaître comme le film de la rédemption, le film du retour en force, le film qui pouvait encore réveiller l'attente des admirateurs, le film qui devait bénéficier de l'orgueil du maestro, forcément motivé par l'envie de clôturer en beauté sa trilogie. C'était sans doute mal connaître le bonhomme. Non, Argento n'est pas revenu aux délires baroques des années 70. Non, il n'a rien cédé à la nostalgie des façades bleues et rouges. Non, il n'a pas réussi son film. Mais, oui, c'est toujours complètement du Argento. C'est tellement du Argento que La terza madre synthétise les qualités et les défauts de tous les autres films passés et sans doute à venir. Cette fois comme amplifiés, malheureusement plus du côté des défauts.

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Le premier, qu'il partage avec nombre de ses collègues du cinéma de genre, c'est le manque de direction d'acteur. Attaché à la mise en scène pure, Argento a toujours privilégié les mouvements d'appareils, les prouesses techniques (les très gros plans de Profondo rosso, l'utilisation de la Louma sur Tenebrae), l'ambiance soignée de façon maniaque, le montage à venir et le jeu avec le spectateur, l'idée cinématographique de la scène. L'acteur là-dedans n'est qu'un paramètre, souvent une silhouette qui doit prendre sa place entre scénographie complexe et effets spéciaux, tout comme les dialogues très souvent platement informatifs. Ce qui compte pour l'acteur c'est de savoir regarder (généralement un meurtre terrible) et éventuellement de bien crier. Dans ce système, la distribution des rôles est essentielle. Il faut des acteurs solides capables d'apporter par eux mêmes un supplément d'âme nécessaire pour que, quand même, il y ait un minimum d'empathie. Cela fonctionne avec Daria Nicolodi, Jessica Harper, Tony Franciosa, Karl Malden, Asia Argento, Giuliano Gemma, Max von Sydow ou David Hemmings. Du solide, pas des stars qui ne sauraient assez se fondre dans la mise en scène. Mais si l'acteur est mauvais, c'est la catastrophe parce que Dario Argento ne pourra pas l'aider. Dans La terza madre on trouve quelques prestations terribles. La jeune mannequin israélienne Moran Atias qui joue la fameuse mère censément diabolique a une poitrine sublime qui défie les lois de la gravité mais joue comme une endive. Elle n'est pas la seule. Le jeune premier est fadissime et les disciples de la mater semblent recrutés au sortir d'une boîte de nuit new wave si cela existe encore. Ainsi tout ce qui devrait glacer le sang dans les veines amuse ou désole, au choix. Cet aspect est renforcé dans ce film par la mise en scène même d'Argento. Particulièrement peu inspiré par certaines scènes qui semblent pourtant essentielles, il filme les catacombes où se déroulent les messes noires comme dans un mauvais peplum des années 60, photographie laide, décors et costumes fauchés sans une idée pour les sublimer. Cet aspect miteux étalé dans l'indifférence se retrouve dans les scènes censées illustrer les déchaînements de violence qui embrasent Rome. Trois figurants, deux flammèches, un peu de verre brisé, cette l'apocalypse est sûrement ce qu'Argento a filmé de plus mauvais dans toute sa carrière. A croire qu'il a refilé le boulot à un second assistant ou au fantôme de Bruno Mattei. L'impression de gâchis est douloureuse.

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Pourtant, tout n'est pas perdu. Au je-m'en-foutisme de ces éléments répond dans le même temps le talent buté, rageur même dans les explosions de violence, d'un cinéaste qui jette sur l'écran comme une poignée de perles, des éclairs du cinéma qui l'a toujours intéressé. La terza madre est un « best of » Argento avec sa façon de filmer de vastes espaces clos en somptueux cinémascope (la série de portes du musée romain d'antiquités), sa faculté à faire naître la peur d'abord par la caméra qui semble prendre vie, sa mise en scène des mises à mort avec sa fascination pour le tranchant et l'expression d'un visuel sadique mêlant érotisme et souffrance. L'assassinat de Valeria Cavalli et de sa compagne est un beau morceau de bravoure éprouvant qui rappelle le meurtre des deux lesbiennes de Tenebrae. On retrouve bien entendu l'obsession du meurtre que l'on est obligé de voir en étant impuissant et reste originale la vision qu'Argento a de sa fille Asia, ici d'une sobriété identique à celle de l'héroïne de La sindrome di Stendhal. Et puis, sa façon de se rattacher à toute une culture, européenne et italienne. Un certain goût de la beauté. Argento s'attache à filmer les palais anciens, les bibliothèques, les beaux livres, les statues, les peintures, tandis qu'Asia jette symboliquement son portable par la fenêtre d'une voiture d'un geste méprisant. Une attitude que l'on peut qualifier de passéiste mais qui se rattache à toute une tradition du cinéma italien, de Visconti à Fellini, de Bolognini à Leone en passant par les Bava, Fulci et Martino, le plaisir de filmer des œuvres et des objets avec une histoire, objets rares loin des produits de série. Manière de signifier à quel monde on appartient. C'est là, si l'on est prêt à l'indulgence sur le reste, que se trouve le plus touchant de ce film sacrément malade.

(à suivre)

Photographies La terza madre source Cineblog

24/08/2010

Quatre films de Mauro Bolognini

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Sélection DVD

23/08/2010

De retour

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Phorographie : source Poetreated

20/08/2010

Les joies du bain : mélancolie

La grande Catherine dans la vaste baignoire noire de Pola X (1999) vue par Leos Carax. La grande bourgeoise dans son univers froid comme une tombe egyptienne. Le bain laiteux rappellera celui de Jeanne Moreau chez Losey.

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Photographie DR

13/08/2010

Les joies du bain : circulaire

Une autre forme d'exotisme, Sally Forrest dans Son of Sinbad (Le Fils de Sinbad) film d'aventures orientales réalisé par Ted Tetzlaff en 1955.

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Photographie : source L'érotisme au cinéma de LoDuca et Maurice Bessy (collection personnelle)