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29/01/2008

Questions pour un champion

J'ai vu un film. Et en salle, s'il vous plaît ! J'ai réussi à échapper l'espace d'une soirée à mes pots de peinture et d'enduit. Plaisir des retrouvailles. Bel écran, siège confortable juste ce qu'il faut, belle projection, image limpide. Je reviendrais. Et c'est bien que pour l'occasion, ce soit avec No country for the old men, le film des frères Coen. Après avoir raté avec constance les derniers Coppola, Cronneberg, Mouret, Kar-wai, je ne les compte plus, je me remets dans le bain. Hier, j'ai donc commencé une note comme ceci : « D'entrée, c'est le bonheur. Un paysage de western, quel morceau de chance pour un amateur de western. Toute la première partie du film est une revisitation des paysages du genre, de son ambiance et de sa lumière, avant que les réalisateurs ne reviennent à leur terrain de jeu de prédilection : celui du film noir. ». Ce matin, je découvre la note d'Hyppogriffe, suite de questionnements critiques qui prolongent et illustrent son texte de l'automne sur l'état d'un certain américain depuis bientôt 40 ans. Alors plutôt que d'ajouter quelques éloges à un concert général (même le Dr Macro qui peut avoir la dent dure a apprécié), je vais essayer apporter mes réponses. C'est plus stimulant. Pour la facilité de lecture, je n'ai pas recopié l'intégralité des questions et vous invite à les lire sur son blog, d'autant que ça ne serait pas poli de copier, comme ça.

 

Des films qui se ressemblent ?

Combien de sergents irlandais dans les films de John Ford ? Difficile de penser que des films comme Miller's crossing, Arizona junior ou Barton Fink se ressemblent. Nous sommes dans des temps et des lieux et des genres bien différents que les deux frères investissent en profondeur. Rien de commun entre les neiges de Fargo et les étendues texanes du dernier film si ce n'est une fascination bien américaine pour les grands espaces. Mais nous parlons sans doute de style et là, oui, les frères Cohen tracent leur sillon dans un ensemble thématique qui les motive. Comme ils l'ont déclaré, s'ils se sont intéressés au roman de Cormac McCarthy, c'est qu'ils lui ont trouvé des affinités avec leurs propres préoccupations. Un certain type de personnage, une façon de les faire exister, une façon de les faire parler. Quelque chose qui lie le dude, Barton Fink, Tom Reagan et Llewelyn Moss.

Violence froide ?

J'ai tendance à penser qu'un réalisateur est un obsédé. Il (elle) filme ce qui le fascine et/ou le terrifie (les jambes des femmes, les bars, les vampires, les rapports de classe). Les frères Coen filment sans doute les explosions de violence froide parce qu'elles les terrifient. En soi, ça n'a rien d'original, le cinéma américain baigne en majorité dans la violence depuis toujours. Leurs deux genres majeurs sont le western et le film noir dont les personnages passent leur temps à se balader avec toutes sortes d'armes. La violence et la frontière sont les grande affaires du cinéma américain. C'est quelque chose de beaucoup plus rare dans le cinéma européen, sauf chez les italiens qui ont poussé ce motif jusqu'à l'absurde. L'originalité des Coen est de montrer la difficulté de personnes ordinaires face à ces accès déments. C'est la trajectoire du shérif Bell qui finit par renoncer comme celle de l'héroïne de Fargo qui utilise la force donnée par sa maternité pour vaincre. Il y a beaucoup de Peckinpah dans No country for the old men, autre réalisateur fasciné par la violence et qui recherchait dans sa représentation un exutoire à ses propres démons. Ceci étant on peut se ranger du côté de Renoir, le peintre, qui peignait de belles choses pour « embellir » le monde.

L'absurde réchauffé ?

J'y vois la culture d'un regard décalé, légèrement décalé, une distance ironique qui permet d'affronter le caractère foncièrement pessimiste de leurs histoires. Chigurh, déjà rien que le nom, et puis son histoire de bouteille d'air comprimé, il faut au moins cela pour accepter son côté Terminator. Il faut mettre un nez rouge au Diable pour le regarder en face.

