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05/06/2011
Cannes 2011 : voitures
Driiiiive ! Chantaient les Clash sur le Brand new Cadillac de Vince Taylor.
Il n'y a eu guère plus d'une demi-douzaine de grands polars noirs, américains, ces 20 dernières années. Réservoir dogs (1992) de Quentin Tarantino, Carlito's Way (L'impasse – 1993) de Brian de Palma, The usuals suspects (1995) de Brian Singer, The yards (2000) de James Gray, No country for old men (2007) des frères Coen. J'y ajoute désormais volontiers le Drive de Nicolas Winding Refn. L'un des avantages de Cannes, c'est de pouvoir découvrir un film avec un regard complètement vierge. Je n'avais rien rien vu du réalisateur de Bronson (2009) et de Valhalla Rising (Le Guerrier silencieux – 2010). J'ignorais tout du film et je n'imaginais même pas un tel film puisse se retrouver en compétition officielle. Bien installé au premier rang, légèrement décalé, j'en ai pris plein les yeux, immergé. Je me suis souvenu d'une phrase de George Miller à l'époque de la sortie du second Mad Max (1982). Il y disait faire des films pour les spectateurs des trois premiers rangs. « Au cinéma que je propose, il faut attacher sa ceinture » ajoutait-il. Nicolas Winding Refn se rattache à Miller par sa façon de filmer la vitesse, le fétichisme de la voiture et des fringues (magnifique blouson blanc au scorpion or qui va porter les stigmates du destin du héros), les éclats de violence au sein d'une structure classique. Il partage aussi une conception du héros tout à fait héroïque. « We'll give them back their heroes » est une réplique du premier Mad Max.
Le « driver » est employé dans un garage et cascadeur pour le cinéma le jour, louant ses services de conducteur exceptionnel à des malfrats pour des hold-up la nuit. C'est un homme de nulle part incarné avec présence et intensité par Ryan Gosling qui renvoie autant à Mel Gibson qu'à Steve McQueen et jusqu'à James Stewart dans ses westerns pour Anthony Mann. Professionnel, impitoyable quand il le faut, il a le sens de l'amitié et sait défendre, à sa façon, la veuve et l'orphelin. Les nuances apportées par l'acteur et saisies par la caméra de Winding Refn, l'approche frontale, brutale, de la violence qu'il exerce et qui glace plus d'une fois, la dimension tragique associée au final permettent à l'ensemble de transcender les figures imposées du genre et de toucher à la figure mythique sans laquelle le film noir n'est que film de série.
Drive se rattache ainsi à une longue histoire où passent les souvenirs des films de William Friedkin (la musique de Cliff Martinez, compositeur de Steven Soderbergh, a un côté très années 80 et évoque celle de Wang Chung pour To live and die in LA en 1985), de ceux de Peter Yates, Bullitt (1968) mais aussi le magnifique et récemment découvert The friends of Eddie Coyle (1973) avec ses impressionnantes scènes de hold-up, de Sam Peckinpah, de Don Siegel avec Clint Eastwood, du Point Blank (1967) de John Boorman, de Michael Mann dont on parle beaucoup (trop). Bref, du grand noir contemporain, du « hard-boiled », de l'extase sur grand écran.
