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21/12/2005

Le roi

Je vais garder tout mon calme. Je vais aborder ce film sans à-priori. Si je me décide à aller le voir, ce sera l'esprit ouvert et le corps décontracté. Je pense donc attendre un peu mais il y a quelques réflexions que je préfère faire avant. Pour exorciser, on dira. D'une façon assez générale, je n'ai rien contre les nouvelles versions, les « remakes »; Ford, Hawks, Hitchcock en ont fait avec des résultats parfois estimables. Always de Steven Spielberg est un remake tout en étant l'un des films les plus intimes de son auteur. Rien de choquant à ce qu'un réalisateur donne sa vision d'une histoire déjà portée à l'écran, par un autre. Là où je tique, c'est quand la mise en chantier d'une nouvelle version répond à des besoins purement économiques ou traduit un manque d'imagination, une trouille d'actionnaire devant l'invention et l'imagination, la recherche ou le risque artistique. C'est l'attitude hollywoodienne moderne de base, enfoncée dans une impasse faite de remakes, suites et adaptations minables de séries télévisées. Cela conduit par exemple à l'édulcoration récente de classiques du cinéma indépendant fantastique (Massacre à la tronçonneuse, Zombie, Assaut...).

Là où je tique aussi, et ou peut me saisir un bref moment d'énervement, c'est quand la mise en chantier d'une nouvelle version se fait prétentieuse et entend « moderniser », « dépoussiérer », « donner un coup de jeune » à la version précédente. C'est en particulier l'argument le plus pénible des tenants du tout numérique. C'est en numérique, donc c'est mieux, forcément. Argument minable d'esprits bornés qui confondent comme le chantait Brel « l'érotisme et la gymnastique ». Symbolique est le tripatouillage des trois premiers Star Wars au nom de la Nouvelle Perfection Numérique. On réactive les mythes d'hier ou d'avant-hier en pensant retrouver leur éventuelle magie via ce que j'appelle le syndrome de monsieur plus. Plus de figurants (digitaux), plus de vaisseaux spatiaux, des gouffres plus profonds, des châteaux plus hauts, des monstres plus gigantesques. Assez ! Assez d'armées d'ici jusque là bas. Assez de fleuves de cafards. Assez de héros en varappe sur le dos d'éléphants de dix mètres. Et assez d'avenues new-yorkaises des années trente avec des voitures comme si on y était.

Ce sont ces quelques plans dans les bandes annonces du King-Kong de Peter Jackson qui me font craindre le pire. Là où Ernest B.Schoedsack et Merian C.Cooper ne montrent de New York qu'un coin de rue et un café, Jackson y va de son avenue interminable et bondée. Là ou il y avait un tyrannosaure, on en retrouve trois. Là ou l'histoire était racontée en un peu plus d'une heure trente, il en faut le double à l'australien. Comment imaginer qu'il tiendra le rythme ? Bon, j'ai dit que je ne m'énervais pas. Jackson dit qu'il adorait l'original. Moi aussi, et alors ? Il paraît qu'il respecte l'histoire, très bien, alors, comme pour le Psychose de Gus Van Sandt, à quoi ça sert ? L'original étant un classique parfait, à quoi bon le refaire quasiment à l'identique. Jeux de couleurs (voir chez Sandrine) pour Van Sandt, effets numériques « époustouflants » pour Jackson. Tout cela ne me convainc pas. Je préfère, et de loin, l'attitude d'un Tarantino qui brode sur les oeuvres qu'il admire ses propres histoires. Ou encore l'hommage de Spielberg à King Kong et à Hatari dans Le Monde Perdu pour rester dans le registre grosses bêtes et bien que le film ne soit pas terrible.

Il y a en ce moment un très beau film à voir. Une grande oeuvre épique sans presque aucun effet spécial numérique. Un film ou chaque figurant, chaque cheval pèse son poids de chair et d'os. Où chaque pierre de chaque château est une pierre véritable. Ce film pourtant ne se refuse ni les grands combats, ni les grands sentiments. Ce film est aussi un hommage à un grand classique du cinéma, mais c'est aussi une oeuvre à part entière et un délice de mise en scène. Ce film, c'est Seven Swords de Tsui Hark. Respect.