Marche à pied ?

Je me souviens d'élégants travellings accompagnant le personnage de Tom Reagan dans Millers' Crossing et qui prenaient le temps et l'espace de sa marche. La fuite de Llewelyn en pleine nuit est plastiquement superbe, tournée aux « heures magiques » en plein désert. No country for the old men est sans doute l'un de leurs films les plus sobres en matière de mise en scène. Quoique très précise et découpée lors des affrontements dans les hôtels, elle ne prend jamais le pas sur le récit et les personnages. Hawksienne je dirais. J'avoue être moins sensible à ceux de leurs films qui mettent en avant un formalisme envahissant : Barton Fink, The barber et Le grand saut. Sur le découpage, il s'agit quand même de présenter des personnages de façon cinématographique et ceux du film sont définis d'abord par leur tenue dans laquelle bottes et armes sont d'importance. Je ne suis pas expert mais les bottes ont ici une importance capitale comme dans tout western qui se respecte.

Femmes enterrées ?

C'est le mari que l'on enterre dans Blood simple et il me semble que c'est plutôt Tarantino qui a enterré sa mariée. Il y a de beaux personnages féminins chez les Coen et celui de Carla Jean dans le dernier film est dans la lignée. Elle est finalement la seule à résister moralement au tueur.

Les figurants ?

Il y a une belle scène dans No country for the old men, c'est celle avec le patron du drugstore. Ses cinq minutes sont inoubliables parce que le film prend le temps de le faire exister, de le faire parler et de nous le rendre attachant. C'est l'apanage des grands cinéastes et du bon cinéma de genre de faire exister; non des silhouettes, mais des personnages « secondaires » que l'on travaille amoureusement pour la beauté du détail dans le tableau. Je garde le visage de cet homme comme celui de l'armurier dans Le bon, la brute et le truand. Des hommes ordinaires effrayés de se retrouver dans ces univers de fiction et qui sont un peu à mon image. Bien sûr, on meurt pas mal dans ce film, mais Blood simple était une histoire à quatre. Il n'y a pas chez les Coen l'application du principe de l'armée mexicaine qui ne sert qu'à se faire mitrailler. Là encore c'est quelque chose que j'aurais plutôt vu appliqué à Tarantino.

L'histoire ?

« Il y a dix histoires au monde et Shakespeare les a toutes racontées » disait à peu près John Ford. Hawks, de son côté, pensait que nous étions fatigué des intrigues et qu'il valait mieux se concentrer sur des scènes et les rapports entre les personnages motivés par l'action. Le principe du cinéma de genre, c'est une intrigue simple, solide, mais sur laquelle on peut broder du style. Godard disait aussi (de mémoire) que l'on croyait que les américains racontaient des histoires très structurées alors que pas du tout, un homme arrive de nulle part, à la fin il repart, c'est le western. C'est The Searchers. Bref, sans le style, le film n'est rien, mais sans l'histoire, le style n'est que de l'esbrouffe, ce qu'est devenu 95% du cinéma américain d'aujourd'hui et de ses imitateurs français. La réussite de No country for the old men c'est de nous faire entrer et croire à cette histoire au service de laquelle les Coen ont mis leur style (et pas le contraire). C'est le principe de Carpenter.

Décollage ?

Prenant, pas prenant, ça reste subjectif.

Point de vue ?

No country for the old men est leur oeuvre la plus linéaire mais le film change au moins trois fois de couleur. Première partie western avec grands espaces en scope centrée sur Llewelyn Moss, seconde partie urbaine et mexicaine dans laquelle Chigurh se fait plus présent, troisième partie qui ne surprendra vraiment que ceux qui n'ont pas vu Le grand silence de Sergio Corbucci. La seconde partie à une tonalité ironique marquée. Dans les années 60 et 70, le Mexique est l'ultime frontière des films américains et italiens. Son passage est le symbole d'une seconde chance, la possibilité de retrouver un espace de liberté perdue. Ici, les Coen après l'irrésistible concert des mariachis, montrent qu'il n'y a plus aucune différence. Les mêmes chambres d'hôtel, les mêmes voitures, le même monde. Il est là, le point de vue, partagé par Bell et Carla Jean, comment trouver sa place dans cette uniformité ?

