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12/06/2010

Avatar (et coquecigrues)

Dans son texte sur Film Socialisme (2010) de Jean-Luc Godard, Buster du blog Baloonatic oppose ce film à Avatar (2009) de James Cameron « Et pas seulement à cause du capitalisme new age de la grosse fantasia cameronienne (dont je ne suis pas fan sans être pour autant réfractaire), sachant que Film socialisme semble aussi un bide retentissant, mais parce que le film de Godard c’est le contraire de l'esthétique du jeu vidéo et de son principe d’immersion. ». Il se trouve que j'ai vu le film de Cameron juste avant Cannes et donc juste quelques jours avant le Godard. Pas forcé, non, mais sans grand enthousiasme. C'est ma compagne qui a acheté le DVD mais n'en concluez pas trop vite que je cherche à me défausser. Je pense que j'aurais fini par le voir un jour ou l'autre. A plat donc et je commencerais par faire un sort au relief. « L'Art ne souffre pas d'être privé d'une dimension – quelle qu'elle soit. C'est au contraire dans cette privation qu'il trouve sa liberté d'interprétation, sa force d'inspiration. L'Art n'est ni sourd, ni muet ni aveugle. Mais il restera plat » écrivait Jean-Luc Fromental en conclusion d'un Métal Hurlant Spécial Relief de 1983. Le relief n'existe pas. Ou plutôt la technique n'existe que comme gadget de série B, ce qu'étaient les films des vagues des années 50 puis 80 (Un ou deux cas mis à part). Vous me direz que les gros budgets d'aujourd'hui fonctionnent sur des ressorts de série B et vous aurez bien raison. Le relief, ça sert donc à amuser le spectateur en lui balançant des trucs et des machins à la figure : serpents, flèches, oeil, poutre, seau d'eau, jus de chique, fourche... dans le même genre d'idées que l'odorama ou les sièges électrifiés de William Castle. N'y voyez rien de péjoratif. Sinon, le relief s'appelle la profondeur de champ et c'est pourquoi le CinémaScope et le 70 mm ont été préférés aux lunettes anaglyphes. Parce que quand Omar Sharif surgit du fond du désert sur l'écran de Lawrence of Arabia (1962) de David Lean, on pourrait se lever et avancer vers lui.

House of Wax 3D.jpg

Ceci posé, je n'ai aucun à-priori envers James Cameron. Titanic (1997) a du souffle et de la romance et Kate Winslet est joliment filmée. Abyss (1989) est souvent beau. Mais il ne faut pas oublier que le réalisateur vient de la série B, de chez Roger Corman comme tant d'autres, et que Terminator, en 1985, est un film bricolé. Et que c'est ce bricolage qui a fait son succès et lui conserve un certain charme. Hélas le succès incroyable de ce film a donné des moyens à son auteur et Aliens (1986) comme Terminator 2 (1991) sont révélateurs du mauvais penchant du cinéaste qui est aussi celui de son époque : la surenchère. On refait en plus cher, plus sophistiqué, en cent fois plus gros, du film de série. Montage hystérique, exubérance visuelle, images saturées de numérique jusqu'à l'illisible, effet pour l'effet, musique au mètre mais par un orchestre, relief désormais. Là, oui, c'est vraiment l'anti-Godard, comme on dirait l'antimatière. Et tout cela est mis au service d'intrigues déjà vues sinon rabâchées, issues de films dont le charme tenait à leur modestie et aux bouffées d'imagination venant compenser des techniques artisanales limitées. Des films que l'on nous fait oublier de plus en plus vite.

