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15/02/2013

Clermont 2013 - Partie 2 : plaisirs nationaux

Passé les récriminations, il y avait quand même des choses intéressantes à se mettre sous l’œil dans la compétition nationale. J'annonce d'emblée que j'ai loupé le programme avec le grand prix 2013, Avant que de tout perdre de Xavier Legrand. Pas de bol.

Après le coup d'éclat de Ce qu'il restera de nous (Grand prix 2012), Vincent Macaigne était de retour devant la caméra avec deux films. Les lézards de Vincent Mariette le propose en duo avec un autre réalisateur-acteur, Benoît Forgeard. Le premier a donné rendez vous dans un hammam à une possible conquête draguée sur Internet et se fait accompagner par le second. Le couple fonctionne très bien dans le registre des trentenaires séducteurs. Mariette joue sur les oppositions physiques entre Forgeard finement musclé, chevelu pas trop poilu, et Macaigne, plus enrobé, torse velu et calvitie avancée. Les deux hommes attendent, croisent une belle odalisque nimbée des brumes du hammam, et devisent sur des dialogues sur mesure. Le film ne dépasse pas son anecdote mais le fait bien, soignant l’atmosphère moite et sensuelle de ce lieu incongru à l'aide d'un joli noir et blanc signé Julien Poupard.

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Kingston avenue signé Armel Hostiou est plus ambitieux et plus long (43 minutes). Co-écrit par Vincent Macaigne, le film lui donne le rôle de Vincent ( enveloppé et calvitie avancée bis) venu suivre à New-York son grand amour qui ne veut plus de lui. Elle est joué par la belle Kate Moran, inoubliable dans Je vous hais petites filles (2008) de Yan Gonzalez. Kingston avenue raconte les tentatives vaines et pathétiques de Vincent pour récupérer Barbara, il pleuvait sur New-York ce jour là. A la dérive, Vincent rencontre par hasard Sofie qui va le soutenir tous en pensant que, peut être... un scénario de comédie romantique que Hostiou et Macaigne traitent avec une dose de cruauté envers le french-lover, soignant l'écriture des personnages, sans toutefois atteindre la force de Ce qu'il restera de nous ni la beauté rigoureuse de Un monde sans femmes (2011) de Guillaume Brac (merveille sur laquelle je reviendrais). Film après film, rôle après rôle, Macaigne développe ce type (calvitie, bedon) avec beaucoup de talent et une belle humanité. S'il fait encore cela dans sept ans, on pourra soupirer à la redite mais pour le moment, c'est bien.

Ce n'est pas un film de cow-boys, premier film de Benjamin Parent, est une comédie habilement construite dans les toilettes d'un collège autour de deux filles et de deux garçons discutant parallèlement du film Brokeback Mountain (2005) de Ang Lee. Le film expose avec finesse une gamme de sentiments vis à vis de l'homosexualité : la crainte, la curiosité, la pression du regard des autres, l'acceptation. Le père de l'une des fille est homosexuel et l'un des garçon est une grande gueule craignant de montrer sa sensibilité mais visiblement bouleversé par les émotion que le film a fait naître en lui. Derrière les dialogues jouant avec humour sur le « parler jeune », mais que l'on sent écrits avec précision, gestes et regards sont mis en valeur par la mise en scène et une photographie limpide, rythmés par le montage alterné des deux discussions. Les quatre jeunes interprètes sont impeccables. Le film est une jolie mécanique qui utilise la citation cinéphile de manière originale.

Le film le plus curieux que j'ai pu voir est une autoproduction réalisée par Thibaut Piotrowski, Feux, qui assure également la photographie et le montage. Curieux film plein de maladresses, mais curieux film attachant (sans la moindre condescendance de ma part). Feux nous fait découvrir l'étrange communauté de trois enfants vivants seuls dans une grande maison à la campagne. L'aîné, inspiré par des documentaires façon François de Closet, fabrique une fusée dont le premier essai embarque le lapin nain du cadet. Le lapin est perdu dans l'espace. Pour le récupérer, le garçon construit une machine à remonter le temps où prend place sa petite sœur. Le film tranche sur ce que l'on voit d'habitude par la création d'un univers d'enfance qui sonne juste parce qu'il est pris au premier degré. Fascination pour les voyages extraordinaires, croyance naïve en la science, esprit d'aventure, réalisation d'une vie coupée de toute contrainte (on ne verra pas le poil d'un adulte à l'exception du chasseur). Quiconque a construit une cabane dans les bois ou rêvé d'être astronaute à dix ans sera sensible à ce film s'il se souvient de ce que cela représentait. Bien sûr, le film aurait pu être un peu plus court (la partie autour du sauvetage des animaux ne me semble pas très réussie) et l'image malgré un joli noir et blanc a un côté un peu trop amateur. Mais la structure est solide, les enfants sont très bons et le film dégage une spontanéité, une absence d'arrière pensée, très agréables.

