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03/06/2008
L'aventure a un nom
Remember all the movies, Terry
We'd go see
Trying to learn to walk like the heroes
We thought we had to be
Raiders of the Lost Ark (Les Aventuriers de l'arche perdue) est une pierre blanche dans ma vie de cinéphile et contrairement à la plupart des autres films qui ont compté pour moi, il m'était parfaitement contemporain. Il était là au juste moment. Je lui dois le démarrage de ma passion pour Spielberg et moi qui avait un peu raté les années 70, j'entrais résolument dans les années 80. Comme on le dit pour les drogues, on essaye de retrouver cet éblouissement de la première fois. En vain. Pourtant je marche toujours à ce film, même quand je tombe dessus sur la petite télévision noir et blanc de ma compagne, en version française. Le plaisir a sans doute évolué, en raison de la connivence qui me lie aujourd'hui avec l'oeuvre dont je connais presque tous les recoins. Mais c'est aussi vrai de King Kong, Rio Bravo ou Amarcord. Maman, ton fils est un maniaque.
Je tiens Indiana Jones and the temple of doom pour l'une des meilleures réalisations de Spielberg. C'est un film virtuose et sans doute celui des quatre qui lui ressemble le plus. Il le réalise en 1984 dans une de ses belles périodes créatrices, injecte une certaine cruauté dans le divertissement et y dévoile un côté plus sombre. Un goût pour le doute. Il m'avait également enchanté par sa façon de redonner vie à des figures du cinéma américain classique, la comédie et le musical. Le film n'est pas tellement aimé, y compris par son créateur qui pensait sans doute avoir été un peu loin dans le cadre d'un divertissement. C'est ce qui me le rend d'autant plus attachant.
J'avais bien marché au troisième épisode sur le coup, mais, en le revoyant, c'est quand même un peu faiblard. Le film annonce une période moins intéressante chez Spielberg (Hook, Jurassic Park). Peut-être cherchait-il plus ou moins à se faire pardonner les excès du temple maudit ? Peut-être Lucas a t-il eu une plus grande influence ? Toujours est-il que le film fonctionne en roue libre, les meilleurs moments n'étant que des décalques du premier. Ni l'héroïne, ni les méchants de service ne sont à la hauteur et l'idée du père est une moyennement bonne idée. Sean Connery en figure paternelle, c'est la tarte à la crème de l'époque. Il avait trouvé un filon à jouer les mentors et l'a creusé jusqu'à mon ennui profond. J'ai eu l'occasion de voir les trois films à la suite et si Indiana Jones and the Last Crusade peut faire illusion seul, cette expérience a été cruelle pour lui.
Bon alors, et cet épisode quatre ? Autant l'avouer de suite, je n'ai pas eu envie de sauter sur les voitures en sortant. Contrairement à Harrison Ford, je n'ai plus l'âge. Disons que le film ne retrouve pas vraiment le souffle des deux premiers et que Steven Spielberg ne cherche pas vraiment à changer de direction. En France, il y a le fantasme du « James Bond déficitaire » comme disait joliment Truffaut. Un film sortit de l'usine à mythes qui casserait le mythe. Même si c'est devenu un argument publicitaire (Cette fois mon héros souffre), je ne crois pas que les Américains le feront jamais. Même quand on croit qu'ils le font. Dans Unforgiven (Impitoyable– 1992) tout ce que Clint Eastwood fait subir à son héros soit-disant anti, tend à la scène finale dans laquelle il tient la ville réunie dans le saloon à sa merci. Tend au retour de Blondin qui tire juste et parle sec. Indiana Jones and the Kingdom of the Crystal Skull tend vers la réplique entre Jones père et fils après une spectaculaire scène d'action : Vous êtes vraiment professeur ?/ A temps partiel. Jones met des lunettes, mais il court toujours vite et cogne toujours fort. On nous a fait le même coup avec John Wayne. Donc Spielberg joue le jeu et le joue bien, mais ça reste un peu vain. Le film semble équitablement répartit entre Georges Lucas et Spielberg. Ouverture façon American Graffiti, rock and roll, gros effets spectaculaires et jeune héros caracolant pour le premier ; suspense, poursuites échevelées et citations cinéphiliques pour le second.
