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01/05/2011

Carnets niçois

Voici deux films qu'il m'est un peu délicat d'aborder parce que j'en suis, à différents niveaux, partie prenante. Pour le premier, Aux Ponchettes (carnet niçois), signé Éric Quéméré en 2009, son scénario avait été présenté vers 2002 à un concours organisé par l'association Regard Indépendant que je préside. Il avait gagné et nous lui avions donné un coup de main, l'été suivant, quand il était venu le tourner à Nice. Les choses de la vie n'étant pas toujours un long fleuve tranquille, le film n'avait jamais été monté. Je l'avais presque oublié et puis, j'ai reçu, en janvier 2010, un DVD. Le film avait trouvé sa forme et nous l'avons depuis montré.

Le second, Carnet de Nice, signé Gérard Courant en 2010, a été réalisé du 19 au 22 novembre au cours de la 12e édition des Rencontres cinéma et vidéo à Nice que nous organisons. Nous y avions invité le réalisateur des fameux Cinématons sur une idée du Dr Orlof (dont le marathon sur cette œuvre gigantesque se poursuit). Le film consacré à Nissa la bella fait partie de la série des carnets filmés et il a été monté dans la foulée. J'ai pu le découvrir dès février.

Les deux films partagent la forme libre du carnet filmé, un certain rythme du regard de celui qui découvre ou retrouve après de longues années une ville étrangère. Un regard qui se pose au gré de la fantaisie, du hasard ou de micro-évènements, qui cherche à préserver la pureté d'un instant tout en donnant une structure à l'ensemble. Ce qui est intéressant, amusant et touchant aussi, c'est le côté neuf de ce regard quand on connait bien, trop bien, l'endroit exploré. Nice, il faut l'avoir vécue. Les deux films commencent de la même façon par une arrivée en train sur le bord de mer. L'œil caméra est collé à la vitre et suit les élégantes courbes du littoral trop fortement urbanisé. Je dirais même défiguré. Mais le visiteur se laisse aller à la fascination de l'étendue méditerranéenne, à l'horizon sur la mer bleue. Ce paysage que j'ai tous les jours sous les yeux quand j'emprunte le même train qui me mène au boulot depuis plus de vingt ans et que je ne vois plus. Enfin presque, il y a toujours des matins superbes qui accrochent l'œil. Mais, et c'est pire, je n'en vois que les défauts. Si je devais tourner une telle scène, je crois que je privilégierais l'arrivée par l'autoroute, l'aberration routière de la région, la cicatrice de la voie rapide, visions qui rivalisent de hideur avec les pires coins du périphérique parisien. Mais Éric Quéméré et Gérard Courant ont les yeux rivés sur le rivage rêvé, sur cette mer que j'évite parfois pendant des semaines.

Je retrouve aussi dans ces deux films l'intérêt pour les parties niçoises les plus anciennes : la vieille ville, le port, la promenade des anglais. Ils recréent sans le vouloir un centre à une ville qui n'en a pas (ou alors plusieurs), lui redonnant une certaine harmonie. Ville fantasmée par des millions de gens, Nice projette l'image d'une ville de cinéma qui n'existe pas. Chez Quéméré, on convoque les fantômes de La baie des anges (1963) de Jacques Demy, de l'inévitable Jean Vigo et de François Truffaut quand il se rend comme en pèlerinage aux studios ex-Victorine, si loin désormais du lieu de tournage de La nuit américaine(1973). Chez Courant, on emprunte la voie de la fantaisie jusqu'à effacer la ville, jusqu'aux abstractions des jeux de lumière sur l'eau et les roches, à la frontière des éléments, jusqu'à retrouver et isoler une beauté désormais réduite à de petites fractions du littoral.

gérard courant,Éric quéméré

Eric Quéméré : le visage entrevu.

Les deux réalisateurs se rejoignent aussi sur leur rapport au temps qui est pour beaucoup dans l'intérêt de leurs films. Aux Ponchettes (carnet niçois) a bénéficié de la longue durée entre son tournage et son montage final. Il met en scène un personnage venu rechercher les traces des lieux de tournage du film de Demy. Explorant la ville pour dénicher l'hôtel Mimosa où descend le personnage joué par Jeanne Moreau, il enregistre le portrait de la ville en 2003. Or Nice a beaucoup changé en 10 ans et le film devient le témoin involontaire d'un état déjà révolu. Quand il filme par exemple le chantier de rénovation du Palais de la Méditerranée qui n'est alors plus qu'une façade dressée comme un décor, il enregistre sans le savoir la trace d'un état révolu puisque les travaux sont terminés et le palais ouvert depuis longtemps en 2011. Aux Ponchettes est un film sur le retour, sur la recherche du passé (celui familial du narrateur, celui historique de la ville, celui du cinéma) qui devient lui-même trace du passé proche avant de se transformer par le biais d'une fiction (le narrateur tombe amoureux d'un fleuriste et abandonne l'hôtel Mimosa) en ouverture sur l'avenir.

Le film de Gérard Courant, fidèle en cela aux dispositifs du réalisateur, joue sur l'immédiateté. Il enregistre, surtout dans la première partie, des fractions de temps, des moments destinés à devenir des archives. Ce sont les témoins subjectifs du séjour du réalisateur. Une promenade nocturne en temps réel (accélérée, ce qui lui donne, avec le son, un côté jeu vidéo). Le repas avec l'équipe des Rencontres. La présentation de la programmation par Vincent Roussel et votre serviteur, contre champ à sa propre personne (en noir et blanc, ce qui me rend presque regardable). Des fragments de tournage des Cinématons réalisés à l'occasion (5!), ce qui ne sera pas dans le film lui-même, l'instant d'après, quand le réalisateur nous dit que c'est fini. Et presque tout le monde a la même réaction : déjà ?. Ces moments liés aux Rencontres sont pour nous précieux car ils constituent la partie que l'on ne voit pas. Le regard de nos invités, les moments off comme quand on saisi un acteur entre deux prises. Et puis Courant lie ce carnet à l'ensemble de son œuvre via un procédé que l'on retrouve souvent dans ses films : l'utilisation de Cinématons déjà réalisés, juxtaposés (ou ici superposé) à de nouvelles images d'une personne. C'est le cas pour Vincent dans ce film. Carnet de Nices'inscrit ainsi dans la grande geste autobiographique du réalisateur.

gérard courant,Éric quéméré

Gérard Courant a saisi l'essence de Regard Indépendant

Si Éric Quéméré joue de la fiction, Gérard Courant se laisse aller aux joies de l'expérimentation, fasciné par les motifs des nuages sur la mer et par les jeux de lumière sur les vagues. Bénéficiant d'un jour à l'autre d'un ciel couvert puis d'un soleil d'automne superbe, il s'offre deux séquences contemplatives tendant à l'abstraction, surtout la seconde, rythmées par le son toujours recommencé de l'eau battant le rivage et les rochers. Esquisses à la manière d'un peintre qui croque sur le vif, désir de conserver la trace d'un état d'esprit méditatif, si l'on accepte de se laisser porter, ce sont de longs passages qui incitent soi-même à la rêverie.

Films intimes, Aux Ponchettes et Carnet de Nice ont une circulation qui ne l'est pas moins. Mais à ceux qui seraient curieux de voir, je puis les mettre en contact avec les réalisateurs.

Photographies : captures DVD

Carnet de Nice sur le site de Gérard Courant