Quelques titres encore, sur lesquels je n'ai pas envie de m'étendre mais qui valent le coup d'oeil si vous tombez dessus : Tennis Elbow de Vital Philippot, le poème rock Nous ne serons plus jamais seuls de Yann Gonzalez, Rodri de Franco Lolli avec son personnage à la Bartleby.

Côté animation, Edmond était un âne de Franck Dion, primé à Annecy en 2012, est un très joli conte sur un petit employé que ses collègues affublent d'un bonnet d'âne et révèlent sans le vouloir sa véritable nature. Il y a chez Edmond aussi quelque chose de Bartleby. Le graphisme est très fin, l'animation très fluide, même si j'ai toujours un peu de mal avec le pur numérique qui a tendance à lisser les mouvements comme les surfaces. Mais cette histoire, drôle et cruelle avec une fin ouverte pas très loin du Brazil (1985) de Terry Gilliam est prenante (Le site du film)

Plus franchement dans mes goûts, Tram de Michaela Pavlátová (Grand prix à Annecy en 2012) est tout à fait réjouissant. L’animation est sobre mais joue avec talent sur les cadres et le graphisme (les fenêtres du tram qui s'allument au départ) et se met au service d'un délire érotique assez torride. Agrippant ses manettes phalliques, la conductrice à l'opulente poitrine se laisse aller à ses fantasmes, passagers masculins devenant phallus oscillants, composteur – vagin recevant les cartes roses sur de virulents « dring », Le dessin et le mouvement sont gagnés par la folie du désir, les couleurs de la passion, roses et rouges (La bouche, le soutient-gorge débordant la blouse de la fonctionnaire, les sexes autonomes) bousculent les bleus sombres et les gris de la machine et des passagers. Porté par la musique sarabande de Petr Marek, Tram est inventif et sensuel, drôle aussi, la meilleure des publicités pour les transports en communs.

J'ai gardé comme d'habitude le meilleur pour la fin, en l’occurrence le film de Fabien Gorgeart Le sens de l’orientation qui a reçu le prix spécial du jury. Le film propose un nouveau duo masculin, Martin et Eliott (Fabrizio Rongione vu chez les frères Dardenne et Thomas Suire vu chez Alain Guiraudie). Les deux hommes préparent un film et sont en repérage. Ils cherchent une église pour une scène clef. Pas n'importe quelle église, une belle. Cette situation structure le film façon road movie dans la campagne des Landes tout en étant maintenue en arrière plan (on ne saura pas grand chose du film préparé). Ce qui est au cœur du film, c'est le portrait chaleureux (on peu risquer hawksien) de la relation entre les deux hommes. Portrait d'une amitié, portrait des affres de Martin dont les hésitations de créateur s'effacent face à un désir de paternité contrarié. Portrait du coup des aspirations de deux jeunes adultes qui peinent à se détacher de la vie adolescente (virée, drague, jeux) mais qui sentent bien qu'il est plus que temps de passer à autre chose. La réussite du film c'est d'abord la finesse d'écriture et l'élégance d'une mise en scène maîtrisée qui sait laisser du temps et de l'espace autour de ses héros. Il y a de belles idées, parfois référencées, toujours bien intégrées dans la trame du récit comme le passage au bowling ou la découverte de l'église rêvée qui se conclut avec un duel pour de rire sur la très belle musique d'Ennio Morricone pour Per qualche dollari in più (Et pour quelques dollars de plus - 1965) de Leone, celle de la scène de l'église, justement. Il y a aussi de belles idées autour de l'utilisation de la musique classique qui utilise Mendelssohn, Fauré et Schumann. Martin et Eliott trouvent un point d'équilibre entre leur comportement parfois infantile et des aspirations (artistiques, sentimentales) plus élevées que Gorgeart nuance par petites touches, désamorçant d'une pointe d'humour le drame qui pointe son nez, sans se refuser des moments d'émotion franche. Ils sont touchants ces deux types, loin des créatures artificielles. L'invitation au voyage de Martin et Eliott ne se refuse pas. Fabien Gorgeart prépare un premier long métrage. Je l'attends de pied ferme.

(à suivre)

Photographie : Canal +

12/02/2012

Clermont-Ferrand 2012 - Partie 3

Je me suis retrouvé devant Ce qu'il restera de nous de Vincent Macaigne un peu comme devant le Drive de Nicolas Winding Refn : hasard de la programmation festivalière, ignorance complète de ce que j'allais voir comme de celui qui l'avait fait, enthousiasme complet. C'est certainement ce qu'il peut arriver de mieux dans une salle de cinéma. Vincent Macaigne signe ici son premier film, mais c'est loin d'être un débutant, au théâtre comme comédien depuis 2000 et comme metteur en scène depuis 2004, mais aussi au cinéma comme comédien pour Jean-Paul Civeyrac, Philippe Garrel ou Bertrand Bonello. Cette année à Clermont, on pouvait le voir jouer dans I'm your man (je suis ton mec) de Keren Ben Rafaël. Il est également à l’affiche en ce moment d'Un monde sans femme de Guillaume Brac.