Au rayon de ce qui fonctionne, il y a par exemple une jolie transition (remarquée aussi par le Dr Devo) quand Jones, enlevé par les soviétiques de la méchante Irina Spalko, arrive dans une base ultra secrète de l'armée américaine. On passe de larges plans de grands espaces en extérieurs à des plans de studio dans la même scène. La lumière change et nous entrons dans la fantaisie. Joli. Puisque l'on parle d'Irina, le personnage joué par Cate Blanchett est une réussite tout comme le vieux professeur joué par John Hurt et l'indispensable faire-valoir plutôt réussi campé par Ray Winstone qui lorgne du côté de John Hannah dans la série des momies. Ninotchka vêtue d'un uniforme moulant, la coiffure noire façon Louise Brooks (Merci Ed), un accent très série B, une présence bien physique quand elle manie l'épée, Cate Blanchett est une version féminine de Bellocq dont la dévotion au petit père des peuples est contrebalancée d'un appétit de connaissance authentique. Ce qui la rend presque émouvante quand le savoir libère sa puissance et se révèle, comme souvent chez Spielberg, dangereux. Toute la première partie qui se passe aux USA en 1957 m'a emballé (mis à part l'épisode loufoque du frigo). Elle renouvelle l'aspect visuel de la série comme le faisaient les souterrains du second épisode. Tout l'arrière-plan de la chasse au sorcières et de la paranoia anti-communiste fonctionne bien et est cohérent avec l'évolution probable du personnage. Il a fait la guerre à sa façon, a été décoré et n'aime pas les « rouges ». Si l'on veut creuser chez Spielberg, il faut aller chercher du côté de John Ford. J'ai été frappé, ayant lu la biographie de McBride, de retrouver des détails du parcours de Ford dans le CV d'Indiana Jones. Ford aussi avait fait la guerre, il avait été espion, décoré, anticommuniste, et avait subit, malgré tout cela, des enquêtes suspicieuses. Il avait été plongé dans cette période de trahisons, de pressions morales, de coups bas et d'amertume. Les formes et les corps de l'autorité chez Spielberg sont toujours dangereux et ses héros s'en méfient. Il joue là-dessus pour renvoyer dos à dos les menaces qui pèsent sur notre héros et tout ce passage du film brassant avec humour toutes les théories du complot est vraiment excellent.
Deux choses me semblent ratées. La principale, mon plus grand regret, est la sous-exploitation du personnage de Marion Ravenwood. Les dialogues entre Jones et elle, piquants dans la tradition des échanges hommes- femme chez Howard Hawks, donnaient de grands moments de comédie dans le premier opus et avaient été repris avec bonheur dans le second. Là, rien ou presque. Du coup Karen Allen n'a pas grand chose à faire et le film perd son potentiel d'émotion. Dans le premier épisode, quand Jones croit que Marion est morte dans le camion, on y croyait vraiment. Là, c'est tout juste si l'on se souvient qu'elle cavale derrière eux. C'est une occasion manquée, d'autant que le rapport père-fils n'est pas plus développé ce qui aurait pu être une excuse. Spielberg n'utilise finalement pas ce qui aurait pu lui permettre de faire son « Indiana Jones déficitaire ». Est-ce bien surprenant ?
L'autre chose, qui aurait pu ne pas prêter à conséquence, c'est que Spielberg manque un peu de motivation et que les scènes d'action avec effets numériques semblent l'ennuyer assez. Du coup, on est entre des moments assez réussis et inventifs visuellement comme la recherche de la momie magnétique, les pièges mécaniques ou l'amusante scène des fourmis, et puis la poursuite dans la jungle ou la scène finale avec cataclysme et effondrement de temple, banalisées par le manque de limite de ces fichus effets. Au risque de radoter, quand Indiana Jones était traîné derrière le camion portant l'arche, on y croyait parce que c'était Harrison Ford dans la poussière. Ici, Shia LaBeouf évitant les cactus en équilibre entre deux véhicules, c'est à la limite du bon goût.
Reste que le spectacle est parfaitement exécuté avec l'aide des collaborateurs habituels de Spielberg, Janusz Kaminski à la photographie, John Williams toujours aussi alerte à la musique et Michael Khan au montage. Au final, même si le plaisir est là, il est constamment en butte au sentiment que le film dont on a rêvé ne pouvait pas être fait.
Photographie : Film référence et Scifi.com
22:18 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : steven spielberg | Facebook | Imprimer | |
Commentaires
Mon cher Vincent,
Je suis toujours épatée par ton érudition et par la qualité de tes notes ; mais, ce qui me touche le plus, moi qui plutôt "bon public", c'est ce savant mélange entre tes souvenirs d'enfant et d'adolescent déjà passionné par le cinéma et tes critiques très pointues de cinéphile averti.
Bises.
Écrit par : Marie Thé | 04/06/2008
Tout à fait juste, même Eastwood redevient Blondin à la fin de Unforgiven. Même Stallone se secoue un peu à la fin de Copland. Il n'y a pas de film où le héros reste un réel anti-héros. Mais est-ce vraiment ce que l'on recherche? Aurions nous vraiment un réel plaisir à voir un mythe déficitaire?
Écrit par : tepepa | 04/06/2008
Marie-Thé, merci de ta gentillesse, tu es effectivement "bon public" de mes élucubrations. Ma plus fidèle lectrice. Je t'embasse.
