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12/05/2008

Joli mai : Utopie en salles

Découvrir L'An 01 aujourd'hui est, je trouve, une expérience un peu déprimante. Un peu triste. Pourtant, le film est plein d'enthousiasme, de vitalité, et souvent drôle. L'An 01, sortit en 1973, est une oeuvre collective de Jacques Doillon, Alain Resnais, Jean Rouch et Gébé, admirable dessinateur disparu en 2004, d'après sa bande dessinée parue dans Charlie Hebdo dont il était l'un des piliers. L'An 01, c'est un peu le concentré des utopies de 1968. L'An 01 c'est un commencement. On y voit deux hommes sur le quai d'une gare de banlieue. Le premier a remarqué que le second, la veille, n'est pas monté dans le train. Une envie comme une évidence. Mais il a pris le suivant. « A deux, ça doit être plus facile ». Le train arrive. Les deux hommes restent à quai. C'est un début. L'An 01 ce sont des gens qui font un pas de côté et ne feront plus un pas en arrière. L'An 01 c'est la douce perversion du système de l'intérieur. On y organise des équipes clandestines pour se partager le boulot. Un salaire divisé par cinq, mais un seul jour de travail par semaine. L'An 01 c'est la victoire radicale de la réduction du temps de travail. « On arrête tout ». « Il faudrait une date ». « Mercredi ». « Et une heure ». « 15h00 ». L'An 01 c'est une planification impeccable. Un ministre s'interroge : « Comment arrêter un arrêt ? Nous n'avons pas d'historique ». L'An 01 c'est un général qui demande ce qui se passe à son chauffeur qui sourit. « On arrête tout ». Une jeune femme arrive d'Argentine : « Là-bas, on ne parle que de ça ». A New-York, une voix égrène la litanie des cours de la bourse qui dégringolent. Définitivement. Anéantis, quelques hommes d'affaire se jettent par les fenêtres de leurs immeubles de Wall Street et tombent comme des feuilles mortes. Images étranges à contempler après celles du World Trade Center en 2001. Mais nous sommes en 01 et dans les rues, la foule est heureuse. En Afrique, on apprend avec plaisir que les ouvriers de Roubaix arrêtent de produire des bonnets. « En France aussi, on a pensé ! » dit le chef du village. C'est l'An 01 et ce qu'il en advient.

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Lorsque Gébé a l'idée de faire de sa bande dessinée un film, il demande l'aide de Jacques Doillon qui accepte. Ce sera son premier long métrage. Le film se finance d'une façon originale, Charlie Hebdo lançant un appel à ses lecteurs. Ceux-ci proposent des scènes, accueillent l'équipe de tournage ou l'intègrent. Alain Resnais et Jean Rouch tournent leurs séquences bénévolement. Le premier réalise celle de New-York avec l'aide de Stan Lee, pape des super héros du Marvel Comic Group qui prête sa voix, et l'apparition de Lee Falk, créateur de Mandrake le magicien dont Resnais rêve toujours d'adapter les aventures, en banquier. Rouch réalise la séquence africaine au Nigéria. Oeuvre collective, L'An 01 regroupe toute un pan de la vie culturelle du début des années 70. Gérard Depardieu est l'un des hommes sur le quai de la gare. On croise Henry Guibet et Miou-Miou, l'équipe du théâtre du Chêne Noir à Avignon, Jean-Paul Faré, Nelly Kaplan, Jacques Higelin et sa guitare, Gotlib et sa moustache en gardien de prison, l'équipe naissante du Splendid en chimistes (oui, il y a même Christian Clavier), Romain Bouteille en collectionneur de billets de banque, l'équipe Hara Kiri avec Cavanna, Cabu et Reiser en conspirateurs à cravates, François Béranger, et Coluche pour l'excellente scène finale. La musique est diégétique et la photographie, en noir et blanc assurée par cinq personnes dont William Lubtchansky et Renan Pollès, fidèle collaborateur de Pascal Thomas. C'est une superproduction.

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Peut-on parler de L'An 01 en simples termes de cinéma ? Mais oui. Le film donne la part belle aux plans larges et aux plans séquence qui laissent le champ libre aux personnages, le meilleur choix pour filmer le collectif. Il y a quelques beaux mouvements notamment un panoramique à 360° façon De Palma. J'ignore si le choix du noir et blanc a été dicté par des impératifs économiques ou un choix artistique mais il renforce le côté documentaire, comme chez Eustache ou Roméro à la même époque. Il est souvent lumineux, solaire. Seule la séquence de Resnais a une esthétique propre, plus froide, gratte-ciel et chute de banquiers oblige. Question rythme, tout le début est admirable, le suspense prenant alors qu'il faut jongler avec de nombreuses actions parallèles. Passé le déclenchement de 01, ça faiblit un peu. L'humanité se cherche et le film aussi. Il se reprend vers la fin avec deux scènes de pure comédie très réussies, jolie façon de ne pas conclure.

