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10/01/2007

Notes sur quelques films français en 2006

Un poil administratif ce titre, mais cette année, pas de liste. Paternité oblige, je suis allé très peu en salle et j'ai profondément modifié ma façon de voir des films en 2006. Du coup la seule liste que je pourrais éventuellement proposer, ce serait celle des mes regrets (très relatifs parce que ma fille est passionnante à tous points de vue). Après Avril, petit poème élégiaque à la beauté de Sophie Quinton dont je vous avais parlé en juin (je m'amuse d'un rien), j'ai pourtant réussi à voir quatre films correspondant à quatre styles que j'affectionne dans le cinéma français.

Ici Najac, à vous la terre de Jean-Henri Meunier est caractéristique de ces documentaires qui partent d'expériences personnelles et sont de plus en plus présents sur les écrans. Comme si ces films entendaient démontrer que la réalité dépasse bien la fiction, et qu'ils sont mieux à même de passionner les foules sur des sujets puisés au coin de la rue. Voire plus près. Ici, Jean-Henri Meunier s'est installé il y a une dizaine d'années à Najac, petit village de l'Aveyron, et tout est partit de l'envie de filmer son voisin. Un premier film sort en 2004, La vie comme elle va dont Ici Najac, à vous la terre constitue la suite. La force et l'intérêt ce ce film est qu'il n'aurait pu être qu'un pamphlet altermondialiste de plus mais que tous les clichés attendus sur ce sujet sont dynamités par la personnalité peu banale du fameux voisin, Henri Sauzeau, le poète de la mécanique. Le film est d'abord un éloge de ceux qui sont encore maîtres de leur temps, une sorte d'éloge de la paresse si l'on est sensible à la pensée de Lafargue. Et de ce temps maîtrisé, les habitants de Najac font ce qu'ils veulent sans dogmatisme et sans se transformer automatiquement en militant. Il y en a bien un ou deux qui sont dans cette démarche, mais ils semblent bien pâles face à l'obstination du poète de la mécanique qui met en avant la passion de son ex-métier, lui qui entasse machines et carcasses automobiles pour les retaper par pur plaisir de l'activité. Plus encore que le chef de gare hédoniste, il est le pivot de cette chronique construite comme une fiction autour de ses démêlés avec ceux qui ne comprennent pas cette poésie. Car au delà, il y la valeur d'une certaine forme de travail, la dignité d'un homme et l'absurdité d'un système ou le gaspillage (tous les gaspillages) est roi.

Je me suis rendu à Changement d'adresse de Emmanuel Mouret sur les conseils de Pierrot qui avait écrit dessus avec enthousiasme en août. La surprise a été totale car, n'ayant pas la télévision, j'ignorais tout de Frédérique Bel. Quel ravissement ! Comme Karin Viard, Sandrine Kimberlain ou Jeanne Balibar, elle dégage tout à la fois humour, sensualité et vivacité. On a beaucoup écrit sur les liens entre cette comédie pétillante avec certains films de la Nouvelle Vague, surtout François Truffaut période Doinel. Je lui ai surtout trouvé une très proche parenté avec les comédies de Bruno Podalydes, Versailles rive-gauche en particulier, pour son adresse à tirer partie d'espaces très réduits pour en faire le moteur de la comédie. Placer un couple en devenir dans 12 mètres carrés, c'est donner à chacun de leurs gestes, chacun de leurs déplacements, une dose de suspense sensuel chargé d'érotisme. Sur un canevas on ne peut plus éculé (un garçon rencontre une fille), Mouret montre une nouvelle fois que la réussite d'une comédie tient au rythme, à la mise en scène de l'espace et à la mystérieuse alchimie que l'on fait naître entre les comédiens.

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Partir pour mieux revenir, c'est un peu ce que j'ai pensé du Voyage en Arménie de Robert Guédiguian. Quitter l'Estaque et son petit monde confortable pour illustrer magistralement les derniers moments de François Mitterrand. Revenir l'espace d'une scène d'ouverture pour repartir sur les traces de son passé dans l'Arménie moderne. Retrouver une fois encore sa troupe pour les faire partir dans de nouvelles directions. Une grande part du plaisir que j'ai pris à ce voyage ne tient pas tant au côté « recherche de ses racines » mais à la prestation de Gérard Meylan en général arménien improbable et aux déambulations d'Ariane Ascarides. Tentation du cinéma de genre qui affleure parfois chez Guédiguian (film noir, comédie musicale, western), quand Ariane s'empare d'un revolver et tire dans le tas pour aider la jeune esthéticienne imprudente, j'ai pensé à la Gloria de Cassavetes. Guédiguian, c'est flagrant depuis La ville est tranquille, maîtrise parfaitement son art et s'en délecte. Ses films ont de la majesté et de la simplicité. De la classe.