Tepepa, ta remarque est d'autant plus bienvenue que je pensais justement hier à quelque chose que tu avais écris. Je cherchais des "mythes déficitaires", il y en a peu, mais il y en a un : Silence dans le film de Corbucci. Sa déchéance reste irréversible (les mains brulées) et son obstination, loin de le transcender (comme Django par exemple), l'amène direct à se faire massacrer sans qu'il ait pu peser sur le cours des évènements. Et dans ton texte sur ce film, tu posais justement la question de la difficulté à éprouver du plaisir à le voir. Corbucci pousse le principe de l'anti-héros au bout de sa logique et nous laisse comme deux ronds de flan.
Écrit par : Vincent | 05/06/2008
bravo pour ce beau texte pour un film qui a mon sens n'en méritait pas tant.
sinon, Eastwood ne "redevient pas Blondin" a la fin de Impitoyable.
Blondin n'a pas d'enfants ni de foyer. je pense que cette lecture dualiste héros/anti-héros est quelque peu peu réductrice pour parler de William Munny.
Écrit par : christophe | 05/06/2008
Un peu réducteur pour parler de la complexité du personnage telle que l'envisage Eastwood, je suis d'accord. Mais on peut voir (rappelez vous la dédicace du film) Munny comme un Blondin vieillit qui se serait installé et aurait pris femme, aurait eu des enfants, etc. D'un point de vue purement cinématographique, la scène du saloon renvoie quand même à quelques classiques héroïques (les armes, la rapidité, le manteau). D'un point de vue humain, Munny, à ce moment, retrouve la férocité et le "professionnalisme" de sa jeunesse. Par rapport à Siegel, j'avais trouvé que ça rappelait le finale du "dernier des géants". Sauf que Munny ne meurt pas et repart, il disparait comme dans sa propre légende.
Écrit par : Vincent | 05/06/2008
certes mais la mise en scene de cette sequence du saloon est tellement différente de celle des westerns de Leone, tellement sombre au sens propre du terme que j'ai du mal a y voir la résurgence d'un passé heroique mais que j'y vois plutot de vieux démons qui refont surface...
Écrit par : christophe | 05/06/2008
Oui Vincent, on a du mal à éprouver un vrai plaisir - autre que nihiliste - à voir la fin du Grand Silence. Nous sommes sans doute trop formaté. Par contre il faut noter que Silence n'a rien d'un mythe, et que Trintignant n'est pas un mythe du western non plus. Si Corbucci avait tourné son film avec un Django vieilli, ou alors avec un personnage joué par Franco Nero, le film aurait peut-être eu une portée plus intéressante.
Quant à Munny, bien sûr, il ne s'agit pas de le limiter à un anti-héros qui soudain redevient un héros, mais tout de même, force est de constater qu'Eastwood ne va pas au bout de sa logique, à savoir une peinture réaliste et désenchantée de l'Ouest, et qu'il revient finalement au "pur" western avec ce pistolero qui dégomme tout le monde dans un saloon.
Écrit par : tepepa | 06/06/2008
Impitoyable, c'est tellement plus qu'une "peinture réaliste et désenchantée de l'Ouest"...
Écrit par : christophe | 06/06/2008
On peut pas discuter avec ces fanatiques d'Eastwood :-)
Écrit par : tepepa | 07/06/2008
Et avec ceux de Jean-Louis Trintignant donc !
Tep', je trouve que tu joues sur le mythe (et nous sur les mots). Silence n'est pas un mythe en soi en 1969, mais il l'est un peu devenu (Chez Swolf par exemple) et Corbucci lui a quand même donné les attributs de mythes existants : rapidité au révolver, dégaine, arme fétichiste, vengeance comme moteur... Ce que tu dis sur Trintignant me semble plus juste dans la mesure ou il est vrai que Corbucci n'a pu aller au bout de sa logique nihiliste qu'avec un acteur hors genre. Ceci dit ni Eastwood ni Nero ne sont des mythes quand ils font leurs premiers films.
Christophe, on sent que ce film vous tient à coeur. Personnellement, j'ai plutôt un faible pour Josey Wales. je suis d'accord sur la mise en scène qui se démarque nettement de Léone, plus inspirée par les classiques américains (j'adore aussi ses ambiances sombres). Mais j'aime assez voir dans ce film une image de sa carrière et une réflexion sur le western. Ce qui rend cohérent à mes yeux le lien entre l'homme au poncho et Munny, en passant par Josey Wales, l'homme des hautes plaines et le pale rider.
Écrit par : Vincent | 07/06/2008
D'accord avec toi sur le contexte de Guerre Froide et les opinions de Jones vis-à-vis des Soviétiques. C'est un intellectuel qui a connu la montée des régimes autoritaires et extrémistes, il n'est pas surprenant que Staline et ses sbires lui inspirent méfiance et rejet.
Écrit par : Ornelune | 15/09/2010
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