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16/06/2008

Cannes 2008 : Voir Naple et mourir

Gomorra de Matteo Garrone est ce film italien adapté du livre de Roberto Saviano, jeune journaliste tout aussi italien. Le livre a fait un carton en son pays et son auteur est depuis lors sous étroite surveillance policière. La camorra, variante napolitaine de la maffia, n'a guère apprécié le portrait à charge qui a été fait de ses activités. Drogue, racket, meurtres à tous les étages, gestion des déchets peu compatible avec les normes européennes, corruption, concussion, collusion et pognon, pognon, pognon. Le film adapte l'ensemble avec fidélité et ne devrait pas contribuer à calmer les portraiturés.
 
A Cannes, il a été abordé par les commentateurs sous l'angle de l'opposition, détestable manie critique. Gomorra a été successivement été qualifié d'anti-Spielberg (pas d'aventurier au fouet dans la campagne napolitaine), d'anti-Scorcese (Pas de De Niro dans la zone napolitaine) et d'anti-Moretti ( Pas de pâtissier trotskyste dans la banlieue napolitaine). Je trouve plus intéressant de noter que le film puise sa structure dans les premiers films-enquête de Francesco Rosi comme Salvatore Giuliano (1961) ou Le mani sulla città (Main basse sur la ville - 1963) ; dans l'Accatone de Pier Paolo Pasolini et le dyptique Mery per sempre (1989) / Ragazzi fuori (1990) de Marco Risi pour la description d'un monde petites frappes adolescentes et la destruction de l'innocence ; et dans la tradition du polar à l'italienne, récemment illustré avec brio par Romanzo criminale de Michele Placido, pour le style, la caméra très mobile proche des personnages et le rythme haletant pour créer une tension parfois insoutenable. Il serait alors dommage de réduire Gomorra a sa dimension documentaire. A titre d'exemple, la scène qui conclut l'histoire du « caissier » est remarquablement pensée. La violence est d'abord entendue hors champ avant de faire irruption dans le cadre et au plus près du personnage. Le silence se fait après la panique et la caméra sort avec l'homme pour révéler le massacre en un moment qui rappelle de belles choses venues du western italien.

Il y a aussi un plan saisissant à un tiers du film. De jeunes adolescents jouent dans une piscine. La cadre s'élargit en un plan d'ensemble qui englobe toute la cité où se déroule une majeure partie du film. On découvre comme un immense vaisseau de béton, futuriste et hideux, un cauchemard d'architecte dément. La piscine y est réduite à une toute petite incrustation comme dans les space-opera hollywoodiens. Image terrible de ce que notre civilisation a pu produire de plus monstrueux pour abîmer les hommes.

Et les Cahiers du Cinéma qui trouvent que le cinéma italien ne va pas fort. Misère.