Philippe Lioret, dans un autre registre, c'est un peu pareil. Je vais bien, ne t'en fait pas ne semble pas avoir intéressé grand monde. Tant pis pour eux. J'aime le cinéma de Lioret. J'ai toujours aimé les classiques. Mademoiselle et L'équipier étaient deux beaux classiques dans le registre de la comédie et du mélodrame. Son petit dernier est plus compliqué. Construit comme un film de Shyamalan en bien moins roublard, il a pourtant une apparence des plus réaliste. Mais il ne cesse de bifurquer, explorant quelques figures classiques du cinéma français actuel pour mieux les expédier et rebondir sur autre chose. L'héroïne a une dépression ? Ce qui ferait un film entier chez certains est réglé en vingt minutes. Le film élimine cliché après cliché, piste balisée après certitude de spectateur blasé pour nous obliger, lors de l'émouvant final à reconsidérer tout ce que l'on a vu. Plus que ce que l'on a vu (comme disons chez Shyamalan) ce que l'on a ressentit. Face à ce genre de films, j'ai toujours envie de retenir mon emballement et d'attendre une seconde vision, histoire de voir si ça tient la route. Patience, donc et, il faut le dire, Mélanie Laurent est superbe.

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Deux regrets cette année, Dumont et Brisseau. A vrai dire, je voulais les voir parce que l'on en beaucoup parlé dans les blogs de mes petits camarades. J'aurais voulu discuter sur du solide. Je ne pense pas que ce soit un acte manqué, mais ça ne s'est pas fait. Dumont, je le crains un peu et je suis un peu tordu parce que je veux voir ce qu'il fait pour m'en débarrasser, comme je me sens débarrassé de Hanneke depuis La pianiste. C'est la pire des raisons pour voir un film mais on ne se refait pas. Brisseau, c'est autre chose. J'ai suivi « l'affaire » et, au début, je pensais comme Pierrot qu'il fallait le défendre, défendre le cinéaste et sa conception du cinéma. Puis j'ai lu la position de mes amis de la Maison du Film Court et j'ai nettement nuancé mon avis. Il y a la vision de Brisseau et la vision de ces jeunes femmes et qui suis-je pour aller juger ? Je ne pense pas que l'Art justifie n'importe quel comportement. Mais que s'est-il passé vraiment ? Mystère et boule de gomme. Bon, Brisseau a fait de sa vision un film (et les jeunes femmes feront peut être un livre). J'espère le voir un jour mais j'ai pu découvrir entre temps son précédent, l'objet du délit comme on dit : Choses secrètes. J'avoue que j'ai été déçu. La mise en scène est élégante, la photographie chaude et les corps filmés avec sensualité. Mais la plupart des acteurs jouent mal. Le vilain fils à papa pervers est à la limite du ridicule. Et le pauvre cadre bafoué ! Ca démoli un peu tout. Et sur le fond, j'ai trouvé tout ça bien sage. Ce n'est pas Bunuel, ni Kubrick, ni Oshima, ni Suzuki, ni pas mal de monde. Brisseau, ici en tout cas, ne manie pas le sexe comme un étendard révolutionnaire, comme un scalpel dans la chair de la société, comme un cri. Tiède le film. Heureusement qu'il y avait les yeux de Coralie Revel.

Photographies : Allociné 

Commentaires

Je viens également découvrir avec émerveillement le film de Guédiguian, pourtant si éloigné de moi jusque là et j'ai bien l'impression qu'il va changer du tout au tout la vision que j'avais de son oeuvre!
Je ne suis pas trop d'accord, Vincent, avec votre appréciation de Lioret, je le vois moins en classique qu'en académicien ! Le classicisme, à mon sens, c'est davantage une fougue contenue, une violence rigoureuse, des passions mises en équilibre, mais chez lui, du moins dans l'Equipier, je vois surtout du tiède et du raccord exact.
Sinon, je comprends tout à fait votre manière de souhaiter voir un film pour vous "débarasser d'un auteur", c'est ce que j'ai fait avec La mauvaise education d'Almodovar, et ça marche !

