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07/07/2007

Impetuous ! Homeric ! - Partie 2

Le moteur érotique de The quiet man, c'est l'interaction entre ces deux corps. Quelle phrase. Mais cela prend en compte la diversité de ces interactions, en particulier la douce violence au sein du couple. Il l'attrape au vol, elle tente de le gifler plusieurs fois, il lui donne une tape sur les fesses (Fais comme si c'était pas grave dira Jason Robards à Claudia Cardinale chez Léone), elle le menace d'un fouet, Il la lance sur le lit et, pour finir, il y aura la longue et anthologique scène où il la ramène de la gare à son frère avec au passage un coup de pied aux fesses qui aura fait grincer bien des dents. Il faut noter qu'aucun de ces gestes ne se résout en tragédie (Les gifles sont contrées, il accepte de dormir dans le salon), que quand on se bat chez Ford c'est souvent entre amis et que cette violence est partagée dans le sens qu'il ne s'agit pas d'exercer une domination. Elle n'est pas différente de celle de la bagarre finale qui n'est qu'une forme de réconciliation (virile, certes) entre Thornton et Dananher frère. Bien sûr que c'est irréaliste, dans la vraie vie on se bat rarement pour rire, en couple ou entre amis sauf les enfants. Mais nous sommes au cinéma, alors cela se pratique entre armée et marine, entre cavaliers, entre irlandais, entre mari et femme. Question de tempérament. Question de comédie aussi, la référence du film, c'est La mégère apprivoisée de William Shakespeare.

Dans le cas présent, on comprend vite qu'il ne s'agit que d'une autre façon de s'étreindre et le premier échange d'horions se transforme vite en baiser passionné. Comme à l'issue de la « promenade de santé », Mary Kate peut accepter le compromis avec Sean et lui ouvrir la porte de la chaudière dans laquelle il balance l'argent de la dot. Et puis repartir, fière, le regard une nouvelle fois plein de désir, s'étant affirmée comme femme et épouse au vu de tous après que lui se soit affirmé comme homme et mari respectueux de ce que cela signifie à Innisfree. Le dernier plan du film, après que l'ensemble des acteurs ait salué comme à la scène, montre nos deux époux devant leur cottage. Mary Kate murmure quelques mots à l'oreille de Sean qui prend un air étonné comme seul Wayne en était capable. La légende veut que Maureen O'Hara n'ait dit qu'à John Ford ce que serait sa réplique, sans doute à la hauteur de son franc parlé. Les deux John ayant disparu, la rousse sublime ayant décidé d'emporter le secret dans la tombe, nous sommes libres d'imaginer de quelle façon Mary Kate entraîne Sean vers White O'morn' pour y rattraper le temps perdu.

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De gauche à droite: Francis Ford, John Wayne, Victor McLagen, John Ford et Barry Fitzgerald (assis)

Si la dimension de comédie érotique est essentielle, il ne faudrait pas qu'elle masque les autres richesses du film. Comme dans plusieurs de ses oeuvres de la même période, John Ford exprime dans The quiet man un idéal de vie. Celui de la petite communauté comme les mormons de Wagonmaster ou la petite ville de The sun shine bright. Des communautés avec leurs préjugés mais finalement ouvertes, une ambiance 1900, dans lequel la voiture est rare, la grande ville et l'industrie lointaines, la vie harmonieuse et où le temps s'écoule avec douceur. Une utopie. Caractéristique est le traitement de la religion dans ce film. Ford, on le sait était un catholique bon teint. Dans un pays où la question religieuse est si sensible, il se paie le luxe de montrer des communautés apaisées et vivant en bonne entente. Prêtre (Ward Bond) et pasteur (Arthur Shields) complotent ensemble à réunir les amants. Et au final les nombreux catholiques se feront passer pour des protestants pour conserver son poste au pasteur. Et Ford va plus loin. A ces religions modernes et monothéistes, il mêle de nombreux signes de croyances anciennes et d'esprits naturels. Ainsi comme on l'a noté, la façon dont les éléments interviennent aux côtés des personnages : la tempête aux moments de passion, la pluie sombre lors de la tentative de demande en mariage, le vent lors de la course de chevaux, le feu au coeur du foyer. Et puis il y a ce vieux saumon traqué par le père Lonergan, véritable esprit de la rivière. Et la réplique de Michaleen Oge Flynn « Homéric ! » abusé par l'état du lit nuptial. Et cette façon d'évoquer la moderne Amérique et les aciéries de Pittsburg (Dans une fournaise si chaude que l'homme en oublie sa crainte du feu éternel). Cet ensemble de croyances cohabite sans heurt, harmonieuses au sein d'une nature irlandaise puissante et bienveillante. Innisfree est bien une terre de conte de fée, si proche et si lointaine.

