07/12/2015
Hot wheels
The driver (1978), un film de Walter Hill
Texte pour Les Fiches du Cinéma
Trente trois ans avant Nicolas Winding Refn, Walter Hill pour son second film comme réalisateur met en scène un chauffeur spécialisé dans les braquages et donne le rôle à un acteur beau gosse au charme magnétique. C'est Ryan O'Neal, le Barry Lyndon de Stanley Kubrick, qui s'y colle et son personnage, comme celui joué plus tard par Ryan Gosling, est tout aussi professionnel. Il a le verbe rare et le geste sûr, et il est un homme sans nom. Il est le « driver », le chauffeur. Il se fait payer cher, mais il est très fiable, réglé comme une horloge. Il aime que ça roule et ne travaille pas avec des tocards. Pourtant il s'acoquine avec deux truands minables pour relever le défi d'un policier teigneux, joué par Bruce Dern, qui pour le coincer monte un faux hold-up en marge de toute légalité. Le truand solitaire, le flic manipulateur, il ne manque au tableau que la femme fatale. C'est Isabelle Adjani qui prête sa beauté un peu étrange à une joueuse professionnelle façon Angie Dickinson chez Howard Hawks, coiffée comme Lauren Bacall chez le même. Tout est dit, Walter Hill signe un scénario qui joue avec les archétypes et dont les archétypes jouent, à la voiture, au casino, au chat et à la souris, aux gendarmes et aux voleurs. Pas de psychologie, pas de nom, pas de passé. Tous les trois évoluent dans un monde rêvé, urbain et nocturne, une ville (Los Angeles) qui est toutes les villes et aucune. Les rues sont souvent vides, le flic ne rend compte à personne même si son adjoint, seul personnage rétif au jeu, laisse planer la menace de sanctions. Le chauffeur vit dans une chambre ascétique comme si l'argent ne comptait pas. Il serait légitime de se demander à quoi lui sert celui qu'il vole, mais c'est inutile. C'est pour la beauté du geste. Peut être pour agacer le flic. De la même façon, le film évite avec soin tout sentiment exprimé entre le couple vedette. Après Catherine Deneuve chez Robert Aldrich, Isabelle Adjani tente l'aventure américaine mais Hill ne cherche pas à jouer avec elle la carte de l'exotisme « so french », préférant lui conserver une large part d'ombre. {The driver} est une épure de film noir, une abstraction à la limite de la vacuité, qui s'en tire par le style et le jeu, celui de Hill avec le spectateur.
Le film s'ouvre par un braquage dans un casino. Les deux voleurs sont pris en charge par le chauffeur et c'est partit pour une première course poursuite d'anthologie où Walter Hill fait crisser les pneus et froisse beaucoup de tôle de voiture de police. Le scénario de The Driver, signé par Walter Hill lui-même, enchaîne ensuite des scènes à la fois attendues et espérées comme dans un dessin animé de Tom et Jerry où un Chuck Jones avec Bip-Bip et le coyote. Faisant alterner les points de vue dans cette partie d'échec grandeur nature, Hill décrit la machination du flic et la contre-machination du chauffeur, conservant au second une part de mystère et s'amusant à brouiller les cartes avec la joueuse. Chaque scène est étirée au maximum, comme lors de la démonstration que le chauffeur inflige à ses futur coéquipiers dans un immense parking, étirée et pourtant dynamisée par un montage virtuose de Tina Hirsch et Robert K. Lambert. Hirsch s'y connaissait en voitures énervées puisqu’elle avait monté Death Race 2000 (La Course à la mort de l'an 2000 – 1975) de Paul Bartel et Eat My Dust (À plein gaz - 1976) de Charles B. Griffith. Il se dégage de ces courses urbaines et nocturnes une véritable excitation, un ballet de métal et de lumières, là encore abstrait, quelque chose de l'ordre la comédie musicale, mais rock façon Born to run de Bruce Springsteen. La bande son toute en moteurs grondant, pneus martyrisés et métal hurlant, accentue l'effet, renforcée de la musique de Michael Small, compositeur rare dans la lignée d'un Lalo Schiffrin.
Il y a là-dedans un plaisir brut, viscéral, celui de tous les grands films avec des voitures qui vont vite, pilotées par des héros impassibles auxquels nous aimerions tant ressembler, parfois. C'est un peu régressif mais tellement agréable. Et puis dans le jeu que nous propose Walter Hill, il y a beaucoup de cinéma. Une connivence de cinéma. The driver est très référencé. À côté des archétypes qui le composent, nous allons retrouver ce côté hawksien dans la construction par scènes, l’exhalation du professionnalisme, et le concept de l'héroïne. Il y a un peu de Jean-Pierre Melville, lui-même très influencé par le film noir américain classique, pour la solitude un peu zen du héros. Et puis tous les polars modernes (en 1978) qui ont marqué les dix années précédentes, à commencer le Bullitt (1968) de Peter Yates dans lequel Steve McQueen imposa un nouveau standard « cool », McQueen auquel était destiné à l'origine le rôle du chauffeur. Le film de Walter Hill s'inscrit ainsi dans une longue lignée qui abouti aujourd'hui aux films de Nicolas Winding Refn ou de Michael Mann. Et comme chez eux, très épris de forme, il est permis de regretter un travail moins approfondi sur les personnages, la chose que Howard Hawks faisait si bien. Mais Hawks faisait tout très bien.
Ne chipotons pas. Walter Hill, j'avais mis, comme d'autres, beaucoup d’espoirs dans ce réalisateur. Son premier coup d'éclat, c'est le scénario adapté de Jim Thompson en 1972 pour The Getaway (Guet-apens) de Sam Peckinpah, autre influence majeure. Il écrit aussi pour John Huston et collabore pour Ridley Scott à Alien en 1978. The driver vient après Hard Times (Le Bagarreur) avec Charles Bronson en 1975. Suit une série superbe entre The Warriors (Les Guerriers de la nuit – 1979) et Streets of Fire (Les Rues de feu – 1984) avant que Hill ne montre ses limites et ne se repose de plus en plus paresseusement sur des formules, sur ce qui avait fait son succès. {The driver} est certainement un de ses films les plus réussis, la quintessence de son style. Il y a cette lointaine nostalgie du western (le flic appelle le chauffeur “cow-boy”) qui se traduit dans les cadres, ce goût paradoxal pour l'univers urbain, pour de vastes espaces de rues très éclairées par les innombrables néons que l'on va retrouver dans tous ses polars, l'utilisation d'une violence sèche pourtant moins démonstrative que celle de Sam Peckinpah, la façon de faire se tenir les personnages dans le plan, les rapports virils et l'expression d'une certaine éthique de l'action. La conviction du trio d'acteurs incarnant ces personnages relevant des mythes du film noir, celle de solides comparses dont la belle Ronee Blakley (inoubliable), et le plaisir contagieux de Hill à les mettre en scène font tout le prix de ce polar aussi élégant que vrombissant.
Photographies 20th Century Fox / EMI
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