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20/02/2013
Clermont 2013 - Partie 3 : Du côté d'ailleurs
La sélection internationale regroupait 79 films dont j'ai pu voir les deux tiers. Mis à part quelques pellicules plus faibles (le grotesque Perfect drug de Toon Aerts), c'était globalement de bonne tenue. Il y a dans toutes ces œuvres un effet de dépaysement assez fort, j'ai ainsi découvert dans Kong peh tshat (Comment j'ai appris à mentir) film thaïwanais de Shang-Sing Guo à quoi ressemblait une plantation d'ananas. Mais surtout nombre de ces films arrivent à allier une image de leur pays avec une réflexion sur leur situation actuelle ou leur histoire qui dépassent les récits plus anecdotiques ou purement imaginaires des films français. Je me garderais d'en tirer des conclusions définitives car c'est peut être une question de sélection dans le cadre de ce festival, un désir de découvrir comment vivent les autres ailleurs. De ce point de vue les différentes immersions proposées par ce riche ensemble est une incontestable réussite. J'aurais ainsi en cinq jours partagé des moments de la vie de pirates des côtes de Somalie, d'un oculiste à la retraite iranien, les déboires d'un étudiant de Calcutta lors d'une grève des taxis, les affres d'un Kurde clandestin à Bruxelles, la crise en Irlande, les manifestations à Hong-Kong, le difficile examen pour obtenir la citoyenneté britannique, le mariage temporaire au Liban. Et j'en passe sans oublier les ananas. Jusqu'au vertige.
Stolz des osten (Fierté de l'Est) de Christoph Wermke nous plonge dans la campagne de l'Allemagne de l'Est. C'est fou ce que ça ressemble à la France de mon enfance. Il y a un gamin et sa mère obligés de louer leur maison à une famille venue de l'Ouest. Toutes les crispations d'un pays qui n'a pas encore bien refermé la fracture passent par cette histoire simple. On sent l'arrivée de l'argent et la vie aseptisée à travers des oppositions élémentaires mais fortes, la Trabant et la BMW, le garçon laissé en liberté et le bébé un peu trop couvé. Il y a aussi ce que l'on a perdu. Une jolie petite scène voit la mère de famille demander des œufs de ferme à l'épicière du coin. « Il n'y en a pas, ils ne sont pas aux normes » lui jette la locale en lui refilant une boîte venue d'un élevage industriel.
Dans le genre fiction à chute, The Voorman problem de Mark Gill (Royaume Uni) restera dans les mémoires par la façon dont il fait disparaître la Belgique. Voorman est un homme qui prétend être Dieu. Au médecin venu l'examiner et qui lui en demande la preuve, hop ! Le plat pays n'est plus. Habile et amusant.
Tout aussi bref et efficace, mais dans un registre nettement plus dramatique, The curse (Le sort) du marocain Fyzal Boulifa met en scène le mécanisme d'exclusion sociale de la femme dès qu'elle cesse d'être une enfant. Dans un village en plein désert, Fantine est surprise avec son amant par un groupe d'enfants. Ils veulent la dénoncer. Indifférence, menaces, pleurs, rien n'y fait, pas même de céder à leur chantage. Traitée de putain par un gamin tête à claque, elle se retrouve obligée d'agir comme telle. La photographie de Taina Galis écrase de soleil la pauvre fille. Le drame de Fantine est aussi simplement décrit qu'implacable, comme ces malédictions du cinéma fantastique dont on ne peut se dépêtrer, ce château de Kafka que l'on n’atteint jamais.
C'est d'abord par sa construction que Calcutta taxi séduit tout d'abord. Vikram Dasgupta, indien vivant au Canada, déstructure son histoire comme un Quentin Tarantino. Une grève des taxis, des documents à remettra à tout prix, un étudiant qui doit traverser la ville, un oubli malencontreux... Dasgupta joue du flash-back et du changement de point de vue dans la même scène en virtuose. Les mésaventures croisées de trois personnages sont l'occasion d'un portrait en coupe de la ville immense, grouillante, violente (leurs grèves n'ont rien à voir avec les nôtres), chaleureuse et pauvre, entre archaïsmes, modernité et traditions. En 20 minutes, le réalisateur donne beaucoup à voir sur un rythme trépidant et arrive à faire vivre plusieurs personnages en évitant le côté fabriqué. Le coup de théâtre du second tiers qui explique le geste du taxi par un retour sur son mariage est une idée brillante qui apporte à l'ensemble une touche d'humanité bienvenue. Le travail de la caméra en met plein la vue (le réalisateur vient de la publicité), très mobile mais précis, avec la réserve d'une esthétique qui tire un peu trop sur celle de Danny Boyle pour Slumdog Millionaire(2008) et l'utilisation d'effets venus du cinéma d'action américain actuel. Ceci dit, la maîtrise qu'il en possède est bluffante.
