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13/09/2015

Où que tu sois, où que tu ailles (Partie 3)

Face à Emma, Vienna est femme dans toutes ses dimensions. Une héroïne avec un grand « H ». Elle change dix fois de costume, offrant à chaque fois une facette de sa personnalité : la tenue noire moulante et masculine de la scène d'ouverture, l'élégante robe de chambre de la si belle scène nocturne avec Johnny, la tenue de femme d'affaire bourgeoise quand elle se rend en ville, la somptueuse robe blanche avec laquelle elle défie les tueurs, les tenues cow-boy avec ces chemises jaune citron ou rouge vif. Gloire au travail de la costumière attachée à Joan Crawford, Sheila O'Brien. Vienna est un caractère mais à y bien réfléchir, elle reste un fantasme masculin. Elle est la prostituée au grand cœur, la fille de mauvaise vie dont la souffrance est sublimée par ses qualités humaines sous un fin masque de dureté. Elle est la femme à poigne mais généreuse, mais surtout une femme amoureuse qui au fond n'aspire qu'à l'amour de son Johnny « Où que tu sois, où que tu ailles ». Un amour total, un amour fou. « J'aurais rampé pour être près de toi » avoue-elle.

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Vienna, c'est Joan Crawford et réciproquement. C'est l'actrice qui achète les droits du roman de Roy Chanslor et s'implique dans le projet dès le début, malgré toutes les réserves qu'elle fera sur le film. En 1954, Crawford a presque la cinquantaine. Elle a débuté au temps du muet et été la star de la prestigieuse MGM sous la direction de Tod Browning, Clarence Brown, Frank Borzage ou George Cukor. Dans les années cinquante, elle maintient son étoile, mais trouve face à elle une nouvelle génération, les Ava Gardner, Jane Russel, Marilyn Monroe, Grace Kelly ou Elizabeth Taylor. Elle doit sentir d'instinct que Vienna est un rôle rare pour une femme de son âge. Un rôle à ne pas laisser passer. Elle ne se doute peut être pas à quel point. Vienna dépasse son statut d’archétype par ce qui est à Joan Crawford en propre, cette beauté de la maturité, ce caractère trempé par plus de trente années au sommet de Hollywood, cette sensualité doublée du regard de celle qui a vécu et sait le prix des choses, de la vie et de l'amour. Ce mélange de force et de fragilité est travaillée par Nicholas Ray qui entretient à l'époque une liaison avec l’actrice et nourrit le personnage de cette expérience. Sa sensibilité naturelle fait le reste. Vienna marque du coup un nouveau type d'héroïne flamboyante qui en inspirera bien d'autres. Jill, incarnée par Claudia Cardinale pour Sergio Leone dans C'éra una volta il West (Il était une fois dans l'Ouest – 1968) lui doit beaucoup.

Même s'il donne son nom au film, Johnny « Guitar » Logan reste dans l'ombre de son ancienne maîtresse et Sterling Hayden dans celle de la star Joan Crawford. Il serait dommage de limiter notre héros à son apparence. Hayden incarne lui aussi un archétype et un autre fantasme masculin. Grand, fort, dévoué, loyal, rapide au six-coups, décontracté à la guitare, il a le verbe rare mais la répartie qui fait mouche. Au-delà, Ray et son acteur lui donnent de belles nuances. S'il accourt à l'appel de Vienna, Johnny n'en est pas moins à la base un beau salaud doublé d'un imbécile, du moins côté cœur. Intéressant renversement de situation, c'est lui désormais qui fait payer ses services à l'ancienne fille de saloon devenue propriétaire. Il accepte de devenir sa chose comme elle l'avait été pour lui. Mais Johnny a souffert et il a appris. C'est la queue basse et la guitare en bandoulière qu'il revient. Et finement, Ray ne va pas l'accabler. Toute la dimension romantique du personnage éclate lors de la fameuse scène nocturne entre les deux ex, elle et lui en toute beauté. Vienna l'empêche de s'apitoyer sur lui-même en lui renvoyant violemment sa propre souffrance. Ce faisant elle l'oblige à de dévoiler et à ouvrir son cœur. Grande âme, elle ne lui fera pas payer son abandon. C'est une très belle scène d'amour entre adultes capables d'intelligence, capables de surmonter leurs rancœurs pour saisir une nouvelle chance. Quelques minutes en état de grâce qui arrivent assez tôt dans le film et éliminent la fausse piste d'une « comédie du remariage » pour revenir à l'action, au mouvement du western pur. Le couple de nouveau réuni, comment va-t-il affronter les périls en tant que couple ? C'est la question centrale de tout ce qui va suivre.

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Johnny doit tout au jeu retenu de Sterling Hayden. A son charisme fou, ses épaules rassurante, sa belle voix basse et ses gestes félins. Hayden contraste avec les jeux plus colorés, voire expressionnistes de ses partenaire et les mets en valeur. Du coup il se retrouve, à la manière de John Wayne qui faisait cela très bien, en pivot, en catalyseur des actions et des sentiments des autres. Et si Joan Crawford est la star de nombreux films de prestige pour les plus grands studios, Sterling Hayden, malgré son rôle magnifique pour John Huston dans The asphalt jungle (Quand la ville dort - 1950), reste un acteur type de série B, films de pirates, westerns, films noirs, aventures en tout genre qu'il enchaîne jusqu'à sa rencontre avec Stanley Kubrick. Ses problèmes avec le maccarthysme (il avait été espion en Yougoslavie avec les partisans de Tito pour l'OSS, les services secrets américains, et proche des communistes) n'ont sans doute pas arrangé les choses, tout en donnant du sel à ses confrontations avec Ward Bond. Le duo Hayden - Crawford, à l'image du film, c'est l'alliance de la sophistication hollywoodienne et de l'efficacité de la série B.

Si Johnny Guitar doit une large part de son succès et de sa postérité au duel atypique et flamboyant entre les deux femmes, il serait dommage de passer à côté du parcours plus discret de son héros masculin vers la rédemption par l'amour, et à ce portrait de couple qui fait renaître après tant d'années une passion aussi pure. C'est l'ultime image, l'étreinte dans la rivière après le passage sous l'eau purificatrice de la cascade.

Je n'ai jamais été un inconditionnel du cinéma de Nicholas Ray. Il y a bien sûr They live by night (Les amants de la nuit - 1949) et In a lonely place (Le violent – 1950), Les indomptables (The Lusty Men (Les indomptables - 1952) et le superbe Party Girl (Traquenard – 1958). Il y a de belles choses dans son western chinois à grand spectacle, mais sa fureur de vivre ne m'a guère touchée, trop marquée par son époque. La carrière de Ray m'apparaît inégale mais avec Johnny Guitar, il orchestre avec brio une conjonction hétéroclite de talents et forge aux quatre éléments, la tempête, l'incendie, la cascade, la montagne, un miracle de film, un joyau intemporel aux multiples facettes colorées, émouvant et excitant, drôle et tragique, dont chaque vision renforce l'admiration.

Photographies DR

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