Là-dedans, le spectateur est pris pour un gamin de cinq ans qui demande toujours la même histoire pour s'endormir le soir. Ce qui ne cesse de m'étonner, c'est que le-dit spectateur accepte dans l'allégresse ce peu de considération qu'on lui manifeste. Ne voit-on pas qu'Avatar ne repose que sur le très classique schéma westernien du cow-boy passant chez les indiens et découvrant leur culture avant de prendre leur partit, de Broken arrow (La flèche brisée – 1950) de Delmer Daves à Dance with wolves (Danse avec les loups - 1990) de Kevin Costner ? Mais là où le lieutenant Dunbar passait la main sur les hautes herbes agitées par le vent de la plaine, Jake Sully tripote les champignons façon parapluie d'une jungle farfelue. Pour exister, Avatar mange à tous les râteliers : recyclage de la Force lucasienne (l'énergie mystique qui unit la planète), délires technologiques issus d'Aliens avec l'exosquelette vu aussi dans Matrix, image terriblement cliché des marines de l'espace, purs comme dans Starship troopers (1996) de Paul Verhoeven (sans aucun recul ironique) et durs comme dans... Aliens, bestiaire fantastique comme chez Peter Jackson. Déjà vu, déjà fait. Ressorts dramatiques éculés, suspense balisé, nuances psychologiques au niveau zéro, musique pléonastique. Que dire de plus ? Ah oui, l'absence terrifiante d'érotisme. Je me souviens d'un dessin paru dans Fluide Glacial. On y voyait un jeune garçon excité devant un poster de Rita Hayworth avec un panneau : 1948, puis le même devant le robot C3PO de Star wars : 1978. Aujourd'hui, malgré tous mes efforts, hem, je suis bien incapable de ressentir quoique ce soit devant la bleue Neytiri. Comment imaginer que Cameron puisse préférer filmer son ectoplasme à Kate Winslet ou Mary Élisabeth Mastrantonio ? Comme dit Martin Scorcese à propos des images numériques : elles semblent réelles mais elles n'ont pas de vécu. Ce qui pose la question fondamentale : Pourquoi dépenser tant d'argent et d'énergie pour recréer le rêve d'un arbre qui n'existe pas quand on peut sortir du studio et filmer la beauté vraie d'un arbre vrai ? Ce que Godard n'a cessé de faire.

Creature exBLagoon.jpg

Du coup, je me suis beaucoup plus amusé avec Jason X (2000) de James Isaac, variation science-fictionnelle des aventures poussives du tueur de Crystal Lake. Un véritable esprit de série B souffle sur cette petite bande pas prétentieuse qui nous offre, au milieu du prévisible et d'effets spéciaux soignés mais bon marché, un David Cronnenberg en méchant qui finit mal, un côté ludique assumé fort agréable, quelques belles idées comme la recréation virtuelle du décor des anciens films pour tromper la machine à tuer, et surtout un androïde très féminin joué par la belle Lisa Ryder qui fait ses propres cascades. Il faut la voir flanquer une rouste d'anthologie au gros Jason, sa tenue cuir, ses air ingénus et ses soudains sourires à tomber. C'est idiot, mais cela m'a fait penser à un sourire d'Isabelle Huppert dans Sauve qui peut (la vie) (1980) de JLG.

Photographies en 3D (chaussez vos lunettes) : source 3-D images LTD

Commentaires

Salut Vincent. Article intéressant bien que je ne partage pas ton avis. Je m'explique.
Si tu reconnais n'avoir découvert 'Avatar' qu'en dvd, je trouve dommage que tu relègues le relief 3D au simple gadget de foire. La démarche de Cameron prend en effet tout son sens en salle, sur grand écran, gros son et en 3D. Le film s'ouvre et se ferme par un gros plan sur un oeil, et plus qu'un simple jeu de ping-pong (détail - démesure) de grand spectacle ("spectateur, tu vas en prendre plein la vue !"), on peut y... voir (facile) une réflexion sur l'évolution de l'image et celle du cinéma. Contrairement à 'Alice' de Tim Burton ou à l'affreux remake du 'Choc des Titans', le numérique et le relief font partie de la mise en scène de James Cameron. Il a pensé son projet dans ce format dès le départ. Cette immersion du spectateur dans un univers imaginaire fait écho aux expériences vécues par le personnage principal : un humain qui découvre une nouvelle civilisation/culture, mais aussi un paraplégique qui s'incarne dans un nouveau corps. (L'incarnation, un thème cher à Cronenberg qui aurait pu réaliser 'Avatar'.) Il suffit de voir les gros budgets qui sortent en salles tous les mois pour constater que le film de Cameron est ambitieux, moins dans son scénario que dans les thèmes abordés. Mais on peut dire la même chose de tout ses films : classique mais diablement efficace. Et le fait que le (nouveau) plus gros budget de tous les temps malmène mine de rien le concept d'identité (sujet brûlant aujourd'hui), ça mérite d'être soulevé. 'Avatar' parle avant tout il me semble de transformation, de métissage.
Les technologies de pointes changent le monde (en bien, en mal ?) et je ne vois pas pourquoi le cinéma y serait hermétique (de toute façon il change, comme il l'a toujours fait car c'est un art ET une industrie). Cela relève pour moi, au mieux d'une certaine nostalgie, au pire d'une posture idéologique (je pense à certains journalistes) qu'on retrouve depuis les origines du cinéma : les frères Lumière versus Méliés ! Après la Libération, les intellectuels de gauche dénonçaient d'ailleurs le cinéma de divertissement (comédie, fantastique, SF, érotisme... mais tu connais tout ça) car il abrutissait "le peuple". Le réel contre le spectacle ! On fait pas plus con comme programme culturel, comme si les spectateurs étaient passifs et sans recul.
Bref, tout ça pour dire que la 3D est un outil comme un autre au service du cinéma. Tout comme le format numérique, qui est très différent de la pellicule. C'est un moyen d'expression, pas une obligation. Tout comme la photo couleur n'a pas supprimée le noir et blanc.
Et pour revoir 'Avatar' correctement, il va falloir se tourner vers le Blu-Ray 3D prévu en fin d'année. A condition d'en avoir les moyens...

