« Les titans arrivent | Page d'accueil | Revue de presse »
06/07/2006
Avril en juillet
J'ai pu remarquer que nombre de blogs cinéphiles que je fréquente, comme une partie de la critique d'ailleurs, n'est pas très tendre envers le jeune cinéma français. Nous mettrons d'emblée de côté les transfuges de la télévision (à quelques très rares exceptions) et la horde des admirateurs stériles de l'efficacité américaine façon Besson. Il est aussi vrai que tout n'est pas réussi, difficile de défendre Peindre où faire l'amour des frères Larrieu quand bien même Un homme, un vrai était vraiment intéressant. Difficile de ne pas constater l'échec de Le Petit lieutenant de Xavier Beauvois, très mal construit. Mais je comprends moins les reproches fait à un film comme Travaux de Brigitte Rouan (n'est-ce pas, Pierrot) ou les pointes envers Arnaud Despleschin qui, s'il n'est peut être pas un gentil garçon n'en est pas moins un sacré cinéaste. Peut être est-ce parce que je m'intéresse beaucoup au court métrage mais j'y découvre souvent des personnalités attachantes dont j'attends avec impatience et souvent indulgence leur passage au long métrage. Parfois ils déçoivent (Eric Guirado) et parfois non (Yves Caumont). J'aime ensuite voir leur carrière se développer et les films construire l'un après l'autre une oeuvre. Cette oeuvre restera modeste, ou pas. Qu'importe. Tous les premiers films ne sont pas Citizen Kane, tant pis, et tous les jeunes réalisateurs ne seront pas Godard, tant mieux.
Ce qui m'amène à Gerald Hustache-Mathieu au parcours assez caractéristique. J'ai constaté avec un peu de tristesse que son premier film, Avril, n'a guère provoqué d'intérêt dans la presse « classique » ni sur les blogs. Il me semble pourtant que ce premier long de l'auteur de Peau de vache et de La Chatte andalouse avec Sophie Quinton, l'actrice qu'il a révélé dans les courts sus-cités, était en soi un petit évènement agréablement alternatif au grosses machines habituelles comme aux désespérances de notre cinéma national et qu'il méritait un soutien résolu.
Avril, c'est l'histoire d'une jeune novice qui, au moment de prononcer ses voeux définitifs, apprend qu'elle a un frère jumeau et est poussée à partir à sa recherche. Avril, c'est l'histoire d'une mise au monde, une seconde naissance. C'est un récit initiatique, celui de la découverte des autres et de l'ouverture des sens. C'est aussi une sorte de façon, modestement, de réinventer le cinéma et le plaisir de filmer. Hustache-Mathieu pratique une petite musique cinématographique bien à lui et ce premier long prolonge habilement l'univers mis en place dans les deux courts. Un univers très dépouillé au départ, à l'image de la cellule d'Avril (c'est aussi le nom de la jeune novice), dans lequel le réalisateur introduit doucement quelques éléments étrangers. Un jeune homme, puis deux autres jeunes hommes, la mer, les dunes, le plaisir d'un bon repas, la musique, la peinture, faisant abstraction de tout ce qui est au-delà. Je me suis fait cette réflexion, à un moment, qu'il avait retrouvé cette essence du cinéma : partir en équipe, en bande, tourner au grand air une histoire simplement humaine. C'est Ford à Monument Valley, Hawks en Tanzanie, Truffaut à Nîmes, Renoir en Inde... Avril n'est pas Le fleuve, mais le film dégage cette fraîcheur, cette simplicité, cette forme de naïveté sympathique qui le rend attachant.
