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15/08/2006
Pièce à convictions
Charles Tesson. Petit dictionnaire des idées reçues de la critique (Panic N°4)
Dans le numéro de mai de Positif, Paul Louis Thirard revient sur le fameux texte de Jacques Rivette à propos du non moins fameux travelling de Kapo, le film de Gillo Pontecorvo. A l'origine, une formule de Luc Moullet reprise et inversée par Jean Luc Godard (Le travelling est affaire de morale) puis illustrée par l'exemple par Jacques Rivette dans un article intitulé De l'abjection paru dans les Cahiers du Cinéma 120 (juin 1961). Plus tard Serge Daney dans le travelling de Kapo paru dans Trafic 4 (1992), fait du texte de Rivette un élément fondateur de sa cinéphilie. Ces textes, comme s'en amuse Tesson, sont toujours emblématiques d'une certaine idée de la mise en scène et occupent une place de premier ordre dans l'histoire de la critique de cinéma.
Rivette : Voyez cependant, dans Kapo, le plan où Riva se suicide, en se jetant sur les barbelés électrifiés : l’homme qui décide, à ce moment, de faire un travelling avant pour recadrer le cadavre en contre-plongée, en prenant soin d’inscrire exactement la main levée dans un angle de son cadrage final, cet homme n’a droit qu’à mon plus profond mépris.(De larges extraits ICI)
Daney : Abrupt et lumineux, le texte de Rivette me permettait de mettre des mots sur ce visage-là de l’abjection. Ma révolte avait trouvé des mots pour se dire. Mais il y avait plus. Il y avait que la révolte s’accompagnait d’un sentiment moins clair et sans doute moins pur : la reconnaissance soulagée d’acquérir ma première certitude de futur critique. Au fil des années, en effet, « le travelling de Kapo » fut mon dogme portatif, l’axiome qui ne se discutait pas, le point limite de tout débat. Avec quiconque ne ressentirait pas immédiatement l’abjection du « travelling de Kapo », je n’aurais, définitivement, rien à voir, rien à partager.(Le texte complet en pdf ICI)
Pontecorvo :
Daney avoue n'avoir pas vu le film et plus exactement estime qu'il lui suffit de l'avoir vu à travers les mots de Rivette. Bien que connaissant ce texte, j'ai toujours eu envie de le voir, Kapo, parce que j'aime me rendre compte par moi-même, que je m'exprime sur ce que je vois et que le sujet, moral, éthique, historique, artistique, cinématographique, me touche. Évidemment, après en avoir autant lu, j'aurais du me douter qu'il ne me serait pas possible de voir ce passage « normalement ». Je ne sais pas ce qu'en aurait pensé Daney s'il s'était décidé, mais je ne retrouve pas dans les images de Pontercorvo celles que me suggéraient les mots et la colère de Rivette. Le travelling est peu appuyé, tout comme la contre-plongée et je ne vois pas d'effet particulier sur la main. C'est ce que relève aussi Thirard à partir du livre d'entretien d'Irène Bignardi Mémorie estorte a uno smemorato : Vita di Gillo Pontecorvo. On peut aussi se dire que les figures cinématographiques ayant évolué depuis 1960, on ne peut voir ce travelling de la même façon qu'à l'époque.
Bien sûr, ce qui a cristallisé l'attaque de Rivette sur ce plan, c'est la dramatisation d'ensemble du film. Kapo est le premier film occidental (les polonais ont sortit en 1948 l'étonnant La dernière étape de Wanda Jakubowska, rescapée du camp d'Auschwitz, et tourné sur place dès 1947 avec d'autres survivantes) à aborder de front les camps nazis à travers une fiction. C'est l'histoire d'Édith, une jeune pianiste juive française (jouée par Susan Strasberg) qui est déportée avec ses parents à Auschwitz. Elle échappe à la mort en cachant son identité juive sous celle de Nicole, une « droit commun » française qui vient de décéder. Envoyée en camp de travail, avec le soutien de Térèse (Emmanuelle Riva), une résistante, elle remonte la pente et décide de tout faire pour survivre. Elle accepte de se prostituer avec les SS et devient Kapo, c'est à dire gardienne de ses co-détenues, dure et insensible. La rencontre avec un prisonnier russe (Laurent Terzieff) et l'exemple de Térèse l'amèneront à se sacrifier lors de la révolte du camp.
Le film s'appuie sur des ressorts dramatiques classiques voire quelque peu mélodramatiques lors de la dernière partie. Mais au-delà de l'anecdote, ce qui intéresse Pontecorvo, c'est d'abord le processus de déshumanisation qui fonde l'univers concentrationnaire et cette partie me semble bien traitée. Dans le contexte du film, le travelling arrive à un moment dramatiquement fort, celui du suicide de Térèse. Celle-ci incarne l'esprit de résistance durant toute la première partie et son parcours suit une courbe inverse de celui d'Édith-Nicole. Son renoncement du fait des privations et de l'épuisement est caractéristique de la façon dont le système brisait les âmes les plus fortes. Son suicide, même s'il peut être interprété comme un ultime sursaut de dignité, est un moment de profond désespoir. A quoi donc peut bien penser Pontecorvo lorsqu'il décide de filmer ainsi Emmanuelle Riva ? A faire un joli mouvement de style ? N'est-il préoccupé que d'esthétisme ? Je trouve l'explication un peu courte. Pontecorvo a été résistant, partisan communiste et il est juif. C'est un homme engagé qui s'exprime sur des questions qui lui sont proches et sensibles. Il est à un moment clef de son film. Il a choisi une actrice qui dégage physiquement l'idée de force morale. Le personnage de Térèse est une part de lui-même, un hommage sans doute aussi à ses camarades de combat. Je vois dans ce corps d'Emmanuelle Riva prise entre ces barbelés et ce ciel lourd l'expression de ses plus grandes terreurs. Non pas des terreurs abstraites d'artiste mais de celles qu'il avait pu, résistant clandestin, ressentir dans sa chair. La terreur d'être brisé moralement par le système qu'il combattait. Rivette n'a pas choisi ce plan au hasard ; il résume bien l'un des enjeux majeur du film mais nous n'y voyons pas la même chose.
