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22/02/2011
John avant Wayne
Le premier livre de cinéma que j'ai acheté est celui d'Allan Eyles consacré à John Wayne. A l'époque, la partie la plus intrigante était celle couvrant la période des années trente, entre le faux départ de The big trail (La piste des Géants) de Raoul Walsh en 1930 et la révélation de Stagecoach (La chevauchée fantastique) de John Ford en 1939. Le film de Walsh, ambitieux et onéreux, n'avait pas marché et la faute en était retombée sur les épaules déjà massives de son juvénile interprète (il a alors 22 ans). Du coup, notre homme retombe de seconds rôles en figuration intelligente. Il ira même jusqu'à doubler un cadavre. Surtout, il enchaine à un rythme d'enfer des westerns de série B et des serials produits à la chaîne par les petites sociétés de production de Poverty Row, tels que la Mascott ou la Monogram. Le bouquin de Eyles mentionnait ces films avec de très belles photographies mais je n'imaginais pas les découvrir un jour. Aujourd'hui, nombre d'entre eux sont disponibles, trop souvent dans des copies atroces (colorisation, doublage moderne), et parfois ils font partie du domaine public. Les voir, c'est plonger dans un cinéma quasi primitif, encore très influencé par la période muette, feuilletonesque, romanesque, basé sur l'action et le mouvement des corps. Les récits sont linéaires, un peu moins d'une heure. Souvent, il n'y a de la musique que sur les génériques de début et de fin, il y a de longues plages de silence et des bruitages rudimentaires. Les mises en scène carrées et fonctionnelles sont l'œuvre d'obscurs exécutants comme Robert N. Bradbury, Henry Fraser ou Mack V. Wright, interchangeables, qui qui peuvent ici et là réserver de petites surprises. L'ensemble dégage pourtant un certain charme à l'occasion.
John Wayne, lui, et c'est le plus fascinant, nous le voyons apprendre à devenir John Wayne. On le découvre jeune, capable de jouer sur des registre comiques, remarquable cascadeur (c'est après tout sa formation initiale avec Ford), gagnant rapidement de la crédibilité physique. Nous le voyons devenir à l'aise avec ce corps massif, apprendre à se tenir, à marcher, à regarder ses partenaires, à tester ces expressions qui feront, plus tard, son style et sa gloire.
The telegraph trail est un western réalisé en 1933 par Tenny Wright pour Leon Schlesinger et la Warner Bros., ce qui ne l'empêche pas de s'apparenter à ceux de Poverty row. C'est le dernier des quatre films de Wright qui ne laisse qu'un souvenir fort diffus, et le quatrième d'une série de six où Wayne joue des héros appelés John aux côtés d'un beau cheval appelé Duke, ce qui ne manque pas de piquant, Duke étant le surnom habituel de Wayne. Ici, Il est John Trent, amené à remplacer son ami tué par les peux rouges alors qu'il construisait une ligne télégraphique. « Les diables rouges » dit Wayne avec cette expression de rage froide bien connue. Un étonnant travelling avant s'approche de lui sur cette réplique, anticipant celui, fameux, que Ford fera dans Stagecoach. C'est d'ailleurs le seul mouvement d'appareil notable. Bon, il y a l'idée, mais il manque la manière et ce n'est pas abouti. John prend donc en main le chantier et l'enquête. Il est beau et en impose en meneur d'homme. Il se révèle moins à l'aise dans certaines parties dialoguées et nous verrons son regard perdre sa concentration quand il écoute un partenaire. Mais quelle prestance déjà, avec sa jolie veste à frange claire ! Son expérience de cascadeur est notable dans toutes les scènes d'action. Clou du film, Wayne se déguise en indien, torse nu et coiffe de plumes, une vision qui justifie à elle seule de voir le film. Avec le personnage féminin, c'est plutôt drôle aussi. L'héroïne, jouée par Marceline Day, lui saute au cou pour éviter un mariage forcé et déclenche une véritable panique chez notre héros. Plus tard, ça s'arrange d'autant que Day est pleine d'énergie et de fantaisie, plutôt mieux que nombre d'actrices du même registre. Pour mémoire, il y a une jolie scène où Wayne joue de l'harmonica avec son équipe, au bivouac. Il sait tout faire.
Une part du charme du film tient à son interprétation. Day achevait ici une carrière commencée comme Bathing Beauty pour Mack Sennett, elle avait joué pour Tod Browning et surtout aux côtés de Buster Keaton dans The cameraman (1928). Wayne est flanqué de deux faire-valoir à l'humour d'époque, Franck McHugh, acteur pour Walsh et Hawks, ami et partenaire de James Cagney, et Otis Harlan passé à la postérité pour avoir fait la voix du nain Joyeux dans le Blanche-Neige de Disney. Le duo combat les indiens en vidant force bouteilles, croyant abattre les ennemis par paquets de 4 ou 8, ce qui donne lieu à un joli effet optique. Le méchant est joué par Albert J. Smith qui a des faux airs de Lee Van Cleef, c'est lui qui manipule la tribu menée par Yakima Canutt. Canutt est un des grands cascadeurs hollywoodiens, doublure attitrée de Wayne (c'est lui qui saute de cheval en cheval dans Stagecoach), et réalisateur de seconde équipe sur des productions prestigieuses. La course de chars du Ben Hur de William Wyler en 1959, c'est lui (avec Andrew Marton).