Dialogues ?

Les films des Coen se divisent en films de taiseux et en films de bavards. No country for the old men me semble appartenir à la première catégorie. J'ai toujours trouvé suspects les dialogues de tueurs philosophes, ça me semble donc normal que des piliers de bar aient des discours correspondants. Et je trouve très beaux les monologues du shérif, directement issus, si j'ai bien compris, du roman original, comme Huston avait pris les dialogues originaux du Faucon maltais.

Amérique réelle ?

Je serais bien en peine de dire ce qu'est l'Amérique réelle. Pour moi, nous sommes dans un monde de cinéma qui se nourrit du réel mais qui serait prétentieux à vouloir en être l'image. Il n'est pas plus réel que Monument Valley ou les canyons d'Almeria, pas plus réel que le Paris de Guitry ou la Rome de Fellini. Les Coen ne font pas mine puisqu'ils jouent le jeu d'un certain cinéma et ne trichent pas avec lui.

Exposition ?

Là, je suis bien embêté. Je suis arrivé le film commençait et je ne suis pas sur d'avoir vu les premiers plans. J'ai honte. Mais pour moi, l'exposition, c'est ce plan large d'un paysage infini et je renvoie à la phrase par laquelle je pensais commencer ma note.

Rails et continuité ?

Encore un principe du cinéma de genre et d'efficacité tout court. Dans le dernier Rivette comme le dernier Chabrol, comme chez tant de cinéastes que nous aimons, il s'agit de bien poser les choses pour être plus libre par la suite. Tout est dit dans les premières cinq minutes de Rio Bravo et la place est libre pour le cinéma. Une fois posé les enjeux, No country for the old men me semble riche en ellipses, il y en a même de radicales vers la fin. Contrairement à beaucoup de commentateurs, je trouve que la violence du film reste assez souvent hors champ. La violence effective suffit à créer un climat de tension et à laisser le spectateur faire le travail lui même. Nous sommes plus souvent dans la découverte et le pur suspense (les scènes du motel) que dans l'action brute. Le film reste surprenant dans la mesure ou les Coen jouent sur les codes et les attentes faciles. Le film ne manque pas de tangentes le long de son tracé linéaire. Que ce soit le sort de Llewelyn ou la décision finale de Bell. En outre j'aime leur façon de jouer avec le hasard qui vient perturber les mécaniques de leurs récits, l'accident de Chigurh est une belle brèche, dans tous les sens du mot.

Dégoûtante propreté ?

Leurs films seraient-ils trop lisses ?

« Spectacle total » et trivialité ?

Il y a une tendance générale depuis les années 60 à une sorte de réalisme qui entend donner du poids au spectacle. Je m'aventure ici sur des terrains mouvants pour moi, mais je pense que les modes de représentation n'ont cessé d'évoluer et que cela ne tient pas seulement au cinéma, le pauvre. A partir de là, on peut approuver ou non selon des critères esthétiques, mais il y a pour moi dans cette « trivialité » une part d'hypocrisie qui a sauté. Le cinéma, c'est du mensonge 24 fois par seconde (de mémoire).

Personnalité ?

Les frères Coen forment un tandem assez peu commun dans l'histoire du cinéma. Ils ont beau l'expliquer à chaque fois, je ne sais pas vraiment comment ils travaillent de façon pratique. Leurs films sont pourtant « signés » dès les premiers plans et, comme il a été dit plus haut, ils ont une unité de style susceptible de passer pour de la ressemblance.

Le triomphe de l’individu solitaire ?

Ce triomphe n'est jamais certain. Le destin, le hasard comme on voudra, est le grand gagnant chez les Coen. Le hasard est-il réaliste ?

Les maniaques ?

J'ai commencé la biographie de John Ford et plus j'en apprends sur les cinéastes, plus je pense que (voir plus haut). Le problème avec le cinéma, c'est peut être de trouver les maniaques correspondant à nos propres maniaqueries. C'est un point capital. Après tout j'ai toujours été fasciné par le western tout en détestant les armes, les chevaux et les odeurs viriles qui vont avec. Je comprends donc assez bien les coup de coude des deux frères.