Et puis, il y a Sophie Quinton. Rien que d'avoir su la filmer, de lui avoir écrit ce rôle, ce beau personnage, c'est déjà une grande réussite. Il y a aussi et j'y ai été sensible, le fait que Hustache-Mathieu évacue très vite le côté « mystique » de son récit. Je m'explique : les histoires avec des nonnes, cela donne souvent de profondes réflexions sur la foi, Dieu et le reste. J'y suis assez hermétique, mis à part Le narcisse noir de Powell parce que c'est incroyablement beau. Mais là, Avril est presque un film païen au sens où l'enjeu du film, c'est véritablement l'éclosion de cette jeune femme et la découverte de la vie ici et maintenant avec toute la sensualité qui va avec. Dieu n'est pas un ressort dramatique, Avril croit et c'est tout. Mais elle croit aussi au présent, à la matière du monde. Merveilleux plans où elle plonge ses mains dans le sable. Merveilleux sourire qui illumine le visage de Sophie Quinton et l'écran. Moments suspendus lorsqu'elle se tient face à la mer, comme dans La chatte andalouse, puis lorsqu'elle se livre, nue, aux vagues. Pas de psychodrames, pas d'angoisses métaphysiques. Hustache-Mathieu filme l'apprentissage de la joie. Merci à lui.
Pistes
un entretien avec le réalisateur sur Excessif
un entretien avec le réalisateur sur Cinémovies
Source images : Haut et Court
00:30 Publié dans Film | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : Gerald Hustache-Mathieu, Sophie Quinton, cinéma français | Facebook | Imprimer | |
Commentaires
C'est vrai que, moi qui suis dur avec le cinéma français (qui lui aussi est bien dur de plein de façons), je dois bien dire que AVRIL, film microscopique, tout petit film à portée limitée, petite chose donc, fait plutôt preuve d'un certain tact. Miou Miou et Quinton sont supers, les garçons c'est quand même moins bien, mais il ya un petit quelque chose, notament dans la premiere partie de plutot soigné. Aprés c'est quand même un peu moins surprenant. Quelquefois, techniquement, un assez beau cadrage et une lumière soignée. Pas de montage par conter, et Scénario dirige le film sinon.
Mais vous avez raison, dans le contexte français, c'est quand même bien mieux que le reste (BLED NUMBER ONE recemment par exemple, film d'une laideur consommé, ou TRAVAUX dont jme permets de défendre Pierrot: même sans parler de l'incroyable traitement du scénario, c'est quand même une horreur en terme de mise en scène!)
Salutations.
Dr Devo
Écrit par : Dr Devo | 06/07/2006
Cher docteur, c'était justement là mon propos. Je pense que montage (et mise en scène) il y a dans Avril, un montage sobre, épuré, mais qui fait progresser sans heurt le film par de belles ellipses (le voyage par exemple) ; une façon d'ouvrir l'espace autour de l'héroine en parallèle avec les couleurs. Ce n'est certes pas révolutionnaire, mais loin d'être inexistant. Sinon je vous suis sur les interprétations masculines, il aurait pu se fouler un peu plus et je suis finalement content que vous lui ayez trouvé un "petit quelque chose".
Sur Travaux, je vois aussi quelque chose de différent. je suis sensible à la mise en scène, au travail sur l'espace et sur la couleur et puis, comme je l'avais écrit à Pierrot, j'adore les digressions musicales, c'est un de mes pêchés mignons. Je suis donc globalement loin d'avoir trouvé ça horrible, j'y ai même trouvé une influence plutôt réjouissante de la comédie américaine classique. Ecco.
Écrit par : Vincent | 06/07/2006
Pour ma part, je ne débine pas de manière systématique le cinéma français. "Travaux" m'est tombé des yeux mais j'avais aimé le film précédent de Brigitte Rouan. Idem pour les Larrieu : leur dernier film est un navet mais les précédents sont intéressants.
Récemment, j'ai défendu avec beaucoup d'ardeur le film d'Emmanuel Mouret (changement d'adresse, un délice) et contrairement à mon cher collègue docteur, j'aime bien "Bled number one".
Mais il est aussi vrai qu'on assiste à un nouvel académisme, une sorte de nouvelle "qualité française" qu'il faut dénoncer...