On ne s'interroge que très rarement sur les images mentales d'un lecteur. Au cinéma, les images semblent être uniques, là devant nos yeux, et j'ai longtemps cru qu'elles ne pouvaient qu'être lues d'une seule façon. Mais à chaque discussion polémique, je me rends compte à quel point c'est faux. Rien n'est plus retors que l'image avec son hors champ, sa signification propre et celle qu'elle acquiert entre deux autres. On la lit avec son bagage, ses « dogmes portatifs », sa sensibilité, son sens moral, son expérience, son aveuglement amoureux, ses partis pris définitifs, ses convictions.
Plusieurs choses me gênent dans les textes de Rivette et de Daney. La première, c'est le vocabulaire : « abjection », « plus profond mépris », « point limite », « rien », « définitivement ». Au-delà de la violence des mots, une violence que je trouve toujours un peu artificielle pour parler de cinéma et d'art en général, il y a une volonté de fermeture, un énoncé catégorique qui clôt par avance toute discussion, l'expression d'un dogme, portatif ou non, que rien ne saurait remettre en question. Or l'Art (pour s'en tenir à ce sujet) a toujours progressé par la remise en cause des dogmes et une constante recherche sur les modes de représentation. Est-ce à dire pour autant que tous les modes de représentation se valent ? Bien sûr que non. Certains se fourvoient, certains s'égarent, d'autres mènent dans des impasses. Mais chaque direction prise ouvre des voies pour ceux qui suivent, en confirmation ou en réaction. En ce sens, Kapo a eu son importance comme l'ont eu à leur moment Nuit et Brouillard, la série Holocauste, Shoah ou La liste de Schindler. Pour approcher la synthèse chère à Rivette, j'ai besoin de ces différentes expressions : Pontecorvo et Resnais, Benigni et Munk, Lanzmann et Spielberg, Chaplin et Jakubowska, Cavani et Lubitch. Et comme l'écrit Thirard, la grille de lecture pour ces différentes expressions n'est pas la même, dépendant du temps, du lieu et des préoccupations intimes de chacun.
La seconde chose, c'est cette notion de mépris. Il y a là un glissement pour moi insupportable de l'oeuvre à l'homme. Pontecorvo n'a certainement pas le profil abject. Il n'est ni Céline, ni Riefenstahl, ni même Autant-Lara. En 1965 il réalise un film qui fera date sur la guerre d'Algérie : La bataille d'Alger. En 68, ce sera Queimada, parabole sur le colonialisme avec Marlon Brando et en 1980, Ogro sur le franquisme avec Gian Maria Volonte. Pontecorvo est un homme en prise avec quelques unes des grandes questions de son temps, comme le sont ses acteurs, Emmanuelle Riva, égérie de Resnais la même année pour Hiroshima mon amour, Susan Strasberg et Laurent Terzieff, comme l'est aussi son scénariste Franco Solinas, l'un des plus remarquables auteurs italiens à qui l'on doit, outre ses collaborations avec Pontecorvo, les scénarios de Quien sabe de Damiano Damiani, Le Mercenaire de Sergio Corbucci, Tepepa de Giulio Petroni et Colorado de Sergio Sollima, autant de westerns aux implications politiques, paraboles tiers-mondistes (on pourrait dire aujourd'hui alter-mondialistes) alliant cinéma populaire et réflexion engagée. Solinas qui écrira aussi Salvatore Giuliano pour Francesco Rosi, État de siège pour Costa Gavras et Monsieur Klein pour Joseph Losey. Si l'on parle d'abjection et de mépris ici, quels mots utiliser pour, disons La grande vadrouille ou La grande évasion et leurs visions ludiques, films inoffensifs d'apparence mais qui ont conditionné à grande échelle une image de l'occupation ou des camps allemands ?