Mêmes réserves pour Fishing without nets (La pêche sans filets) de l'américain Cutter Hodierne, tourné au Kenya autour des pirates agissant sur la côte de Somalie. La mise en scène lorgne du côté de Black Hawk down (La chute du faucon noir - 2001) de Ridley Scott, rien que ça ! Montage rapide, image brûlée, plans courts, caméra mobilissime. Je ne suis pas complètement convaincu par cette forme qui vous force le regard. Mais c'est efficace et le réalisateur arrive à ménager quelques moments un peu plus posés. Là encore, Hodierne vient du clip, notamment de travaux pour la récente tournée de U2. L'originalité de son film vient d'aborder le piratage du point de vue des pirates à travers un personnage de jeune pêcheur amené à les guider parce que c'est ça ou crever de faim. J'ai retrouvé un peu cette idée présente dans le très beau La pirogue (2012) de Moussa Touré. Le film joue sur la tension d'une action imminente que l'on ne verra pas et se focalise sur le dilemme moral de son héros. L'interprétation africaine est remarquable et homogène, le regard du réalisateur s'abstenant de juger. Remarquable.
Nettement plus sobre, mais tout aussi fort, Sessiz / Be Deng (Silencieux) de L. Rezan Yesilbas, venu de Turquie, a remporté la palme d'or du court-métrage 2012 à Cannes. Il aborde la répression des kurdes à travers l'interdiction d'utilisation de la langue. Situé en 1984, le film suit Zeynep dont le mari est emprisonné comme beaucoup d'hommes. Lors des visites dans un grand parloir en commun, les gardiens rappellent la consigne : « Parlez turc ». Du coup personne ne parle et les couples communiquent du regard et, discrètement, des mains. Zeynep fera preuve d'ingéniosité pour faire passer une paire de chaussures neuves à son époux. Sensible, sensuel à sa manière, plein de retenue et faisant passer pas mal de choses (La place des femmes, les enjeux de la lutte kurde) sans quasiment aucun dialogue (et pour cause), c'est un très beau film.
D'une répression à l'autre, 6th march du chinois Chun Wong se passe à Hong Kong, le 6 mars 2011 à l'issue d'une manifestation pour la démocratie. Le film allie réflexion politique, notations sociales et portrait sensible dans une forme cinématographique forte. Dans une vaste salle de police, les jeunes manifestants arrêtés sont interrogés par la police toute la nuit par groupes de trois (trois manifestants face à trois policiers). Chun Wong s'attache à l'un des groupes pour une table ronde littérale où chacun expose ses positions, ses incompatibilités (sociales, générationnelles, politiques) avec virulence mais sans violence. Wong répartit la parole avec une certaine équité, un brin d'humour et un système de champs-contrechamps croisés qui donne une belle dynamique à l'ensemble. Comme chez Jean Renoir, il apparaît rapidement que chacun a ses raisons. Le découpage est rigoureux et les dialogues au petit poil joués avec sincérité. L'ensemble pourrait devenir ennuyeux s'il se limitait à sa dialectique, mais le réalisateur fait passer dans les images un non-dit qui prend une autre dimension quand se révèle les rapports entre l'un des policiers et l'un des manifestant. Ce coup de théâtre donne un second souffle au film et le place sur un plan plus riche d'un simple pamphlet politique où l'étude sociale (riche par ailleurs). Le film s'attache alors plus aux hommes qu'à leurs idées, aux contradictions entre les uns et les autres, rappelant le fameux Tous à la manif, un très beau court métrage de Laurent Cantet qui était présenté dans le programme des trente ans de l'Agence du Court-Métrage.
(à suivre)
Photographies : Criticize this ! et Mouviz
Le site de Vikram Dasgupta
le site de Rezan Yesilbas
15:46 Publié dans Cinéma, Festival | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : court métrage, clermont ferrand, christoph wermke, mark gill, vikram dasgupta, cutter hodiernel. rezan yesilbas, chun wong, fyzal boulifa | Facebook | Imprimer | |
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