Écrit par : Nicolas NSB | 18/06/2010

Bonjour, Nicolas, merci de ta longue défense, assez convaincante je dois dire. Je suis d'accord (pour commencer sur les accords) avec le fait que le film est fait pour la salle, relief ou pas d'ailleurs. D'accord aussi sur l'ambition de Cameron et sur la conception du film (les deux autres ont été mis en relief après). D'accord enfin sur les évolutions technologiques, je n'y suis pas hostile par principe (malgré mon amour du super8), je dis simplement que cette évolution n'est pas nécessairement un gage de qualité (loin de là).
Par contre, je n'accepte pas les majorations relativement importantes de prix et le principe des locations des lunettes qui renforcent le côté mercantile du relief. Si j'en avais eu le temps, je serais volontiers allé voir le film en salle, mais en version plate. Tu dis que Cameron a travaillé son relief, mais en fait ce qu'il travaille c'est sa profondeur de champ. Là ou le relief n'est qu'un "truc", c'est que c'est une illusion puisque le plan de projection (l'écran) est et reste plat. Donc, oui, il y a un travail sur la profondeur, mais je l'avais trouvé plus convaincant, plus créatif sur "Titanic".
Voir le film sans relief, c'est voir ce qui tient (ou pas) sans l'artifice. Les qualités de "Le crime était presque parfait de Hitchcock, le charme de "L'homme au masque de cire" ou de "Charge at Feather river" sont les mêmes à plat et en relief. Sur le dernier film, j'avais d'ailleurs noté que la mise en scène était plus inventive du fait des idées conditionnées par le relief. mais cela reste un travail sur la profondeur. Dans le cas d'"Avatar", je ne marche pas parce que je trouve pas ça original, son histoire m'ennuie. Le thème du métissage, de la découverte de l'autre, ce n'est quand même pas neuf (tu sais ça aussi) surtout quand il est aussi schématiquement illustré.
Il ne s'agit pas d'opposer cinéma intellectuel et de divertissement, mais de pointer un nivellement inquiétant du second (à côté d'une impuissance du premier, certes). Ford, Leone, Spielberg, Cimino, Coppola, Kurosawa et j'en passe, savent (aient) allier le spectacle et une très haute idée du cinéma. L'inventivité des grands du cinéma "populaire", Corbucci, Carpenter, Romero, Chang Cheh transcendait le pur divertissement. Je me vois mal mettre Cameron dans l'une ou l'autre de ces catégories.
Enfin je te trouve bien optimiste sur la question des formats. La couleur a bel et bien éliminé le noir et blanc. Non que ce soit impossible de filmer en N et B, mais c'est devenu la marge et quelle chaine de télévision passe encore aujourd'hui du noir et blanc ? Je ne sais pas ce que l'industrie nous réserve comme choix entre pellicule et numérique, mais ce dont je doute, que ce soit l'un ou l'autre, c'est que l'art soit sa priorité.

Écrit par : Vincent | 18/06/2010

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