Écrit par : Ludovic | 10/01/2007

Content que tu aies partagé mon enthousiasme pour la délicieuse comédie d'Emmanuel Mouret (si tu ne les a pas vu, je te recommande également "Vénus et fleur" et "Laissons Lucie faire".
Mais dois-je comprendre à la lecture de ce bilan que tu n'as toujours pas vu "Coeurs"? Va-t-il falloir que je redouble d'enthousiasme pour t'inviter à te précipiter dans les salles?
Pour Dumont et Brisseau, je ne contre-attaque pas : on tourne la page avec la nouvelle année et j'apprécie toujours autant ton sens de la modération. Si tu n'avais pas été un passionné de cinéma, je crois que tu aurais fait un excellent diplômate :-)

Écrit par : Dr Orlof | 10/01/2007

Ludovic, je partage complètement votre définition du classicisme, mais quand, dans "L'équipier", je vois Bonnaire frapper la poitrine de Derangère pour le faire régir, entre sa colère demi-feinte et son étonnement de découvrir son désir pour lui, c'est tout à fait ce que je ressens : fougue contenue, violence et passion. J'ai retrouvé ça dans les regards d'Isabelle Renauld, entre autres. Et puis j'aime son sens de l'humour, pas celui du cinéaste mais celui qu'il donne à ses personnages. Bref je lui trouve quelque chose qui m'enthousiasme derrière une forme qui semble assez ronde en surface (ou lisse si l'on veut). N'est-ce pas un peu le sujet de son dernier opus ?

Cher docteur, je pense poursuivre dans l'oeuvre de Mouret. Je ne te remercierais jamais assez de m'avoir incité à voir ce film. Brisseua aussi, je persévère, je viens de commander " Noces blanches".
Sinon, "Coeurs" est mon véritable regret de l'année, j'avais espéré le voir pendant les fêtes mais je ne désespère pas. Nous avons un petit cinéma indépendant qui vient juste de le reprendre. il n'y a que deux séances par semaines mais je vais faire mon possible. Je partage ton admiuration pour Resnais sans, je crois, réserves.

Écrit par : Vincent | 10/01/2007

C'est intéressant que vous citiez cette scène, car c'est la seule qui m'ait vraiment touché, elle me semblait comme prometteuse d'un autre film, d'une autre manière de cadrer la passion de son héroïne (qui je le reconnais était remarquable dans ce film, comme dans la plupart d'ailleurs).

Écrit par : Ludovic | 11/01/2007

"Le classicisme, à mon sens, c'est davantage une fougue contenue, une violence rigoureuse, des passions mises en équilibre", écrit Ludovic, et cela définit admirablement le cinéma de Guédiguian. Merci Vincent de n'avoir pas oublié "Le Voyage en Arménie".

Écrit par : Hyppogriffe | 11/01/2007

Bonjour,

La ville est tranquille est c'est vrai un très bon film. Je regrette donc de n'avoir vu Voyage en Arménie. Guedigian est très attaqué et Marius et Jeannette était insupportable par sa mise en scène baclée... ce qui n'est jamais le cas de Brisseau. Mais attendons 2007 pour les débats polémiques. Bien que, bien que, si je me souviens bien , les bébés demandent beaucoup de soirées les deux premières années...

Merci aussi pour Meunier et Lioret. Pour ce dernier, je penserai classique et non académique dès que j'aurai l'occasion de voir ses films. Venant d'un admirateur de Ford, c'est certainement un grand compliment que tu lui fais.

Merci enfin pour ton blog, toujours si bien écrit et pertinent.

Écrit par : jll | 11/01/2007

Ludovic, Sandrine Bonnaire, j'avoue que j'ai appris à l'apprécier particulièrement avec Lioret et Chabrol (d'abord Chabrol bien sûr). Et maintenant, je la vois tout à fait différemment. A l'époque de Pialat puis Varda, j'étais moins touché par ce type de personnages ou par ce style de jeu. Je fonctionne un peu comme ça, par périodes.

Hyppogriffe, depuis que je vous lis, je crois que c'est sur Guédiguian et Chabrol que nous sommes les plus proches. C'est rare qu'ils soient défendus. il faut que je me décide à voir "Dernier été", que je m'explique pourquoi vous le yoyez comme une "pâle copie "de "Dieu vomit les tièdes" que j'aime beaucoup (enfin que j'aime bien).

Quoique je considère, JLL, "La ville est tranquille" comme le film synthèse de ces 20 années de cinéma à l'Estaque. Le fim venait après une série ou l'on sentait qu'il se cherchait un peu. "Marius et Jeannette", je ne veux pas renier le plaisir que j'ai pris à sa découverte. N'est on pas plus dur avec un cinéaste comme Guédiguian sur ses comédies que sur ses films plus sombres ? A plus forte raison quand la comédie a eu du sucès tout en étant à l'origine un projet de télévision. J'ai découvert l'an dernier "L'Argent fait le bonheur" que j'ai trouvé finalement plus aboutit et toujours très pertinent.

Écrit par : Vincent | 13/01/2007

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