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10/02/2010

Clermont Ferrand 2010 partie 3

La sélection internationale est souvent d'un meilleur niveau global que la nationale. Cela tient sans doute au fait qu'il y a moins de films par pays donc une sélection plus serrée. Peut être aussi que la langue atténue certains défauts de jeu ou d'écriture. Joue aussi un effet de dépaysement excitant la curiosité, quand on peut ainsi pénétrer un intérieur russe, une famille israélienne, une placette cubaine, une ferme vietnamienne. Certains films ont une faculté à nous faire ressentir en quelques minutes une atmosphère très vivante, une façon de vivre étrangère et pourtant très familière. J'ai noté que ce sont souvent des films venus de pays qui n'ont pas encore été complètement ravagés par notre jolie civilisation occidentale et dont il subsiste encore quelque chose qui nous est de plus en plus lointain. Cela peut sembler dérisoire, mais dans Tulum, le film du croate Dalibor Matanic, on voit un groupe de jeunes gens partir pour un barbecue improvisé. Ils embarquent dans un vieux camion. Un couple et un adolescent montent comme ça à l'arrière. Dans une épicerie, ils achètent une caisse de bière, des cigarettes et de l'herbe. Plus tard, dans un parc au bord de l'eau, ils font leur feu. En voyant ce film, cela m'a frappé combien ces actes simples sont devenus si compliqués à faire en France à moins d'habiter dans un coin très reculé. Pensez-y quelques instants. Les barbecue sur la plage, dans ma région, c'est devenu mission : impossible.

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Au-delà de cet aspect bien trivial, Tulum est un film très sensuel et qui dégage pourtant une profonde mélancolie. La première partie ressemble un peu à du Kusturica. Les femmes sont belles, en robes légères, avec de longs cheveux en bataille. Elles embrassent à peine bouche des hommes virils qui ont des métiers style mécanicien ou chauffeur de poids lourds. Ou soldats. Matanic met en scène l'insouciance, la vitalité, la jeunesse, l'amour, l'été. Dès la première scène, pourtant, quelque chose cloche, quelque chose traité sur le mode de l'humour mais qui se transforme vite en malaise. Une vieille femme vêtue de noir entre dans la chambre où l'héroïne fait l'amour. Elle raconte une tentative de viol sur un mode cocasse. La bande d'amis traverse un paysage de ruines. Vukovar. Plus loin, le film bascule et l'atmosphère avec. Concis, inventif, maîtrisé avec une très belle photographie de Branko Linta, Tulum m'a permis de découvrir la très belle Leona Paraminski et me rend très curieux des prochains films de Dalibor Matanic. Je vous propose un entretien avec le réalisateur (en anglais), effectué à Cannes l'an passé :

Ce que j'ai écrit sur l'atmosphère est particulièrement sensible dans la première scène de Efecto domino du français Gabriel Gauchet. En quelques plans larges qui se resserrent, nous sommes au coeur de ce groupe d'hommes qui jouent aux dominos devant leurs maisons, par une soirée à la Havane. C'est vivant, on sent la fraîcheur qui repousse la chaleur de la journée. Les hommes crient, deux femmes papotent, une adolescente veut partir acheter des baskets rouges. Devant, un grand parc sombre, menaçant. Le film bascule dans l'angoisse quand disparaît l'adolescente. Gauchet a une façon originale de mélanger une intrigue à suspense à des notations documentaires (comme le fonctionnement de l'hôpital où les fonctions collectives de la femme), et quelques touches plus satiriques comme le personnage du policier et la voiture avec son alarme intempestive. Le suspense gagne rapidement en intensité et le film possède une violence sur la fin qui n'est pas sans rappeler celle d'un Scorcese, à peine atténuée par la pointe d'humour noir finale. A noter aussi la belle photographie nocturne et une rigoureuse unité de temps.

Les enfants dans les films, dans les courts métrages surtout, c'est assez difficile à manier. Ce que je supporte de moins en moins, ce sont les personnages d'enfants qui servent d'alibi à des obsessions d'adultes. Que ce soit sur un mode léger ou sur un mode tragique, je ne peux m'ôter de l'idée qu'il y a quelque chose de malsain à la façon dont on les manipule. Enfants rejetés, enfants cruels, enfants en proie à toute la misère du monde, enfants s'amusant du vocabulaire sexuel, mais fichez leur un peu la paix. Jolie exception avec le film néo-Zélandais de Mark Albiston et Louis Sutherland, The six dollar fifty man, qui attendrira ceux qui se souviennent de Steve Austin, l'homme bionique du feuilleton des années 70. Le petit héros du film, qui se déroule justement en 1970, fait une fixation sur ce personnage héroïque et cherche à agir comme lui. Son physique ingrat et son caractère buté n'empêchent pas qu'il provoque une certaine sympathie de la part d'une jolie camarade de classe, et du spectateur intrigué puis fasciné devant ce drôle de gosse. Albiston et Sutherland savent se tenir à une juste distance de l'enfant, des enfants du film, et les laissent plus s'exprimer par leurs gestes et leurs attitudes que par des dialogues signifiants. Nous sommes dans une évocation de l'enfance, un temps de l'enfance avec ses naïvetés, ses rêves et ses violences, plus que dans l'illustration d'une quelconque morale. Et puis le film sait être subtil que ce soit dans les effets comiques (l'attitude du proviseur) que dans l'expression de la nostalgie.