Premières œuvres ?

Le concept de « film enfin adulte » suit Steven Spielberg depuis trente ans aussi je suis un peu crispé avec lui (le concept, pas Spielberg). La carrière des Coen est à mon sens une exploration de différents styles et No country for the old men est indéniablement une oeuvre plus aboutie, plus ronde ce qui facilite les choses pour les tangentes.

Les « jeunes » cinéastes américains ?

La grande question qui nous ramène à la note de cet automne. Peut être parce que les générations précédentes n'avaient pas de formules sous les yeux et que tout était à inventer. Peut être par fascination pour des formes qui avaient atteint un haut degré de perfection. Peut être par paresse ou encore parce que nous ne sommes pas dans un temps de grande créativité. Peut être parce que nous sommes des enfants gâtés.

Coen 2008 ?

J'avoue avoir été surpris par l'unanimité de l'accueil fait à ce film, qui me l'aurait presque rendu suspect. Mais finalement j'ai bien fait de me méfier puisque la surprise n'en a été que plus agréable. Une façon de répondre à cette question et à celle soulevée par la note de l'automne, c'est le principe de fidélité qui a toujours guidé ma cinéphilie (on va dire ça comme ça). Cimino et Coppola ont beau n'avoir plus rien fait depuis vingt ans, je refuse pour autant de revenir sur ce qu'ils m'ont apporté il y a vingt ans et que je vérifie de temps en temps. Je me souviens de Walter Hill citant un écrivain qui relisait, âgé, les livres de sa jeunesse. Et Hill disait « J'espère que je reverrais toujours Stagecoach à 70 ans ». Ca nous laisse de la marge. Je ne sais pas ce que je penserais de No country for the old men dans 10 ans, mais je sais que je préférerais qu'il ait bien vieillit en bouche plutôt qu'il n'ai madérisé.

Prison ?

Trust none of what you hear

And less of what you see

This is what we’ll be

 

17:40 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : Coen |  Facebook |  Imprimer | |

Commentaires

Ah, magnifique réponse Vincent! J'aime aussi énormément le film des frères Coen. Effectivement, c'est à la fois leur film le plus linéaire mais aussi le plus "béant", celui qui ouvre le plus de gouffres... Je trouve, pour ma part, qu'il n'y a plus du tout ce second degré qui irrite les détracteurs des frères. Un peu d'humour, certes, mais quelque chose d'absurde et qui ne désamorce pas la noirceur et le pessimisme du propos.
C'est amusant que tu "répondes" à Hyppogriffe car je l'ai fait à ma manière. C'est sans doute que ce texte passionnant, à l'inverse de certaines descentes en flamme gratuites, a le mérite de poser de vrais questions et ma conclusion est un peu la tienne : "Le problème avec le cinéma, c'est peut être de trouver les maniaques correspondant à nos propres maniaqueries".
J'ai expérimenté ce fait sur un autre film et nul doute que ça te fera réagir également ;-) Mais c'est une autre histoire...

Écrit par : Dr Orlof | 29/01/2008

Disons aussi, pour rajouter au plaidoyer (plaidoyer certes relatif puisque le film est unanimement louangé) que cela faisait quand même longtemps qu'un film ne s'était coltiné avec autant de plaisir à la déclinaison du théorème hitchcockien: "plus le méchant est réussi, plus le film est réussi". La preuve avec cette incroyable scène du drugstore, sans doute la plus terrifiante et éprouvante de tout le film alors qu'il ne s'agit juste que d'un dialogue en champ-contrechamp.

Écrit par : Joachim | 30/01/2008

Les frangins connaissent leurs classiques. Sur le premier film, ils s'étaient déjà mis sous l'ombre tutélaire de Hitchcock : "tuer quelqu'un est très dur, très douloureux et très très long". Pour le "plaidoyer", tu as raison, c'était surtout une façon un peu différente de parler du film. et puis j'aime les critiques d'Hyppogriffe parce qu'elles me stimulent. Sinon, je serais à Clermont du 2 au 6, je t'envoie un message.

