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05/02/2011

L'homme à la (petite) caméra

gérard courant,joseph morder

Quand un filmeur rencontre un autre filmeur, qu'est-ce qu'ils se racontent ? Des histoires de filmeurs. Mais pas seulement, ils se filment aussi. C'est ainsi que Gérard Courant compose avec Le journal de Joseph M en 1999 un bien beau portrait du cinéaste Joseph Morder. Il faut prendre ici le mot portrait au sens qu'il a en peinture, comme on dit « un portrait équestre » c'est à dire avec le bonhomme à cheval. Joseph Morder est donc saisi dans quelques situations bien choisies, se livrant à l'occupation qui lui est devenue une seconde nature : filmer. Pas ou plutôt peu d'éléments biographiques, juste l'essentiel comme d'apprendre que sa mère lui a offert pour ses 18 ans sa première caméra super 8. Le film est plutôt une tentative de saisir son essence, de pointer quelques traits de caractères, d'approcher une façon de vivre, de dresser la carte d'un univers personnel.

Joseph Morder filme tout, mais pas n'importe quoi. Dans un registre classique, on lui doit El cantor (2005) avec Lou Castel, Luis Rego et sa muse-compagne la très belle Françoise Michaud. Mais surtout, la caméra super 8 au bout du bras, il filme sa vie, son monde : Les défilés du 1er mai (des archives, dit-il), les fêtes chez des amis, les amis beaucoup et lui bien sûr puisque sa grande œuvre, c'est un journal filmé, commencé en 1967 et qui compte à la date du film de Courant une cinquantaine d'heures. Véritable journal intime, il n'en montre que 14, bloc de temps qui cherche à redéfinir le rapport du spectateur au film. Il ne s'agit plus d'assister à une histoire mais de s'immerger dans une fraction d'histoire. Le tout très naturellement, très simplement. « Entrez et installez vous, mettez vous à l'aise et laissez vous porter » explique Morder.

gérard courant,joseph morder

Gérard Courant, très certainement en phase avec cette façon de faire (Jeu sur la durée avec les Cinématons, principe des carnets filmés), propose un équivalent pour ce portrait d'une heure. Il compose son film comme un fragment supplémentaire du journal de Joseph Morder. Quelques jours (semaines ?) avec lui, entre rencontres, entretiens, pure saisie d'évènements (la séance à la Cinémathèque) et des scènes qui flirtent avec la fiction. Nous découvrons Morder avec Françoise Michaud, Morder avec ses amis : Luc Moullet, Noël Godin, Mara et Nele Pigeon, Marcel Hanoun, Roland Lethem, Dominique Païni... C'est un film de bonne compagnie, plein d'humour et de fantaisie. On s'y sent très vite à l'aise, entre le dialogue des deux cabots, Morder et Moullet aboyant à quatre pattes sur le gazon, la cérémonie Morlock, la découverte de la jungle du jardin de Godin en Belgique, l'étrange rencontre avec le cinéaste de La fée sanguinaire (1968). Les étagères sont remplies de livres et de bobines de film, les caméras et projecteurs font entendre leur ronronnement familier. C'est le bonheur.

Cette décontraction de ton n'empêche pas la précision de la description de l'homme au travail. On voit donc Morder filmer, la caméra comme une extension organique de sa main (Cronenberg, quelqu'un ?), mais aussi monter, projeter, se confronter à la recherche d'une production, commenter ses propres images et réfléchir sur le cinéma qu'il pratique. Il a une belle phrase lors d'une discussion avec Moullet qui rappelle une sortie de Jean-Luc Godard. « Si je prends ma caméra, c'est que j'ai envie de te filmer ». Manière de dire l'importance de l'acte. Le journal de Joseph M est aussi une très sérieuse réflexion sur la nature du travail de cinéaste. Que filmer, pourquoi et comment ? Et toutes ces sortes de choses... Il atteint par là un objectif essentiel, donner envie de découvrir les films de Morder.

gérard courant,joseph morder

Une autre dimension ajoute, si besoin était, de l'intérêt au film. Le jeu entre portrait et autoportrait. Au bout d'une dizaine de minutes, un superbe plan est tout à fait explicite. Joseph Morder filme à travers sa fenêtre. Sur le côté, dans une belle lumière de film noir, il y a un miroir qui reflète le filmeur, filmé par Courant. L'axe de la super 8 de Morder est assez proche de l'axe de la vidéo de Courant. Caché derrière son objectif, le reflet est autant celui du portraituré que celui du portraitiste. A travers cet homme dont le rapport intime au cinéma et au geste cinématographique est si proche, Gérard Courant fait son propre portrait, partage les mêmes réflexions et reprend ses figures de style favorite : les Cinématons consacrés à Morder, la projection de ses films, le couple, la rue de l'enfance. A de nombreuses reprises, il passe de l'image vidéo à l'image super 8, celle que l'on voit Morder filmer. Jeux d'emboîtement. Jeux entre réel et fiction quand Morder et Françoise Michaud semblent jouer à la sortie d'une séance de cinéma. Jeux des regards qui se superposent, ne font plus qu'un des deux frères en cinéma.

Moments entre amis, discussions allongés dans un parc, séances de cinéma, rencontres insolites, Douglas Sirk, soleil de mai, enfants, rêve de jungle dans un jardin, voyage en Belgique, femme admirée, grand champ s'étendant à l'horizon, François Truffaut avait professé que « Les films sont plus harmonieux que la vie ». Gérard Courant, avec Le journal de Joseph M, par une sélection habile de morceaux de temps puisés dans la vie de son modèle, montre une vie aussi harmonieuse qu'un film.