Je ne peux m'empêcher de rapprocher Dor de l'israélien Ofir Raul Graizer de ce long métrage Lebanon qui sort en ce moment (et que je n'ai pas encore vu). Dor est un soldat de Tsahal qui a exécuté un prisonnier palestinien de sang froid. Il est joué par Yoel Noy qui est très joli garçon, je le signale en passant pour mes lectrices favorites. Graizer met en scène son malaise à l'occasion d'une permission dans sa famille, sa difficulté à accepter son geste. Comme Samuel Maoz et Maoz Shmulik enferment leurs personnages dans un tank, Dor se retrouve enfermé dans sa solitude et sa culpabilité, au sein d'une famille d'apparence insouciante, d'un pays qui l'amène à tuer mais ne veut surtout pas qu'il en parle. Du coup, ça lui reste en travers de la gorge et sur le coeur. La mise en scène organise ce mur de silence, d'incompréhension, peut être à l'image des barrières que le pays bâtit autour de lui, finissant par perdre de vue ses propres perspectives, son propre avenir. Le film joue aussi habilement sur les distances. De la guerre à la ville moderne et paisible d'apparence, il n'y a qu'un train à prendre. On peut se rendre à la guerre comme on part au boulot le matin.

Dans cette même idée d'une jeune personne qui se sent étrangère dans son propre milieu, Ecologia de Julia Kozyreva, est plus en douceur mais résonne du même sentiment de déracinement. Natasha Zhukova joue avec sensibilité Masha, une jeune femme qui rentre en Russie après un long séjour aux USA. La scène de son arrivée est d'un humour un peu étrange, Mascha à la descente du train est prise pour une touriste et assaillie par toute sorte de vendeurs locaux. L'un des intérêts du film est de montrer la vie quotidienne dans une banlieue russe, ce qui est encore très russe quand les jeunes sont de plus en plus occidentalisés au sens formatés.  Mais le propos est subtilement nuancé parce que Mascha est toujours attachée à ce quotidien. C'est ce quotidien qui se détache d'elle. C'est sans doute ainsi qu'il faut prendre le titre, écologie au sens de milieu naturel et comment ce milieu naturel disparaît.

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On the run with Abdul de David Laté, James Newton et Kristian Hove est un documentaire tourné à calais sur un migrant afghan, un jeune garçon appelé Abdul. On pense bien sûr au Welcome de Philippe Lioret. L'intérêt de ce film, c'est surtout la perspective qui interroge l'action des réalisateurs. En filmant Abdul, ils perturbent sa tentative de passage en Angleterre et lui causent de sérieux problèmes. Ils décident alors de s'impliquer tout en continuant de filmer. Jitensha de Dean Yamada est un conte urbain très japonais (cadrages posés, attitudes des personnages, esthétique). Un homme se fait voler son vélo morceau par morceau puis reçoit la liste des endroits où il pourra récupérer les pièces. Son périple l'amènera évidemment à faire des rencontres qui le sortiront de sa solitude. Plaisant. Les bons garçons du belge Antoine Russabach pourrait faire écho à L'initiation de Boris Carré et François-Xavier Drouet. On y retrouve le portait impitoyable de jeunes étudiants d'une école de commerce, ici mis en scène dans une fiction assez sombre avec cet humour grinçant souvent associé au cinéma belge. Tiefensuch de Florian Fessl est un film autrichien à la très belle photographie de David Wagner. La plongée dans l'esprit d'un jeune homme marqué par le deuil sous forme d'un conte fantastique, la réalité d'une partie de pêche qui dérape dans l'onirique à partir d'une légende sur un couple de poissons amoureux. Un poil maniéré mais envoûtant. Notes on the other est un intriguant documentaire de Sergio Oksman autour d'un épisode réel de la vie d'Ernest Hemingway, mis en perspective avec un concours qui a lieu tous les ans à Key West, un concours de sosies du grand écrivain américain. Le film mêle habilement le désir d'être un autre, la soif de célébrité, la fascination pour l'Espagne et le goût de la photographie. Et puis, pour mémoire, Geboren en Getogen de Eelko Ferwerda est un film-gag de trois minutes hilarant sur l'obsession technologique et la croyance que l'on peut maîtriser sa vie comme une fiction bien ordonnée.

Avec cela, il ne vous reste plus qu'à guetter les programmes de courts à la télévision ou dans les festivals près de chez vous. Je vous signale aussi la sortie avec le dernier numéro de Repérages d'un superbe DVD avec une dizaine d'excellents courts dont Love you more de Sam Taylor-Wood dont je n'ai pas fini de vous rabattre les oreilles, Einspruch III de Rolando Colla et Naglinn de Benedikt Erlingsson.

Le site de Gabriel Gauchet

Photographies : Pametovanje et  Film Festival Rotterdam