Ce que je peux comprendre, c'est que l'on ait du mal à s'imaginer réunir une équipe, installer caméra et projecteurs, faire reconstruire barbelés et miradors et demander à des figurants et des acteurs de « jouer » une scène de camp. J'ai plus de mal à admettre que l'on préjuge de la légèreté, de l'absence de « crainte et tremblement » de la part de ceux qui trouvent le courage de le faire. J'ai toujours retenu un entretien avec Jean-Luc Godard paru dans un spécial Cannes du Matin en 1980. A une question sur ses projets, il évoquait un film sur les camps et disait y renoncer parce qu'il lui faudrait des figurants de 40 kg. C'est une manière d'aveu, Godard ne s'imaginait pas aux prises avec ces problèmes concrets de mise en scène, je dirais de façon physique. Attitude honnête et respectable et qui le serait d'autant plus s'il ne regrettait pas dans les Histoire(s) du cinéma que le septième art n'ait pas filmé les camps tout en se souvenant, ailleurs dans un entretien à l'Humanité, que Chaplin l'avait fait dès 1940 (comme Borzage). De même si Rivette critique peut s'opposer au cinéma tel que le conçoit Pontecorvo et le clouer sur ses rails de travelling, je regrette que Rivette cinéaste (admirable par ailleurs) ne se soit pas risqué à aborder le sujet, pas plus que les cinéastes de sa génération, Resnais mis à part. Je note aussi la remarquable discrétion qui a prévalu à l'époque sur la guerre d'Algérie, René Vautier étant l'exception remarquable. On rapprochera cette notation du regret de Daney dans Persévérance que ce conflit n'ait pas été filmé et du fait que c'est Pontecorvo qui acceptera d'aller faire La Bataille d'Alger, film qui sera interdit en France jusqu'en 1971. Tout m'apparaît comme si le débat paralysait la création, comme si l'on manquait de foi dans le cinéma, comme si l'on préférait s'opposer par un texte plutôt que par un film. Quand Sam Peckinpah veut faire éclater sa colère contre une certaine représentation de la violence au cinéma, il fait La Horde sauvage. Il obtient d'ailleurs un résultat ambigu. C'est le risque. La force du cinéma italien de ces années 55-75, des Rosi, Pasolini, Pontecorvo, Sollima, Monicelli... c'est bien de se coltiner avec la réalité sur tous les fronts et avec leur art de cinéastes. Et cette attitude serait méprisable ? Non, vraiment non.
Une petite chose qui m'irrite aussi, c'est le « de gauche » de Daney dans « l'Italien de gauche Gillo Pontecorvo », qualificatif qui sonne comme un discrédit, reproche habituel fait à des cinéastes comme Guédiguian, Loach, Costa Gavras, Carpita... l'absence de représentation de «l'autre » et autres fadaises sur lesquelles je n'ai pas envie de m'étendre pour cette fois.
La morale pour finir. Rivette et Daney se placent sur son terrain pour mieux enfoncer Kapo dans son abjection. Ils opposent ainsi Nuit et brouillard d'Alain Resnais qui serait un film juste à Kapo qui ne le serait pas. Il est toujours risqué de distribuer ainsi bons et mauvais points car le temps et l'Histoire peuvent amener à nuancer des positions trop rigides. Enfant, j'ai, comme beaucoup d'autres je suppose, appris ce qu'avaient été les camps par le film de Resnais. C'est un film qui m'a profondément marqué et qui continue à le faire parce que, comme l'écrit Rivette, on ne s'habitue pas aux images de Nuit et brouillard(ce qui ne veut pas dire que l'on s'habitue forcément aux autres). Le film a effectivement une juste distance par rapport à son sujet, mais depuis Le chagrin et la pitié et Shoah, il faut admettre que sa représentation n'est pas complètement juste dans la mesure où le film aborde le camp de concentration « classique » et non l'extermination (la spécificité du génocide juif est quasiment absente). En raccourci Resnais parle de Buchenwald et non de Treblinka. D'autre part, à l'exception du plan (censuré) du gendarme français, le film n'évoque pas la part de la collaboration. Le film, faut-il le rappeler, était une commande d'organisations de résistants et déportés fait à une époque ou l'image d'une France résistante était le modèle incontesté. Kapo est plus explicite sur le premier sujet, montrant rafle et déportation de juifs en tant que juifs et faisant de la négation de son identité juive la condition de la survie de son héroïne. Si le film perd un peu en route cet axe, l'affirmation finale de son identité retrouvée par la jeune femme est un moment fort. Le film de Pontecorvo en est-il pour autant juste ? Difficile à dire. Vu aujourd'hui, je le trouve mal construit, pris entre une première partie assez forte, le passage à Auschwitz, la découverte du camp de travail; et une seconde partie dominée par l'intrigue mélodramatique qui passe mal. Trop envahissante et datée, elle prend le pas sur les thématiques amorcées dans la première partie : le phénomène de déshumanisation et l'enjeu de l'identité. Pontecorvo et Solinas n'arrivent pas à se détacher d'une narration classique accrochée à la béquille inutile de l'intrigue. Enfin, la musique de Carlo Rustichelli est trop appuyée et étouffe la justesse des images. Si je devais reprocher quelque chose au travelling, c'est la musique qui le précède. Le film ne manque donc pas de défauts ni d'angles d'attaque, mais celui de la morale me semble injuste. Je veux bien que les travellings soient affaire de morale, mais ils restent indissociables de ce qui est exprimé à travers eux et ce que Pontecorvo a essayé de faire passer à l'époque me semble digne d'intérêt sinon d'estime.
Pistes
Un débat de haute tenue autour du dessinateur Yslaire à partir de Rivette.
Un entretien avec Gaspard Noé.
« Les ficelles de Pontecorvo » par Jacques Mandelbaum dans Le Monde
Réflexions chez J(...)-S(...)
Séminaire Shoah et cinéma
L'abjection chez Turner
Le DVD chez Carlotta films
15:35 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (20) | Tags : gillo pontecorvo, critique, polémique | Facebook | Imprimer | |
Commentaires
Bel article. C'est toujours bien de voir par soi-même et de se faire sa propre opinion. Merci d'avoir fait un lien vers notre blog. N'hésite pas à nous envoyer un trackback (moi j'ai jamais bien compris comment ça marche !).