Telegraph trail est mené à toute vitesse, les scènes d'action sont même accélérées. Mais cela reste assez plat. Pour relever, Tenny Wright mêle à son métrage des extraits de The red raiders (1927) d'Albert S. Rogell avec Ken Maynard. Le contraste est saisissant parce que le film muet a visiblement plus de moyens (camp indien crédible, figuration imposante), et les indiens y sont joué par de vrais indiens, dégageant un bel aspect documentaire. Le passage du pow-wow est un grand moment de montage patchwork entre les plans de Rogell et les indiens d'opérette de Wright. Tout cela est bien agréable.
Affiche Wikipedia, photographies : capture DVD Warner Bros
22:14 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : john wayne, terry wright, western | Facebook | Imprimer | |
Commentaires
Marion, donc :D
Écrit par : FredMJG/Frederique | 23/02/2011
No, mam', Marion était déjà John, mais il lui restait encore à être Wayne. (c'est compliqué ces histoires d'hommes !).
Écrit par : Vincent | 23/02/2011
Beau texte de fan même si je ne suis pas pressé de vérifier sur pièces. J'aimerai pluôt revoir le film d'Hathaway avant d'aller voir celui des frères Coen !
Écrit par : sonic eric | 23/02/2011
Nous qui sommes des amateurs de Sergio Corbucci, qu'aurait fait cette rencontre sur un plateau de cinéma avec "The Duke"? Nul ne sait, mais c'est "un film rêvé". Bonne journée à tous
ps:un choc entre John Wayne et Thomas Milian avec Iris Berben, Klaus kinski.... Je vais me prendre un temesta
Écrit par : claude kilbert | 23/02/2011
Nous qui sommes des amateurs de Sergio Corbucci, qu'aurait fait cette rencontre sur un plateau de cinéma avec "The Duke"? Nul ne sait, mais c'est "un film rêvé". Bonne journée à tous
ps:un choc entre John Wayne et Thomas Milian avec Iris Berben, Klaus kinski.... Je vais me prendre un temesta
Écrit par : claude kilbert | 23/02/2011
Merci, Eric, c'est sûr que ce n'est pas non plus une perle rare :) Sur True Grit, je me suis fait la même réflexion et je viens juste de revoir le Hathaway en attendant, sans doute ce week-end, le Coen. A suivre donc.
Claude, Laissez tomber le témesta ! Après tout, dans le même true grit, Wayne jouait avec Dennis Hopper, période Easy rider. On peut donc rêver à ce que ça aurait donné avec Milian :)
Écrit par : Vincent | 25/02/2011
Au sujet Dennis Hopper et Thomas Milian, j'ai eu la chance de voire à la cinémathèque de Bruxelles il y a quelques mois une copie restaurée de "The last movie". C'est un délire totale! Je vous le conseil, c'est une mise en abime sur le cinéma, le genre "Western" en particulier vu par un Hopper sous acide en permanence. Le filme produit par les studio Universal en 1971 ne sortit pas le filme dans le circuit commerciale par peur de l'échec financier!
Bonne soirée à tous
Écrit par : claude kilbert | 26/02/2011
Dans la série des John Wayne maigre, j'en ai vu deux ou trois, d'ont Panique à Yucca City (http://tepepa.blogspot.com/2007/01/panique-yucca-city.html) avec un bon début d'ambiance. A noter que son sidekick est bien souvent Georges Gabby Hayes!
Écrit par : tepepa | 27/02/2011
Claude, j'ai beaucoup entendu parler de ce film qui est assez gratiné, nous dit-on. J'ignorais par contre que sa distribution fut aussi hétéroclite. Ca donne envie :)
Tepepa, oui, je me souviens de celui-ci avec la scène du début, l'arrivée dans l'hôtel sous l'orage avec les longs manteaux. Il y a souvent des idées originales dans ces petits films, même s'ils ont beaucoup vieillit. Gabby Hayes, c'est un peu le prototype de Walter Brennan. Il a joué jusque dans les années 40 avec le Duke.
Écrit par : Vincent | 28/02/2011
De cette période "cow-boy chantant" et "chevalier blanc" de Wayne, j'ai pu voir "le cavalier de l'aube" et "le chevalier du destin", deux titres pleins de promesses tournés avec les coudes par un Badburry au taquet. Je n'en garde hélas pas un souvenir très vivace mais curieusement, depuis, le Duke m'habite.
Écrit par : Princécranoir | 14/03/2011
Oui, ça se regarde sans plus (enfin, ça d"pend des passages). Moi, avec le Duke, c'est une très longue histoire...
Écrit par : Vincent | 17/03/2011
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