« A l'abordage ! | Page d'accueil | La prêtresse du fouet »
31/03/2012
Deux westerns de Gordon Douglas
Comme mon éminent collègue, le bon Dr Orlof, je me régale avec le catalogue de l'éditeur Artus Films. Ils viennent d'avoir la bonne idée de sortir un curieux western signé Gordon Douglas en 1951, Only the valiant (Fort invincible) avec un toujours étrange Gregory peck avec sa voix feutrée et son air un peu absent. Gordon Douglas, honoré début 2010 à la Cinémathèque de Paris, est un excellent metteur en scène d'action qui a touché un peu à tout, des fourmis géantes de Them ! (Des monstres attaquent la ville – 1954) à Franck Sinatra en détective, de Laurel et Hardy à Jerry Lewis, des aventures africaines d'Angie Dickinson à celles de James Coburn en super agent Flint. Il a trouvé un terrain de prédilection dans le western avec près de vingt titres sur vingt ans de The Doolins of Oklahoma (1949) à l'étrange Barquero (1970). Comme ses confrères Bud Boetticher, André de Toth ou Samuel Fuller, il aura apporté un ton neuf dans les années 50, plus sec, plus âpre, un goût de l'épure, une approche plus directe de la violence comme en témoigne le premier plan de Only the valiant sur un soldat cloué par une lance indienne sur la porte d'un fort dévasté. Ses westerns sont très divers, séries B et gros budgets, inégaux, de l'expérience 3 D de Charge at Feather river (La charge de la rivière rouge – 1953) à l'improbable remake de Stagecoach (hérésie de 1966), de la trilogie Clint Walker à l'original Rio Conchos(1964).
Only the valiant, inspiré par un récit du toujours intéressant Charles Marquis Warren, met en scène un officier raide et courageux, Gregory Peck donc, qui a bien des problèmes : une guerre indienne en cours, un poste avancé (le fort Invincible du titre français) gardant une étroite passe dans la montagne détruit, un supérieur malade qui se repose un peu trop sur lui, la détestation d'une partie de ses troupes, et une rivalité amoureuse (un peu feinte) avec un collègue dans le cœur de la belle Cathy Eversham (Barbara Payton dans un rôle plutôt potiche). Accusé d'avoir envoyé le sus-dit collègue à une mort horrible (maudit peaux-rouges), notre héros embarque dans une mission suicide (tenir le fameux fort Invincible) tous ceux qui le détestent. Belle collection de trognes originales, un sergent alcoolique, un cavalier arabe (si), une jeune recrue couarde, un psychopathe, un déserteur, la crème de la crème. Jolie galerie de solides seconds rôles, le fordien Ward Bond, l'inquiétant Lon Chaney Jr, Neville Brand dans l'un de ses premiers rôles et Jeff Corey, le Chaney du True Grit de la version Hathaway. Huis clos tendu, la menace est à l'intérieur comme à l'extérieur, Only the valiant déroule un programme attendu traité avec originalité par une atmosphère quasi fantastique et la peinture d'une violence compulsive. Photographié par Lionel Lindon qui a touché un peu à tout lui aussi, le film joue sur les ambiances nocturnes et les ombres profondes de la passe d'où peut sortir la balle ou la flèche fatale. L'effet angoissant est renforcé par l'artificialité du décor, abstraction de chicanes, hautes roches droites sans sommet. A ces sombres décors de studio s'opposent les espaces inondés de lumière de ce qu'il y a avant (le fort principal) et de ce qu'il y a après (Le territoire indien). Extérieurs naturels, âpres comme souvent chez Douglas, son film sent la poussière, le roc chauffé au soleil, la sueur des hommes. Les indiens, c'est bien triste mais c'est comme cela souvent dans les films de série de l'époque, sont des brutes sadiques sans nuances. Mais ils sont aussi, au-delà de la caricature, la matérialisation d'une menace symbolique, puissance de mort quasi surnaturelle comme ce personnage de cavalier arabe, joué par un spécialiste du Loup-Garou et filmé de façon très expressionniste. Sur cette atmosphère irréelle se greffe une violence traitée avec un réalisme brutal qui est aussi celui des personnages. La dureté des décors est celle de leur environnement, le sable, la chaleur, la crasse, exacerbent les pulsions. La violence comme mode de vie s'y exerce au-delà de tout risque personnel, de toute considération y compris de sa propre survie. Lors d'une scène incroyable, deux soldats, ex-nordiste et ex-sudiste, se détestent tellement que capturés par les indiens et promis à un sort plus terrible que la mort, il préfèrent encore se jeter à la gorge l'un de l'autre pour une bagarre de sauvages sous l'œil mi-amusé, mi-incrédule, de leurs geôliers. Lors du finale où les hommes tombent l'un après l'autre, Douglas fait intervenir une mitrailleuse, arme inédite dans le western de l'époque pour une fusillade orgiaque comme on n'en retrouvera que quinze ans plus tard chez les italiens. Le réalisateur reprendra le principe du film, ambiance et tension, en 1967 pour Chuka sans cette fois le happy-end artificiel et un traitement plus nuancé des indiens. Only the valiant reste malgré cela une œuvre relativement originale, très agréable et dont la redécouverte s'imposait.