Photographies : capture DVD Gérard Courant

La chronique du bon Dr Orlof

Sur le site de Gérard Courant

Commentaires

Depuis le temps que l'on vous dit que ce n'est pas la taille qui compte ^^

Écrit par : FredMJG/Frederique | 05/02/2011

Très beau texte : j'espère que ça va inciter les autre blogueurs à s'y mettre :) Fred, un petit Gérard Courant à chroniquer après "Valérie au pays des merveilles" ?

Écrit par : Dr Orlof | 05/02/2011

Mon pauvre docteur
Je n'ai même pas eu le temps de lui enlever sa houppelande de cellophane à la Valérie !

Écrit par : FredMJG/Frederique | 05/02/2011

Ah ! je vois que tu as enfin réussi à repeindre les murs en blanc...!

(en ce qui concerne G. Courant, j'ai reçu mon petit colis il y a quelques jours. Je vais m'y plonger dès que j'aurai digéré le gros pudding bleu que j'ai avalé en cette fin de semaine...)

Écrit par : Edouard | 06/02/2011

Frédérique, je n'en ai jamais douté, surtout pour ce qui est des caméras.
Doc, merci et je l'espère aussi quoique s'ils sont aussi rapides que moi...
Ed, je t'avoue que ton superbe design m'a beaucoup motivé et que je m'en suis inspiré (en fait c'est le seul que j'ai où je peux avoir autant de blanc). Reste une bande bleu ciel mais je trouve ça joli. Je vois si je ne me lasse pas mais j'ai l'impression que c'est plus aéré.

Écrit par : Vincent | 06/02/2011

Bonjour Vincent,

J'aime beaucoup le nouvelle habillage de ton cite, surtout les jolie yeux d'Ava Garner! Dans l'article du bon Docteur sont cités 2 personnes que je connais bien Mara Pigeon et sa fille Nele. Ma maman a été cachée par la grand mère de Mara pendant la seconde guerre mondiale, nous essayons de faire reconnaitre la grand mère comme "Juste" entre les justes par Yadvachem de Jérusalem.
Mara est une très grande documentariste, il a réalisée des films sur les aborigènes en Australie et le sort fait au femmes en RDC.

Bonne dimanche à tous

Écrit par : claude kilbert | 06/02/2011

Une petite remarque encore sur le film : ce que je trouve intéressant, c'est la manière dont Courant parvient à rejoindre l'obsession de Morder sur le vrai et le faux. Même lorsqu'il tourne des films très autobiographiques et proches du "journal intime" ("Mémoires d'un juif tropical", "Romamor"), il introduit des éléments fictifs et inventés. De la même manière, un film très classique de fiction (en 35 mm) comme "El Cantor" est traversé par des moments qu'on sent très autobiographique (un très beau dialogue avec le fantôme de sa mère).
On retrouve ça dans "le journal de Joseph M" puisque Françoise (attention, tu l'appelles deux fois "Florence") Michaud a bel et bien été sa muse mais n'est pas sa compagne. Ils jouent ici au couple qui se dispute. Ce va et vient entre Réel et Fiction me semble aussi être l'un des charmes du "Journal de Joseph M".

A propos du "Carnet de Nice", je suis curieux de voir ce que tu vas pouvoir en écrire. Comme toi, je déteste me voir donc, s'il te plait, pas de photos d'autant plus que dans le film, on peut très facilement constater qu'Andréa, Marjorie ou la mer sont beaucoup plus photogénique que le bonhomme qui présente l'œuvre de Gérard Courant ;)

Écrit par : Dr Orlof | 06/02/2011

Doc, Je me demande à quoi (à qui) j'étais en train de penser quand j'ai glissé de Françoise à Florence :) Je corrige.
Pour le reste, je te remercie d'éclairer ma lanterne, le film reste très flou sur la relation exacte de Morder et Michaud. C'est très juste ce que tu soulignes sur la question du vrai et du faux, moi j'ai tendance à tout prendre au premier degré, j'étais donc assez sûr que la scène à la sortie du cinéma était, au moins biographique. Je me suis quand même un peu méfié. Dans la vélographie, c'est en lisant ton texte que j'ai compris que les films de "l'oncle" étaient un jeu.
Pour le carnet niçois, ne te fais pas de soucis, je préférerais toujours mettre un minois féminin à un masculin, même si c'est un ami :)

Claude, bravo d'avoir reconnu si vite la belle Ava. Pour Mara Pigeon et sa fille, c'est étonnant. C'est un tout petit monde comme on dit. Les films dont tu parles m'intriguent et me donnent envie d'en savoir plus. A bientôt.

Écrit par : Vincent | 06/02/2011

@ Claude : je découvre votre témoignage que je trouve également étonnant. Comme Vincent, je rêve de découvrir les documentaires de Mara Pigeon dont Noël Godin dit le plus grand bien (dans le livre "Godin par Godin" Ed. Yellow Now).
J'en parlais il y a peu avec un autre bloggueur (belge) qui va chercher à se renseigner pour voir si ces films ont été transférés sur DVD...

Écrit par : Dr Orlof | 06/02/2011

Y avait un jeu sur la bannière ?
Diable !
Pourquoi diantre n'en ai-je point été avisée ?

Bon, mis à part Ava. Cher Vincent, le dr Orlof a raison, ne publiez aucune photo. Envoyez-les moi, en toute discrétion. Merci.

Écrit par : FredMJG/Frederique | 06/02/2011

Bonjour Vincent,

Voici l'adresse Email de Mara Pigeon: Mara.pigeon@swing.be
Posez lui la question sur la disponibilité de ses films.

Un grand bonjour au bon docteur

Bonne journée à tous

Écrit par : claude kilbert | 07/02/2011

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