Écrit par : Pierrot | 06/07/2006
Cher Pierrot, "Travaux", c'était un peu une pique, je sais bien que tu as défendu nombre de films français, y compris des films qui n'arrivent pas jusqu'à chez moi comme le Mouret (qui donne envie). Je n'oublie pas non plus ce que tu as écrit sur Sophie Quinton aussi j'espère avoir ton avis sur ce film un de ces quatre.
Non, je parle d'un sentiment général vis à vis de notre cinéma national, de la façon dont on en parle. Avril par exemple est le seul film que j'ai eu envie, vraiment envie de voir, depuis Cannes. Sans doute à cause des courts du réalisateuir. Pourtant la critique en a rendu compte, comme l'écrit le dr Devo, comme d'un film "microscopique" ce qui me laisse perplexe et me donne envie de monter au créneau.
Tu parles de nouvel académisme. Je suis d'accord sur le fait que notre cinéma a un problème actuellement, peut être de forme, peut être de fond, peut être une incapacité à mélanger les deux, mais je trouve la situation plus confuse qu'à la fin des années 50.
Écrit par : vincent | 06/07/2006
Bah, AVRIL est microscopique, mais bon, ça bosse un peu. Par contre, puisque ce matin je suis assez pour un bon chipotage, je trouve que le montage est le parent pauvre de Avril. Il y a des allypses effectivement mais toutes présentes au scénario. ce sont des ellypses de narration et pas veritablement à mon sens de montage. et puis hier j'ai revu 20 minutes d'un cassavettes: même quand le gars va chercher un truc à l'étage dans sa maison (donc on le voit monter les esclaier , chercher dans les tiroirs et redesccendre) ben ca coupe diablement bien, ça a du rythme (pas forcement rapide d'ailleurs) et chaque fin de plan (tiens il coupe là!?) souligne une idée ou un sentiment. C'est quand même autre chose !
Ceci dit Vincent, pour TRAVAUX et son sens de l'espace (et des couleurs!), là je suis dubitatif! Ce film est presuqe max pecassien (je dis ça pour vous chatouiller!).
C'est marrant car en ce moment je suis en plein dans ses questions de "non-mise-en-scéne". je dois ecrire des articles sur AVRIL, ECHO PARK L.A et BLED NUMBER ONE, et je suis bien embêté. C'est encore AVRIL qui contient le plus de cinéma, mais BLED par exemple que tout mon entourage aime sincérement... Bah, j'ai été interviewé le réalisateur, rien à faire... C'est un film attachant peut-être (moi je suis plus touché par l'histoire de TIDELAND, héhé, mais bon), mais encore une fois: pas de montage, pas de cadrage, que des plans rapprochés ou des plans larges, pas d'axe, pas de coupe dans le sens cassavetiens (si jose dire), pas de jeu sur le son, pas de jeu sur la photo, c'est un film sans expression artistique! Mais, mes proches semblen d'un avis opposer. Je pense parfois que je suis un ayatollah et ça me fait culpabiliser. Mais sans rire, est-ce trop demander à un film que de faire un peu de cinéma.
je crains que ce qu'aime les cinéphiles, ce sont des histoires! Les histoires, les histoires et encore les histoires, comme disait l'autre! Est-ce trop demander qu'un peu de langage cinematographique?
BLED est autant une bande dessinée, qu'un roman ou qu'un film! Comme disait le vieux Greenaway: "si on veut ecrire des histoires, il faut ecrire un roman".
Salutations à tout deux.