Ce qui est formidable avec Drive, c'est que cette longue tradition, ces multiples références sont assimilées et digérées sans être reprises sous forme de citations littérales. Des ingrédients de base, Winding Refn, cuistot bluffant, concocte un plat original à la saveur personnelle. Il développe au sein du genre un univers autonome, un style propre. Une marque. Il s'appuie sur une histoire balisée, tirée d'un roman de James Sallis adaptée par Hossein Amini, dans laquelle se mêlent organisation maffieuse, petits truands, trahisons, meurtres, vengeance et jeune femme en détresse. Comme moteur, on trouve une morale, une éthique, mais si, mais si, qui va pousser le héros à l'action. Lui dont on devine un passé difficile mais jamais explicité, lui qui se protège au maximum, lui qui économise ses gestes et ses paroles, se met en branle avec une obstination butée qui lui fait exploser les cadres d'un système reposant sur la corruption, la hiérarchie, l'obéissance et une bonne dose de bêtise. Et puis la peur et la mort. Le « driver » est le grain de sable dans la machine, le loup solitaire qui se dresse seul contre tous. Il a trouvé quelque chose qui lui donne envie de se battre. Il reconnaît son destin et l'embrasse résolument. Au sein d'un monde où la médiocrité détruit les rêves (celui de son voisin qui sort de prison et voudrait vivre avec sa famille, celui de son vieil ami garagiste), il se pose en homme libre. Et donc dangereux. Il y a aussi chez lui, et ce n'est certes pas pour me déplaire, quelque chose du Shane du film éponyme de George Stevens. Ce cavalier joué par Alan Ladd qui arrive de nulle part, prend fait et cause pour la petite famille de fermiers, est admiré de l'homme, séduit la femme et fascine l'enfant.
Une scène résume bien le style de Nicolas Winding Refn dans ce film. Si vous ne l'avez pas encore vu, sautez le paragraphe. Le « driver » entraîne Irene (Carey Mulligan, délicieuse), sa voisine qu'il protège, dans un ascenseur. Il y a là un homme et comme le héros a l'œil, il repère rapidement l'arme sous l'aisselle. La tension monte. Tout à coup et au ralenti, le « driver » repousse Irene dans un coin d'un large mouvement du bras. Mais alors que l'on s'attend à un geste d'action, il se penche pour embrasser la jeune femme. C'est leur premier baiser, interminable et très tendre. Et tout à coup, alors que l'on a presque oublié la présence du troisième homme, notre héros se retourne vers lui avec une violence terrible. Le contraste entre les deux actions est total. Le plaisir de cinéma, la dilatation du temps, la beauté des images, est total. En même temps, la scène est le portrait parfait du « driver ». Toute sa complexité entre son extrême tendresse et son extrême violence est révélée dans l'action. Comme le regard du metteur en scène répond à l'inquiétude du spectateur en épousant celui de la jeune femme, tout aussi choquée que nous pouvons l'être, regardant les portes de l'ascenseur désormais sanglant se refermer sur cet homme que l'on ne sait pas s'il faut le fuir ou l'aimer. C'est beau.
22:52 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : nicolas winding refn, cannes 2011 | Facebook |
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02/06/2011
Cannes 2011 : femmes
Dans un art toujours très dominé par les hommes, les personnages féminins restent les vecteurs privilégiés pour parler du monde comme il va. Surtout comme il va mal. Comme au bon vieux temps des cinémas de genre, la femme est d'abord victime idéale et face à la démission des hommes, ses combats désespérés n'en sont que plus beaux et j'en ai vu quelques uns qui sont purs sanglots.
