15/03/2014
Passer Lustig à la machine
Maniac – Un film de Franck Khalfoun - 2012
Texte pour Les Fiches du Cinéma
« Remake » est un mot anglais, mais ce n'est pas de sa faute. En matière de cinéma, il signifie refaire un film qui a déjà été fait. En français, on dira « nouvelle version ». Règle générale, un remake est un échec artistique parce qu'il est fait, règle tout aussi générale, pour de mauvaises raisons. En matière de cinéma, une mauvaise raison est une raison purement économique. En clair il s'agit de faire de l'argent en capitalisant, mot particulièrement adapté à notre époque de libéralisme décomplexé, sur le succès ou la réputation du film d'origine. C'est bas. Hypocritement, les promoteurs de remakes, riantes personnes qui gèrent des droits, ne mettront jamais cette raison en avant. Ils « modernisent », « mettent en couleurs », « améliorent numériquement », « rendent accessibles à un nouveau public », le tout dans le respect de l’œuvre originale. Et ma sœur, elle bat la culotte du zouave ? Respirons un coup et modérons ces propos virulents en disant que les nouvelles versions ont toujours existé depuis l'aube du cinéma et qu'il existe aux règles générales de belles exceptions liées le plus souvent à d'authentiques préoccupations artistiques. C'est à dire à un véritable ajout au matériau d'origine, soit qu'il s'agisse d'une lecture personnelle, soit que le film d'avant n'ait pas été aboutit. Cela arrive. Au hasard : The thing (1982) de John Carpenter.
Mais bon, en général, le remake, cela ne marche pas. Pourquoi ?
Ce qui précède est particulièrement vrai de la tendance lourde de ces vingt dernières années de refaire les films cultes du cinéma fantastique américain des années 70/80. La génération actuelle des producteurs, réalisateurs, scénaristes œuvrant dans le genre a été élevée avec une poignée de ces films violents, dérangeants, novateurs, qui ont marqué leur époque et repoussé les limites de la représentation à l'écran. Les Hooper, Carpenter, Romero, Craven, Lustig et quelques autres. Leurs œuvres sont caractérisées par des concepts forts, un style original, le tout lié aux contraintes économiques d'un cinéma alors en marge, en véritable marge. Ces films ont un regard acéré sur leur époque, l'écrin du cinéma d'exploitation servant à une critique radicale, politique, de leur temps. Leurs jeunes admirateurs ne retiennent de tout ceci que le concept, l'effet au sens « effet spécial » que l'on va « améliorer numériquement », grâce à des budgets confortables, une technologie qui lisse, bien au chaud dans le cadre du système de production actuel. Ça ne peut pas fonctionner.
Ce qui fait la réussite des films d'origine, ce sont justement leurs conditions de fabrication, les petits budgets, le bricolage qui oblige à être inventif, à être un réalisateur-commando tournant au fin fond du Texas avec de l'argent douteux, dans la banlieue de Pittsburgh où à l'arrachée dans le métro new-yorkais des années 70. C'est là que ces films puisent leur énergie, et dans le grain de la pellicule, les éclairages naturels, les acteurs bruts de décoffrage, les effets rudimentaires, la caméra à la main, le pas léché, le pas poli. C'est là que se forge le style. Ces réalisateurs filment d'abord leur quotidien, des lieux qu'ils ressentent au fond de leurs tripes. Leurs héritiers illégitimes ne font qu'en reconstituer la surface.
Prenons, j'y viens, le Maniac réalisé par Franck Khalfoun, encore un français traumatisé adolescent par la lecture de Mad Movies comme je le fus. Son film est écrit et produit par Alexandre Aja et Grégory Levasseur, deux autres de ces admirateurs européens qui ont déjà marché sur les traces de Wes Craven et Joe Dante. Maniac est assez fidèle à son modèle tourné par William Lustig en 1980. Franck Khalfoun a même le bon goût de ne pas chercher la surenchère gore ni le second degré et de se concentrer sur le drame de son personnage, Frank Zito, qui traque des femmes, les scalpe et les conserve dans son appartement. Mais son film est trop lisse. Symboliquement, il troque New-York pour un Los Angeles trop propre avec sa lumière trop sophistiquée dès le premier plan où une jeune femme est épiée et prise en chasse. On sent dans les rues le déploiement de l'équipe technique, l'emplacement des projecteurs. Là où William Lustig ressentait viscéralement le New-York anxiogène de 1980 frémissant d'insécurité et dans lequel Franck Zito rôdait comme un fauve perdu, Khalfoun propose la vision aseptisée d'un admirateur sur l'un de ses films de chevet. Le New-York de 1980 poissait le réel en adéquation avec la mise en scène nerveuse et l'esthétique authentiquement B de Lustig. Los Angeles en 2012 n'est qu'un décor pour des envolées mélodramatiques incongrues, et la mise en scène incapable de donner à ses scènes une intensité équivalente à celle (traumatisante) du métro dans le film d'origine. Elijah Wood cherche à se démarquer de son Hobbit et n'a ni la carrure (tant s'en faut), ni le visage cabossé de Joe Spinell. Il est plus pitoyable qu'émouvant et n'arrive pas à exprimer la part monstrueuse de Zito. Il n'a pas les épaules.
Alors voilà. Si vous ne connaissez pas l'original, vous passerez un bon moment, vite oublié. Mais si vous connaissez le film de Lustig, j'imagine que vous regretterez comme moi le temps où les scénaristes se creusaient la tête et où les réalisateurs faisaient preuve d'audace et d'imagination pour mettre des images sur nos cauchemars.
Photographie source Cannibal Kitchen
12:10 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : franck khalfoun, remake | Facebook | Imprimer | |