Écrit par : Vlad | 15/08/2006
Très brillant papier ! En lisant ton passage sur le tournage de ce "type" de film, je pensais à un reproche "débile" (entendu mais pas vérifié) que l'on a fait à Spielberg pendant le tournage de "La liste…" Il se faisait envoyer le soir par satellite les effets spéciaux de Jurassic Park pour supervision. Impensable !!
Je n'ai pas vu le film Capo, mais je viens de visionner ce fameux travelling, qui techniquement, n'a rien de particulier comme tu le soulignes. Les attaques de Rivette et Daney sont sans intérêts. D'ailleurs, au lieu de se "pignoler" sur ce léger traveling, il aurait été plus "judicieux" de souligner l'effet spécial de mauvais gout, lui, lorsque le sujet est éléctrocuté, cet effet de lumière qui ne correspond à aucune réalité. Là, en revanche, il y a effectivement un effet de mise en scène dont on aurait pu se dispenser...
Écrit par : imposture | 16/08/2006
Vlad : merci d'être passé. J'avais vraiment aimé le débat que vous aviez eu et je l'ai relu avant de me lancer dans ce texte. Pour les trackbacks, je n'en sais pas plus que vous mais je vous mettrais en lien dans l'Hispaniola.
Imposture : cet effet est assez raté en plus d'être quelque peu théâtral. Pour ce qui est de Spielberg, il y avait beaucoup à dire mais ce sera pour une autre fois. Ce que je sais, c'est qu'il préparait Schindler en tournant Jurassik Park ce qui explique son peu d'implication sur le second. Il est vraisemblable qu'il l'a fait pour pouvoir faire Schindler tranquille. Sur ces problèmes de diriger un film de ce type, je pensais en te lisant à notre ami Jerry Lewis qui s'est battu désespérément pour faire "Le jour ou le clown pleura" et j'imagines la difficulté supplémentaire qu'il y a eu à tourner dans ce contexte avec des enfants avec tout ce que cela implique. Quelle pitié que l'on ne puisse voir ce film.
Écrit par : vincent | 16/08/2006
D'après ce que j'ai pû lire à droite et à gauche, Jerry Lewis a fini le tournage de son film. c'est la post-prod et les négatifs qui sont bloqués pour des raisons obscures… On va nous le sortir quand il sera mort :-(
Écrit par : imposture | 16/08/2006
Moi ton texte m'a fait penser à un cour de Charles Tesson que j'ai suivis. Avant de nous projeter un extrait de Collectioneuse d'Eric Rohmer, Tesson est revenu sur un papier du dit Eric sur Tabou de Murnau (Rohmer ayant par ailleur fait sa these sur ce réalisateur.). Dans ce papier Rohmer montrait sa véritable nature extremiste et raciste. C'était dans les Cahiers je crois. Je n'ai pas vu un seul papier de Daney (homme de gauche) ou des autres camarades de vague hurlant aux propos abjectes. A la vision de La Collectionneuse j'ai pu me rendre compte de l'abjection idéologique qu'avait Rohmer à l'époque (un brin fasciste et eugéniste.) Depuis à chaque fois que je vois un Rohmer je ne peux m'empecher de voir un film réalisé par un facho. Mais comme je considère Céline comme un grand écrivain (même si antisémite violent), cela ne m'empeche pas de voir en Rhomer un grand cinéaste (Il est l'auteur du plus grand film dont l'action se déroule durant la Révolution Française: L'Anglaise et le Duc.). A l'extreme on ne peut que constater la maitrise technique de Leni Riefenstahl: son apport et son influence esthetique sur les grands shows sportifs tout comme sur les différents supports visuels publicitaires d'aujourd'hui. Mais je ne crois pas avoir lu d'article de Rivette sur l'abjection publicitaire - d'articles sur ce sujet par Daney oui evidemment.
Je n'ai jamais vu Kapo mais je connais trés bien le texte de Rivette... Et tout ce qu'il faut retenir c'est que le cinéma est avant tout une question de mauvaise foi et de croyance. Les gadjos de la nouvelle vague s'en était fait les spécialistes. Truffaut et Godard en tête. Personnellement je suis trés loin d'avoir les croyances de Rivette. (qui pour le coup là est particulierement fumeuse.)
Ps: Luc Moullet a été un de mes meilleurs profs de cinéma, ce type est fabuleux !
Écrit par : L'Anonyme de Chateau Rouge | 16/08/2006
Excellent Blog. Je te mets dans nos liens tellement je suis content que tu existes.
Je vais remettre une petite couche.
Je suis d'abord très heureux de la Youtuberie. Je n'avais pas vu ce travelling et ce film depuis quoi, peut-être dix ou douze ans. A l'époque je ne connaissais pas Daney ni Rivette. J'avais non pas trouvé ce film abject, juste ultra chiant. Normal, l'immaturité n'aide jamais. Ce que j'avais effacé de ma mémoire, en revanche, c'est la coupure entre la course et le travelling. Mon cerveau avait uni les deux plan en un seul encore plus majestueux et complexe.
Ce qui est encore plus intéressant, c'est que cette coupure, ce plan sur le visage de Thérèse, complexifie la scène en insistant sur l'idée de rythme. Le travelling qui la suit s'en trouve encore plus magnifié, son existence plus délimitée, et donc exceptionnelle. Il est la conclusion, ce vers quoi tend tout ce qui précède. La volonté et la maîtrise du réalisateur ne s'en trouvent que plus clarifiées, plus explicites.