Écrit par : Vincent | 30/01/2008

Très belle réplique à laquelle je souscris entièrement. L'article d'Hyppogriffe appellait, de par sa formulation même, une réponse longue reprenant point par point les problèmes soulevés. Manquant de temps et de peur de me répéter par rapport à ma note sur le film, je ne me suis pas lancé là dedans. Voilà la chose faîte remarquablement. Comme Orlof, je suis sensible à votre phrase sur les maniaques. Quant à Hyppogriffe, il a effectivement le don de stimuler et de pousser chacun à refléchir sur ses rapports à certains films.

Écrit par : EdSissi | 30/01/2008

Personnellement, pas trop emballé par le film, même si je lui reconnais de vrais qualités. La référence au western, bien mais tellement usée comme entrée thématique. La noirceur, oui, c'est vrai, c'est sans doute ce que j'ai préféré dans le film...
Tout simplement les Cohen ne sont pas trop ma tasse de thé et pour tout dire, à l'instar d'un tarantino, je les trouve un peu surestimés. Inutile de resservir la rengaine sur les "gouts les couleurs" ;-) Pas de norme, juste des jugements personnels... Ni pour ni contre etc.

Pour le reste, je trouve plutôt sympathique d'avoir une voix dissonante (celle d'Hypoggriffe donc) dans le concert d'éloges qui entourent ce film. Voix un peu brutale, c'est vrai, mais sans doute une réaction à l'enthousiasme collectif actuel.

Bref, je trouve tout cela plutôt amusant !

Écrit par : el pibe | 30/01/2008

Ayant trouvé "No Country for Old Men" affligeant et plus affligeant encore le tonnerre d'applaudissements qui l'a accueilli, j'ai couché très vite par écrit, en fait immédiatement après l'avoir vu, toutes les questions qui m'étaient venues pendant la projection, pour ne plus avoir à y revenir. Vous comprenez que dans ces conditions, Vincent, je ne compte certainement pas vous répondre point par point. Mais vous savez ce que je pense, ou plutôt ce que je n'arrive toujours pas à comprendre : comment peut-on aimer à la fois Ford et les Coen?

Écrit par : Hyppogriffe | 01/02/2008

Je vous comprends d'autant mieux que j'avais bien noté que vos questions n'appelaient pas de réponses en soi. Ce qui m'a intéressé, c'est d'élargir à partir de ce film sur les échanges de l'automne.
Il y a la "forme hollywoodienne classique" comme l'appelle Manchette, dont Ford est l'un des piliers, l'un des plus originaux. Et ceux qui ont suivi, parmi les cinéastes qui m'intéressent, ont souvent travaillé à partir de cette forme. Ca ne veut pas dire que les premiers ont apprécié, Hawks détestait le travail de Peckinpah et de Léone, mais moi, les trois me séduisent et j'aime la façon dont les derniers ont revisité leurs aînés. La génération suivante sur laquelle nous nous escrimons vient de là et les Coen, entre autres, travaillent sur cet héritage. Moi, j'y vois une continuité, des liens, l'amour des nouvelles générations pour le travail des plus anciennes et ces larges plans du désert texan me touchent parce les Coen viennent respirer là le même air que respirait Ford. Je ressens la mélancolie, parfois l'amertume, qu'ils ont à se dire "Est-ce que nous sommes capables de retrouver cette magie ? Est-ce que nous l'avons perdue ?". Quand je trouve cela dans ces films, cet air, cette poussière, j'en suis heureux.

Écrit par : Vincent | 01/02/2008

Les six premiers plans du Coen (et peut-être tel plan du reflet de Bardem dans un téléviseur, avec le soleil l'auréolant) sont les plus beaux du film, et j'ajouterais : les seuls beaux, mais la photogénie des paysages et de la lumière du sud des Etats-Unis ne doit pas faire oublier la violence, la cruauté, le cynisme avec lesquels les réalisateurs jouent à faire apparaître ou disparaître leurs personnages. Sandrine Rinaldi (lien sur mon nom) parle bien de ces ellipses d'autant plus choquantes qu'elles ont le vernis "d'auteur", puisque n'étant pas expliquées, elles intriguent et semblent avoir un sens caché. Mais qu'est-ce qui a du sens dans ce film? Qu'est-ce qui respire? Cet air, cette poussière, dont vous parlez et que j'aime comme vous dans les films de John Ford, n'agissent-ils pas comme des lunettes déformantes, faisant passer un petit scénario ricanant pour un hommage cinématographique vibrant?