Fort Dobbs (Sur la piste des comanches – 1958) est le premier films d'une série de trois que Gordon Douglas réalise avec l'acteur Clint Walker. Suivent Yellowstone Kelly (Le géant du grand nord - 1959) et Gold of the Seven Saints (Le trésor des sept collines - 1961) écrit par la scénariste de Rio Bravo, Leigh Brackett. Clint Walker est un grand bonhomme, 1 mètre 98, une stature imposante, une carrure quoi ! Ce qui frappe dans ce film, dès qu'il apparaît à l'écran, c'est comment il annonce Clint Eastwood chez Sergio Leone. Même économie de gestes et de paroles, mêmes qualités de tireur, même détermination (il vient ici pour se venger). Et puis surtout, il porte une veste à motifs indiens comme on en verra sur le poncho de l'homme sans nom. Walker, comme Eastwood, devint célèbre à la télévision avec un feuilleton western, Cheyenne, sans toutefois développer par la suite la brillante carrière de l'autre Clint. Dans Fort Dobbs, il joue Gar Davis qui, sa vengeance accomplie, fuit le shérif local à travers une contrée indienne agitée. Il endosse la défroque d'un cadavre rencontré par hasard puis débarque dans une ferme habitée par une femme et son fils. Manque de bol, c'est la famille du cadavre et le fils, malgré ses dix ans, a la gâchette facile. Rapidement, la femme vient à penser qu'il a tué son époux quand elle reconnait la veste (Gordon Douglas joue habilement sur les va et vient vestimentaires de son héros). Davis va néanmoins faire son possible pour les aider et les escorter jusqu'au fort Dobbs du titre où cela finira par une belle empoignade avec les indiens. L'amateur reconnaîtra quelques emprunts au Hondo (1953) de John Farrow (la menace indienne, la femme, l'enfant, le mari partit, l'étranger dévoué), mais Fort Dobbs est bien mené, bénéficiant de la superbe photographie du grand William Clothier qui n'a pas son pareil pour filmer les grands espaces de l'ouest, d'une musique de circonstance du non moins grand Max Steiner et de la présence aux côtés de Clint Walker de la belle Virginia Mayo, égérie entre autres de Raoul Walsh, de Brian Keith en excellent méchant et du petit Richard Eyer pas trop pénible dans le genre. Douglas est de nouveau très à l'aise avec les paysages désolés et enchaine des péripéties classiques avec conviction et rythme. Il sait toujours faire monter l'angoisse du hors champ, de la limite du champ comme dans la très belle scène où Davis évacue la femme et l'enfant de leur ferme cernée par les indiens. Il a un sens de l'espace assiégé tout à fait remarquable. On retrouve également sa représentation de la violence assez sèche (L'ellipse du premier meurtre, le duel entre Walker et Keith) mais impresionnante avec la fusillade finale où les civils repoussent les indiens à la winchester avec une puissance de destruction équivalente à celle de la mitrailleuse de Only the valiant. Une violence ici tempérée par l'étude attentive des relations entre Davis, la femme et son fils, rapports de méfiance, d'admiration, d'amour et de haine successifs. Il y a là beaucoup de délicatesse de la part d'un cinéaste d'ordinaire assez porté sur l'aventure et l'action pure, qui laisse s'exprimer la dignité de Mayo (quelle classe cette femme !) et la pudeur de Walker, là encore effet de contraste intéressant avec l'allure générale du bonhomme. Quelque chose qui approche certaines compositions de John Wayne.