Pour en revenir à Rivette. Je trouve toujours pour ma part son point de vue certes extrême, mais intéressant et valable.
Le critique pointe un mouvement qui s'est depuis banalisé. Avec Youtube, on réalise la normalité que cette scène revêt pour nous aujourd'hui. Mais à l'époque ?
C'est en cela que le texte de Rivette est captivant, il pointe une image qui ne cherche que la beauté, et qui va réussir si on ne la méprise pas. Que s'est-il passé depuis ? L'image a gagné. Totalement dépassée par les enfants qu’elle a produits, cette image usée par son âge ne nous étonne plus, et en revanche nous sommes étonnés que sa banalité ait pu choquer à l'époque.
La volonté de Pontécorvo dans ce plan est clair : il oppose l'intérieur à l'extérieur, deux mouvements contraires, puis une rencontre, un statu quo sur une barrière électrifiée. Cette scène a affaire avec la morale et la rencontre, la confrontation même, de la victime avec celui qui ne l'a pas vu ou plutôt, pas voulu la regarder de dehors. Il met le nez du spectateur dans son caca : tu ne peux plus fuir, regarde !
Pontecorvo est animé d'une volonté certes humaine, il l'a toujours été, mais cela suffit-il ? Le beau avait-il sa place ici ? Et faut-il mépriser celui qui pour justifier la mort, est obligé de la rendre belle et donc valable ou utile ?
Effectivement, tout cela est affaire de mauvaise foi et de croyance.
Et j'adore ce blog.
Écrit par : stef du aaablog | 18/08/2006
Cher Anonyme, tu as eu de sacrés professeurs ! J'ai de l'admiration pour Moullet. Je lui trouve beaucoup d'humour. J'adore sa théorie des acteurs que j'ai lue et relue de nombreuses fois. Sur le reste, c'est vrai que les hussards des Cahiers ont eu à l'époque de droles de fréquentations, Truffaut que j'admire y compris. Sur Rohmer, je te suis complètement, j'aime beaucoup l'Anglaise et le Duc même si c'est très loin de mes convictions. D'une façon générale, les opinions politiques d'un cinéaste ne jouent pas vraiment sur ce que je peux penser de leurs oeuvres c'est tant mieux.
Stef, merci de votre visite. Votre analyse de la scène est très pertinente en particlier sur le rapport au spectateur. je crois qu'il y a ces types de réalisateurs qui, à tel ou tel moment, ont eu la volonté de montrer les choses frontalement, quitte à secouer le spectateur. Le texte de Rivette, avec lequel sur certains points je suis plutôt en accord, me fait parfois penser à la réaction instinctive de quelqu'un qui a été sécoué de cette façon.
Le cinéma des années 50 reste un cinéma très sage en matière de sexe, de violence et d'un tas de choses, globalement assez sophistiqué, ou la suggestion est la norme. Toute la génération qui arrive à l'époque passera les années 60 à faire tomber ces barrières avec, ce que nous remarquons, le risque de trop montrer, de banaliser, et de soulever cette question fondamentale de la représentation de la mort de de l'horreur. La démarche de Peckinpah est caractéristique à cet égard.
L'image est-elle dépassée ? je n'en suis pas sûr. Je crois, mais c'est personnel, que s'il y a un certain fond, on continue de ne pas s'habituer à certaines images. Ce serait un peu hardi de dire que c'est le cas de celles-ci, mais c'est vrai pour d'autres. Ce qui handicape Kapo, c'est son côté mélo. Quand on compare avec l'évocation de la torture dans La bataille d'Alger, on mesure que Pontecorvo aurait pu faire un bien meilleur film. Reste la question de la beauté. Je dois dire que ce n'est pas un sentiment de "beau" qui me saisi quand je vois cette scène au contraire des planches d'Yslaire par exemple, je reste sur le sentiment véhiculé par le personnage. l'image, le mouvement, le cadre sont travaillés, certes, mais ni plus ni moins que le reste du film. Je serais plus critique si ce passage avait été traité différemment. Après, c'est un prblème plus large : peut on faire de la fiction avec ce sujet ? Je pense que si l'on répond oui, alors on doit accepter ce qui va avec : les acteurs, le maquillage, les effets, les décors, l'artifice et donc, une certaine beauté de la représentation.
Écrit par : Vincent | 20/08/2006
intéressante réflexion mais je me sens encore plus démuni après avoir tout lu (textes + commentaires), je crois qu'il est très difficile d'extraire le film de Pontecorvo et le texte de Rivette de leur contexte...il me semble que Daney se fiche un peu du film, ce qui lui importe c'est la morale générale que l'on peut tirer d'une telle position, position qui comme toutes les positions risque évidemment de se figer en dogme (un peu comme si on respectait à la lettre les recommandation de Bazin)...
concernant la reconstitution et la représentation des camps, il y a quand même une différence entre le film de Pontecorvo et celui de Chaplin c'est précisément la date à laquelle ils ont été réalisés, Chaplin aurait-il fait le même film après la Shoah, aurait-il osé reconstituer un camp de concentration?