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Ce qu'il restera de nous repose sur des bases on ne peut plus classiques, deux frères se retrouvant à l'occasion de la mort de leur père et se jetant leur quatre vérités à la figure. Le premier a refusé de faire quelque chose de sa vie selon les canons établis, restant un peu en marge, un peu excentrique, guidé seulement par sa sensibilité. Le second semble avoir réussi, belle voiture, femme et deux enfants dont un en route, il a mis en sommeil ses dons de musicien. Le deuil, le sens de la vie et toutes ces sortes de choses, excusez-moi je baille. Pourtant non. Absolument pas. Tout est question de style, de traitement et donc de cinéma. Et Ce qu'il restera de nous est du bel et bon cinéma, rompant radicalement avec la paresse et le manque d'ambition le tout venant du jeune cinéma de France et d'ailleurs, du genre caméra à l'épaule, cadrages approximatifs, indigestion de gros plans (sur la nuque, je n'en peux plus) et improvisation approximative truffée de "euh" et "ouais" pour faire vrai. Première évidence, le format. Macaigne adopte un format carré classique qui tranche sur l'ultra majoritaire 16/9e. La caméra est posée, ce qui ne l'empêche pas de donner de bien beaux travellings (en ville, sous les arcades). Le décor est cadré avec précision et goût. On pourra y voir l'influence du travail théâtral, mais j'y vois aussi l'application du principe fordien qui veut que ce soit aux acteurs de bouger devant la caméra et de vivre dans le cadre. Macaigne fait cela très bien, découpant le cadre avec les espaces, les portes et les cloisons,  jouant avec la profondeur de champ comme dans ce superbe plan ou le frère "bohème" entre dans le pavillon familial, ouvre la porte, traverse la cuisine, ressort par la terrasse où sont installés son frère et sa belle-sœur, file au fond du jardin pour enterrer les restes de sa voiture (sacrée R5).

Le film est ainsi composé de tableaux dans lesquels Macaigne prend le temps d'installer les mouvements et les relations entre ses personnages, les tensions que chaque situation révèle et porte à leur point maximum. Chacun de ces tableaux est un affrontement entre les deux frères et la belle-sœur, deux par deux, où chacun tour à tour déverse ce qu'il a sur le cœur depuis tant d'années. Et il y a gros. A chaque fois, l'intensité monte jusqu'au bord de l'explosion qui parfois survient (la scène de la cave), et parfois non. Le côté dispositif pourrait être redoutable, comme la façon de délivrer des textes longs et pas exactement murmurés, mais Ce qu'il restera de nous est vraiment pensé cinéma et la progression se fait par le montage, chaque changement de plan faisant évoluer la perception, la connaissance que l'on a de chacun des membres du trio. Importance du hors-champ également, comme dans la scène de la cave, encore, où la présence du frère "arrivé" est maintenue à l'extérieur jusqu'à  ce qu'il se jette sur son frère. Autre aspect remarquable, les dialogues qui semblent très écrits et pourtant dits à la perfection par les trois comédiens, Laure Calamy, Anthony Paliotti et Thibault Lacroix. Je ne sais pas comment ils ont travaillé mais on sent que rien n'est approximatif et, une nouvelle fois, la théâtralité potentielle est contournée par une direction très cinéma, attachée aux gestes, à la façon dont l'un écoute l'autre parler, à la justesse des attitudes, des silences et des temps morts. Surtout, la violence des diatribes successives (On échappe heureusement aux logorrhées pachydermiques à la Haneke) est atténuée par l'élégance d'un humour discret, un petit décalage pince-sans-rire qui révèle de la tendresse pour les personnages. Chacun d'eux est tout à tour impitoyable pour les autres mais Macaigne conserve un certain équilibre, donne la parole et ne juge pas. Il aime, je crois, les trois. Il a une façon originale de le faire passer par un petit quelque chose en trop, comme la voix un peu trop haut perchée de la femme quand elle agonit son époux, comme les expressions d'arrogance fragile du frère "marginal", comme les regards ahuris du frère "établi". Cela tempère la violence de ce qui est dit, la pathétique d'être que l'on pourrait mépriser. Macaigne reste à auteur d'homme. C'est un superbe numéro d'équilibrisme.

Un bémol toutefois, comme je l'avais signalé en introduction. La photographie, assurée par Vincent Macaigne lui-même souffre par moment du format mini DV. La scène du début dans le bar avec Thomas Blanchard, le plan de nuit dans la forêt, l'effet avec le volet roulant, auraient sans doute gagné a être tournés en 35mm. La lumière manque de définition, les effets de puissance. Ce sont heureusement quelques cas isolés dans un ensemble le plus souvent superbe, offrant de très belles compositions, comme celle de la R5 dans le fleuve ou le pavillon avec l'arbre aux feuilles rouges splendides.

Un extrait du film

Photographie source Télérama DR