19/09/2009
Des goûts et des couleurs
On en apprend tous les jours sur la seconde guerre mondiale. Ainsi la série documentaire Apocalypse de Isabelle Clarke et Daniel Costelle nous informe, via la voix de Mathieu Kassovitz, que l'armée française était en 1939 considérée comme la meilleure du monde et que, finalement, en 1940 elle s'est vaillament battue. Moi, je veux bien. Après tout, Henri Verneuil nous avait montré un courageux Belmondo à Dunkerque tandis que Robert Lamoureux nous révélait les nombreuses ressources de la 7e compagnie. Tellement de points de vue dont il faut faire synthèse ! De Gérard Oury à Steven Spielberg en passant par Melville, Berri, Ford, Resnais, Rossellini, Wajda, Tarkovski, Lanzmann, Fuller, Pontecorvo et son travelling... Ça donne le vertige. On vient même d'apprendre récemment que, contrairement à une idée reçue, Hilter aurait finalement été tué dans un cinéma parisien. Heureusement qu'il y a le documentaire et ses images d'archives, ses vrais morceaux de réel tournés à Berschtengaden, en Normandie, sous le blitz londonien ou aux portes de Dachau. Voir. Voire.
Dans le genre, Apocalypse est bien mené, rythmé, épique, tragique, clair et concis même si on pourra trouver tel ou tel oubli. Et puis, c'est vrai, malgré tout ce que l'on a pu voir, il y a encore des images étonnantes comme ces allemands qui, en 40, se payent notre tête en écoutant du Maurice Chevalier. Pour moi, je garde un souvenir très fort de la série Le monde en guerre de Jeremy Isaacs diffusé en France à la fin des années 70. L'épisode consacré à la Shoah m'avait alors plus marqué que Nuit et brouillard, le film de Resnais que l'on nous avait fait voir en classe. Les images étaient en noir et blanc. Vous voyez ou je veux en venir ? J'y viens.
Pourquoi, mais pourquoi bon sang, les réalisateurs d'Apocalypse ont-ils fait le choix de coloriser ce qui ne l'était pas ? Et pourquoi tout recadrer pour cause de compatibilité au 16/9 ? Et pourquoi cette bande son hollywoodienne aux effets sonores parfois incongrus ? Pourquoi ? J'ai beau retourner la question dans tous les sens, lire les entretiens avec les auteurs, les seules réponses qui émergent sont d'ordre commercial, goût du jour et considérations d'audience. Comment, avec la somme de travail, de recherche et de montage, l'effort de mise en perspective, comment finir par adopter un tel partit-pris artistique qui n'est qu'un mensonge ? Qui plombe l'ensemble de la série. Car la colorisation des images n'est qu'un mensonge aux couleurs délavées. Dès le début, on évoque Berlin avant les nazis par un extrait de Der Blaue Engel (L'ange bleu – 1930), le film de Joseph Von Sternberg. Colorisé. Der Blaue Engel n'est pas un film en couleur. C'est un film en noir et blanc photographié par Günther Rittau et Hans Schneeberger en noir et blanc, mis en scène par Von Sternberg en noir et blanc avec Marlène Dietrich en noir et blanc. En 1930, le cinéma était en noir et blanc, c'est un fait. Montrer Der Blaue Engel en couleurs, qui plus est dans un contexte historique, c'est un mensonge, je n'ai pas d'autre mot.
Ailleurs, ce n'est pas un mensonge mais une interprétation. Quand on voit une femme avec une robe bleue, comment sait-on que la robe était bleue ? On ne le sait pas. Peut être que la robe était rose ou verte. Peut être que cette femme n'aimait pas le bleu. Peut être que cette femme portait une robe d'une certaine couleur qui avait pour elle un sens particulier, comme ma mère que ma grand mère avait habillée en bleu-blanc-rouge pour se rendre à une convocation de la Gestapo. On ne peut pas tout savoir. La question qui se pose, c'est de savoir si l'interprétation a sa place dans un travail historique, qui plus est quand il a des visées éducatives de masse. Cela me laisse un sentiment de gâchis. D'autant que des images en couleurs, il y en a eu. On nous dit que les jeunes cette étrange tribu ne regardent pas le noir et blanc. C'est faux. Steven Spielberg, et oui Steven Spielberg, lui, a fait The Schindler list en 1994 en noir et blanc et le film a été vu par tout le monde, jeune ou pas jeune. C'est même un des très rares films que l'on peut voir en noir et blanc en première partie de soirée sur de grandes chaînes nationales. Et quand Spielberg utilise une tache de couleur, elle a un sens (j'y reviendrais) même si elle déchaîne les critiques. Et il est ironique de noter que Mathieu Kassovitz, qui assure le commentaire, est aussi l'auteur de La haine (1995), film de jeune s'il en est, tourné en noir et blanc.
A cette ripolinisation s'ajoute le choix à la très curieuse justification éthique de ne pas coloriser certains documents relatifs à la Shoah. Les images les plus dures sont laissées en noir et blanc. On a ainsi des plans très émouvants de petits enfants juifs dans le ghetto de Varsovie en 1940. Recadrés 16/9 quand même. On crée ainsi une hiérarchie artificielle dans la souffrance des victimes. On aura ainsi colorisé une fillette victime d'un bombardement. Officiellement, on nous dit qu'il s'agit de ne pas donner des billes aux négationnistes. Admettons, mais alors, si l'on reprend l'argument des jeunes allergiques au noir et blanc, est-ce que l'on ne craint pas qu'ils ne profitent de ces moments pour zapper, aller aux toilettes ou tout simplement fermer les yeux aux moments les plus sombres de la tragédie ? Misère !
Le temps ne fait rien à l'affaire comme chantait l'autre, et personne n'est allergique au noir et blanc à priori. On (ce on mystérieux qui régit nos destins) a fait le choix pour nous et on (toujours lui) façonne notre goût par pur calcul comme pour le 16/9 qui est la norme d'aujourd'hui en attendant le relief, le fluo ou je ne sais quoi. Quand je montre des films en noir et blanc à ma fille de 3 ans et demi, elle ne se pose pas de question. Le film est comme ça, point. Willy Ronis, qui vient de disparaître, photographiait surtout en noir et blanc et ses images, que je sache, ont eu un beau succès. Cela semble tellement évident que je ne peux comprendre que des gens du talent de Clarke et Costelle puissent faire de tels choix qui vont conditionner, en partie, la vision de toute une génération. Misère !
Juste pour le goût du détail, John Ford a bien été blessé à la bataille de Midway alors qu'il filmait l'attaque japonaise, mais ce n'est pas comme cela qu'il a perdu son oeil et sa blessure, au bras (8 cm), n'était pas très grave. C'est dans son rapport médical cité par McBride dans son excellent bouquin sur le réalisateur. Sinon l'idée du parallèle entre Ford et Foujita dessinant sur le porte avion japonais est très belle et les images de Ford, en couleur d'origine, sont superbes.
Un excellent article de Samuel Gontier sur Télérama, très détaillé sur le même thème.
Photographie source Wikipedia
10:10 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : télévision, isabelle clarke, daniel costelle, colorisation, polémique | Facebook | Imprimer | |