par ailleurs je ne partage pas du tout votre avis sur La Bataille d'Alger qui est construit comme un film de propagande (de là viens le "de gauche" de Daney à mon sens...et il savait de quoi il parlait puisqu'il a été lui-même le bourreau de certains critiques aux cahiers à l'apogée des années Mao); c'est pour moi vraiment un film atroce, dont la cause est noble mais dont les moyens employés ne sont pas différents de n'importe quel film de propagande fasciste...je me souviens d'ailleurs avoiir vu le film suivi du débat d'une historienne qui avait réussi à mettre des mots sur ma colère un peu confuse à l'époque, et avait démontré combien le film avait totalement évacué les ambiguités de l'époque pour lui opposer un héroïsme opératique certes séduisant mais fallacieux (de ce point de vue on n'est pas très éloignés de l'amnésie française sur la collaboration au sortir de la guerre, avec des films comme La Bataille du rail, etc.)...
de plus, et c'est là une des caractéristiques des films de propagande (il ne faut pas oublier quand même que le film est produit par un parti politique), chaque personnage était là pour incarner une idée mais n'existait pas du tout en tant que tel, pour moi ça c'est vraiment de l'abjection pour le coup, parce qu'il s'agit d'user d'une figure humaine dans le seul but me mettre en pratique une démonstration idéologique (sous couvert de vérité historique)...
et puis enfin, si je me souviens bien, autre chose m'avait irrité, cette façon que le film avait de construire un personnage de militaire français avec une certaine grandeur d'âme, en tout cas avec un certain code d'honneur, opposé aux politiques qui étaient forcément tous pourris et hypocrites (politicards quoi)...en découlait une espèce de fascination douteuse pour la figure des militaires, l'ordre masculin, une espèce de propreté détestable, et les traitres qui étaient forcément un peu féminins (mais je ne suis plus sûr pour ce dernier point)...bref, pour moi le film ni fait ni à faire même si certaines scènes étaient un peu inspirées...
Écrit par : jean-sébastien | 25/08/2006
Joli post, et comme chez AAAPOUM BAPOUM, des commentaires très longs! Je suis content de pouvoir enfin voir ce fameux travelling puisque j'ai un peu participé au débat mentionné en fin d'article.
Je ne change toujours pas d'avis. Je trouve l'analyse de Stef pertinente, mais elle semble définir le travelling comme un "simple" mouvement de caméra, qui la fait passer d'un point A à un point B. Le paramètre qui manque, et qui m'ennuie, c'est la vitesse du travelling. Si l'on compare la progression par rapport à ce qui précède, on remarque une gradation et le travelling est trop rapide pour évoquer cette beauté qui semble déranger. Ensuite, même si le personnage est filmé en contre-plongée, il est surtout cadré de 3/4 à peu près, ce qui n'est pas du tout en accord avec l'idée de grandiloquence (et d'opposition !)
Écrit par : f-cland | 25/08/2006
je me souviens d'ailleurs avoiir vu le film suivi du débat d'une historienne qui avait réussi à mettre des mots sur ma colère un peu confuse à l'époque, et avait démontré combien le film avait totalement évacué les ambiguités de l'époque pour lui opposer un héroïsme opératique certes séduisant mais fallacieux (de ce point de vue on n'est pas très éloignés de l'amnésie française sur la collaboration au sortir de la guerre, avec des films comme La Bataille du rail, etc.)...
Dans les camps, parmi les victimes de l'extermination, juifs ou pas, il devait y avoir des salauds, des cons, des mecs pas très bien... des gens pas recommendables, faut-il aussi rendre cette réalité??? Faut pas oublier qu'un mec qui survit dans ces conditions est nécessairement un égoïste absolu, comme on le voit dans "si c'est un homme", et je crois que personne n'a osé présenter cette réalité...
Quand à Shoah, pour moi il s'agit aussi de propagande!
Écrit par : Wittgenstein | 25/08/2006
heu, à l'attention de Wittgenstein (!), le paragraphe que vous avez extrait de mon commentaire concerne "La Bataille d'Alger", pas Kapo...!!! Il faut lire un peu plus attentivement...
Quant à "Shoah" je ne vous suis pas du tout sur le terrain de la propagande (ce qui a mon humble avis est hors sujet...)
Écrit par : jean-sébastien | 25/08/2006
Oui, j'ai parfaitement compris cela; je voulais juste demander, de manière rapide et assez provocatrice, si l'on pouvait étendre cette exigence de rendre compte de l'ambiguïté des situations, de la réalité historique et de la condition humaine à l'extermination...
Si l'on met en rapport "Shoah" et "Tsahal", autre documentaire de Claude Lanzmann, il me semble que la question de la "propagande" se pose, surtout quand on lit ou entend certaines prises de position de Claude Lanzmann...
"Avant la projection de son film devant la presse à Paris, le 25 septembre 1994, l’auteur (Claude Lanzmann) déclara que son intention était de présenter une armée juive pourvue, selon lui, de caractères spécifiques par rapport aux autres armées. A quoi tiendrait donc cette différence ? Ses généraux l’expliquent dans le film : « Notre armée est pure (...), elle ne tue pas d’enfants. Nous avons une conscience et des valeurs et, à cause de notre morale, il y a peu de victimes [palestiniennes] "
http://www.monde-diplomatique.fr/mav/88/KAPELIOUK/13690
Écrit par : Wittgenstein | 26/08/2006
Jean Sébastien : Sur Chaplin, il me semble qu'il aurait déclaré après guerre qu'il aurait renoncé au "Dictateur" s'il avait su ce qui allait réellement se passer. Ce qui renforce votre idée du contexte puisque "le Dictateur" en 1940 est particulièrement pertinent alors que le premier film de Chaplin après 1945 est "Mr Verdoux", un film qui est une parabole désespérée.