Écrit par : Hyppogriffe | 01/02/2008

Il me semble avoir lu ce texte sur Kuhe. Vous savez que je n'écrirais jamais qu'un film est "inadmissible", je ne suis même pas sûr de bien comprendre ce que ça peut vouloir dire. Le son du vélo, moi je ne l'avais même pas remarqué, j'étais dans le film, encore dans l'impression de cette femme qui avait refusé le jeu du tueur, ce qui fait que l'ellipse n'a pas de sens caché pour moi. Ce qui est important, c'est qu'elle ait dit non, et c'est ce qui est filmé. Vous vous demandez ce qui fait sens, mais pour moi, toute cette histoire autour de la frontière, autour du passage au Mexique, c'était clair comme l'eau du Rio Grande, ça me parle et ça fait sens avec les liens dont je parlais plus haut. Maintenant je comprends très bien que ça ne vous parle pas. Il y a le film, il y a ce que l'on apporte et passé un moment, ce que l'on veut voir. C'est valable dans les deux sens.
Vous ne m'en voudrez pas si je ne vous réponds pas (si toutefois nous prolongeons l'échange sur ce film là), je pars demain matin voir des courts métrages à Clermont Ferrand. je rentre jeudi
Bien à vous

Écrit par : Vincent | 01/02/2008

Ce court mot pour ajouter que le nouveau De Palma, qui a déjà rendu Emmanuel Burdeau complètement fou (cf. lien sur mon nom), me semble se poser là pour nous faire poursuivre ce que vous appelez aimablement notre "échange d'automne"...

Écrit par : Hyppogriffe | 02/02/2008

Hyppogriffe et Vincent. Sublime débat auquel j'aurais adoré participé si j'avais plus de temps en ce moment. Mais le temps reviendra.

"Comment peut-on aimer à la fois Ford et les Coen?"
Demandiez-vous H.

Mais l'Amérique, bien sûr. Toujours cette vieille fascination pour les auteurs, ceux qui se répètent à l'infini autour du même motif et de la même vision, et plus précisément, dans le cas du cinéma, autour de l'Amérique. (bien que Ford et les Coen n'en disent pas la même chose).
Les Coen, leur obsession pour ce pays bien trop grand et trop vide, condamnant l'Homme à errer, physiquement puis moralement, avant de se raccrocher à la plus veine des activités, le remplissage par l'argent. C'est presque une autre explication à l'émergence du capitalisme chez les pionniers.
Enfin, de la violence inévitable qui vient avec cette course à l'enrichissement. Dans le dernier film, ils mettent l'éclairage sur ce dernier thème, auparavant toujours présent, mais pas forcément central. Ce personnage symbolique de "ce qui vient avec l'argent" est assez réussi. Magnifique dernier meurtre en hors champs où tout est dit dans le dialogue : "mais ce n'est pas vous, cette pièce." Et lui de répondre :"oui, mais elle est venue avec moi". Implacablement logique et effrayant.

Écrit par : S; du aaablog | 16/02/2008

Merci de votre passage. Il y aura sans doute d'autres occasion. La sortie de prochain De Palma peut être et puis cette idée de faire revenir Indiana Jones. Je suis curieux de voir ce qu'il reste de la fascination de 1981, Si et comment il aura joué de ça.
J'ai beaucoup votre idée autour de l'argent et de sa violence. Je n'y avais pas vraiment réfléchi mais on peu se demander ce que Chigurh cherche en fait puisque sa simple pièce lui suffit. Est-celle une excuse à sa perversité où une malédiction qu'il porte (comme l'harmonica de Bronson chez Léone) ?

Écrit par : Vincent | 17/02/2008

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