Ford en accentue le côté irréel avec la narration assurée de façon intermittente par Ward Bond, le contraste entre les somptueux extérieurs irlandais et les décors de studio travaillés de façon expressionniste (le cottage, le cimetière, le ring) et qui ne cherchent pas à cacher ce qu'ils sont ; la mise en scène qui travaille le côté théâtral des situations (la course de chevaux, la bagarre finale, le mariage) avec le décor envisagé comme une scène, les figurants comme spectateurs de l'action et ses rituels quand Flynn met en scène la demande en mariage, la cours ou la bagarre finale. Il faut aussi mentionner l'utilisation de la musique, partition enlevée de Victor Young basée sur des airs traditionnels, qui est alternativement extérieure et intégrée à l'action. Pour Ford, enfin, ce retour sur la terre ancestrale se traduit par un retour au cinéma des origines, le muet. A plusieurs reprises le son est délaissé pour la pure expression visuelle comme dans la scène du tandem. On y voit Wayne parler, mais on ne l'entend déjà plus. Seul compte alors l'attitude de Maureen O'Hara qui l'entraîne dans la course poursuite au milieu des champs où l'image est reine.

Cette philosophie de vie, c'était celle que Ford recherchait dans l'exercice de son métier et la clef de sa conception du cinéma. Le tournage de The quiet man a été une histoire familiale et de belles vacances d'été. Son frère Francis Ford, qui le fit venir à Hollywood au milieu des années 10, joue le truculent Dan Tobin, le patriarche ressuscité par la « réconciliation » finale ; Maureen O'Hara y joue avec ses deux frères Charles Fitzsimons et James O'Hara ; John Wayne était venu en famille et quatre de ses enfants sont dans le film (autour de O'Hara lors de la scène de la course). On retrouve évidemment l'essentiel de la troupe à Ford : Ward Bond et ses cannes à pêche, Ken Curtis avec son accordéon, Mae Marsh, Arthur Shields et son jeu de puce, Mildred Natwick vieille fille comme bientôt chez Hitchcock, Sam Harris en général sourd ; et l'immense Victor McLaglen. La touche locale au film est achevée par les prestations de plusieurs acteurs de la fameuse troupe des Players from the Abbey Theatre Company en personnel des chemins de fer, piliers de bar et petites gens d'Innisfree. Barry Fitzgerald en est le plus illustre représentant dans l'inoubliable rôle de Michaleen Oge Flynn. Comme il le dit : «la nuit est claire et fraîche, j'ai envie d'aller rejoindre mes amis et discuter politique ». Il est sur un petit pont de pierre avec Wayne, non loin du cottage. On entend la rivière en dessous et le vent du soir. C'est un moment doux et précieux.

Pistes

le DVD

Un magnifique article en anglais par William C. Dowling

Un article sur DVDclassik

La fiche sur le Ciné-club de Caen

Un article en anglais sur Speakeasy.org

Un article en anglais sur filmsite

Un article en anglais sur Reel Classics

Le Quiet man movie club

Le site du village de Cong (à visiter un jour)

Photographie : © Connacht Tribune Group

Commentaires

Salut Vincent ! Je viens de finir de visionner Liberty Valance et je te remercie pour le conseil, je me suis régalé. La dernière 1/2 heure est particulièrement impressionnante. Je suppose que ce film a un grand intérêt dans la filmographie de Ford.

Je pensais aussi à un autre western dernièrement qui devrait te plaire si tu ne l'as déjà vu, que je trouve très intelligent, c'est Wychita de Jacques Tourneur. Un western que je dirais politique et que Tourneur, comme à son habitude, tourne avec une grande économie de moyens, en artisan amoureux du cinéma qu'il était...

Écrit par : Casaploum | 08/07/2007

je suis ravi que ce film t'ai plu. C'est effectivement un film important parce qu'il synthétise une grande partie de la philosophie de Ford (la légende...). C'est aussi un film atypique dans les années 60, peut être son plus personnel à ce moment de sa carrière. Personnellement, j'adore la scène du restaurant, l'histoire avec le steak, la réplique de Wayne "C'était mon steak, Valance", j'en suis fou. Et puis ces steaks, quels formats ! Des steaks pour géants comme Wayne ou Marvin. des steaks de légende :)

Écrit par : Vincent | 09/07/2007

Je n'ai pas vu ce western de Tourneur, mais j'avais beaucoup aimé son "Passage du Canyon" qui est ressortit en DVD il y a peu. Merci pour le tuyau.

Écrit par : Vincent | 09/07/2007

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