Sur la représentation même, je rappelle qu'il existait des éléments (enquêtes, témoignages, photographies) dès 1938 sur le système concentrationnaire nazi dans lesquels Chaplin et Borzage ont sans doute puisé. D'une certaine façon, le camp d'extermination est toujours très peu montré dans le cinéma de fiction, puisque l'on reste toujours sur des récits de survivants ou d'exceptions et donc sur des camps de travail forcé (C'est le cas de Kapo mais aussi du Spielberg, du Benigni, de l'adaptation d'"Être sans destin"...).
Sur la propagande, vous touchez au coeur de ce qui me pose problème chez Daney et Rivette. On pourrait discuter de ce que l'ont met dans ce mot mais quand vous écrivez "user d'une figure humaine dans le seul but me mettre en pratique une démonstration idéologique" j'ai envie de vous répondre que ça me semble le cas pour de nombreux films comme "Lifeboat", "Casablanca", "Octobre", Les raisins de la colère", "Fury"... tous films très engagés, parfois de commande, parfois étroitement liés à un moment politique mais qui pour moi sont de grands films sans par ailleurs que j'éprouve une sympathie particulière pour l'idéologie qui est derrière, ne serait-ce que parce qu'elle dépend d'un contexte (le New-deal, l'interventionnisme...). Dans le cas de "La bataille d'Alger", Pontecorvo a toujours dit que si le film était une commande, il a pu le faire dans une complète liberté et parce qu'il cherchait à ce moment à faire un film sur la décolonisation. Il me semble que ce que vous estimez raté est plutôt réussi, à commencer par la tentative de confronter des points de vue opposés (les français, les algériens) avec leurs contradictions (la torture, les bombes). Maintenant, il est clair que les sympathies de Pontecorvo vont à ceux qui se libèrent. On peut suivre ou pas. Comme on peut estimer que, propagande pour propagande, c'est ensuite le talent et la subtilité dans la création des personnages qui font la différence . mais je ne crois pas aux films impartiaux, ça ne me gène pas qu'un réalisateur affirme fortement son engagement, même si je ne le partage pas. je préfère ça à ceux qui procèdent de façon plus insidieuse soit à travers l'alibi de la pure distraction, soit sur l'air du Grand Moralisateur au dessus de tout.
Wittgenstein : Je pense que je serais d'accord avec vous sur "Tsahal" quand je l'aurais vu, à cause de sont sujet sur lequel on ne peut être neutre, mais je suis JS sur "Shoah" car je vois mal quelle serait l'enjeu idéologique dans ce film (pas plus que dans "Kapo" d'ailleurs).
Ca conforte ce que je pense : il est toujours délicat et dangereux de se piquer de morale.
Écrit par : Vincent | 27/08/2006
J'ajoute que ce débat sur propagande, engagement et morale reste très vivace, je le retrouve dans plusiuers commentaires sur le dernier film de Ken Loach.
Écrit par : Vincent | 27/08/2006
Suis assez d'accord avec vous, Vincent, sur les films que vous citez en exemple, même s'il me semble pour ma part qu'il ne s'agit pas des meilleurs films de leur auteur (enfin le Ford est très beau)...sur Eisenstein je ferais une réelle différence, d'abord d'époque (on n'est pas encore sorti du muet) et ensuite de style : Eisenstein travaille sur de grands invariants, sur des archétypes sans prétendre au réalisme, je veux dire sans que son cinéma ait une fonction "réaliste", on est davantage dans une sorte d'épopée prolétarienne, Eisenstein lui-même excecrait le réalisme...ce que je veux dire par là (je ne sais pas si je suis très clair), c'est que le style du film joue aussi sur la nature de l'adhésion que l'on peut avoir à un certain type d'oeuvre...c'est pourquoi l'aspect propagandiste de Eisenstein me dérange infiniment moins que celui de Pontecorvo lorsqu'il fait La Bataille d'Alger, car ce dernier prétend à une certaine forme de réalisme esthétique (alors que chez Eisenstein, le style crée la parabole politique et historique...chez Pontecorvo, point de parabole)...pour le dire autrement, il me semble que chaque style implique sa propre morale, ce pourquoi il est souvent difficile de juger des éléments aussi concrets que le montage ou les mouvement de caméra parce que les mêmes paraîtront obscènes là et pas ailleurs, y compris si le sujet abordé est le même...Peut-être que ce qui gêne Rivette au fond, c'est la prétention réaliste de Pontecorvo et (c'est moi qui déduis peut-être hâtivement) et l'inadéquation des moyens qu'il emploie...
Sinon, même si je suis moyennement fan de Casablanca ou de Lifeboat (davantage de ce dernier quand même), les américains sont souvent très forts pour créer quand même des personnages qui semblent autonomes par rapport à l'histoire...je crois que c'est vraiment différent dans La Bataille d'Alger, dans Lifeboat il y a des personnages (qui sont peut-être les portes drapeaux d'une idée mais qui n'en existent pas moins comme personnages), alors que dans La Bataille d'Alger il n'y en a tout simplement pas, ils n'ont pas d'histoire, vraiment c'est le sentiment désagréable que j'avais eu...après qu'il soit du côté de ceux qui se libèrent, aucun souçi là dessus, ce pont de vue à toute ma sympathie...