Dr devo
Écrit par : Dr Devo | 07/07/2006
moi ce que je n'aime pas ce sont les mauvais films, en général avec les ricains on a au moins le service minimum (ça a beau être nul, c'est efficace!), en France quand c'est nul, c'est nul, point barre. Pour l'instant c'est en asie où il y a le meilleur qualité prix (bon le cinéma iranien à de rare exception près me donne envie de me tirer une balle, et je suis une bille niveau cinéma bresilien, argentin et la nouvelle vague latino, quand à l'Afrique, j'aime bien le cinéma populaire façon chateau rouge, sinon...je sais pas. Ah et oui il y a l'Inde, ça va l'Inde? je sais pas j'ai vu Devdas les filles sont trés trés jolies mais c'est luc besson qui a monté le film alors....). Alors voila je ne sais pas si la presse française est méchante avec le jeune cinéma français. Je ne lis pas les critiques, d'ailleurs je ne crois plus que la critique existe, mais bon... (Si on laissait Jean Roy ou Vincent Ostria s'exprimer un peu plus ça serait different...). Je ne sais pas si les blogs cinéma sont méchants avec le jeune cinéma français ( a vrai dire les blogs cinéma que je fréquente aime le cinéma et ne se prennent pas la tête avec des préjugés.). Je sais juste que je n'aime pas les mauvais films. Et que je n'ai pas vu Avril, que la bande annonce fait trés peur (Après Levis métaphysique, Loréal présente le nouveau film de Nicolas Duvauchelle....Avril....J'en ai des sueurs froides !). Mais que tu m'as donné envie d'aller voir ce film de bénit oui-oui.
Ah oui ce qu'il serait bien et je dis ça aux Critiques qui viennent ici, c'est d'arreter de flinguer les "premiers" films... qu'ils soient américains, français, russes, houzbeck voire turkmenistannais et ougandais. Pasque c'est trés gentil de dire du mal du cinéma spectacle, et de la cource aux box-office, mais ne pas laisser à un réalisateur ça chance au dela d'un film...bah ça participe au systeme. (je suis déjà aigris alors que j'ai a peine réaliser un court métrage officiellement.)
Écrit par : L'Anonyme de Chateau Rouge | 07/07/2006
Si le public aime "les histoires", je ne pense pas qu'il aimerai "Bled number one" qui est avant tout une chronique. Et le talent du cinéaste, c'est d'arriver à incarner à l'écran des personnages qui ne soient pas de simples figures dessinées de "story-board". Je pense, mon cher docteur, que tu n'es pas touché par le "réalisme" du film (qui n'est ici pas du naturalisme) mais je ne pense pas qu'on puisse parler d'absence de mise en scène.
Par contre, je suis pressé de lire ta note sur "Tideland" car c'est un film que j'ai apprécié et qui me semble bien sous-estimé par la presse.
(Pardon à Vincent d'utiliser son espace commentaire pour répondre à notre bon docteur...)
Écrit par : Dr Orlof | 08/07/2006
Pas de problème Pierrot, c'est fait pour, j'apprécie ces échanges.
Cher Dr Devo, vous citez Cassavetes, je ne peux que vous suivre, Hustache-Mathieu en est certes encore loin. Mais si vous voyez un peu de cinéma dans Avril, ça me suffit, c'est une base pour discuter. Ca m'intéresse ce que vous dites sur la "non mise en scène". Autant je suis tout à fait d'accord sur le fait de demander un minimum de cinéma, autant je crois de faire du cinéma peut prendre des formes très diverses ne correspondant pas forcément à ce nous pouvons en attendre.
Cher Anonyme, j'aime beaucoup votre dernier paragraphe. Je vous suis sur l'essentiel mais je pense que le cinéma américain n'a plus autant cette faculté à assurer un "minimum". Je trouve qu'il ronronne trop ces dernières années, enchainant remakes et adaptations de séries télé et qu'on est trop indulgent pour le coup avec certaines grosses machines (MI3 au hasard) et je préfère encore un premier film français modeste à ces machines sans âme. Reste que, c'est bien le cinéma asiatique qui réussit le mieux actuellement la synthèse entre spectacle, divertissement, réflexion et démarche artistique.
Écrit par : Vincent | 09/07/2006
Au fait désolé pour la pub dans le morceau vidéo, je ne peux pas l'enlever, ça vient de Youtube. Ca fait moche mais si je trouve uhne version normale, je remplacerais.
Écrit par : Vincent | 09/07/2006
Écrire un commentaire