« We need to talk about Kevin » ne cesse de répéter Éva à son mari trop débonnaire. Kevin est leur fils et ce n'est pas un cadeau. Bébé braillard, il donne lieu à un excellent gag lorsque la mère stoppe le landau près d'un marteau piqueur en action pour souffler un moment. En grandissant, cela ne s'arrange pas et Kevin prend une place de choix dans la série des sales gosses, entre les adolescents de Gus Van Sant et la petite Regan de William Friedkin. Lynne Ramsay, réalisatrice anglaise jusqu'ici plutôt portée vers un registre délicat (Le court Gasman en 1998, Ratcatcher en 1999 et Morven Callar en 2002) propose une mise en scène très travaillée, brillante par moments avec une construction éclatée dans le temps (sur près de vingt ans), une photographie sophistiquée signée Seamus McGarvey (qui a fait la photographie magnifique de Love you more (2008) de Sam Taylor-Wood) et des cadrages très pensés. Trop peut être. L'ensemble est surtout très voyant et m'a plutôt évoqué le travail de Dario Argento (utilisation de la couleur rouge, grands espaces modernes et froids qui créent l'angoisse, utilisation du format Scope) et de Brian De Palma (Les scènes choc, la gestion du hors champ). Je n'attendais pas forcément Ramsay de ce côté. Mais si le film intrigue et fait illusion au début, son côté systématique et le manque de finesse des effets ne tiennent pas la distance. Très rapidement, le spectateur prend de l'avance sur le film. Par exemple quand la petite sœur reçoit un cochon d'Inde pour Noël, on devine de suite que la pauvre bestiole va mal finir. Toute à ses effets, Lynne Ramsay accumule les trous de scénario, incohérences et invraisemblances. Le traitement des personnages n'arrange rien. Sans nuance, le père est l'Absence, la fillette l'Innocence, Kevin le Mal. Souligné, surligné, nous avons compris. La mère, portée par la prestation habitée de Tilda Swinton est plus intéressante même si ses réactions sont difficilement compréhensibles. Pour des parents issus d'une classe aisée, leur incapacité à réagir dès la petite enfance aux étrangetés de leur progéniture est dure à avaler. Le jeu de l'actrice tient trop de la performance pour laisser place à une véritable émotion. Cela se voit trop. Cela ne se voyait pas chez Ellen Burstyn dans The exorcist (1973).
Tout aussi stylisé mais nettement plus réussi, Miss Bala du réalisateur mexicain Gerardo Naranjo nous plonge via son héroïne dans la terrifiante atmosphère de guerre des gangs du côté de Tijuana (on parle de 20 000 morts en 5 ans). Stéphanie Sigman joue Laura, jeune fille pauvre qui rêve de devenir reine de beauté d'un concours télévisé. Pas de chance, elle se retrouve prise dans une fusillade et tape dans l'œil du truand Lino Valdez (Noe Hernandez) qui la manipule pour la faire travailler dans son gang. Ballotée de passage d'armes à la frontière avec les USA en dépôt de cadavre, de torture en fusillades, elle est réduite à une chose dont on use et abuse, plongée dans un monde de cauchemar, absurde et violent, sans logique et sans espoir. La mise en scène de Naranjo, très pensée elle aussi, rend parfaitement ce sentiment d'impuissance en épousant au plus près le point de vue de Laura. Ce partit pris tenu de bout en bout lui permet de donner une certaine originalité à des scènes assez classiques (embuscades, fusillades), jouant sur le son et le hors champs. Quelques belles idées donnent de l'intensité et à chaque scène de l'originalité. C'est ainsi que le décor est plongé dans l'obscurité, que les balles se déchaînent autour d'une Laura couchée au fond de sa voiture, que la révélation finale passe par des paires de chaussures vues de dessous le lit où elle s'est réfugiée. Naranjo utilise aussi les cadrages pour donner à lire partiellement une action qui déborde sur les côtés ou dessous le cadre. Le réalisateur entretient habilement l'ambiguïté sur son couple principal. Laura, victime, n'en subit pas moins la fascination de son bourreau, sentiment mêlé de résignation. Lino laisse, lui, poindre un embryon de sentiment pour la jeune fille qui humanise un peu la bête. Mais comme le général chargé de le traquer, il abuse de Laura dans la même position plutôt avilissante. Bien qu'un peu systématique dans ses effets, Miss Bala ne manque ni de souffle, ni d'intensité, sans sacrifier à la réflexion sur un pays ravagé par la violence, réflexion toujours intégrée dans l'action (les échanges avec les USA, la corruption, le fonctionnement des gangs) sans la parasiter. Laura prend valeur de symbole et le jeu de Stéphanie Sigman en vaut bien d'autres plus acclamés.