Sur le contexte historique proprement dit, je ne suis malheureusement pas très érudit en ce qui concerne la guerre d'Algérie, mais disons que le terme "d'ambiguité" n'était peut être pas le bon, l'historienne racontait que la réalité était tout simplement tordue à la démonstration du film, qu'il y avait tout simplement des mensonges sur la réalité de certains faits montrés dans le film...(je précise que cette historienne était de gauche et pas du tout nostalgique d'une Algérie française!!), ce qu'elle reprochait au film c'était de mentir sciemment sur certains points importants (qui concernaient essentiellement le FLN)...
Sinon, pour répondre à Wittgenstein, je crois que pour Lanzmann la réalisation de Shoah a été une forme de destruction intérieure, qu'il y ait ensuite les dérives idéologiques de sont film sur Tsahal n'invalide en rien son point de vue dans Shoah...Lanzmann est juste quelqu'un qui a lentement dérivé, même si Sobibor était un film magnifique...
Écrit par : jean-sébastien | 27/08/2006
Je n'ai pas vu le film de Pontecorvo mais il est vrai que tous ces commentaires me font penser au dernier Loach que je n'ai pas du tout aimé. Je partage l'avis de Jean-Sébastien sur cette idée qu'un film ne doit pas utiliser les personnages comme simple alibi idéologique (ce que fait Loach, à mon avis, avec un shématisme des plus primaires)
Tes réflexions sont très intéressantes et appellent de nombreux commentaires (j'avoue avoir du mal avec certaines représentations de la Shoah à l'écran et nous avons déjà évoqué ensemble le film de Spielberg qui me dégoute). Mais ce soir, je n'en ai pas le courage ;)
Écrit par : Dr Orlof | 27/08/2006
Jean-Sébastien : déjà, je voulais vous remercier de prendre le temps de faire des commentaires si complets. Je vous avoue me sentir proche de vos positions, aussi, que ce soit sur la manière particulière des américains d'avoir toujours su mêler l'histoire et le drame individuel comme sur Eisenstein. Je ne suis pas plus gêné que vous par l'aspect propagande de ses films (pas plus que par le militarisme de Ford alors que...) mais vous conviendrez que cette appréciation de nature artistique est ténue puisqu'elle n'est qu'une appréciation. Après tout, ce que Rivette reproche à "Kapo", c'est bien un effet de mise en scène voyant, c'est une mise en avant d'un effet irréaliste dans un contexte qui, selon lui, ne s'y prête pas (même si, moi, je l'interprête autrement). Si je pousse le raisonnement, je devrais me dire que je ne devrais pas admirer, quelques soient ses qualités, le poéte d'un régime sanguinaire et totalitaire tout poéte qu'il est. Et je trouve finalement curieux que l'on fasse un procès en moralité à un homme, Pontecorvo, sans doute bien plus indépendant (il a quitté le PC après Budapest en 56) tout en dédouanant un autre homme, Eiseinstein, très compromis avec le régime stalinien. Pourtant nous le faisons et sommes d'accord pour dire que Eiseinstein mérite plus notre admiration que Pontecorvo. Il y a là quelque chose qui me gène mais que j'ai du mal à expliciter.
Sur La bataille d'Alger, je suis tombé sur cet entretien ou Pontecorvo qui s'explique sur la facture réaliste (si tant est qu'un film puisse vraiment avoir une facture réaliste). C'est un travail de recréation finalement assez complexe qui est un vrai partit pris de mise en scène. Il faut aussi noter que certains effets, la caméra à l'épaule entre-autre, proviennent aussi des contraintes du tournage : les décors réels de la Casbah, les moyens techniques... : http://www.humanite.presse.fr/popup_print.php3?id_article=394165
Cette forme lui a semblé juste pour traiter son sujet et, comme vous le dites, c'est nous qui réagissons par rapport à cette forme en la réfutant où en l'appréciant. J'aurais bien aimé ecouter le débat auquel vous avez participé.
Cher docteur : en effet, mon allusion au dernier film de Ken Loach était en partie due à ton commentaire sur le film. Je voulais te répondre mais je viens juste de rentrer en France et je n'ai pas encore vu le film. Ceci dit je ne pense pas qu je vais partager ton avis car le film fait penser fortement à "Land and freedom" que j'adore. On verra. je ne suis pas à l'abris d'une déception. Sur le Spielberg, j'avais pensé au départ continuer mon article sur son film mais ça aurait fait trop long, je pense que nous aurons l'occasion d'y revenir (dans le calme et le sang froid :)). Tu résumes un peu ce qui m'intéresse dans ces débats : je suis également contre les personnages alibis mais nous ne les voyons pas dans les mêmes films (il faudrait peut être que je parle un de ces quatre de films qui me semblent en contenir)
Écrit par : vincent | 28/08/2006
d'accord pour dire qu'il y a une grande part de subjectivité et de sensibilité personnelle dans ces jugements (et en un sens tant mieux)...
(et j'enrage de ne pas me souvenir du nom de cette historienne, je vais chercher ça dans ma mémoire...)
Écrit par : jean-sébastien | 29/08/2006
pour info, l'historienne en question se prénomme Raphaëlle Branche...
Écrit par : jean-sébastien | 29/08/2006
Merci pour l'information. J'ai vu qu'elle a fait deux livres sur le sujet : "La guerre d'Algérie : une histoire apaisée" et un autre sur la torture et l'armée. Je vais essayer de me les procurer cette discussion a réveillé ma curiosité.
Écrit par : Vincent | 30/08/2006
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