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La tristesse que l'on pourra éventuellement ressentir à ce film tient à la douloureuse comparaison avec ce qui est advenu. Près de 40 ans plus tard, ce n'est pas tant que les utopies de L'An 01 ne se soient pas concrétisées qui fait mal que leur terrible absence en tant que telles. Ainsi à l'aube des années 70, il y avait des rêves, des propositions, des élans capables de donner de tels films. On en chercherait en vain l'équivalent aujourd'hui, au milieu ou à la marge. Un tel projet ne s'attirerait qu'un mépris ironique ou un sourire navré. Il faut avouer qu'il y a deux trois choses qui font grincer des dents. Que ce soit de voir ce que certains participants sont devenus ou encore cette drôle d'idée d'avoir des micros et caméras partout. Dans le film, ça part d'un bon sentiment, mais quand on voit ce qu'est la vidéo surveillance sécuritaire aujourd'hui, je couine. Pourtant, pourtant, mon optimisme naturel me souffle que « tout n'est pas perdu, non, tout n'est pas perdu de vos mythes d'aurore ». Observe attentivement, camarade, comment s'est faufilée une partie du programme de 01. L'amour est plus libre, le vélo plus présent, la femme plus égale et cette idée d'une intelligence collective virtuelle se construit jour après jour sur Internet. Mais si, c'est déjà un pas de côté. C'est plus dur qu'on ne le croit, de faire un pas de côté. Tout semble si simple dans le film, si clair. Si je pousse le bouchon un peu plus loin, L'An 01 est l'équivalent des contes démocratiques de Franck Capra, de It's a wonderful life (La vie est belle– 1946) en particulier. Un même beau mensonge sur le vivre ensemble, une même utopie politique et sociale destinée à nous donner envie. Tu dis ? Je pousse un peu loin le bouchon ? Pas sûr, réfléchissons-y.

Le DVD

Photographies : © Artedis source Allociné 

Commentaires

J'ai bien compris le message, je vais y retourner.
De toutes les manières on me l'a offert, il va bien falloir que je le regarde en entier. ET je suis sûr, qu'avec une bonne disposition d'esprit, je vais finir par aimer.

Mais je crois, en effet tu as raison, que c'est pour beaucoup ce fond utopiste qui m'a éjecté du film, ne sachant plus du tout comment ni le recevoir ni l'interpréter.

J'ai ressenti comme quelque chose de posthume dans ces sourires heureux et ces élans de joie. Je n'ai pas su me positionner face à ce monde déjà mort alors même que lui ne le sait pas. Comme un tricheur qui voudrait faire semblant de croire mais qui là, c'est au dessus de ses forces, n'y arrive pas.

je réessaie et je commente, "on verra bien".

Écrit par : S; du aaablog | 13/05/2008

Pas vu mais j'ai essayé de lire la BD quand elle est ressortie en 2001. Je dis bien essayé, parce que passés la fraicheur et l'enthousiasme du début (le fameux "ça se lit Platon finalement"), on tombe vite dans la répétition, et on a beaucoup de mal à accrocher parce que le monde a bien changé depuis ces années là. L'utopie présentée ici n'a plus beaucoup de résonnance avec notre monde actuel, une fois acquis le savoureux "on arrête tout".

Écrit par : tepepa | 17/05/2008

Le monde a certainement changé, mais pas pour tout. Moi, j'ai quand même trouvé ces résonances dont parle Tepepa, ne serait-ce que parce que cette scène inaugurale du train, je la vis tous les matins depuis bientôt vingt ans (ce qui n'a pourtant pas trop entamé ma bonne humeur naturelle). Ceci dit, j'ai eu aussi un peu de mal à lire la Bande-dessinée, Gébé n'est pas toujours facile, il y a des planches assez ardues, surtout vers la fin.
J'ai l'impression, et c'est pour cela que je parlais de tristesse, que ce que nous avons le plus de mal à appréhender aujourd'hui, c'est la force de l'élan de cette époque. Je ne crois, pas, S., que ce monde était déjà mort à l'époque du film, au contraire, Plogoff, Le Larzac, LIP, les combats pour l'avortement et contre la peine de mort, c'était l'époque et les choses donnent l'impression d'un grand mouvement. Aujourd'hui, je ressens plutôt quelque chose de l'ordre de la résignation.

Écrit par : Vincent | 22/05/2008

et si la nostalgie
valait comme annonce
comme amorce
écorce de l'histoire?

Écrit par : galibert | 23/05/2011

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