L'hommage à la Cinémathèque
Photographie : Wikipedia et 50 westerns from the 50s
Only the valiant chez le bon Dr Orlof
La page de l'éditeur Artus Films (avec la bande annonce)
23:31 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : gordon douglas | Facebook | Imprimer | |
Commentaires
Bonjour Vincent et Bonjour Docteur, comment allez-vous?
Voilà un belle article sur Gordon Douglas, merci. Les éditions Artus ont enfin publié un western, c'est un beau début, il faut que cela continue!
"Only the Valiant" n'était qu'un très loin souvenir d'enfance et miracle le voici enfin.
Il me fait pensée au dernier roman et article de Jack London devenu réactionnaire du jour au lendemain, "Le Mexique puni" une aude à l'armée US rétablissant l'ordre et la morale.
Le scénarise Charles Marquis Warren était un réactionnaire virulent, il avait réalisé un western si vous vous souvenez "Le sorcier du Rio Grande" avec Heston et Palance, voilà encore un filme qui serait bon d'éditer par chez nous, "allez les éditions Artus!"
Écrit par : claude kilbert | 01/04/2012
Merci pour le lien, camarade :)
J'ai effectivement bien aimé le film de Gordon Douglas même si je ne suis pas capable de développer autant que toi. Il faudra que je découvre le deuxième titre que tu cites (existe-t-il en DVD?).
J'aime bien la manière dont le cinéaste utilise son décor (assez pauvre) et joue des lieux. Les relations entre Gregory Peck et ses soudards sont aussi plutôt bien vues. Ce fut une découverte intéressante.
Écrit par : dr orlof | 04/04/2012
Bonsoir Claude, C'est effectivement une idée courageuse des éditions Artus, d'autant que le film est dans le domaine public. J'ignorais la virulence de Charles Marquis Warren, je sais qu'il a beaucoup fait pour le western B. "Le sorcier du Rio Grande", c'est un lointain souvenir d'enfance aussi. Ce qui est amusant avec l'arrière-plan idéologique, c'est qu'un gars comme Douglas a beaucoup évolué dans es années 60 et est passé du massacre de sauvages sanguinaires à un franc discours anti-raciste (Dans "Rio Conchos" par exemple). Question d'époque ou d'opportunisme, sincérité ? je ne sais pas.
Doc, "Fort Dobbs" existe en DVD zone 1, plusieurs autres de ses films sont sortis en France. C'est un metteur en scène qui vaut le coup, la "trilogie Walker" a excellente réputation. De mon côté, je n'ai pas insisté dessus, mais je ne suis pas fan de Gregory Peck que je trouve un peu lisse, sauf dans "La ville abandonnée" de Wellman (véritable chef-d’œuvre,lui).
Écrit par : Vincent | 04/04/2012
On m’avait passé trois films de Gordon Douglas (une rat’s packerie et deux westerms) dont je reportais le visionnage depuis un moment. Grâce à vos articles (le vôtre еt celui du docteur Orloff) j’ai donc vu successivement Barquero, Robin & the 7 Hoods et Chuka. Ce dernier m’a étonné par son anachronisme (un film de 1967 qui aurait pu être sorti, mettons, en 1954, n’était l’amoncellement de cadavres). Difficile de croire que seules trois années le séparent de Barquero. Je me souviendrai de ces films comme de très bon moments et la conclusion du docteur pour only the valliant s’applique tout aussi bien à celui-là.
Bonne continuation !
Écrit par : Florian | 09/04/2012
Écrire un commentaire