Bonnes nouvelles en provenance d'Iran, les cinéastes Mohammad Rasoulof et Jafar Panahi tournent toujours en dépit de leur condamnation à ne plus exercer leur métier. Certes les films ont été faits en semi-clandestinité, c'est à dire qu'ils n'ont pas eu l'autorisation mais qu'on les a laissé faire, mais ils existent. Rasoulof a même été autorisé à se rendre à l'étranger et l'on a cru un moment qu'il viendrait à Cannes recevoir son prix de la mise en scène.
Bé omid e didar (Au revoir) a été présenté dans la sélection Un certain regard et s'il ne faut pas oublier le contexte ni les conditions de sa réalisation, il convient d'en parler en en faisant abstraction autant que possible. Et d'aborder l'œuvre en tant que telle. Bé omid e didar est le portrait d'une jeune avocate jouée par la talentueuse et belle Leyla Zareh (quelle robe elle avait lors de la présentation du film !). Spécialisée dans les affaires liées aux droits de l'homme, elle est enceinte. Son époux a été exilé dans le sud ou il travaille comme ouvrier sur un chantier après avoir été journaliste pour une publication interdite. Elle se voit retirer ses affaires. On l'empêche de travailler. Isolée socialement et professionnellement, elle jette l'éponge et veut partir. Quitter l'Iran. Elle entreprend alors une course d'obstacle pour se procurer un passeport et un ticket pour ailleurs. « N'importe où » dit-elle sans illusion. Visuellement, ce nouveau film tranche avec Jazireh ahani (La vie sur l'eau – 2004), au foisonnement des personnages répond la solitude de l'avocate tandis que le film décline toute une gamme de couleurs sombres et froides, un aspect renforcé par l'utilisation de la vidéo, qui se justifie par son côté pratique, bien sûr, mais aussi dans la description d'un quotidien bouché. Les intérieurs sont nombreux, bureaux, chambres d'hôtel et appartements, étroits et se ressemblants tous. Murs bleutés ou gris, mobilier impersonnel, pas de fantaisie. Pas de personnalité ou alors par toutes petites touches comme le vernis à ongles qu'il faudra enlever ou la petite tortue d'eau que l'avocate nourrit avec attention et qui finit, elle, par se faire la malle. La caméra de Rasoulof cadre avec rigueur les pièces où l'on ne peut rien cacher et les toits où son héroïne va griller une cigarette. Les mouvements sont rares et discrets, Rassoulof préférant jouer du montage et de plans séquence qui traduisent l'absence d'intimité et la sensation d'étouffement (la scène de la perquisition). Il s'attarde longuement sur les traits de Leyla Zareh tandis que le monstre étatique reste sans visage, comme cet étroit guichet où l'on fait passer les passeports pour les contrôler ou le bureau du responsable des faux passeports où l'on entre jamais. Kafka à Téhéran. Démarches toujours renouvelées, règne de l'arbitraire, violence feutrée, surveillance de tous les instants et toujours ce sentiment de danger qui ne quitte jamais et use les nerfs. Bé omid e didar est un film sur la difficulté qu'il y a à conserver l'espoir, exorcisme en forme de fiction des peurs et des angoisses présentes de son auteur. Il y a pourtant, de-ci, de-là, quelques touches humoristiques, cette légèreté que j'avais aimé dans Jazireh ahani. C'est un humour grinçant mais révélateur d'un regard porté sur les êtres. Ainsi l'employé qui vient retirer la parabole interdite de l'avocate, motif cher au cinéaste (voir son documentaire de 2008 Baad-e-daboor) ou le ballet inutile des policiers qui perquisitionnent. Mohammad Rasoulof nous livre un film sombre et carré, un autoportrait en avocate, il donne de ses nouvelles, inquiétantes en ce qui concerne l'homme, rassurantes en ce qui concerne son cinéma.
09:35 Publié dans Cinéma, Festival | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cannes 2011, mohammad rasoulof, lynne ramsay, gerardo naranjo | Facebook |
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30/05/2011
Fin de promenade pour le critique
12:20 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : michel boujut | Facebook |
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